updated 8:25 PM CEST, Apr 25, 2016

Nichi, l'anti-Berlusconi

L’incarnation de la différence qui devient force de toutes les contradictions.

 

Les Pouilles, ça vous dit quelque chose?

Oui, c’est ça, une région tout au sud de l’Italie. Le talon de la botte plus exactement.

Un littoral azur, des oliviers et des cultures à perte de vue, une multitude de petites villes animées, un immanquable art du bien vivre et du bien manger, le tout réparti dans 6 provinces et une grande ville pour capitale et pôle économique : Bari.

L’envers de ce décor de carte postale, c’est un Sud italien historiquement marqué par le clientélisme, la criminalité organisée, la corruption, le chômage endémique, des institutions au fonctionnement cahotique, un développement anarchique, et en sus les problèmes liés aux récentes évolutions de la société telles que l’immigration.

Une personnalité hors normes

Et pourtant. Il s’en passe des choses dans cette région traditionnelle et traditionaliste.

Dans un tel cadre, un homme émerge et il incarne la différence qui devient force de toutes les contradictions : Nichi Vendola (prononcer « Niki », hommage de son père à Nikita Kroutchev), 51 ans, ex-communiste, homosexuel affiché et catholique. En un mot, une personnalité hors normes, surtout dans pareil environnement conservateur. Il est réélu en mars dernier au poste de gouverneur de la Regione Puglia sous le drapeau de la coalition Sinistra, Ecologia e Libertà (Gauche, Ecologie et Libertés), plébiscité et soutenu par le peuple à l’encontre des pontes du centre gauche italien qui, sentant le danger venir, ont tenté par tous les moyens de lui barrer la route.

Intellectuel et poète - il a entre autres à son actif diverses publications dont une thèse sur Pier Paolo Pasolini - il est aussi membre fondateur de l’Arcigay italienne mais encore plus un homme de terrain pour qui l’amour des gens l’amène à se fondre et à échanger dans tous les milieux, qui le lui rendent bien.

Communiquer la « bonne politique »

Outre un charisme indéniable et une personnalité faite de contrastes, Nichi Vendola est passé maître dans un art : celui de communiquer. Et c’est là que réside sa force.

Car il Presidente Vendola sait parler et charmer, malgré – ou grâce – à de courantes références érudites et poétiques et même un léger défaut de prononciation.

Plus décisive encore, son habileté à utiliser les nouveaux moyens de communication en fait une arme absolue : blog personnel constamment alimenté (avec des slogans tels que « La poesia è nei fatti », « La poésie est dans les faits »), ou encore une page Facebook où il relate ses rencontres et expériences au sein de sa fonction et dialogue quotidiennement avec ses fans.

Le gouverneur inclut également la jeunesse aux premières loges de l’élaboration politique qui donne le ton d’une organisation participative originale : d’abord un programme politique pour et par les jeunes au nom évocateur : « Bollenti spiriti » (Esprits brûlants). Ensuite et surtout, épaulé par de très jeunes professionnels de la communication de la région, il a pensé et mis en place un réseau régional, très vite devenu national, d’ateliers-laboratoires autogérés de travail et de réflexion politique - de « buona politica » -, les « Fabbriche di Nichi » (il en existe même une à Zurich!). Ces « fabriques » lui relaient leurs conclusions, ne cessent de se démultiplier et suscitent un engouement sans pareil qui ne fait que débuter.

Le gouverneur, le genre et les femmes

Mais que vient faire un tel personnage dans la page de l’émiliE féministe, me direz-vous ?

C’est qu’au pays de la soubrette des shows télévisés, le septuagénaire sieur Berlusconi s’embourbe dans de pitoyables scandales sexuels à répétition et n’a de cesse de démontrer son mépris pour la gent féminine qui réfléchit - sans parler de son machisme et de son homophobie affichée - Monsieur Vendola marque encore des points. Il est en effet résolument actif en matière de féminisme : on peut non seulement trouver directement dans les déclarations de son programme politique un chapitre entier et exhaustif dédié à l’intégration de la dimension de genre dans la mise en place et l’exécution de sa stratégie régionale. Mais on soulignera aussi sa volonté de remise en question permanente, par exemple dans les politiques sociales, le travail et les carrières féminines, le soutien aux initiatives et mouvements féminins, la famille ou encore les problématiques propres aux femmes immigrées.

Et surtout : cas unique en Italie, le gouverneur a imposé sa volonté – malgré de virulentes oppositions – en formant un cabinet exécutif « fifty-fifty » et en s’entourant de femmes d’horizons divers et de haut vol pour diriger la région, afin de « contrer la reproduction éternelle de la politique au masculin, de la masculinité et du « machisme » au pouvoir ».

Cela n’est pas passé inaperçu dans les milieux féministes italiens, qui offrent désormais un soutien actif et indéfectible à Monsieur Vendola au sein de divers mouvements, associations et autres médias, bien au-delà des frontières régionales. Des femmes qui, d’ailleurs, multiplient actions et démarches en sa faveur.

Nouveau leader de la gauche italienne ?

On n’a pas fini d’entendre parler du président de la Regione Puglia Nichi Vendola : depuis quelque temps déjà, il multiplie les apparitions télévisées, les interviews dans de grands journaux, les déplacements. On murmure qu’il serait pressenti pour être l’un des papables à la tête de l’opposition italienne, capable de contrer un Silvio Berlusconi en fin de règne et de redonner consistance à une gauche désagrégée et minée par des guerres intrinsèques.

Fort de ses succès locaux notamment en matière de culture et de tourisme, d’énergies renouvelables et d’écologie, ou dans le domaine social, l’homme fait son chemin et dépasse désormais les frontières régionales, incarnant un renouveau inespéré, y compris pour les femmes italiennes.

Dans le climat politique désastreux que connaît l’Italie ces dernières semaines, les luttes politiques impitoyables font cependant courir le risque de le voir broyé par le système puis renvoyé à ses pénates régionales. Ou encore que ses initiatives de déploiement et l’enthousiasme populaires finissent étouffées dans l’œuf. Certains esprits rationnels vont même jusqu’à affirmer que malgré son charisme et ses qualités, le pays n’est pas prêt pour un révolutionnaire comme lui et sa « bonne politique ».

Mais finalement, on retiendra qu’entre coutumes et modernité, les Pouilles ont résolument amorcé un virage qui reflète le potentiel de la région, son dynamisme et sa modernité.

Une belle tache de couleur dans cette tant décriée Italie dont l’image façonnée par la grossièreté du culte et des manœuvres berlusconiennes se répercute trop souvent uniformément hors de ses frontières et nous empêche d’y regarder de plus près.

Bref, tout un programme et un personnage à surveiller attentivement!

Stefania Kirschmann

Liens:

Le blog de Nichi Vendola : http://www.nichivendola.it/

La page Facebook : http://www.facebook.com/#!/pages/Nichi-Vendola/38771508894

Site internet de la Région des Pouilles, composition de la junte exécutive : http://www.regione.puglia.it/index.php?page=struttura&op(...)