genre&féminismes
l'émiliE - le journal en ligne transféministe de Suisse romande
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes
2016-06-10T17:11:12+00:00
Site de l'emiliE
Joomla! - Open Source Content Management
Une pilule pour doper la libido féminine?
2015-12-10T05:23:07+00:00
2015-12-10T05:23:07+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/803-une-pilule-pour-doper-la-libido-feminine
Andrée-Marie Dussault
[email protected]
<p><img style="border: 0;" src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/addy.jpg" alt="" width="470" border="0" /><br /><br /><strong>Les sociétés pharmaceutiques rivalisent d'ardeur pour mettre sur le marché une pilule qui stimulerait le désir sexuel chez les femmes. Sprout Pharmaceuticals a déjà obtenu le feu vert pour la commercialisation de sa molécule, le flibanserin. De quoi se réjouir… ou plutôt s'inquiéter ? C'est la question que s'est posée la rédaction d'<a href="http://axellemag.be/">Axelle</a> que nous reproduisons ici.</strong><br /><br /><br />Le 18 août dernier, la Food and Drug Authority (ou "FDA", l’agence américaine en charge de la sécurité de la chaîne alimentaire, des médicaments et des produits de santé), a approuvé la commercialisation du flibanserin. Surnommé "viagra féminin" – à tort, puisque la fameuse pilule bleue se concentre uniquement sur la mécanique de l'érection masculine – le comprimé rose, dont le nom commercial est Addyi, aurait le mérite de rehausser la libido chez les femmes.</p>
<p>L'entreprise Sprout Pharmaceuticals, qui a développé le soi-disant médicament, sera la première à vendre un tel produit. Mais d'autres sociétés pharmaceutiques sont engagées dans une course folle pour créer une molécule susceptible de stimuler le désir sexuel féminin. Parmi ces entreprises, la néerlandaise Emotional Brain souhaite commercialiser dès 2017 le Lybrido et le Lybridos (chacun créé pour différentes formes d'absence de désir sexuel) et l'américaine S1Biopharma a conclu cette année aux États-Unis la deuxième phase d'essais cliniques de son Lorexys. Par ailleurs, depuis 2007, la multinationale Procter & Gamble vend l'Intrinsa en Europe (sur prescription) : il s’agit d’un patch de testostérone – interdit aux États-Unis en raison de sa faible efficacité et surtout, de ses nombreux effets indésirables : "virilisation" (pilosité aggravée, voix rauque), acné, troubles hépatiques et cardiovasculaires, prise de poids – destiné aux femmes ménopausées connaissant une baisse de désir suite à une ablation des ovaires ou de l’utérus. <br /><br /><strong>Un argument "féministe" ?</strong><br />Le flibanserin agit sur la chimie du cerveau, ciblant les neurotransmetteurs qui ont un impact sur la libido. Les vertus aphrodisiaques de cette molécule ont été observées par hasard, alors qu'elle était testée comme antidépresseur. Des essais cliniques menés pendant deux ans sur 1.323 femmes au Canada et aux États-Unis ont indiqué que sa prise quotidienne aurait eu chez une majorité de sujets "une petite efficacité, mais statistiquement significative", selon la FDA. À noter que presque toutes les participantes ayant consommé un placebo ont également ressenti une augmentation de désir et de satisfaction sexuelle...</p>
<p><strong>Le flibanserin a déjà été rejeté deux fois par le régulateur américain</strong> – en 2010 et 2013 – parce que ses effets secondaires étaient considérés trop importants par rapport à ses bénéfices. En août, le "médicament" a finalement été autorisé suite à une importante campagne orchestrée par une agence de marketing mandatée par Sprout Pharmaceuticals. La condition de l’autorisation de mise sur le marché était la suivante : les utilisatrices devraient être bien informées des risques du flibanserin, notamment la somnolence, les évanouissements et les chutes de tension artérielle.</p>
<p><strong>La campagne en faveur du flibanserin</strong> a été articulée autour de l'argument "féministe" selon lequel "plus d'une vingtaine de médicaments ont été autorisés pour soigner les dysfonctionnements sexuels masculins, alors qu'aucun n'existe pour répondre aux problèmes des femmes" – ce qui peut en effet apparaître pour le moins inégalitaire. Toutefois, comme le souligne un article du <a href="http://jama.jamanetwork.com/article.aspx?articleid=2389384"><span style="text-decoration: underline;">Journal of American Medical Association</span></a>, aucun produit n'est en réalité commercialisé pour favoriser le désir sexuel des hommes : le viagra agit sur la mécanique et non pas sur l’envie. Le flibanserin sera donc le premier produit à "améliorer la libido" d’un être humain ; curieusement, ça tombe sur les femmes.</p>
<p><strong>Selon l'auteure féministe Glosswitch</strong>, la commercialisation du flibanserin incarne une façon supplémentaire d'essayer de "normaliser" la sexualité des femmes selon l'étalon masculin. Dans un article du magazine britannique <a href="http://%20%20www.newstatesman.com/writers/glosswitch"><span style="text-decoration: underline;">New Statesman</span></a>, elle estime que si nous souhaitons l'égalité, nous devrions plutôt respecter les désirs des femmes, au lieu de mettre leurs soi-disant "problèmes" sexuels, définis par des attentes masculines, entre les mains des multinationales de l’industrie pharmaceutique. Glosswitch rappelle que les femmes et leur sexualité ont toujours été considérées dysfonctionnelles. "Que nous soyons trop enclines aux plaisirs sexuels ou pas assez, il a toujours été attendu de nous que nous nous conformions aux standards culturels, sociaux et biologiques établis par des hommes", écrit-elle.<br /><br /><strong>Sexualité médicalisée</strong><br />Pour Rina Nissim, infirmière naturopathe et auteure de nombreux best-sellers sur la santé sexuelle des femmes, l'annonce de la commercialisation du flibanserin est une mauvaise nouvelle. Interrogée par axelle, elle explique craindre ses effets secondaires à court et long terme, qui seront connus seulement dans plusieurs années. Elle estime par ailleurs que la sexualité féminine est médicalisée à outrance et que les femmes sont utilisées comme cobayes des laboratoires pharmaceutiques à des fins capitalistes.</p>
<p><strong>Cofondatrice du dispensaire des femmes de Genève</strong>, avec à son actif 35 ans d'expérience dans des centres de santé à travers le monde, elle fait valoir que nous évoluons dans une société hypermédicalisée et hypersexualisée. "La grande quantité de vaginites et de cystites dont souffrent les femmes témoignent du fait que souvent, elles acceptent des rapports dont elles n'ont pas forcément envie ; la sexualité féminine est empreinte de beaucoup de violences." Depuis toutes petites, les femmes sont éduquées à s'adapter, la plupart du temps dans l'intérêt des hommes, fait-elle observer. "On enseigne aux filles à répondre aux désirs des autres avant de satisfaire leurs propres besoins." Selon elle, il faudrait seulement que les hommes soient un peu plus éduqués et sachent faire plaisir à leur partenaire de façon à ce qu'elle attende la prochaine fois avec impatience... <br /><br /><strong>"Une sexualité épanouie ne passe pas par un médicament"</strong><br />Sexologue au Planning familial de Waterloo, Claire Beguin est également sceptique quant aux bienfaits du flibanserin. Les raisons qui amènent les femmes à consulter en sexologie sont diverses, affirme-t-elle ; le peu ou l'absence de désir en est une fréquemment évoquée. "Je ne pense pas qu'une sexualité épanouie passe par un médicament et qu'on puisse résoudre d'éventuels problèmes sans passer par la case dialogue entre partenaires. Et si la communication ne suffit pas, consulter un-e psychologue ou un-e sexologue peut certainement être utile." Si le médicament agit comme un antidépresseur, peut-être qu'en effet, la femme se sentira mieux et ressentira davantage de désir sexuel, avance-t-elle. Mais dans un premier temps, il faudrait savoir pourquoi elle est "déprimée".</p>
