Le piège de l'économie collaborative
- Écrit par Nathalie Brochard
L’économie collaborative qui se développe à la vitesse de l’éclair risque de foudroyer un certain nombre de travailleurs au premier rang desquels les femmes. En remettant en cause le modèle social et le concept du salaire à la base des grandes avancées du XXe siècle, les Uber et autres Airbnb favorisent les emplois précaires et les inégalités.
L’idée centrale de ces sociétés du numérique forcément cool et hype, c’est l’absence de salarié-e-s : en fait, tout le monde peut participer, chacun-e peut transporter des gens dans sa voiture ou héberger des touristes chez soi. Pas de charges, pas de taxes, c’est simple, flexible. Uber et Airbnb sont là pour mettre en relation fournisseurs et utilisateurs à travers leurs plateformes sur le web. Et qui dit flexibilité sur le marché du travail, signifie concrètement jeunes et femmes. A travers l’Europe, les contrats à durée déterminée deviennent la norme pour les moins de 25 ans et pour les femmes. Si les chauffeurs-euses de taxis se sont rebiffé-e-s contre les attaques d’Uber qui s’en prend directement à leur gagne-pain, d’autres secteurs peuvent se faire du souci comme les coursiers-ières qui étaient jusque-là salarié-e-s. Quant à l’hôtellerie qui emploie beaucoup de monde, là encore, la menace est réelle.
Ces sociétés valorisées à plusieurs dizaines de milliards de dollars n’emploient qu’un millier de personnes. Leurs meilleur-e-s vendeurs-euses sont les utilisateurs-trices (fournisseurs et bénéficiaires) qui vantent les mérites dans une vision à court terme d’un tel système sans comprendre qu’ils/elles sont en train de scier la branche sur laquelle ils/elles sont assis-es. Torpiller le salariat, c’est revenir à la rémunération à la tâche, ce que propose en substance Amazon avec sa plateforme Amazon Turk. Il y aura d’un côté les super-salariés employés au sein de ces sociétés ultra-rentables et de l’autre un sous-prolétariat mal payé, mal protégé au sein duquel les femmes se trouveront majoritaires. Croire que la croissance générée par ces sociétés sera redistribuée relève de l’utopie.
Alors oui, quelques femmes très diplômées avec des compétences particulières seront associées à ces réussites : on a vu comment Apple et Facebook se livraient une guerre sans merci pour recruter de tels profils en allant jusqu’à leur offrir de congeler leurs ovocytes (voir notre précédent article). En individualisant, en isolant les travailleurs-euses les un-e-s des autres, ces entreprises empêchent les gens de s’organiser et d’offrir une réponse collective aux attaques de notre modèle social.