Suède: l'échec des féministes
- Écrit par Nathalie Brochard
C’est implacable : le parti féministe suédois Feministiskt Initiativ (Initiative féministe, FI) ne parvient pas à transformer sa popularité en succès électoral. Avec seulement 3,1% des voix, sous la barre des 4% nécessaires pour siéger, il n’entre pas au Riksdag (chambre unique du parlement, ndlr). Le parti avait pourtant réussi un exploit aux Européennes en ayant une députée parmi les vingt représentant-e-s suédois-es qui ont fait leur entrée à Strasbourg au printemps dernier et suscité beaucoup d’espoir parmi les militant-e-s.
La route est longue et Gudrun Schyman, la bouillonnante présidente de FI, le sait. Une demi-heure avant que les premiers résultats ne tombent, elle prévenait : «les gens aiment prétendre qu’ils votent FI. Nous pourrions être déçu-e-s». Mauvais pressentiment ou triste réalité ? Le féminisme en Suède ne serait donc qu’une mode, une passade ?
Les féministes suédoises sont les premières à dire que leur pays n’est pas égalitaire. On se souvient justement de la provocation de 2010 lorsque FI avait brûlé 100 000 couronnes en public, soit l'équivalent de 10 385 euros, pour dénoncer les discriminations salariales entre hommes et femmes. Gudrun Schyman avait alors déclaré que "c'est ce que perdent les femmes à chaque minute dans le système actuel où les salaires sont déterminés en fonction du sexe". Ce coup d’éclat avait donné une extraordinaire visibilité au parti en Suède et à l’étranger.
De 1500 membres à l’époque, Feministiskt Initiativ est passé à 20 000 dont 17% d’hommes. Les dernières enquêtes d’opinion montrent que 47% des Suédois-es se disent féministes. Et si ce n’est qu'une posture ou un trend, cela profite à FI. A ce jour, leur percée aux élections européennes reste marquée d’une pierre blanche. Avec 5,3% des voix, FI devient le cinquième parti du pays et fait de leur tête de liste, Soraya Post, un symbole : Rom, elle est l’une des fondatrices du Réseau international des femmes roms. Les médias parlent d’un «printemps rose» et tout le monde se déclare féministe. Les grands partis courtisent ouvertement le mouvement. Les responsables politiques, excepté Jimmie Akesson, chef de file des Démocrates de Suède (SD, extrême droite), participent même au Forum nordique pour les droits des femmes, organisé à Malmö en juin dernier, chose encore impensable quelques mois plus tôt...
Pour ces élections législatives, alors que les grands partis dépensent des fortunes de l’ordre de 7 millions d’euros, FI ne dispose que de 210 000 euros, provenant essentiellement de dons. Pour l’anecdote, Benny Andersson, le chanteur d’Abba est un soutien régulier… Pour autant les observateurs-trices politiques estiment que la présence de FI sur les réseaux sociaux est aussi importante que celle des grandes formations. Et sur Facebook et Twitter, les féministes sont les plus suivies. Mais sur leur route, les sociaux-démocrates ont dressé des obstacles en agitant le chiffon rouge de l’extrême droite : chaque vote pour FI est un vote perdu pour la gauche martèle Stefan Löfven, patron du parti social-démocrate. Gudrun Schyman aura échoué à convaincre de sa capacité à «neutraliser SD» comme elle l’a répété tout au long de la campagne. 4% des voix c’était 15 sièges au parlement qui auraient privé l’extrême droite de marge de manoeuvre. Les urnes en ont décidé autrement puisque SD obtient 13% des voix devenant ainsi le troisième parti de Suède. Feministiskt Initiativ va devoir remonter ses manches et (se) reconstruire afin de prouver que le parti féministe n'est pas juste un effet de mode.
Photo DR, Gudrun Schyman, présidente de Feministiskt Initiativ