<p><strong>Il y a des périodes dans la vie où le désir fluctue</strong>, fait valoir Claire Beguin ; il peut être momentanément absent, par exemple, après un accouchement, en période de stress ou si une relation va mal. "Si au niveau gynécologique, il n'y a pas d'anomalie, les causes risquent d'être psychologiques ; la femme est peut-être stressée, mal dans sa peau, elle a peut-être vécu un traumatisme sexuel ou bien il peut y avoir des difficultés au sein du couple qui viennent se nicher dans le contexte sexuel ; la frontière entre le psychologique et le sexologique est très étroite", explique-t-elle. Parfois, il s'agit d'une question liée à l'éducation sexuelle. Comme sexologue, elle observe que beaucoup de femmes connaissent peu leur corps ; elles ne se sont jamais vraiment explorées, elles n'ont jamais osé se toucher.</p>
<p><strong>Claire Beguin souligne aussi que notre société exerce des pressions sur les individus</strong>, à travers les médias, la publicité et la pornographie, qui entravent le développement d'une sexualité épanouissante. "Nous vivons dans la société de la "toute-jouissance" où les femmes sont censées être toujours disposées à avoir des rapports sexuels et devraient systématiquement avoir des orgasmes, où l'on prône des canons de beauté inaccessibles et la performance à tout prix !" Le respect de soi et de l'autre, pouvoir dire non, poser des limites, communiquer, sont, selon elle, fondamentaux pour une vie sexuelle satisfaisante. "C'est plutôt à chacune, à chacun, de trouver soi-même son compte, en se respectant soi et autrui, selon ses propres désirs et non en fonction des diktats sociaux."<br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /></p>
<p><img style="border: 0;" src="images/genresfeminismes/addy.jpg" alt="" width="470" border="0" /><br /><br /><strong>Les sociétés pharmaceutiques rivalisent d'ardeur pour mettre sur le marché une pilule qui stimulerait le désir sexuel chez les femmes. Sprout Pharmaceuticals a déjà obtenu le feu vert pour la commercialisation de sa molécule, le flibanserin. De quoi se réjouir… ou plutôt s'inquiéter ? C'est la question que s'est posée la rédaction d'<a href="http://axellemag.be/">Axelle</a> que nous reproduisons ici.</strong><br /><br /><br />Le 18 août dernier, la Food and Drug Authority (ou "FDA", l’agence américaine en charge de la sécurité de la chaîne alimentaire, des médicaments et des produits de santé), a approuvé la commercialisation du flibanserin. Surnommé "viagra féminin" – à tort, puisque la fameuse pilule bleue se concentre uniquement sur la mécanique de l'érection masculine – le comprimé rose, dont le nom commercial est Addyi, aurait le mérite de rehausser la libido chez les femmes.</p>
<p>L'entreprise Sprout Pharmaceuticals, qui a développé le soi-disant médicament, sera la première à vendre un tel produit. Mais d'autres sociétés pharmaceutiques sont engagées dans une course folle pour créer une molécule susceptible de stimuler le désir sexuel féminin. Parmi ces entreprises, la néerlandaise Emotional Brain souhaite commercialiser dès 2017 le Lybrido et le Lybridos (chacun créé pour différentes formes d'absence de désir sexuel) et l'américaine S1Biopharma a conclu cette année aux États-Unis la deuxième phase d'essais cliniques de son Lorexys. Par ailleurs, depuis 2007, la multinationale Procter & Gamble vend l'Intrinsa en Europe (sur prescription) : il s’agit d’un patch de testostérone – interdit aux États-Unis en raison de sa faible efficacité et surtout, de ses nombreux effets indésirables : "virilisation" (pilosité aggravée, voix rauque), acné, troubles hépatiques et cardiovasculaires, prise de poids – destiné aux femmes ménopausées connaissant une baisse de désir suite à une ablation des ovaires ou de l’utérus. <br /><br /><strong>Un argument "féministe" ?</strong><br />Le flibanserin agit sur la chimie du cerveau, ciblant les neurotransmetteurs qui ont un impact sur la libido. Les vertus aphrodisiaques de cette molécule ont été observées par hasard, alors qu'elle était testée comme antidépresseur. Des essais cliniques menés pendant deux ans sur 1.323 femmes au Canada et aux États-Unis ont indiqué que sa prise quotidienne aurait eu chez une majorité de sujets "une petite efficacité, mais statistiquement significative", selon la FDA. À noter que presque toutes les participantes ayant consommé un placebo ont également ressenti une augmentation de désir et de satisfaction sexuelle...</p>
<p><strong>Le flibanserin a déjà été rejeté deux fois par le régulateur américain</strong> – en 2010 et 2013 – parce que ses effets secondaires étaient considérés trop importants par rapport à ses bénéfices. En août, le "médicament" a finalement été autorisé suite à une importante campagne orchestrée par une agence de marketing mandatée par Sprout Pharmaceuticals. La condition de l’autorisation de mise sur le marché était la suivante : les utilisatrices devraient être bien informées des risques du flibanserin, notamment la somnolence, les évanouissements et les chutes de tension artérielle.</p>
<p><strong>La campagne en faveur du flibanserin</strong> a été articulée autour de l'argument "féministe" selon lequel "plus d'une vingtaine de médicaments ont été autorisés pour soigner les dysfonctionnements sexuels masculins, alors qu'aucun n'existe pour répondre aux problèmes des femmes" – ce qui peut en effet apparaître pour le moins inégalitaire. Toutefois, comme le souligne un article du <a href="http://jama.jamanetwork.com/article.aspx?articleid=2389384"><span style="text-decoration: underline;">Journal of American Medical Association</span></a>, aucun produit n'est en réalité commercialisé pour favoriser le désir sexuel des hommes : le viagra agit sur la mécanique et non pas sur l’envie. Le flibanserin sera donc le premier produit à "améliorer la libido" d’un être humain ; curieusement, ça tombe sur les femmes.</p>
<p><strong>Selon l'auteure féministe Glosswitch</strong>, la commercialisation du flibanserin incarne une façon supplémentaire d'essayer de "normaliser" la sexualité des femmes selon l'étalon masculin. Dans un article du magazine britannique <a href="http://%20%20www.newstatesman.com/writers/glosswitch"><span style="text-decoration: underline;">New Statesman</span></a>, elle estime que si nous souhaitons l'égalité, nous devrions plutôt respecter les désirs des femmes, au lieu de mettre leurs soi-disant "problèmes" sexuels, définis par des attentes masculines, entre les mains des multinationales de l’industrie pharmaceutique. Glosswitch rappelle que les femmes et leur sexualité ont toujours été considérées dysfonctionnelles. "Que nous soyons trop enclines aux plaisirs sexuels ou pas assez, il a toujours été attendu de nous que nous nous conformions aux standards culturels, sociaux et biologiques établis par des hommes", écrit-elle.<br /><br /><strong>Sexualité médicalisée</strong><br />Pour Rina Nissim, infirmière naturopathe et auteure de nombreux best-sellers sur la santé sexuelle des femmes, l'annonce de la commercialisation du flibanserin est une mauvaise nouvelle. Interrogée par axelle, elle explique craindre ses effets secondaires à court et long terme, qui seront connus seulement dans plusieurs années. Elle estime par ailleurs que la sexualité féminine est médicalisée à outrance et que les femmes sont utilisées comme cobayes des laboratoires pharmaceutiques à des fins capitalistes.</p>
