A quoi rêvent les jeunes filles?
- Écrit par Nathalie Brochard
Si vous aviez manqué la diffusion à la télévision du documentaire d’Ovidie, féministe pro-sexe, intitulé «A quoi rêvent les jeunes filles ?», vous avez désormais la possibilité de le visionner sur YouTube. La réalisatrice s’intéresse aux jeunes filles dites de la génération Y, celles de la révolution du Net, à leur sexualité, leur rapport au corps, leur rapport à l’autre. Dans une société hypersexualisée, elle interroge les nouvelles normes qui guident les discours et les pratiques de ces jeunes femmes. Ne sont-elles pas en train de reproduire les schémas ancestraux de la domination masculine ?
On est loin du micro-trottoir : Ovidie a soigneusement choisi les intervenantes. Parmi elles, la blogueuse Clarence, la gameuse Mar_Lard ou la photographe Ortie, aptes à poser un regard critique sur les us et coutumes de leurs congénères et à en décrypter la plus obscures des attitudes. Ainsi, à les en croire, les filles de la génération Y seraient portées sur le X ? Clarence explique comment la pornographie a influencé leurs pratiques et comment la norme s’est déplacée : d’interdits, la fellation et la sodomie seraient devenues obligatoires. Les jeunes filles doivent désormais se conformer au stéréotype d’une sexualité exacerbée, sans pour autant être à l’écoute de leurs propres désirs et de leur propre plaisir. Les injonctions qui pèsent sur les filles existent toujours, la différence avec la période précédente c’est qu’elles sont passées sans transition d’une interdiction à s’intéresser au sexe à une injonction de sexualité débridée. Il s’agit de réussir à ce niveau comme dans le reste.
Débridée, vraiment ? Quand il est question de bisexualité, les garde-fous se dressent très vite. La jeune femme qui assume ses choix est stigmatisée. Si le porno n’a plus rien de transgressif aux yeux des jeunes, les mentalités restent ultra-coincées. La société n’a guère évolué et les vieux schémas opèrent toujours. Le sociologue Michel Bozon rappelle que la représentation de la sexualité est encore inégalitaire entre les filles et les garçons. D’un côté, on contrôle celle des filles et de l’autre on survalorise celle des garçons. Selon lui, «les femmes ne peuvent avoir accès à la sexualité que si elles sont amoureuses. La sexualité en soi ne les intéresse pas. Elles échangent de la sexualité contre de l’amour ou de la sexualité contre du couple». Car cette injonction faite aux femmes débute avec les contes de fées. Dès l’enfance, les filles sont bercées de l’obligation d’être en couple. Les magazines féminins prennent ensuite le relais pour leur apprendre «à être la pute dans votre couple», dixit Michel Bozon. Le cheminement est clair : 1. Trouver le bon. 2. Le garder (par tous les moyens), en recyclant notamment les codes du porno. Et toujours d’après le sociologue, ce n’est pas par envie mais bien pour obtenir quelque chose en échange.
Et quoi de plus simple, souligne Ovidie, pour qui «ces codes du porno sont récupérés partout dans les médias. Ils font vendre. Les représentations des rapports homme/femme les plus sexistes et les plus archaïques sous-tendent le système dans son entier. L’imagerie sexiste se retrouve également dans les jeux vidéos dont les jeunes raffolent. Les filles constituent la moitié des gamers. Dans ces espaces virtuels, elles sont confrontées à une violence sexiste réelle sans borne. Mar_Lard confie que «l’absence d’empathie créée par la distance et le sentiment d’impunité créé par l’anonymat, c’est un cocktail mortel. La personne qu’on insulte à travers un écran n’existe pas vraiment».
Avec les réseaux sociaux, le rapport à l’autre a changé. A l’abri d’un écran, chacun-e peut créer une identité, un univers virtuel, tout en restant caché-e, sans vraiment se dévoiler. En même temps, le paradoxe réside dans le fait que chacun-e se sur-expose, se met à nu, affiche son intimité, livre ses données personnelles à travers des applications, des réseaux sociaux, en quelques clics…
L’excellent documentaire d’Ovidie résume parfaitement la réalité à laquelle se trouvent aujourd'hui confrontés les individus, en particulier les jeunes filles, pas nécessairement armées pour comprendre les enjeux des rapports sociaux de sexe à l’œuvre dans ces espaces. A travers ce reportage, on a le sentiment que la domination masculine s’exerce massivement et que les jeunes filles qui affichent cette apparente liberté sont plus que jamais instrumentalisées. Le chemin vers l’égalité semble affreusement long.
Photo © extraite du documentaire A quoi rêvent les jeunes filles ? d'Ovidie