Cachez ce sang que je ne saurais voir
- Écrit par Nathalie Brochard
La censure sélective des réseaux sociaux sur la représentation des corps féminins devient récurrente et provoque la colère de ses usagères. Règles, allaitement, graisse, rides, poils n’ont pas leur place dans ces univers aseptisés. La diversité des réalités comme celle des corps est bannie au profit du seXXXy. Une domination masculine à l’œuvre que supportent de moins en moins les femmes.
Dernier épisode en date, cette image sur Instagram où l’on voit une jeune femme allongée de dos sur un lit, le pantalon et les draps tachés par ses règles. La censure a frappé à deux reprises, supprimant l’objet du délit. Et quel tartuffe cela dérange-t-il ? Une journaliste du Guardian, Jessica Valenti, le résume très bien : « Les images sexy sont appropriées, pas celles de corps féminins normaux. Plus simplement : sont acceptées les photos de femmes que les hommes veulent bien baiser, point barre. […] Vraiment, c’est difficile d’imaginer des femmes offensées par des images d’allaitement, de bikini débraillé ou de sang – c’est notre quotidien, pour bon nombre d’entre nous. Ce sont les hommes que les géants des médias sociaux ‘protègent’, des hommes qui ont grandi avec des images aseptisées de la sexualité et du corps féminin. Des hommes à qui l’on a appris à croire en la pop culture, au fait que le corps des femmes est là pour eux. Et s’ils doivent voir une femme qui n’est pas mince, épilée et prête à faire l’amour, bonjour l’évanouissement. »
Et si au départ, l’auteure et modèle de la photo censurée, Rupi Kaur, explique sur le site du Huffington Post avoir posté cette image sur Instagram dans le cadre d’un projet de dernière année à l’université, « visant à disséquer la manière dont les différentes formes de médias envisagent une information visuelle », elle était loin d’imaginer le retentissement que cela aurait. L’idée était de s’interroger sur le tabou des règles dans nos sociétés ? « Pourquoi nous dépêchons-nous de ranger nos tampons quand nous les sortons accidentellement de nos sacs à main ? » se demande l’étudiante. Derrière cette question s’en cache une autre : pourquoi refuse-t-on de voir le corps des femmes dans sa réalité et sa diversité ? Ce à quoi Rupi Kaur répond : « Souligner le fait que le vagin puisse être utilisé pour autre chose que le sexe représente une attaque directe sur nos conceptions idylliques d’une identité féminine manucurée ». Ce qui sous-entend que la vie des femmes n’a de sens que si elle est utile aux hommes et n’est acceptable que si elle a un rapport avec le sexe. La jeune femme conclut que « ce que les femmes doivent endurer en silence est réel, et ce silence leur fait du mal. Nous devons nous battre en faveur du changement. Et qui dit bataille, dit sang». Depuis, sa photo est de nouveau en ligne sur son compte Instagram…
Photo © (@rupikaur_)