<p><strong>Cofondatrice du dispensaire des femmes de Genève</strong>, avec à son actif 35 ans d'expérience dans des centres de santé à travers le monde, elle fait valoir que nous évoluons dans une société hypermédicalisée et hypersexualisée. "La grande quantité de vaginites et de cystites dont souffrent les femmes témoignent du fait que souvent, elles acceptent des rapports dont elles n'ont pas forcément envie ; la sexualité féminine est empreinte de beaucoup de violences." Depuis toutes petites, les femmes sont éduquées à s'adapter, la plupart du temps dans l'intérêt des hommes, fait-elle observer. "On enseigne aux filles à répondre aux désirs des autres avant de satisfaire leurs propres besoins." Selon elle, il faudrait seulement que les hommes soient un peu plus éduqués et sachent faire plaisir à leur partenaire de façon à ce qu'elle attende la prochaine fois avec impatience... <br /><br /><strong>"Une sexualité épanouie ne passe pas par un médicament"</strong><br />Sexologue au Planning familial de Waterloo, Claire Beguin est également sceptique quant aux bienfaits du flibanserin. Les raisons qui amènent les femmes à consulter en sexologie sont diverses, affirme-t-elle ; le peu ou l'absence de désir en est une fréquemment évoquée. "Je ne pense pas qu'une sexualité épanouie passe par un médicament et qu'on puisse résoudre d'éventuels problèmes sans passer par la case dialogue entre partenaires. Et si la communication ne suffit pas, consulter un-e psychologue ou un-e sexologue peut certainement être utile." Si le médicament agit comme un antidépresseur, peut-être qu'en effet, la femme se sentira mieux et ressentira davantage de désir sexuel, avance-t-elle. Mais dans un premier temps, il faudrait savoir pourquoi elle est "déprimée".</p>
<p><strong>Il y a des périodes dans la vie où le désir fluctue</strong>, fait valoir Claire Beguin ; il peut être momentanément absent, par exemple, après un accouchement, en période de stress ou si une relation va mal. "Si au niveau gynécologique, il n'y a pas d'anomalie, les causes risquent d'être psychologiques ; la femme est peut-être stressée, mal dans sa peau, elle a peut-être vécu un traumatisme sexuel ou bien il peut y avoir des difficultés au sein du couple qui viennent se nicher dans le contexte sexuel ; la frontière entre le psychologique et le sexologique est très étroite", explique-t-elle. Parfois, il s'agit d'une question liée à l'éducation sexuelle. Comme sexologue, elle observe que beaucoup de femmes connaissent peu leur corps ; elles ne se sont jamais vraiment explorées, elles n'ont jamais osé se toucher.</p>
<p><strong>Claire Beguin souligne aussi que notre société exerce des pressions sur les individus</strong>, à travers les médias, la publicité et la pornographie, qui entravent le développement d'une sexualité épanouissante. "Nous vivons dans la société de la "toute-jouissance" où les femmes sont censées être toujours disposées à avoir des rapports sexuels et devraient systématiquement avoir des orgasmes, où l'on prône des canons de beauté inaccessibles et la performance à tout prix !" Le respect de soi et de l'autre, pouvoir dire non, poser des limites, communiquer, sont, selon elle, fondamentaux pour une vie sexuelle satisfaisante. "C'est plutôt à chacune, à chacun, de trouver soi-même son compte, en se respectant soi et autrui, selon ses propres désirs et non en fonction des diktats sociaux."<br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /></p>
Poilorama, le poil un combat féministe
2015-12-07T05:26:41+00:00
2015-12-07T05:26:41+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/801-poilorama-le-poil-un-combat-feministe
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/poilorama.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Poilorama, la web-série d’Emmanuelle Julien et Olivier Dubois sur <a href="http://creative.arte.tv/fr/poilorama"><span style="text-decoration: underline;">Arte creative</span></a>, consacrée à notre pilosité défriche avec humour les représentations qu’on s’en fait, les injonctions qui nous rasent et revient à la racine du problème avec une question existentielle: Si tout le monde s’épile, est-ce vraiment un choix ? Bref, ça décoiffe, ça prend à rebrousse-poil, ça défrise même.</strong><br /><br /><strong>Face aux poils, hommes et femmes sont plus ou moins égaux</strong> : 4 millions de tiges filiformes recouvrent notre corps pour notamment réguler notre température ou nous protéger des microbes. S’ils sont utiles à notre bon fonctionnement, ils ont mauvaise presse et les documentaires d’Arte creative nous expliquent pourquoi. Symboles d’un manque d’hygiène ou d’une sexualité animale, notre relatif pelage cristallise certaines représentations sociales. Et si on coupait tout à l’image de ces systèmes totalitaires dont la propagande raffolait de corps glabres et musclés ? Extrême vous croyez ? Les logiques mercantiles à l’œuvre dans nos sociétés n’en sont pas si loin. Le philosophe Bernard Andrieu explique ce rejet du poil par le fait que sans lui « vous allez transpirer davantage. La stratégie du marketing, c’est de vendre des produits pour bloquer la transpiration ». Donc épilez-vous, rasez-vous et les marques pourront faire des affaires sur votre dos, enfin sous vos aisselles, sur vos jambes que sais-je…<br /><br /><strong>« Le poil représente de façon privilégiée la dimension animale de la sexualité</strong>, en particulier de la sexualité féminine vue comme dangereuse avec cette apparence bestiale » précise Sara Piazza, psychanalyste interrogée dans la web-série. Il y a ici quelque chose d’hors-norme. L’épilation revient alors à domestiquer le sexe féminin pour le rendre inoffensif. Pour la psychanalyste, « enlever les poils, c’est désexualiser les sexes ». <br /><br /><strong>Le sexe féminin est tabou comme sa représentation</strong>. Ainsi l’emblématique chef d’oeuvre de Courbet « L’origine du monde » commandé en 1866 par l’ambassadeur de Turquie à Paris, Halil Şerif Paşa, restera caché de longues années, recouvert d’un second tableau qui coulissait sur le cadre. Après avoir changé de mains plusieurs fois, Jacques Lacan, le célèbre psychanalyste, en fut le dernier propriétaire privé dans les années 50, l’œuvre était toujours cachée par ce système. Il a fallu attendre son acquisition par le Musée d’Orsay en 1995 pour que le tableau soit exposé au public sans aucune censure. Sur Facebook, par contre, « L’origine du monde », c’est de la pornographie…<br /><br /><strong>La censure pourtant s’était allégée au début des années 70</strong>, laissant entrevoir des poils pubiens, ça et là dans la presse et au cinéma. Mai 68 a fait de l’expression corporelle une ôde à la liberté, du coup, on se déshabille et on embrasse la nature. Le corps est en friche. Les années 80 sont celles de la performance et de la construction des corps. 90, les années hygiénistes aux influences asiatiques, les corps deviennent lisses. Dans la mode, le porno-chic relaie cette tendance et avec les nouvelles technologies, l’hyperdiffusion des normes tout comme l’hypersexualisation des corps féminins sonneront le glas du poil. <br /><br /><strong>La perversité de la presse féminine</strong> comme le rappelle les auteur-e-s des documentaires fera même passer l’épilation au service des femmes comme un droit, transformant un message féministe en une injonction marketing : Soyez libres et (pour y parvenir) conformez-vous à ces règles… Car, faut-il encore le préciser, cette presse ne s’adresse pas à vous mesdames mais bien aux annonceurs. Les marques qui achètent de l’espace publicitaire dans un magazine négocient du rédactionnel qui va soutenir l’annonce. A travers des mots-clés répartis dans le texte, le cerveau des consommatrices va s’imbiber de messages plus ou moins subliminaux qui conditionnent même les plus récalcitrantes.