DSK: le fantasme de la soubrette
- Écrit par Nathalie Brochard
Tandis que la classe politique française est en émoi après l'inculpation du patron du FMI pour agression sexuelle, tentative de viol et séquestration, peu de journalistes semblent s'intéresser à celle qui s'est déclarée victime, anonyme femme de chambre dans un hôtel du groupe français Accor, leader mondial de l'hôtellerie. Du coup, nous devons nous contenter des interprétations des éditorialistes et autres commentateurs plutôt que des informations des journalistes. Où sont les enquêteurs? On ne connaît pas les faits mais on nous tient en haleine à coup de directs et d'émissions spéciales, bientôt nous aurons les petits logos à l'effigie de DSK comme nous les avons eus à celle de Ben Laden quand il est mort ou le drapeau du Japon au moment du tsunami et de Fukushima…
Et qu'apprend-on? Pas grand-chose si ce n'est la stupéfaction, l'incrédulité des éditorialistes, concentrés comme un seul homme sur le grand homme. De la femme, ici on ne sait rien, on ne veut rien savoir. Outre-Atlantique, on découvre qu'elle est migrante africaine, qu'elle vit dans le Bronx avec sa fille, une adolescente de 16 ans. Ses collègues la décrivent comme "une personne honnête et travailleuse", ses voisins comme "une personne discrète". Mais pour les médias français, quel intérêt? Pourtant, quelle que soit la vérité, machination, complot ou agression, cette femme est à l'origine de la chute du grand argentier mais aussi de celui qui était donné par ces fameux éditorialistes comme vainqueur probable des primaires socialistes et de l'élection présidentielle en France. Rien que ça!
Les médias français qui se moquent régulièrement des frasques de Berlusconi abordent ce qui se passe autour de Dominique Strauss-Kahn sur le ton de la gravité. Des psychiatres se penchent même sur son cas: entre suicide symbolique et assassinat politique suivant les hypothèses, c'est bien lui la victime. Toute l'énergie de nos journalistes se focalise sur le pauvre homme. Les chaînes de télévision et les journaux mettent le paquet: envoyés spéciaux et correspondants se bousculent devant le palais de justice de New York. Entre la femme de chambre et le chef du FMI, ce sont tous les rapports sociaux de sexe, de race et de classe qui se croisent. En France, les menottes de DSK à sa sortie du commissariat sont floutées, aux Etats-Unis, la mise en scène est brutale et le point de vue de la victime est privilégiée. En France, on parle de la parole d'une femme contre celle d'un homme, aux Etats-Unis, on parle de crime. La juge, Melissa Jackson, a décidé que DSK restera en prison.