Au nom de l'amour
- Écrit par Nathalie Brochard
Les autorités espagnoles viennent de publier les chiffres sur la violence de genre entre mineurs et le constat est amer : une augmentation de 30% en un an. Face à la statistique, expert-e-s et éducateurs-trices s'accordent pour dire que les schémas traditionnels persistent voire se renforcent à l'adolescence. Les jeunes filles qui ont été confrontées à cette violence sexiste pensaient que c'était "un truc" d'adultes. La faute aux réseaux sociaux? Au porno? A la crise? Explications.
Depuis 2004, année à partir de laquelle les agressions sexistes ont commencé à être recensées dans toute l'Espagne, jamais on avait vu une telle augmentation. Sachant en outre que ces chiffres ne recouvrent qu'une partie de la réalité puisqu'il s'agit de faits ayant entraîné un dépôt de plainte devant la justice. L'année dernière, une jeune fille de 13 ans, Almuneda Marquez est décédée, assassinée par son "amoureux" et si les cas extrêmes sont rares, la recrudescence de ces violences devient préoccupante. Interviewée par le quotidien El Pais, Susana Martinez, présidente de la Commission d'études des violences faites aux femmes, explique que "les jeunes reproduisent des schémas que l'on croyait dépassés, des modèles selon lesquels le garçon est le dominant et exerce sa domination grâce au contrôle et la fille adopte une attitude soumise ou complaisante". Selon elle, ces relations s'inscrivent dans le schéma traditionnel de l'amour romantique avec l'homme fort et la femme fragile, dépendante, qui a besoin de protection. "C'est comme dans les contes de fées, lorsque la princesse doit être sauvée par le prince. Ces modèles poussés à l'extrême peuvent conduire à la violence sexiste. Surtout, ils empêchent les filles de devenir des sujets agissants dans la société", estime pour sa part Ana Bella Hernandez, présidente d'une fondation d'aide aux victimes. Le romantisme serait donc la porte ouverte aux violences faites aux femmes?
A en juger par ce que pensent les jeunes eux-mêmes, l'hypothèse n'est peut-être pas si bancale. Les attitude sexistes (jalousie extrême, insultes, etc.) se justifieraient au nom de l'amour, selon eux. Ils sont 33,5% à partager ce point de vue d'après une étude parue en 2010. Et pour 12,2%, ils pensent que dans une bonne relation de couple, la femme ne doit pas contrarier l'homme. 6% des jeunes filles sont du même avis. Il sera intéressant de comparer ces données à celles qui vont paraître la semaine prochaine : le Ministère de la santé, des services sociaux et de l'égalité a en effet commandé une enquête menée auprès de 8000 jeunes qui semble confirmer que les ados sont très perméables aux représentations et stéréotypes de genre diffusés par les médias mais également par les familles. La norme dominante et omniprésente de l'amour romantique ne fait que renforcer le cliché de l'homme fort et de la femme fragile et soumise.
Sa diffusion s'en trouve démultipliée grâce aux nouvelles technologies. S'y ajoute un contrôle et une prise de pouvoir facilités. Pour Susana Martinez, "les réseaux sociaux, les SMS, sont utilisés pour savoir à tout moment où est l'autre et ce qu'il fait. Et puis, quand on se sépare, ils sont utilisés comme instruments de harcèlement". Où est la ligne entre la preuve d'amour et le rapport de domination? Est-ce normal si l'amoureux demande à l'amoureuse de rappeler depuis le téléphone fixe de chez elle pour savoir si elle est bien rentrée? Est-ce normal si l'amoureuse refuse que son amoureux ait accès à ses SMS qu'il la soupçonne automatiquement de le tromper? C'est comme si la vie des jeunes filles n'avaient aucune légitimité, comme si leur propre vie ne leur appartenait pas. La société ne les aide pas. Elles doivent se battre pour exister. La culture du harcèlement prend tellement de place qu'elle en vient presque à tenir d'éducation (sentimentale?). Ainsi, le type d'expérimentation sociale How to get a girl to kiss you ou comment embrasser une inconnue en 10 secondes (contre son gré) qui se répand sur la toile rencontre un succès fou auprès des adolescents. Cela contribue à entretenir l'idée que la fille est une proie et que le garçon n'a qu'à se servir. Quant aux représentations pornographiques, rares sont celles qui mettent en valeur les femmes traitées la plupart du temps comme des objets. Dans ces conditions, la hausse des violences de genre entre ados est-elle si surprenante?