<br /><br /><strong>Les nouvelles générations peuvent-elles échapper à ces attaques frontales contre leur pilosité?</strong> On a vu le succès du hashtag #dyedpits sur lequel des jeunes filles aux aisselles fournies et colorées se sont fièrement affichées. En faisant du poil un combat, elles militent contre les stéréotypes et les normes qu'elles sont supposées respecter. Le discours « mon corps m’appartient y compris mes poils et je fais c’que j’veux avec mes cheveux » se répand dans une perspective de corps customisé. Ainsi, côté garçon, la barbe du hipster serait un tatouage éphémère nous apprend-on dans la web-série. Et Conchita Wurst serait l’archétype de cette mouvance briseuse de tabou et d’injonctions. Ce que n’avaient toutefois pas anticipé les auteur-e-s de Poilorama, c’est l’effet du climat sécuritaire sur les barbes hipstérisées : entre les branchés barbus pris pour des terroristes et passés à tabac dans les transports en commun ou ceux qui suscitent la méfiance dans leurs relations de travail, la tendance bucheron du menton risque de faiblir : le poil aura bel et bien disparu. <br /><br /></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/poilorama.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Poilorama, la web-série d’Emmanuelle Julien et Olivier Dubois sur <a href="http://creative.arte.tv/fr/poilorama"><span style="text-decoration: underline;">Arte creative</span></a>, consacrée à notre pilosité défriche avec humour les représentations qu’on s’en fait, les injonctions qui nous rasent et revient à la racine du problème avec une question existentielle: Si tout le monde s’épile, est-ce vraiment un choix ? Bref, ça décoiffe, ça prend à rebrousse-poil, ça défrise même.</strong><br /><br /><strong>Face aux poils, hommes et femmes sont plus ou moins égaux</strong> : 4 millions de tiges filiformes recouvrent notre corps pour notamment réguler notre température ou nous protéger des microbes. S’ils sont utiles à notre bon fonctionnement, ils ont mauvaise presse et les documentaires d’Arte creative nous expliquent pourquoi. Symboles d’un manque d’hygiène ou d’une sexualité animale, notre relatif pelage cristallise certaines représentations sociales. Et si on coupait tout à l’image de ces systèmes totalitaires dont la propagande raffolait de corps glabres et musclés ? Extrême vous croyez ? Les logiques mercantiles à l’œuvre dans nos sociétés n’en sont pas si loin. Le philosophe Bernard Andrieu explique ce rejet du poil par le fait que sans lui « vous allez transpirer davantage. La stratégie du marketing, c’est de vendre des produits pour bloquer la transpiration ». Donc épilez-vous, rasez-vous et les marques pourront faire des affaires sur votre dos, enfin sous vos aisselles, sur vos jambes que sais-je…<br /><br /><strong>« Le poil représente de façon privilégiée la dimension animale de la sexualité</strong>, en particulier de la sexualité féminine vue comme dangereuse avec cette apparence bestiale » précise Sara Piazza, psychanalyste interrogée dans la web-série. Il y a ici quelque chose d’hors-norme. L’épilation revient alors à domestiquer le sexe féminin pour le rendre inoffensif. Pour la psychanalyste, « enlever les poils, c’est désexualiser les sexes ». <br /><br /><strong>Le sexe féminin est tabou comme sa représentation</strong>. Ainsi l’emblématique chef d’oeuvre de Courbet « L’origine du monde » commandé en 1866 par l’ambassadeur de Turquie à Paris, Halil Şerif Paşa, restera caché de longues années, recouvert d’un second tableau qui coulissait sur le cadre. Après avoir changé de mains plusieurs fois, Jacques Lacan, le célèbre psychanalyste, en fut le dernier propriétaire privé dans les années 50, l’œuvre était toujours cachée par ce système. Il a fallu attendre son acquisition par le Musée d’Orsay en 1995 pour que le tableau soit exposé au public sans aucune censure. Sur Facebook, par contre, « L’origine du monde », c’est de la pornographie…<br /><br /><strong>La censure pourtant s’était allégée au début des années 70</strong>, laissant entrevoir des poils pubiens, ça et là dans la presse et au cinéma. Mai 68 a fait de l’expression corporelle une ôde à la liberté, du coup, on se déshabille et on embrasse la nature. Le corps est en friche. Les années 80 sont celles de la performance et de la construction des corps. 90, les années hygiénistes aux influences asiatiques, les corps deviennent lisses. Dans la mode, le porno-chic relaie cette tendance et avec les nouvelles technologies, l’hyperdiffusion des normes tout comme l’hypersexualisation des corps féminins sonneront le glas du poil. <br /><br /><strong>La perversité de la presse féminine</strong> comme le rappelle les auteur-e-s des documentaires fera même passer l’épilation au service des femmes comme un droit, transformant un message féministe en une injonction marketing : Soyez libres et (pour y parvenir) conformez-vous à ces règles… Car, faut-il encore le préciser, cette presse ne s’adresse pas à vous mesdames mais bien aux annonceurs. Les marques qui achètent de l’espace publicitaire dans un magazine négocient du rédactionnel qui va soutenir l’annonce. A travers des mots-clés répartis dans le texte, le cerveau des consommatrices va s’imbiber de messages plus ou moins subliminaux qui conditionnent même les plus récalcitrantes.<br /><br /><strong>Les nouvelles générations peuvent-elles échapper à ces attaques frontales contre leur pilosité?</strong> On a vu le succès du hashtag #dyedpits sur lequel des jeunes filles aux aisselles fournies et colorées se sont fièrement affichées. En faisant du poil un combat, elles militent contre les stéréotypes et les normes qu'elles sont supposées respecter. Le discours « mon corps m’appartient y compris mes poils et je fais c’que j’veux avec mes cheveux » se répand dans une perspective de corps customisé. Ainsi, côté garçon, la barbe du hipster serait un tatouage éphémère nous apprend-on dans la web-série. Et Conchita Wurst serait l’archétype de cette mouvance briseuse de tabou et d’injonctions. Ce que n’avaient toutefois pas anticipé les auteur-e-s de Poilorama, c’est l’effet du climat sécuritaire sur les barbes hipstérisées : entre les branchés barbus pris pour des terroristes et passés à tabac dans les transports en commun ou ceux qui suscitent la méfiance dans leurs relations de travail, la tendance bucheron du menton risque de faiblir : le poil aura bel et bien disparu. <br /><br /></p>
Inégalités H/F et propagation du VIH
2015-12-02T08:42:24+00:00
2015-12-02T08:42:24+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/800-inegalites-hf-et-propagation-du-vih
REDACTION
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/sida.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>La somme des travaux d’ONU Femmes consacrés aux femmes et au VIH montre que les inégalités entre les sexes contribuent à la propagation du virus. Elles peuvent augmenter les taux d'infection et réduire la capacité des femmes à faire face à l'épidémie. Et lorsque celles-ci sont séropositives, elles sont stigmatisées et subissent une exclusion sociale aggravée par l'insuffisance de leurs droits. Devant ce constat, l’agence onusienne s’efforce de mettre en place des stratégies qui visent à les autonomiser.</strong></p>
