Männer.ch s’explique
- Écrit par Nathalie Brochard
Dès qu’une association masculine revendique quoi que ce soit, on assiste à une levée de boucliers féministes qui y voient des manœuvres masculinistes. C’est le cas avec männer.ch, l’organisation faîtière des associations d’hommes et de pères en Suisse, qui trouve notamment à travers la personnalité médiatique de son président Markus Theunert un écho certain auprès de son public. La rédaction de l’émiliE a estimé intéressant de mieux connaître la position de cette organisation sur des sujets précis. Cette interview d’Andreas Borter, membre du Comité directeur de männer.ch, menée dans le cadre d’un article publié dans Le Courrier du 10.09.2012 porte sur les relations délicates entre les associations masculines et les bureaux de l’égalité. Sachant que les hommes ont rarement conscience des privilèges dont ils jouissent dans la société et que globalement cela demeure un impensé de leur point de vue de dominants, leurs revendications sont à lire avec toutes les précautions d’usage. Le discours égalitariste qui fait l’impasse sur le patriarcat et qui réactive la complémentarité des sexes est en effet clairement masculiniste. Il reste que des débats sont ouverts et que les féministes peuvent entrer en matière. Ou pas.
Propos receuillis par Nathalie Brochard
l’émiliE : Pourriez-vous brièvement décrire votre organisation ? Quels sont ses objectifs ?
Andreas Borter : männer.ch est l’organisation faîtière des associations d’hommes et de pères en Suisse. Nous nous faisons le porte-parole des garçons, des hommes et des pères auprès des instances politiques et intégrons leurs préoccupations dans les débats sur l’égalité entre les sexes.
männer.ch reconnaît que les discriminations envers les femmes existent toujours (écarts salariaux, par exemple) et qu’il faut continuer à prendre des mesures pour les éliminer. Du côté des hommes, les discriminations existent aussi, qu’elles soient législatives (comme l’obligation de servir, l’âge de la retraite, le droit du divorce) ou normatives (comme les risques inhérents à la santé et liés au rôle traditionnel des hommes).
Mais nous estimons qu’opposer ces discriminations les unes aux autres est contre-productif, tout comme il est inutile de se demander lequel des deux sexes est le plus défavorisé.
l’émiliE : Pourquoi Markus Theunert a-t-il accepté le poste de délégué aux droits des hommes à Zurich ?
Andreas Borter : Pour Markus Theunert et pour männer.ch, c’était une opportunité pionnière de pouvoir réaliser enfin ce qui était en attente depuis longtemps : la prise en compte des hommes dans les structures qui se consacrent à l’égalité et, a fortiori, le renforcement nécessaire de ces structures. Nous sommes convaincus que si l’action en faveur de l’égalité ne tient pas systématiquement compte des hommes en tant que partenaires, la situation n’avancera pas et que sans une telle démarche, cette action est vouée à l’échec à long terme.
l’émiliE : Estimez-vous que la défense des droits des hommes nécessite une structure cantonale spécifique ?
Andreas Borter : Comme je l’ai dit, il ne s’agit en aucun cas de défendre les droits – quels qu’ils soient – des hommes, mais plutôt de réfléchir avec les femmes, au sein des structures officielles, et de s’accorder sur la manière d’établir de nouveaux rapports de genre. Pour ce faire, il est indispensable d’augmenter enfin, et dans l’ensemble du pays, le nombre d’hommes qui œuvrent dans le domaine de l’égalité. Un postulat qui, pour les personnes qui exigent une répartition équilibrée des sexes dans d’autres domaines, devrait aller de soi...
l’émiliE : En quoi vos relations avec le Bureau de l’égalité sont-elles compliquées ? Pour quelles raisons, selon vous ?
Andreas Borter : Jusqu’ici le travail accompli par les bureaux de l’égalité a été particulièrement centré sur les rapports de genre vus par les femmes. Or, comme la théorie féministe nous l’a appris, il n’existe pas de vision neutre de la société en ce qui concerne le genre. Aussi la contribution des hommes à la politique en matière d’égalité devrait-elle être considérée comme véritablement complémentaire. Mais comme les femmes qui œuvrent en faveur de l’égalité devraient alors céder une partie de leur pouvoir dans ce domaine, les opinions pointues émises dans une perspective masculine constituent avant tout une menace pour elles. L’expérience zurichoise en est un nouvel exemple.
l’émiliE : Les bureaux de l’égalité ne traitent pas souvent des questions liées aux sexualités. Pensez-vous qu’ils ont sous-estimé la controverse autour de la pornographie à l’école ?
Andreas Borter : En effet, une partie de la difficulté provient du fait qu’aucune discussion n’a eu lieu jusqu’ici sur les problématiques liées aux sexualités, ou alors seulement sur leurs aspects négatifs. La pertinence d’un débat autour des politiques de la sexualité et les droits sexuels des hommes et des femmes n’a jamais été reconnue. Or c’est précisément dans le dialogue avec les hommes que le champ de vision pourrait être différent. Dommage qu’une fois de plus, cette occasion d’entamer un débat constructif sur ces thématiques n’ait pas été saisie.
männer.ch poursuivra cependant son travail sur ces questions et nous refuserons toujours d’être catalogués comme proféministes ou antiféministes. Nous continuerons aussi à rechercher des alliances avec des femmes ouvertes au dialogue, et avec leurs associations, afin de trouver de nouvelles formes de communication – résolument conscientes, transparentes et constructives – entre les genres. Nous ne nous engagerons pas dans une nouvelle guerre des sexes.
Photo DR, Markus Theunert et Andreas Borter