La mésalliance féminisme/ nationalisme
- Écrit par Nathalie Brochard
Féminismes et nationalismes ne devraient jamais se rencontrer autrement que pour croiser le fer. Pourtant des alliances opportunistes se créent ça et là en Europe sur le dos d’autres femmes. L’exemple catalan est à cet égard très parlant. Et la langue justement est au cœur du sujet (de discorde).
Ce n’est pas nouveau, nombre de politiques instrumentalisent les féministes pour justifier leurs discours et leurs actions. Au nom de l’égalité hommes/femmes, des guerres sont menées, des discours sont construits : alors même que la situation des Afghanes est loin d’être sécurisée, les troupes de la coalition occidentale se sont retirées. En Europe, les «étrangers» seraient coupables de toutes les violences envers les femmes, incapables d’assimiler les valeurs égalitaires des démocraties… Selon ces politiques, le sexisme serait le fait de cultures «sous-développées» superstitieuses et religieuses, par opposition à la civilisation occidentale riche de sa tolérance, de sa laïcité… et de son féminisme. Bref, détourner les féministes voire en retourner certaines pour faire valoir une supériorité de l’Occident et gagner des avantages tant politiques qu’économiques fait partie de l’arsenal stratégique des partis nationalistes qui tendent à prospérer ces temps.
Alors ces féministes retournées, alliées involontaires d’un post-colonialisme ou nationalistes convaincues ? Les effets de la mondialisation ont conduit à des replis identitaires assez caractéristiques d’une peur diffuse, celle de la disparition annoncée du monde «d’avant» si rassurant. En Europe, les nationalismes ont fleuri sur ce terreau et les gauches radicales via les altermondialistes ont activement participé au mouvement délaissant les luttes contre le capital, le patriarcat et le racisme. En France, on retrouve des féministes au barrage de Sivens mais pas à Créteil pour protester conte l’agression antisémite doublée d’un viol. Un des exemples les plus frappants de ce nationalisme civique auquel adhèrent certaines féministes est le séparatisme catalan. En l’occurrence, la plupart des associations féministes de Catalogne ont pris fait et cause pour l’indépendance sans se poser plus de questions.
A moins de faire partie du peuple catalan, vous avez peu de chance d’être inclus-e. L’entre-soi règne en maître et les féministes se font le relais inconditionnel des discours et pratiques nationalistes excluantes du gouvernement d’Artur Mas, ultraconservateur pur jus. Seule langue utilisée : le catalan, ce qui laisse peu de chances aux femmes migrantes qui viennent principalement d’Amérique latine de participer, d’autant moins qu’elles parlent l’espagnol, la langue de l’ennemi. Quant à celles qui ont franchi la Méditerranée, ce n’est même pas la peine d’y penser. On est loin des communications multilingues de la Marche Mondiale des Femmes qui cherchent à intégrer au maximum. Non, ici c’est la Catalogne aux Catalan-e-s.
En s’enfermant de la sorte, on mobilise en petit comité. Dernier fait marquant le 22 octobre dernier, la Vaga de totes : autrement dit, la grève de toutes qui, comme son slogan le suggérait, se voulait massive. Si le mot d’ordre de la manifestation était louable (Lutte contre la précarité, les inégalités, la corruption etc) pourquoi ne pas y associer toutes les femmes ? La langue est un vecteur d’inclusion comme d’exclusion sociale. Alors à part occuper quelques minutes quatre rues à Barcelone, investir une station de métro et rassembler moins de 500 pelé-e-s Plaça Catalunya, de sorte que personne ne vous remarque, où est l’intérêt ? On est loin de l’image d’une ville bloquée dont les féministes auraient pris le contrôle comme l’ont rapporté certain-e-s en toute mauvaise foi sur Twitter.
Avec plus d’un million d’étranger-e-s vivant sur son sol, cela vaudrait la peine pour la Catalogne en général et pour les féministes du cru en particulier de s’ouvrir à ce niveau : échanger dans différentes langues et les accepter sans discrimination pourrait être un bon point de départ. Se comprendre n’est-ce pas la base du débat ? Les grandes mobilisations contre le projet de loi contre l’avortement avaient largement rassemblé dans la société parce que les organisateurs-trices s’étaient adressé-e-s à toute la population et pas seulement à d’heureux-euses élu-e-s capables de comprendre la langue régionale. Contrer l’instrumentalisation par les politiques nationalistes est une priorité. Le plus délicat reste la question de l’indépendance (de parole et d’action cette fois) : quand on est subventionné par la Generalitat (exécutif catalan), peut-on s’exprimer autrement qu’en catalan ? Peut-on échapper aux discours et obligations nationalistes ? Les associations féministes catalanes devraient s’interroger sur ce qui les anime au fond et sur les valeurs qu’elles défendent.
Photo © l'émiliE, une vitrine d'association féministe à Barcelone avec un message contre le sexisme sur un poster indépendantiste