<p><strong>En effet, les femmes disposent souvent de moins d'informations sur le VIH/sida et de moins de ressources</strong> pour adopter des mesures de prévention. Du fait des rapports sociaux de sexe inégaux, elles rencontrent des difficultés pour faire admettre à leurs partenaires des pratiques sexuelles moins risquées. En outre, les violences sexuelles auxquelles elles sont largement exposées augmentent le risque de transmission du VIH/sida. Il ressort des enquêtes de l’agence onusienne que le mariage peut également représenter un facteur de risque, en particulier pour les jeunes femmes et les jeunes filles.</p>
<p><strong>De nombreuses femmes séropositives luttent contre la stigmatisation et l'exclusion sociale</strong>. Il n'est pas rare que des femmes dont le mari est décédé du sida ou qui en sont atteintes se retrouvent aux prises avec des litiges patrimoniaux les opposant à leur belle-famille, d'autant plus compliqués à gérer que, dans la plupart des cas, elles n’ont qu'un accès limité à la justice pour défendre leurs droits. Il est aussi important de rappeler qu’en dehors du fait qu'elles-mêmes soient ou non atteintes du VIH/sida, les femmes assument habituellement un fardeau disproportionné en matière de soins en faveur d’autres personnes malades ou mourantes du sida, et elles s'occupent des enfants devenus orphelin-e-s suite au décès de leurs parents. Cette situation tend à réduire leurs chances en matière d'éducation et d'emploi.</p>
<p><strong>ONU Femmes a mis en place des stratégies qui établissent clairement les liens entre l'épidémie et les facteurs qui la favorisent</strong>, tels que la violence à l’égard des femmes, le non-respect de leurs droits juridiques et la participation limitée des femmes à la prise de décisions. Ainsi l'autonomisation des femmes est au cœur des solutions proposées par l’agence. C’est ce qui leur permet de se protéger elles-mêmes contre l'infection, de surmonter la stigmatisation dont elles font l'objet et d'obtenir un meilleur accès aux traitements, aux soins et à un indispensable soutien.</p>
<p><strong>Les campagnes d’ONU Femmes contribuent à faire entendre les voix de ces femmes invisibles</strong>. L’idée est de leur donner une place significative dans les processus de décision et dans les actions entreprises pour faire face à l'épidémie. Il s’agit en effet d'intégrer l'égalité des sexes et les droits des femmes dans les stratégies, les politiques et les budgets mais également au sein des institutions et des cadres de responsabilisation. Certaines de ces initiatives portent par exemple sur les liens multiples qui existent entre le VIH et la violence envers les femmes. D'autres améliorent l'accès des femmes à la justice dans le contexte du VIH/sida et mettent l'accent sur le caractère essentiel du respect de leurs droits à la propriété et à l'héritage. La route est encore longue mais ce genre d’entreprise contribue à faire bouger les choses ou du moins à réveiller quelques consciences.<br /><br />Photo DR</p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/sida.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>La somme des travaux d’ONU Femmes consacrés aux femmes et au VIH montre que les inégalités entre les sexes contribuent à la propagation du virus. Elles peuvent augmenter les taux d'infection et réduire la capacité des femmes à faire face à l'épidémie. Et lorsque celles-ci sont séropositives, elles sont stigmatisées et subissent une exclusion sociale aggravée par l'insuffisance de leurs droits. Devant ce constat, l’agence onusienne s’efforce de mettre en place des stratégies qui visent à les autonomiser.</strong></p>
<p><strong>En effet, les femmes disposent souvent de moins d'informations sur le VIH/sida et de moins de ressources</strong> pour adopter des mesures de prévention. Du fait des rapports sociaux de sexe inégaux, elles rencontrent des difficultés pour faire admettre à leurs partenaires des pratiques sexuelles moins risquées. En outre, les violences sexuelles auxquelles elles sont largement exposées augmentent le risque de transmission du VIH/sida. Il ressort des enquêtes de l’agence onusienne que le mariage peut également représenter un facteur de risque, en particulier pour les jeunes femmes et les jeunes filles.</p>
<p><strong>De nombreuses femmes séropositives luttent contre la stigmatisation et l'exclusion sociale</strong>. Il n'est pas rare que des femmes dont le mari est décédé du sida ou qui en sont atteintes se retrouvent aux prises avec des litiges patrimoniaux les opposant à leur belle-famille, d'autant plus compliqués à gérer que, dans la plupart des cas, elles n’ont qu'un accès limité à la justice pour défendre leurs droits. Il est aussi important de rappeler qu’en dehors du fait qu'elles-mêmes soient ou non atteintes du VIH/sida, les femmes assument habituellement un fardeau disproportionné en matière de soins en faveur d’autres personnes malades ou mourantes du sida, et elles s'occupent des enfants devenus orphelin-e-s suite au décès de leurs parents. Cette situation tend à réduire leurs chances en matière d'éducation et d'emploi.</p>
<p><strong>ONU Femmes a mis en place des stratégies qui établissent clairement les liens entre l'épidémie et les facteurs qui la favorisent</strong>, tels que la violence à l’égard des femmes, le non-respect de leurs droits juridiques et la participation limitée des femmes à la prise de décisions. Ainsi l'autonomisation des femmes est au cœur des solutions proposées par l’agence. C’est ce qui leur permet de se protéger elles-mêmes contre l'infection, de surmonter la stigmatisation dont elles font l'objet et d'obtenir un meilleur accès aux traitements, aux soins et à un indispensable soutien.</p>
<p><strong>Les campagnes d’ONU Femmes contribuent à faire entendre les voix de ces femmes invisibles</strong>. L’idée est de leur donner une place significative dans les processus de décision et dans les actions entreprises pour faire face à l'épidémie. Il s’agit en effet d'intégrer l'égalité des sexes et les droits des femmes dans les stratégies, les politiques et les budgets mais également au sein des institutions et des cadres de responsabilisation. Certaines de ces initiatives portent par exemple sur les liens multiples qui existent entre le VIH et la violence envers les femmes. D'autres améliorent l'accès des femmes à la justice dans le contexte du VIH/sida et mettent l'accent sur le caractère essentiel du respect de leurs droits à la propriété et à l'héritage. La route est encore longue mais ce genre d’entreprise contribue à faire bouger les choses ou du moins à réveiller quelques consciences.<br /><br />Photo DR</p>
L'utilisation des femmes kamikazes
2015-11-16T08:27:13+00:00
2015-11-16T08:27:13+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/792-lutilisation-des-femmes-kamikazes
