Femen vs féministes
- Écrit par Nathalie Brochard
La nouvelle polémique autour des Femen après le tweet d'Inna Schevchenko qualifiant le ramadan de "stupide" et l'islam de "moche" enflamme encore le débat qui agite les milieux féministes depuis la première vague du mouvement : le coeur du problème est cet universalisme. A l'époque, Européennes et Etatsuniennes fondaient leur féminisme sur leur propre expérience et voulaient l'étendre au monde entier, alors même que les autres femmes avaient un vécu totalement différent.
Le modèle d'émancipation et l'idéal vers lequel tendaient ces féministes occidentales participaient en réalité à renforcer la domination Nord-Sud. En s'appuyant sur le concept d'intersectionnalité, les féministes post-coloniales ont permis de mettre à jour la multiplicité des identités : les femmes ne se définissent pas seulement par le genre, mais aussi par la race, la nationalité, la sexualité... Les pratiques des Femen sont critiquées par certaines féministes précisément parce qu'elles semblent ignorer le contexte social, économique et culturel dans lequel elles lancent leurs actions. Ce qui s'est passé en Tunisie en fut le révélateur. Provoquer est certes médiatique, en même temps on peut s'interroger sur l'effet dans la société : non seulement Amina n'a pas été libérée, et les militantes tunisiennes n'ont pu qu'assister à l'irruption de femmes étrangères seins nus dans un contexte déjà extrêmement tendu pour les Tunisiennes. N'est-ce pas contre-productif ? N'est-ce pas condamner les efforts menés par les féministes sur place ? N'y aurait-il pas fallu privilégier le dialogue avec ces dernières pour mettre au point une action plus appropriée ?
De là à accuser les Femen d'islamophobie, ce serait aller un peu vite en besogne. Comme elles l'affirment, elles sont athées et "religiophobes" : elles s'attaquent en effet à toutes les religions qui, selon elles, asservissent les femmes. L'activiste tunisienne Amina a librement adhéré à leur groupe et se déclare elle-même athée. Qu'elle soit obligée de suivre le ramadan en prison a suscité la colère de ses compagnes de lutte, d'où le tweet maladroit d'Inna Schevchenko.
Ce débat dépasse en fait largement les féministes qui sont instrumentalisées de part et d'autre. Il sert des idéologies dont les femmes sont le cadet de leur souci. Dommage que celles qui entrent dans la polémique n'aient pas assez de recul et que le dialogue entre toutes ces voix ne permette pas de faire le choix de la diversité.