updated 8:25 PM CEST, Apr 25, 2016

Le masculin ne l'emporte pas sur le féminin

Le livre d’Eliane Viennot, sélectionné pour le prix Médicis,  s'inscrit dans une polémique récurrente et actuelle : le sexisme véhiculé par la langue française. Dans son ouvrage, l’auteure met à jour les origines et les mécanismes d’un système qui font que des générations d'écolièr-e-s répètent inlassablement que "le masculin l'emporte sur le féminin". Son remarquable travail d'historienne décrit le long effort des grammairiens pour masculiniser le français. L'entreprise, entamée au XVIIe siècle, n'a réussi à s'imposer qu'à la fin du XIXe avec l'instruction obligatoire. Depuis, les «experts» nous expliquent que ce masculin universel est une expression du neutre…


La dernière controverse sur le sujet est l’affaire du député français Julien Aubert refusant d’appeler Sandrine Mazetier «Madame la présidente» comme le stipule le règlement de l’Assemblée nationale qui aura mobilisé la fine fleur masculiniste et même l’Académie française. Cette dernière s’est en effet fendue d’une mise au point rendue publique le 10 octobre dernier. Il s’agissait ici de réaffirmer des dogmes plus que d’exposer des fondements scientifiques. Car, rappelons-le, la respectable Académie française ne compte ni linguiste, ni agrégé-e de grammaire, encore moins d’historien-ne de la langue. Comme le précise Eliane Viennot, la mission de cette assemblée pourrait tout à fait «être remplie, à moindres frais, par n’importe quelle commission d’universitaires spécialisé-e-s et habillé-e-s normalement». Mais c’est une autre histoire.


Pour l’auteure, le sexisme du français ne vient pas de la langue elle-même, mais bien des interventions effectuées sur elle depuis le XVIIe siècle par des intellectuels et des institutions qui s’opposaient à l’égalité des sexes. La domination masculine à l’œuvre dans les règles et l’usage des mots montre à quel point tous les espaces sont passés sous contrôle. Ainsi, l’argument du neutre «masculin» remonte à Vaugelas en 1647 qui affirmait dans son traité intitulé Remarques sur la langue françoise que «le genre masculin, étant le plus noble, doit prédominer toutes les fois que le masculin et le féminin se trouvent ensemble».

Pourtant, sous l’Ancien Régime, des mots féminins comme poétesse ou avocate étaient déjà courants, alors que l’Académie française s’enorgueillit d’avoir inscrit ce dernier au dictionnaire… en 1935. Eliane Viennot rappelle encore que les mots dérivent d’une racine et non d’une forme masculine à laquelle il faudrait couper ou ajouter quelque chose. A partir de n’importe quelle racine, le français est apte à faire des substantifs des deux genres, des formes verbales, des adjectifs, des adverbes. Le masculin n’est que le masculin. Avant l’intervention des masculinistes, la règle qui date de 1607 énoncée par Charles Maupas disait ceci : «Tout nom concernant office d’homme est de genre masculin, et tout nom concernant la femme est féminin.» (Grammaire françoise, contenant reigles très certaines). Antoine Oudin la précise en 1632 dans sa Grammaire françoise rapportée au langage du temps: «Tous les noms de dignités et d’offices appartenants à l’homme sont masculins : pape, évêque, empereur, roi, comte, conseiller, avocat, procureur, licencié, marchand...» De même, sont féminins les noms «d’offices et conditions appartenantes aux femmes : reine, comtesse, duchesse, abbesse, nonne, conseillère, barbière». On notera que les participes présents s'accordaient eux aussi à l'époque...

Les masculinistes peuvent toujours s’offusquer des changements que veulent introduire les féministes dans les règles de grammaire française au nom du principe d’égalité, ils oublient qu’eux-mêmes ont préféré rompre avec les usages du passé pour mieux s’imposer jusque dans les mots. Et lorsqu’ils dénoncent la féminisation, il faut d’abord y voir leur peur de perdre du terrain et du pouvoir. En fin de compte, et comme le conclut Eliane Viennot, s’agit-il de «féminiser la langue ? Non, mettre un terme à sa masculinisation».

Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! Petite histoire des résistances de la langue française, Eliane Viennot, éditions IXE, 128  p.