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/35398_Sana-Khyadali.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Au lendemain des attaques terroristes sur Paris et tandis que les enquêtes se poursuivent, une question a été posée : y avait-il une femme parmi les kamikazes du Bataclan ? C’est ce qu’affirment des spectateurs-trices rescapé-e-s du massacre selon une information d’Europe1. Pour l’heure, l’incertitude demeure quant à l’exactitude de ces témoignages. Mais la participation d’une femme à des attaques suicides constitue une stratégie de communication des organisations terroristes pour qui l’objectif immédiat de l'attentat est la couverture médiatique. En rupture avec le rôle qui lui est assigné (l’éducation des enfants à la maison) et de ses qualités supposées féminines (douceur, innocence, soumission…), la femme kamikaze n’est toutefois en rien l’égal de son pendant masculin. </strong><br /><br /><strong>Le 9 avril 1985, Sana Khyadali, une jeune Libanaise de 16 ans, se faisait exploser</strong> à bord d'un véhicule piégé près d'un convoi militaire israélien, tuant deux soldats et devenant ainsi la première femme à commettre un attentat suicide au Proche-Orient. Depuis, elle a fait des émules à l’instar de la Palestinienne Wafa Idris qui a actionné sa ceinture d’explosifs dans l'une des artères principales de Jérusalem, érigée depuis en héroïne du monde arabo-musulman. Selon Fatima Lahnait, chercheuse à l’Institute for Statecraft à Londres, les actions de ces femmes kamikazes représenteraient 15% des attentats suicides recensés depuis 1985. <br /><br /><strong>Leurs motivations,</strong> toujours selon Fatima Lainait, seraient très variables : raisons personnelles, politiques et religieuses, compensations financières pour les familles, de même que les circonstances dans lesquelles elles se sont portées volontaires ou non. L’implication des très jeunes filles que l’oganisation Boko Haram oblige à se faire exploser sur les marchés du Niger n’a rien en effet à voir avec l’engagement nationaliste de Sana Khyadali. Et si des slogans féministes sont proclamés après chaque événement, ces positions émancipatrices s’inscrivent dans une perspective propagandiste à destination de l’étranger.</p>
<p><strong>Car la place des femmes</strong> dans les sociétés musulmanes reste très circonscrite explique Fatima Lahnait. Ne prétend pas au martyre qui veut, surtout pas une femme. Le martyr, shahid, est à mi-chemin entre le héros et le saint. L’universitaire explique qu’«il est celui qui meurt dans la voie de Dieu, au service de la oumma (nation de l'islam, l'ensemble des musulmans), en prenant part à un jihad (guerre sainte), qui témoigne de sa foi par le sacrifice de soi». Tandis que «le jihad majeur est tourné vers soi», étant avant tout une lutte au sens spirituel, le combat armé ne serait qu’un jihad mineur d’après la chercheuse qui précise que «les organisations terroristes islamistes utilisent la religion pour légitimer et pardonner le suicide qui conduit à la mise à mort d'autrui en arguant des rétributions post-mortem qui attendent le martyr, telles que le pardon de tout péché, l'obtention d'une place au Paradis, l'intercession en faveur de soixante-dix membres de sa famille, l'exemption de châtiments de la tombe, la gratification de soixante-douze vierges». Et si quelques femmes ont commis des attentats suicides, elles ne sont jamais élevées au rang de martyres. Cette exclusion délibérée qui leur dénie un hypothétique statut social d’égales avec les hommes n’est que le reflet d’un patriarcat solidement enraciné. Malgré les évolutions dans les sociétés musulmanes et les aspirations des femmes à être indépendantes, les hommes, par leur refus de permettre aux femmes de mettre leur vie en danger, résistent aux changements. La réticence des chefs terroristes à les inclure dans les opérations reste très répandue. Pour Fatima Lahnait, il s’agit «non de les préserver, mais de les priver du droit à l'individualité à travers un baptême du feu. En effet, la sacralisation de l'individu héroïque lui permet d'émerger, d'apparaître véritablement dans le domaine public en tant qu'individu». Disposer de sa vie, de sa mort et de son corps demeure l’apanage des hommes.</p>
<p><strong>Cependant, les qualités présupposées des femmes vont servir aux organisations terroristes</strong>. Leur innocence supposée va faire d'elles un atout majeur pour contourner les mesures de sécurité, que ce soit au Sri Lanka, en Tchétchénie, en Israël, en Turquie, au Pakistan, en Ouzbékistan ou en Irak. En effet, les femmes suscitent bien moins de suspicion que leurs homologues masculins et sont plus à même de passer les points de contrôle et autres obstacles de sécurité. En outre, elles n'ont pas besoin d’avoir de compétences militaires particulières d’autant qu’une mission-suicide requiert peu d'investissement dans la formation, que ce soit en termes de temps ou d'argent. Pour les organisations terroristes, utiliser des femmes kamikazes constitue une optimisation des ressources humaines et matérielles.</p>
<p><strong>Un autre avantage des terroristes à se servir d’une femme kamikaze est l’exposition médiatique</strong>. Véritable outil de propagande, la participation d’une femme à une mission-suicide garantit une couverture mondiale de l’opération par les médias tant la transgression de genre et de rôle reste inconcevable : la femme ne peut être un monstre assassinant à l’aveugle du point de vue des victimes et elle est une exception difficilement imitable du point de vue des terroristes. Tandis que certains chefs religieux n’en finissent pas de débattre sur la légitimité de ces femmes dans les attaques terroristes, d’autres s’interrogent sur le type de récompense auquel elles peuvent prétendre dans l’au-delà. Si là encore, elles ne pourront espérer recevoir la même chose que les hommes, les commentateurs du Coran s’accordent pour affirmer qu’elles y retrouveront… leur mari et que le paradis les rendra belles, heureuses et sans jalousie.</p>
<p><strong>Quoi qu’il en soit, l’action non-violente</strong> partagée par les hommes et par les femmes est la seule voie envisageable pour faire valoir ses revendications, les mouvements de libération des femmes n’en conçoivent aucune autre. Les féminismes s’opposent à toute forme de violence et ne sauraient cautionner l’embrigadement de ces femmes au nom d’une aspiration à l’émancipation.</p>
<p>Retrouvez <span style="text-decoration: underline;">l'article</span> de Fatima Lahnait, auteure du rapport <em>Femmes kamikazes ou le jihad au féminin</em>, publié par le Centre Français de Recherche sur le Renseignement<br /><br />Photo, Sana Khyadali, militante libanaise du Parti social nationaliste syrien, première femme à commettre un attentat-suicide au Proche-Orient. <br /><br /><br />
</p>
<p><strong><img src="images/35398_Sana-Khyadali.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Au lendemain des attaques terroristes sur Paris et tandis que les enquêtes se poursuivent, une question a été posée : y avait-il une femme parmi les kamikazes du Bataclan ? C’est ce qu’affirment des spectateurs-trices rescapé-e-s du massacre selon une information d’Europe1. Pour l’heure, l’incertitude demeure quant à l’exactitude de ces témoignages. Mais la participation d’une femme à des attaques suicides constitue une stratégie de communication des organisations terroristes pour qui l’objectif immédiat de l'attentat est la couverture médiatique. En rupture avec le rôle qui lui est assigné (l’éducation des enfants à la maison) et de ses qualités supposées féminines (douceur, innocence, soumission…), la femme kamikaze n’est toutefois en rien l’égal de son pendant masculin. </strong><br /><br /><strong>Le 9 avril 1985, Sana Khyadali, une jeune Libanaise de 16 ans, se faisait exploser</strong> à bord d'un véhicule piégé près d'un convoi militaire israélien, tuant deux soldats et devenant ainsi la première femme à commettre un attentat suicide au Proche-Orient. Depuis, elle a fait des émules à l’instar de la Palestinienne Wafa Idris qui a actionné sa ceinture d’explosifs dans l'une des artères principales de Jérusalem, érigée depuis en héroïne du monde arabo-musulman. Selon Fatima Lahnait, chercheuse à l’Institute for Statecraft à Londres, les actions de ces femmes kamikazes représenteraient 15% des attentats suicides recensés depuis 1985. <br /><br /><strong>Leurs motivations,</strong> toujours selon Fatima Lainait, seraient très variables : raisons personnelles, politiques et religieuses, compensations financières pour les familles, de même que les circonstances dans lesquelles elles se sont portées volontaires ou non. L’implication des très jeunes filles que l’oganisation Boko Haram oblige à se faire exploser sur les marchés du Niger n’a rien en effet à voir avec l’engagement nationaliste de Sana Khyadali. Et si des slogans féministes sont proclamés après chaque événement, ces positions émancipatrices s’inscrivent dans une perspective propagandiste à destination de l’étranger.</p>
