Les deux premières villes d’Espagne vont être désormais dirigées par deux femmes issues du mouvement citoyen des Indigné-e-s. Manuela Carmena à Madrid et Ada Colau à Barcelone ont été investies samedi dernier dans leur mairie respective en présence d’une foule énorme. Gangrénée par les affaires de corruption et les scandales politiques à répétition, l’Espagne souffre d'une absence de perspectives et cherche de nouvelles voies/voix. En remportant les municipales, ces militantes hors parti ont-elles réussi à rétablir un début de confiance entre le peuple et les dirigeant-e-s ? Le fait qu’elles soient des femmes a-t-il joué en leur faveur ? Toujours est-il que l’une comme l’autre cristallise les espoirs d’une population laissée à l’abandon. Leur discours d’investiture témoigne du changement de ton et les programmes annoncés se font l’écho de ces attentes.
Devant le Palais de Cibeles à Madrid, c’est la liesse des lendemains qui chantent. Manuela Carmena s’est frayée un chemin parmi ses sympathisant-e-s qui scandaient «Si, se puede», le cri de ralliement des Indigné-e-s, pour se rendre dans la salle du Conseil. Après le vote, c’est le soulagement pour l’ex-juge de 71 ans, de la liste «Ahora Madrid» rassemblant Equo (écologistes), Izquierda unida (écolo-communiste) et Ganemos Madrid qui vient d’obtenir la majorité absolue des 57 conseillers: 29 élus l’ont choisie pour diriger la capitale espagnole aux mains de la droite depuis 1990. Et si le Parti Populaire est arrivé en tête des municipales avec 44 000 voix d’avance sur Ahora Madrid, le Parti socialiste a décidé de la soutenir pour enfin rompre avec l’austérité qui a laissé une ville exsangue. Dans son discours d’investiture, Manuela Carmena rappelle que «Nous sommes au service des citoyens de Madrid. Nous voulons gouverner en les écoutant». Pour la maire, il faut agir au plus vite sur les problématiques citoyennes : emploi, logement, culture, sécurité sociale, anti-corruption, participation. Ses toutes premières mesures s’adresseront aux enfants défavorisés, pour leur garantir deux repas par jour et aux personnes menacées d’expulsion de leurs logements.
Pendant ce temps, à Barcelone, une foule toute aussi dense, rassemblée sur la Plaça San Jaume, a accompagné Ada Colau vers sa future destinée. Les banderoles «Si se puede» ou «Que sí nos representan» en castillan ou l’immense drapeau républicain marquent un changement de priorité dans une ville accaparée ces dernières années par les nationalistes catalans. Dans une ville où un tiers de la population est frappée d’exclusion sociale, l’urgence est aujourd’hui l’emploi, le logement, les soins, l’éducation et moins le séparatisme. Ce samedi, la mairie de Barcelone investissait pour la première fois une femme à sa tête. L’activiste de 41 ans qui menait la liste citoyenne, Barcelona en Comú, va gouverner avec la majorité absolue grâce à l’appui des autres partis de gauche, communistes et socialistes notamment. Et si dans son discours d’investiture, la nouvelle maire a exprimé sa gratitude à son électorat pour avoir «rendu l’impossible possible», elle reconnaît que «tout ne sera pas facile», mais que les gens ont «voté pour le changement» et que dès lors elle s’engage dans cette voie. Après avoir annoncé la mesure symbolique d’une réduction drastique du salaire qu’elle touchera (40 000 euros annuels contre les 112 000 de son prédécesseur nationaliste conservateur Xavier Trias), elle a présenté un programme pour lutter contre les inégalités à Barcelone, prévoyant de stopper les expulsions de logements, de baisser les tarifs de l’énergie et de mettre en place un revenu minimum de 600 euros. Autre signe révélateur du changement, les seul-e-s responsables à avoir décliné l’invitation à l’acte constitutionnel furent la déléguée du gouvernement en Catalogne, Llanos de Luna, et le cardinal archévêque de Barcelone, Lluís Martínez Sistach.
Le week-end est passé, les conservateurs ont recouvré leurs esprits et ont commencé à tirer à boulets rouges sur les deux dirigeantes. A Madrid, Manuela Carmena qui avait essuyé une salve de sa rivale du PP Esperanza Aguirre dès son investiture, doit se prononcer aujourd’hui sur l’exclusion de Guillermo Zapata, un de ses conseillers nommé à la Culture dont des tweets antisémites de 2011 ont brusquement refait surface. L’état de grâce risque d’être de courte durée pour les deux femmes, par contre le baptême du feu, c’est maintenant.
Photo © Ada Colau/Manuela Carmena