updated 8:25 PM CEST, Apr 25, 2016

Porno et féministes

Porno : pourquoi les féministes en viennent aux mains.

 

La pornographie constitue une des principales controverses féministes. Afin de dépasser une lecture morale (c’est bien/c’est mal) ou une interprétation personnelle (j’aime/j’aime pas) de la thématique, l’émiliE revient sur les différents points de tension qui la traversent. Décodage.

 

Féminisme et pornographie : un oxymore ?

 

Deux principaux camps se sont dessinés parmi les féministes. D’un côté, certaines se positionnent contre la pornographie en argumentant que cette dernière est dégradante pour les femmes et renvoie par essence à la subordination sexiste. Selon cette conception, la pornographie doit être interdite. D’un autre côté, les féministes pro-porno avancent la nécessité d’investir ce domaine et de se le réapproprier. Selon cette vision, la pornographie est un outil politique afin de donner à voir une multiplicité de pratiques.

Ces deux perspectives s’opposent dans leur manière d’appréhender la pornographie, et par conséquent, dans la façon de proposer des pistes d’action. Elles se distinguent aussi dans la façon d’envisager les personnes et leurs interactions. D’un côté, les hommes domineraient forcément les femmes et, de l’autre, les femmes seraient capables de discernement et de propositions. Un tel conflit renvoie également à une conception particulière du féminisme. Si d’un point de vue, il est impensable qu’une personne ou un collectif féministe ne s’insurge pas contre la pornographie, de l’autre point de vue, il est antiféministe de penser à la place d’autres femmes qui seraient perçues comme aliénées, ayant intériorisé l’oppression masculine. Loin de nier les rapports de force en jeu, l’idée consiste dans ce cas à en dégager les marges de manœuvre et à lutter, en tant que féministe, également dans le champ de la pornographie pour davantage d’émancipation.

Par contre, ces perspectives se rejoignent à travers la critique d’une pornographie hétérosexiste, produites par des hommes et adressées à des hommes. Dans ce sens, certains mouvements investissent ce domaine en créant une pornographie féministe. Pornographie et féminisme, dans cette perspective, ne constituent pas les deux termes d’un oxymore, mais d’une alliance non seulement de résistance mais surtout de création, en proposant des formes inédites de sexualités et de genre.

Quel genre de pornographie ?

La question du genre est en effet au cœur du post-porno en ce que les représentations conventionnelles des attributs et des rôles de ce qui est considéré comme masculin ou féminin sont déjouées, montrant par là même leur construction et mettant à mal leur apparence soi-disant naturelle.

Il s’agit également du rapport au corps, au sien et à celui d’autrui. Et dans le post-porno, ces corps ne sont plus exclusivement blancs, jeunes et correspondant au canons en vigueur. La  pornographie classique est critiquée, dépassée, transgressée. C’est en détrônant la suprématie de ce genre de pornographie que des représentations non sexistes, non homophobes, non racistes peuvent voir le jour. L’intrication entre ces dimensions est démantelée pour faire éclater la diversité.

Un des problèmes central réside bien dans les mécanismes mis en place pour faire croire que la pornographie de masse, qu’elle soit industrielle ou amatrice, présente ce qu’est vraiment la sexualité, ce que faire du sexe veut dire. Et cette pornographie-là, figée et univoque, est effectivement violente dans son dogmatisme, d’autant plus pour les jeunes qui la regardent et l’utilisent comme support d’apprentissage. Deux alternatives s’esquissent face à ce genre de socialisation sexuelle : soit nier qu’elle existe, soit agir dans ce domaine, et c’est ce qu’ont fait différentes personnes qui se revendiquent comme féministes, issues du domaine de la pornographie ou non, des théoriciennes aux performeuses, des actrices aux artistes activistes.

La remise en cause des frontières du genre, des limites de l’assignation des rôles et de la normalisation des corps est au cœur de certains films pornographiques féministes et queer, qui détournent des codes et en inventent de nouveaux, qui sortent de l’ombre la diversité des plaisirs et mettent sous le projecteur la fluidité des désirs. Ce type de production se veut également anticapitaliste, en rendant les films accessibles, autant en termes économiques que pratiques.

Différents films produits par des personnes ou des collectifs féministes ont vu le jour en portant leur attention autant sur les conditions de production et de travail que sur les images qui sont proposées. Sur un plan esthétique, certains films post-porno renvoient à une démarche artistique ; le cadrage est repensé et ne se focalise pas seulement sur le morcellement des corps, les limites spatiales et temporelles ne se cantonnent pas uniquement à l’orgasme masculin et le champ de vision éclaire des zones d’ombre. Le fond comme la forme sont travaillés et jouent un rôle subversif envers les normes sexuelles imposées, ainsi qu’un rôle politique contre la police des fantasmes et des pratiques sexuelles dont les lois sont révélatrices des règles de contrôle d’une époque donnée.

Aujourd’hui, il ne s’agit pas de brandir la pornographie comme un fer de lance du féminisme, mais plutôt de la penser comme un domaine qui, comme d’autres, est traversé par des rapports de pouvoir – avec ses écueils et ses leviers d’action – et qui invite donc à être travaillé et réinventé.

 

© Photo extraite du film Dirty diaries de la réalisatrice féministe Mia Engberg