<p><strong>Car la place des femmes</strong> dans les sociétés musulmanes reste très circonscrite explique Fatima Lahnait. Ne prétend pas au martyre qui veut, surtout pas une femme. Le martyr, shahid, est à mi-chemin entre le héros et le saint. L’universitaire explique qu’«il est celui qui meurt dans la voie de Dieu, au service de la oumma (nation de l'islam, l'ensemble des musulmans), en prenant part à un jihad (guerre sainte), qui témoigne de sa foi par le sacrifice de soi». Tandis que «le jihad majeur est tourné vers soi», étant avant tout une lutte au sens spirituel, le combat armé ne serait qu’un jihad mineur d’après la chercheuse qui précise que «les organisations terroristes islamistes utilisent la religion pour légitimer et pardonner le suicide qui conduit à la mise à mort d'autrui en arguant des rétributions post-mortem qui attendent le martyr, telles que le pardon de tout péché, l'obtention d'une place au Paradis, l'intercession en faveur de soixante-dix membres de sa famille, l'exemption de châtiments de la tombe, la gratification de soixante-douze vierges». Et si quelques femmes ont commis des attentats suicides, elles ne sont jamais élevées au rang de martyres. Cette exclusion délibérée qui leur dénie un hypothétique statut social d’égales avec les hommes n’est que le reflet d’un patriarcat solidement enraciné. Malgré les évolutions dans les sociétés musulmanes et les aspirations des femmes à être indépendantes, les hommes, par leur refus de permettre aux femmes de mettre leur vie en danger, résistent aux changements. La réticence des chefs terroristes à les inclure dans les opérations reste très répandue. Pour Fatima Lahnait, il s’agit «non de les préserver, mais de les priver du droit à l'individualité à travers un baptême du feu. En effet, la sacralisation de l'individu héroïque lui permet d'émerger, d'apparaître véritablement dans le domaine public en tant qu'individu». Disposer de sa vie, de sa mort et de son corps demeure l’apanage des hommes.</p>
<p><strong>Cependant, les qualités présupposées des femmes vont servir aux organisations terroristes</strong>. Leur innocence supposée va faire d'elles un atout majeur pour contourner les mesures de sécurité, que ce soit au Sri Lanka, en Tchétchénie, en Israël, en Turquie, au Pakistan, en Ouzbékistan ou en Irak. En effet, les femmes suscitent bien moins de suspicion que leurs homologues masculins et sont plus à même de passer les points de contrôle et autres obstacles de sécurité. En outre, elles n'ont pas besoin d’avoir de compétences militaires particulières d’autant qu’une mission-suicide requiert peu d'investissement dans la formation, que ce soit en termes de temps ou d'argent. Pour les organisations terroristes, utiliser des femmes kamikazes constitue une optimisation des ressources humaines et matérielles.</p>
<p><strong>Un autre avantage des terroristes à se servir d’une femme kamikaze est l’exposition médiatique</strong>. Véritable outil de propagande, la participation d’une femme à une mission-suicide garantit une couverture mondiale de l’opération par les médias tant la transgression de genre et de rôle reste inconcevable : la femme ne peut être un monstre assassinant à l’aveugle du point de vue des victimes et elle est une exception difficilement imitable du point de vue des terroristes. Tandis que certains chefs religieux n’en finissent pas de débattre sur la légitimité de ces femmes dans les attaques terroristes, d’autres s’interrogent sur le type de récompense auquel elles peuvent prétendre dans l’au-delà. Si là encore, elles ne pourront espérer recevoir la même chose que les hommes, les commentateurs du Coran s’accordent pour affirmer qu’elles y retrouveront… leur mari et que le paradis les rendra belles, heureuses et sans jalousie.</p>
<p><strong>Quoi qu’il en soit, l’action non-violente</strong> partagée par les hommes et par les femmes est la seule voie envisageable pour faire valoir ses revendications, les mouvements de libération des femmes n’en conçoivent aucune autre. Les féminismes s’opposent à toute forme de violence et ne sauraient cautionner l’embrigadement de ces femmes au nom d’une aspiration à l’émancipation.</p>
<p>Retrouvez <span style="text-decoration: underline;">l'article</span> de Fatima Lahnait, auteure du rapport <em>Femmes kamikazes ou le jihad au féminin</em>, publié par le Centre Français de Recherche sur le Renseignement<br /><br />Photo, Sana Khyadali, militante libanaise du Parti social nationaliste syrien, première femme à commettre un attentat-suicide au Proche-Orient. <br /><br /><br />
</p>
Le changement climatique c'est maintenant
2015-11-11T09:10:09+00:00
2015-11-11T09:10:09+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/791-le-changement-climatique-cest-maintenant
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/cop21.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>A la veille de la 21ème Conférence des Parties de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques, communément appelée COP21, qui se tiendra du 30 novembre au 11 décembre 2015 au Bourget en France, des associations féministes s’engagent pour que soit prise en compte dans ces discussions la problématique du genre. Alors que les femmes sont spécifiquement touchées par les conséquences des catastrophes naturelles, elles peinent à faire entendre leur point de vue puisque les négociations et les groupes de travail scientifiques sont majoritairement menés par des hommes.</strong><br /><br /><strong>Cette conférence espère aboutir à un accord international juridiquement contraignant sur le climat,</strong> applicable à tous les pays à partir de 2020, afin de maintenir le réchauffement de la planète en deçà de 2°C d’ici 2100. Si le cinquième rapport du GIEC, publié il y a un an, a confirmé la gravité de la situation, les effets du changement climatique se font déjà sentir un peu partout dans le monde (événements climatiques intenses, sécheresses, inondations…). Les femmes sont les premières impactées comme cela avait été souligné lors de la COP20 à Lima. Parce qu’elles représentent 70 % des pauvres dans le monde et du fait de leurs rôles socialement construits, elles sont en effet particulièrement touchées (eau, forêt, agriculture, pêche…) alors même qu’elles consomment en moyenne moins d’énergie. Les catastrophes climatiques ont sur elles des effets spécifiques en matière de violences de genre et de migration. Il avait été également reconnu qu’elles jouent un rôle essentiel dans la lutte contre le changement climatique.<br /><br /><strong>En matière de parité de représentation au sein des organismes de négociations et de décision</strong>, quelques progrès sont à noter. Ainsi la Global Gender Climate Alliance, initiée à la conférence de Bali en 2007 et le Women and Gender Constituency ont pour objectif d’assurer que les politiques sur le changement climatique, les prises de décisions, intègrent le genre. Le Cadre d’action de Hyogo 2005-2015 (stratégie internationale pour la prévention des catastrophes), en cours de renégociation, précise que «la perspective de genre devrait être intégrée dans toutes les politiques de gestion des risques de catastrophe, et des plans et des processus de prise de décisions, y compris celles relatives à l’évaluation des risques, l’alerte rapide, la gestion de l’information, l’éducation et la formation». La Cop20 à Lima a mis en place un programme de travail sur le genre.