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Question de classe

Stratégies d'apprentissage N°2.

À trente ans et presque toutes mes dents, je continue de me former au métier de plombier-chauffagiste...
Immersion en entreprise, pause de 10 heures :
 –    Ça doit pas être facile pour vous, cette ambiance «ouvrière»...
Mais de quoi parle-t-il ?
 –    En tous cas, s'ils vous embêtent, faut m'en parler.
Et ça recommence... Le premier à m'avoir tenu ce discours était mon formateur. Le suivant, le responsable de mon centre d'apprentissage. Et voilà que c'est au tour de mon boss... Diplômés, intellos, cadres, blancs, entre 40 et 50 ans ou la combinaison de tout ça. Des types en position de pouvoir, méprisants au possible envers ces soi-disant «ouvriers attardés-machos-un-peu-bronzés».
 –    En tous cas, s'ils vous embêtent, faut m'en parler, hein.
Il a dit ça bien fort, devant une dizaine de collègues. Alors cette fois, je réponds du tac au tac : «Ouh là ! J'ai rencontré bien plus de machisme chez les profs et les patrons que chez mes collègues... Vous feriez mieux de balayer devant votre porte». Le chef d'atelier ne relève pas... et une semaine plus tard, je suis toujours en poste. Je m'imagine alors que ça va peut-être devenir plus facile.

Mais dix jours plus tard, je ne m'en sors plus si bien. Un de mes collègues m'a dans le collimateur. Alors que je l'évite consciencieusement, il ne perd pas une occasion de me critiquer, de me lancer des reproches cinglants. Je ne sais pas ce qu'il s'est mis en tête, attirance ou aversion, mais il est agressif sans raisons apparentes, je le mets hors de lui par ma seule présence. J'ai essayé de riposter une fois ou deux en lui renvoyant ses vannes en boomerang, comme le font les autres types de l'atelier, humour l'air de rien, sans me démonter. Mais ça n'a fait qu’augmenter la tension : il me regarde de plus en plus méchamment. Un sentiment d'insécurité qui monte. Jusque-là, j'avais attendu que la plupart des collègues se soient changés pour entrer à mon tour dans le vestiaire et me déshabiller. Mais j'ai peur de me retrouver seule face à lui, alors je m'engouffre dans le vestiaire en même temps que les autres. Regards goguenards : mon casier est tout au fond du vestiaire et je dois donc passer devant toute la troupe qui glousse à mon passage. Double allée de regards en coin et de remarques ambiguës. Deux fois par jour, la même épreuve du vestiaire. Un autre matin, un autre soir, encore un matin, et après deux semaines de ce petit jeu, je suis vraiment épuisée. Les relations se sont tendues avec plusieurs types qui n'ont pas aimé que je ne sourie pas à leur blagues. Je monte demander au chef si je peux me changer dans une autre pièce ou si, au moins, je peux obtenir un casier à l'entrée du vestiaire pour échapper à la double haie d'honneur jusqu'au fond de la pièce. Il me répond qu'il va voir ce qu'il peut faire. Et quelques jours plus tard, convocation dans son bureau :
 –    J'ai réfléchi pour la situation du vestiaire. Vous êtes la seule femme ici, alors je crois qu'on ne va rien pouvoir faire...
 –    Mais justement...
 –    Oui justement, vous comprenez, si vous étiez plusieurs, on pourrait envisager deux vestiaires, mais là... Ce serait vous donner un statut particulier, faire de vous une chose à part. Je pense que ce n'est pas bien pour votre intégration dans l'équipe. On ne peut rien faire de plus. Faut vous durcir... ou bien accepter que ce boulot n'est pas pour vous.
Je n'ai pas le temps de protester qu'il poursuit :
 –    Mais j'ai quand même pensé à vous !
Et, tout fier, il me montre une affiche qu'il vient d'imprimer, affiche de sensibilisation contre les violences faites aux femmes... en Argentine. Il l'agite en souriant devant mes yeux, puis la remet, soigneusement, au fond d'un tiroir. Je suis abasourdie, mais cette fois pas plus de quelques secondes (à force d'entraînement, je commence à  réfléchir plus vite) :
 –    Ah, c'est vraiment gentil ! Mais pourquoi me montrer ça ?
 –    Parce que ça concerne la Femme ! Et vous êtes la Femme de notre boîte, ce n'est pas rien. J'espère que vous comprenez qu'on vous respecte.
… Vous savez quoi ? C'est vous qui êtes concerné, pas moi. Elle est pour vous cette affiche. Pour votre fils, vos collègues et pour l'équipe de direction.
Je sors du bureau en trombe. Si je trouve des alliés, ce sera du côté des ouvriers.

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