Sense8 des Wachowski, saison 1
- Écrit par Marc-Henri Remy
Entrer dans Sense8, la série originale sortie cet été sur Netflix, écrite et réalisée par Lana et Andy Wachowski, c’est se plonger dans une aventure qui transcende les frontières et les différences. Dans la filmographie des Wachowski, et notamment suite à leur chef-d’œuvre mésestimé Cloud Atlas, les identités se confondent, se fluidifient…
L’aspect fantastique – huit personnes qui peuvent communiquer, voire prendre possession du corps de l’autre à des milliers de kilomètres les uns des autres – est une sorte d’allégorie de notre époque ultra connectée. Mais à la différence d’autres séries qui mesurent nos avancées technologiques sous un œil critique (voir Black Mirror), Sense8 propose de les envisager comme un moyen de s’entraider, d’apporter ses connaissances et son expérience à d’autres qui en ont besoin. Et, encore une fois, de passer outre les frontières culturelles.
Parmi la galerie de personnages tous plus attachants les uns que les autres, celui de Nomi sort très clairement du lot. Interprétée par l’actrice Jamie Clayton, elle joue le rôle d’une activiste politique sur Internet au passé de hackeuse. Elle est aussi trans MtF, en couple avec Amanita. En termes de visibilité des minorités LGBTQ, Sense8 met ainsi en avant deux couples, un lesbien et un gay – les seuls en fait déjà existants au début de l’histoire - aux difficultés propres, mais surtout qui exposent à leur manière, une certaine "normalité" : j’entends ici non pas selon des principes normatifs du modèle hétérocentré, mais bien d’une vie de couple à la fois singulière et similaire à tant d’autres. Ce sont deux couples très liés, dont l’amour est puissant : Amanita, qui n’hésite pas une seule seconde à suivre Nomi et à la secourir par tous les moyens, et Hernando, le compagnon de Lito, qui accepte de rester dans l’ombre, non sans réticence, du succès médiatique de Lito afin d’éviter de compromettre sa carrière d’acteur. Cette série met ainsi en lumière les nombreux problèmes actuels : assumer son orientation sexuelle ou son identité de genre sans que cela ne compromette une carrière ou une exposition médiatique, la violence des mots et le rôle des proches dans ce qui peut détruire ou sauver une vie.
Mais il y a aussi le personnage de Sun, joué par Bae Doona (Cloud Atlas), fille d’un riche homme d’affaire coréen, est un exemple de vie de lutte entre ombre et lumière. Sa participation dans l’entreprise de son père passe inaperçue, voire est méprisée par ceux qui ne font le lien avec son père. Pourtant, elle réussit, dans l’ombre, à être une furieuse combattante de kickboxing, une compétence qui servira plus tard au groupe. Cette héroïne offre une image très valorisante et très positive de figure féminine.
En outre, deux passages, deux discours résonnent plus que d’autres dans ce récit qui prend toute son ampleur si on pense au fait que Lana Wachowksi est aussi passée par une transition, tout comme Nomi. Le premier se situe au début de l’aventure, alors que Nomi et Amanita assistent à la Pride de San Francisco :
«J’ai beaucoup repensé à ma vie et aux erreurs que j’ai commises. Celles que j’ai gardées en moi, celles que je regrette, sont celles que j’ai commises par peur. Pendant longtemps, j’avais peur de qui j’étais, car mes parents m’ont toujours dit qu’il y avait quelque chose de travers chez les gens comme moi. Quelque chose d’offensant, quelque chose à éviter, peut-être même plaindre. Quelque chose qu’on ne pourrait jamais aimer. Ma mère est une adepte de St-Thomas d’Aquin. Elle voit la fierté comme un péché. Et de tous les péchés mortels et véniels, St-Thomas voyait la fierté comme le pire des sept péchés capitaux. C’était le péché ultime qui menait aux autres et ferait de vous un pécheur incorrigible. Mais la haine n’est pas un péché sur cette liste. La honte non plus. J’avais peur de cette Gay Pride car je voulais tellement en faire partie. Alors aujourd’hui, j’y participe pour cette partie de moi qui avait peur de le faire, autrefois. Et pour tous ceux qui ne peuvent pas y participer. Ceux qui vivent que je le faisais. J’y participe pour me rappeler que je ne suis pas seule. Nous sommes unis. Et nous défilons avec fierté. Alors va te faire foutre, St-Thomas. » (S01E02)
Le second, impliquant cette fois Nomi et Lito, porte sur la question de réussir à affirmer sa différence y compris dans un contexte difficile:
«Lito : J’ai peur de perdre tout ce pour quoi j’ai travaillé.
Nomi : Je sais ce que ça fait. Mais à un moment, je me suis rendu compte qu’il y avait une énorme différence entre ce pour quoi on travaille et ce pour quoi on vit.
Lito : Toute ma vie, j’ai voulu être un acteur. Mais je ne peux avoir les rôles que je veux… en étant gay.
Nomi : J’adore les poupées. Mon père ne m’a jamais pardonné cela. A huit ans, mon père m’a inscrit dans un club de natation. Il en avait lui-même fait partie. Il disait que les choses qu’il avait apprises dans les vestiaires avaient fait de lui l’homme qu’il est devenu. Je détestais ces vestiaires. A cet âge, j’avais du mal à accepter mon corps. Je n’aimais pas être nu, surtout devant d’autres garçons. Mais il fallait prendre une douche avant d’entrer dans l’eau, alors je la prenais en gardant mon maillot et un t-shirt. Les garçons se moquaient de moi, mais je les ignorais et je me dépêchais. Ça a marché, pendant un moment. Jusqu’au jour où ça n’a plus marché. Ces vestiaires ont fait de mon père l’homme qu’il est, mais aussi la femme que je suis. Après cela, j’ai arrêté le club de natation. Je n’ai plus cherché à me faire accepter, à être l’un d’eux. Je savais que ça n’arriverait jamais. Et surtout, je ne le voulais pas. Leur violence était mesquine et ignorante, mais finalement, ça montrait leur vraie personnalité. La vraie violence, la violence qui était impardonnable, comme je l’ai compris, est la violence que l’on s’inflige à soi-même quand on a trop peur d’être qui on est vraiment. » (S01E09)
En bref, les Wachowski ont réussi à lancer une histoire intense et déjà marquée de nombreux moments cultes, comme cette scène d’amour follement érotique réunissant les huit personnages. Leur maîtrise extraordinaire explose dans le climax final, laissant espérer que la suite sera à la hauteur de cette première saison.
Photo DR, les huit personnages de la série.