Masanjia, camp de travail pour femmes
- Écrit par Nathalie Brochard
Copiés sur le modèle soviétique, les camps de travail chinois ont été mis en place par Mao Zedong dès le milieu des années 50 afin de supprimer les ennemis de la révolution, pour reprendre la terminologie de l’époque. Cet outil de répression politique a été conservé sous l’ère Deng Xiaoping et s’est adapté à la nouvelle donne économique pendant les périodes Jiang Zemin et Hu Jintao fournissant une main d’œuvre gratuite qui travaille notamment dans la production textile à destination de l’Occident. Ils seraient 190'000 selon les chiffres officiels et 500'000 selon la Fondation Laogai (abréviation de láodòng gǎizào, rééducation par le travail) détenus dans 350 camps à travers le pays en toute illégalité. Leur délit ? Avoir exprimé leur opinion sur Internet ou lancé des pétitions pour demander plus de justice au gouvernement. Et si l’existence même de ces camps violent les droits les plus élémentaires des citoyen-ne-s, les autorités ont la capacité de contourner la loi pour détenir de façon arbitraire tout individu jusqu’à quatre ans sans avoir de comptes à rendre.
Du Bin, un jeune reporter, a tourné clandestinement un documentaire sur le camp de femmes de Masanjia, près de Shenyang dans le nord-est de la Chine. Intitulé Women above ghost’s head, le film est un témoignage de la barbarie impensable du système. Pendant plus d’une heure, face caméra, Liu Hua, une paysanne de 51 ans, raconte les atrocités des trois années qu’elle a passées à Masanjia. C’est après avoir découvert la corruption du secrétaire du parti et des officiels dans les instances locales de son village qu’elle et son mari ont été envoyés en camp de rééducation. Et si Liu Hua n’a été scolarisée que cinq ans, elle a réussi à écrire ce qu’elle vivait dans le camp, à apprendre par cœur les pages ainsi noircies et à les avaler pour éviter les coups. C’est ce témoignage livré en urgence que Du Bin a filmé. Liu Hua y parle à toute vitesse comme si elle allait ne jamais parvenir au bout, comme si elle craignait d’omettre des éléments importants.
Elle dit le travail entre dix et quatorze heures par jour, elle dit le manque de nourriture (des légumes pourris, jamais de viande, quasi pas de riz), d’hygiène (une douche par mois), de soins (femmes enceintes, malades, handicapées ne voient jamais de médecins). Elle parle des conditions de travail insupportables, mais aussi des tortures subies. Le quotidien des 5'000 femmes de Masanjia permet à la Chine de produire à moindre coût des jouets, des jeans, des t-shirts exportés en Europe, en Corée du Sud notamment. Elle précise les catégories de prisonnières hiérarchisées par uniforme de couleur (pas si loin des triangles nationaux-socialistes...).
En avril dernier, le magazine chinois Lens a tenté d’alerter l’opinion sur la situation en publiant des témoignages d’anciennes détenues mais Pékin a immédiatement censuré le reportage. Pour le réalisateur Du Bin, « il faut utiliser Internet pour conscientiser plus de gens. Je pense que dans de telles circonstances, aider à produire des films comme le mien, c’est aider les Chinois. C’est aussi aider les Chinois à parler et à dire la vérité».
Le 31 mai dernier, quelques jours avant la date anniversaire de Tiananmen, Du Bin a été arrêté par la police. L’activiste Hu Jia a expliqué que «tous les livres et les notes de Du Bin ont été saisis. Le matériel concernant ses travaux sur Tiananmen et sur le camp de travail de Masanjia a disparu». Pour Catherine Baber, directrice d’Amnesty International en Asie, cette arrestation a un lien direct avec le reportage Women Above Ghost’s Head. Liu Hua et toutes les femmes qui ont eu le courage de s’exprimer risquent également d’être arrêtées à leur tour.
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Photo tirée du film de Du Bin