Lybiennes: du code vert à la charia
- Écrit par Nathalie Brochard
Le jour de la proclamation de la «libération» de la Libye, le président du Conseil national de transition (CNT), Mustapha Abdel Jalil, a annoncé que la législation du pays sera fondée sur la charia. Pour les femmes, la révolution risque de tourner court en matière de droits individuels et d'égalité. Ce qui s'annonçait pour certains comme une promesse d'ouverture pourrait n'être qu'un retour en arrière.
Bien avant cette déclaration, de nombreuses voix parmi les Libyennes, notamment les étudiantes et universitaires, s'élevaient sur les réseaux sociaux et s'inquiétaient du sort qui attendaient les femmes à l'issue des combats. En effet, d'après elles, le fait déjà que le siège du CNT se trouve à Benghazi, plus conservatrice que Tripoli, il était plus que probable que les Frères musulmans imposeraient leurs vues. Une jeune femme explique qu'elle devra se «résoudre à porter le hijab». Et si, au début sa lutte contre le régime Kadhafi, le CNT avait exprimé son intention d'intégrer les femmes dans son organisation, on peut dire que cela ne s'est guère réalisé et que sa première pierre à la reconstruction à travers ce discours de «libération» participe à la poursuite de la négation et de l'invisibilisation des Libyennes.
La charia qui codifie à la fois les aspects publics et privés de la vie d’un musulman, tout comme les interactions sociétales va se substituer au code vert du colonel Kadhafi. Les musulmans considèrent cet ensemble de normes comme l’émanation de la volonté de Dieu. Non pas que le petit livre vert était plus avantageux pour les femmes puisqu'il niait l'égalité civile homme-femme, mais le divorce y était chose possible et la polygamie relativement limitée. Du point de vue masculin, ce nouveau droit a du bon. Un Libyen interviewé sur les ondes de France Info confie que la charia va lui permettre de se marier à nouveau d'ici deux ans tout en gardant son ancienne femme et sans que cette dernière puisse lui créer des problèmes. La société libyenne a fonctionné sur une séparation traditionnelle des sexes avec pour seule voie d'échange entre les deux catégories, le mariage, sous un contrôle social strict. La charia ne peut que radicaliser le système, ce qui fait craindre le pire à la Fédération Internationale des Droits de l'Homme qui s'exprime largement ces deux derniers jours sur la question des femmes. La Tunisienne Khadija Cherrif, secrétaire générale de la FIDH, s'interroge sur le sens de cette charia aujourd'hui après la dictature de Kadhafi et sur ce qu'elle va engendrer concrètement pour les Libyennes. Elle dit ne pas comprendre ce qu'est l'islam modéré et assure que le travail de son organisation va se poursuivre avec une vigilance accrue à l'égard des droits des femmes.
On constate déjà le retour en Libye de religieux exilés en Europe, attelés à leur tâche prosélyte. Rien de très rassurant à bien y regarder. Et de quoi s'interroger sur les racines des révolutions, les ingérences des démocraties et leur capacité à remplacer des dictatures par des tyrannies dont souffrent surtout les femmes.