La logique capitaliste des stérilisations
- Écrit par Nathalie Brochard
En Inde, le contrôle des naissances passe essentiellement par la stérilisation. La mort de 14 femmes dans l’Etat du Chhattisgarh suite à leur opération a provoqué un tollé international. La tragédie relance le débat sur l’exploitation des Indiennes.
Si les médias ont insisté sur le manque d’hygiène et l’usage de médicaments périmés au cours de ces interventions pratiquées sauvagement sur le corps des femmes (le chirurgien en a tout de même opéré 83 en cinq heures…), très peu ont relevé que les campagnes de stérilisation étaient un instrument de pouvoir coercitif exercé contre les Indiennes. Que ce soit sur une base contrainte ou volontaire, rémunérée 1400 roupies soit 20 euros, la stérilisation existe dans cette perspective bio-politique depuis des années déjà. On se rappelle que dans les années 70, le gouvernement d’Indira Gandhi l’avait imposée à dix millions de personnes, principalement des hommes. L’Inde pratique 37% des stérilisations mondiales avec 4,6 millions de femmes opérées en 2012. Des camps dédiés à ces interventions se répartissent dans tout le pays et des armées de travailleurs sociaux sillonnent les campagnes pour convaincre les candidates et atteindre leur quota. Bien que l’Inde ait officiellement renoncé à tout objectif chiffré depuis 1996, l’ONG Human Right Watch affirme que c'est toujours le cas dans certains Etats où les fonctionnaires sont menacés de perdre leur travail s’ils ne les remplissent pas.
En matière de contraception, les Indien-ne-s n’ont guère le choix : la pilule est tabou, le préservatif est peu utilisé et la stérilisation des hommes est minoritaire. La diffusion de nouvelles pratiques en matière de santé reproductive se heurte à des résistances sociales et psychologiques très importantes. Les femmes n’ont pas le contrôle sur leur corps. Surtout, elles n’ont aucun moyen d’en avoir dans une région pauvre comme l’Etat du Chhattisgarh. Elles ont peu accès à l’éducation et peuvent difficilement dégager un revenu propre qui leur donnerait de l’autonomie. Sans pouvoir économique, elles ont peu de chances de pouvoir maitriser elles-mêmes leur fécondité.
Le cynisme tient au fait que cette politique de contrôle des naissances voulue par le gouvernement indien s’inscrit en réalité dans une stratégie économique globale : les femmes pauvres constituent une grande partie de la main-d’œuvre exploitée dans les usines qui tournent à plein régime pour les multinationales, notamment du textile. Ces travailleuses doivent rester performantes à leur poste et une grossesse ne ferait que diminuer leur efficacité. L’Inde se développe à marche forcée sur le dos de femmes qui ne récolteront pas les fruits d’une quelconque croissance mais dont on s’assure du rendement maximum. La triste réalité des campagnes de stérilisation s’inscrit dans cette effroyable logique capitaliste.
Les familles des femmes décédées lors de l'opération ont reçu une indemnisation de 2500 euros, le prix de la vie d'une femme...
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