L'utilisation des femmes kamikazes
- Écrit par Nathalie Brochard
Au lendemain des attaques terroristes sur Paris et tandis que les enquêtes se poursuivent, une question a été posée : y avait-il une femme parmi les kamikazes du Bataclan ? C’est ce qu’affirment des spectateurs-trices rescapé-e-s du massacre selon une information d’Europe1. Pour l’heure, l’incertitude demeure quant à l’exactitude de ces témoignages. Mais la participation d’une femme à des attaques suicides constitue une stratégie de communication des organisations terroristes pour qui l’objectif immédiat de l'attentat est la couverture médiatique. En rupture avec le rôle qui lui est assigné (l’éducation des enfants à la maison) et de ses qualités supposées féminines (douceur, innocence, soumission…), la femme kamikaze n’est toutefois en rien l’égal de son pendant masculin.
Le 9 avril 1985, Sana Khyadali, une jeune Libanaise de 16 ans, se faisait exploser à bord d'un véhicule piégé près d'un convoi militaire israélien, tuant deux soldats et devenant ainsi la première femme à commettre un attentat suicide au Proche-Orient. Depuis, elle a fait des émules à l’instar de la Palestinienne Wafa Idris qui a actionné sa ceinture d’explosifs dans l'une des artères principales de Jérusalem, érigée depuis en héroïne du monde arabo-musulman. Selon Fatima Lahnait, chercheuse à l’Institute for Statecraft à Londres, les actions de ces femmes kamikazes représenteraient 15% des attentats suicides recensés depuis 1985.
Leurs motivations, toujours selon Fatima Lainait, seraient très variables : raisons personnelles, politiques et religieuses, compensations financières pour les familles, de même que les circonstances dans lesquelles elles se sont portées volontaires ou non. L’implication des très jeunes filles que l’oganisation Boko Haram oblige à se faire exploser sur les marchés du Niger n’a rien en effet à voir avec l’engagement nationaliste de Sana Khyadali. Et si des slogans féministes sont proclamés après chaque événement, ces positions émancipatrices s’inscrivent dans une perspective propagandiste à destination de l’étranger.
Car la place des femmes dans les sociétés musulmanes reste très circonscrite explique Fatima Lahnait. Ne prétend pas au martyre qui veut, surtout pas une femme. Le martyr, shahid, est à mi-chemin entre le héros et le saint. L’universitaire explique qu’«il est celui qui meurt dans la voie de Dieu, au service de la oumma (nation de l'islam, l'ensemble des musulmans), en prenant part à un jihad (guerre sainte), qui témoigne de sa foi par le sacrifice de soi». Tandis que «le jihad majeur est tourné vers soi», étant avant tout une lutte au sens spirituel, le combat armé ne serait qu’un jihad mineur d’après la chercheuse qui précise que «les organisations terroristes islamistes utilisent la religion pour légitimer et pardonner le suicide qui conduit à la mise à mort d'autrui en arguant des rétributions post-mortem qui attendent le martyr, telles que le pardon de tout péché, l'obtention d'une place au Paradis, l'intercession en faveur de soixante-dix membres de sa famille, l'exemption de châtiments de la tombe, la gratification de soixante-douze vierges». Et si quelques femmes ont commis des attentats suicides, elles ne sont jamais élevées au rang de martyres. Cette exclusion délibérée qui leur dénie un hypothétique statut social d’égales avec les hommes n’est que le reflet d’un patriarcat solidement enraciné. Malgré les évolutions dans les sociétés musulmanes et les aspirations des femmes à être indépendantes, les hommes, par leur refus de permettre aux femmes de mettre leur vie en danger, résistent aux changements. La réticence des chefs terroristes à les inclure dans les opérations reste très répandue. Pour Fatima Lahnait, il s’agit «non de les préserver, mais de les priver du droit à l'individualité à travers un baptême du feu. En effet, la sacralisation de l'individu héroïque lui permet d'émerger, d'apparaître véritablement dans le domaine public en tant qu'individu». Disposer de sa vie, de sa mort et de son corps demeure l’apanage des hommes.
Cependant, les qualités présupposées des femmes vont servir aux organisations terroristes. Leur innocence supposée va faire d'elles un atout majeur pour contourner les mesures de sécurité, que ce soit au Sri Lanka, en Tchétchénie, en Israël, en Turquie, au Pakistan, en Ouzbékistan ou en Irak. En effet, les femmes suscitent bien moins de suspicion que leurs homologues masculins et sont plus à même de passer les points de contrôle et autres obstacles de sécurité. En outre, elles n'ont pas besoin d’avoir de compétences militaires particulières d’autant qu’une mission-suicide requiert peu d'investissement dans la formation, que ce soit en termes de temps ou d'argent. Pour les organisations terroristes, utiliser des femmes kamikazes constitue une optimisation des ressources humaines et matérielles.
Un autre avantage des terroristes à se servir d’une femme kamikaze est l’exposition médiatique. Véritable outil de propagande, la participation d’une femme à une mission-suicide garantit une couverture mondiale de l’opération par les médias tant la transgression de genre et de rôle reste inconcevable : la femme ne peut être un monstre assassinant à l’aveugle du point de vue des victimes et elle est une exception difficilement imitable du point de vue des terroristes. Tandis que certains chefs religieux n’en finissent pas de débattre sur la légitimité de ces femmes dans les attaques terroristes, d’autres s’interrogent sur le type de récompense auquel elles peuvent prétendre dans l’au-delà. Si là encore, elles ne pourront espérer recevoir la même chose que les hommes, les commentateurs du Coran s’accordent pour affirmer qu’elles y retrouveront… leur mari et que le paradis les rendra belles, heureuses et sans jalousie.
Quoi qu’il en soit, l’action non-violente partagée par les hommes et par les femmes est la seule voie envisageable pour faire valoir ses revendications, les mouvements de libération des femmes n’en conçoivent aucune autre. Les féminismes s’opposent à toute forme de violence et ne sauraient cautionner l’embrigadement de ces femmes au nom d’une aspiration à l’émancipation.
Retrouvez l'article de Fatima Lahnait, auteure du rapport Femmes kamikazes ou le jihad au féminin, publié par le Centre Français de Recherche sur le Renseignement
Photo, Sana Khyadali, militante libanaise du Parti social nationaliste syrien, première femme à commettre un attentat-suicide au Proche-Orient.