<br /><br /><strong>Avant la COP21, le groupe Genre et développement soutenable et différentes associations de femmes</strong> rendent publiques leurs recommandations visant à intégrer le genre dans la question du climat (<a href="http://www.adequations.org/spip.php?article2231"><span style="text-decoration: underline;">Intégralité du texte ici</span></a>). Le 28 novembre 2015, à l’hôtel de ville de Paris, ce collectif organise une journée d’information et de débats intitulée "Féministes pour la justice climatique". La veille de la grande manifestation du 29 novembre dans les rues de Paris et à deux jours du début de la COP 21, cette journée s’adresse à toute personne concernée par les enjeux climatiques, le développement durable et la transition écologique. Une table ronde puis des ateliers participatifs permettront d’approfondir différentes thématiques, telles que droits des femmes, climat et développement durable ; inégalités sociales et justice climatique ; genre et modes de production et de consommation ; agriculture et souveraineté alimentaire ; énergie, ressources naturelles ; migrantes et réfugiées… Les discussions visent à faire émerger des pratiques et des recommandations au regard de l’égalité femmes-hommes dans la lutte contre les causes du dérèglement climatique et pour la transition écologique et la justice sociale. Ce type de rencontre revêt dans le contexte actuel une importance capitale et nous conseillons à nos lecteurs et lectrices d’y participer d’une manière ou d’une autre. <br /><br /></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/cop21.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>A la veille de la 21ème Conférence des Parties de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques, communément appelée COP21, qui se tiendra du 30 novembre au 11 décembre 2015 au Bourget en France, des associations féministes s’engagent pour que soit prise en compte dans ces discussions la problématique du genre. Alors que les femmes sont spécifiquement touchées par les conséquences des catastrophes naturelles, elles peinent à faire entendre leur point de vue puisque les négociations et les groupes de travail scientifiques sont majoritairement menés par des hommes.</strong><br /><br /><strong>Cette conférence espère aboutir à un accord international juridiquement contraignant sur le climat,</strong> applicable à tous les pays à partir de 2020, afin de maintenir le réchauffement de la planète en deçà de 2°C d’ici 2100. Si le cinquième rapport du GIEC, publié il y a un an, a confirmé la gravité de la situation, les effets du changement climatique se font déjà sentir un peu partout dans le monde (événements climatiques intenses, sécheresses, inondations…). Les femmes sont les premières impactées comme cela avait été souligné lors de la COP20 à Lima. Parce qu’elles représentent 70 % des pauvres dans le monde et du fait de leurs rôles socialement construits, elles sont en effet particulièrement touchées (eau, forêt, agriculture, pêche…) alors même qu’elles consomment en moyenne moins d’énergie. Les catastrophes climatiques ont sur elles des effets spécifiques en matière de violences de genre et de migration. Il avait été également reconnu qu’elles jouent un rôle essentiel dans la lutte contre le changement climatique.<br /><br /><strong>En matière de parité de représentation au sein des organismes de négociations et de décision</strong>, quelques progrès sont à noter. Ainsi la Global Gender Climate Alliance, initiée à la conférence de Bali en 2007 et le Women and Gender Constituency ont pour objectif d’assurer que les politiques sur le changement climatique, les prises de décisions, intègrent le genre. Le Cadre d’action de Hyogo 2005-2015 (stratégie internationale pour la prévention des catastrophes), en cours de renégociation, précise que «la perspective de genre devrait être intégrée dans toutes les politiques de gestion des risques de catastrophe, et des plans et des processus de prise de décisions, y compris celles relatives à l’évaluation des risques, l’alerte rapide, la gestion de l’information, l’éducation et la formation». La Cop20 à Lima a mis en place un programme de travail sur le genre.<br /><br /><strong>Avant la COP21, le groupe Genre et développement soutenable et différentes associations de femmes</strong> rendent publiques leurs recommandations visant à intégrer le genre dans la question du climat (<a href="http://www.adequations.org/spip.php?article2231"><span style="text-decoration: underline;">Intégralité du texte ici</span></a>). Le 28 novembre 2015, à l’hôtel de ville de Paris, ce collectif organise une journée d’information et de débats intitulée "Féministes pour la justice climatique". La veille de la grande manifestation du 29 novembre dans les rues de Paris et à deux jours du début de la COP 21, cette journée s’adresse à toute personne concernée par les enjeux climatiques, le développement durable et la transition écologique. Une table ronde puis des ateliers participatifs permettront d’approfondir différentes thématiques, telles que droits des femmes, climat et développement durable ; inégalités sociales et justice climatique ; genre et modes de production et de consommation ; agriculture et souveraineté alimentaire ; énergie, ressources naturelles ; migrantes et réfugiées… Les discussions visent à faire émerger des pratiques et des recommandations au regard de l’égalité femmes-hommes dans la lutte contre les causes du dérèglement climatique et pour la transition écologique et la justice sociale. Ce type de rencontre revêt dans le contexte actuel une importance capitale et nous conseillons à nos lecteurs et lectrices d’y participer d’une manière ou d’une autre. <br /><br /></p>
Manon: Etre ma propre oeuvre d'art
2015-11-02T04:26:39+00:00
2015-11-02T04:26:39+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/786-manon-etre-ma-propre-oeuvre-dart
Briana Berg
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/ici/03_Manon_Selbstportrait%20in%20Gold_2011_Courtesy%20Manon.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /><br /><br /><br /><strong>« If I had the choice between reality and legend, I would choose legend. » dit-elle ( Si je devais choisir entre la réalité et la légende, je choisirais la légende, ndlr). Pour sa première exposition institutionnelle en Suisse Romande, l’artiste et performeuse Manon (1946) se dévoile comme elle ne l’a encore jamais fait ; non plus uniquement sur le mode érotico-glamour, mais en donnant également accès à l’envers du décor à travers des photos des coulisses de ses mises en scène. Entre intériorité et jeu de miroirs, le soi et la multiplicité des images, l’exposition offre un accès à la personne derrière l’artiste sulfureuse.</strong> <br /><br /><strong>Il aura suffi de deux installations provocantes</strong> et avant-gardistes pour propulser Manon sous le feu des projecteurs de la scène artistique zurichoise: Das lachsfarbene Boudoir (Le Boudoir à la couleur saumon) (1974), où elle expose sa chambre à coucher, vingt ans avant Tracey Emin, et ses fétiches ; et Manon Presents Man (1976) où elle exhibe en vitrine sept hommes en chair et en os, sept exemples de ses fantasmes masculins - dont un avatar d’elle-même dans sa performance de 1975, La fin de Lola Montez, dans laquelle elle était enchaînée dans une cage en tenue S/M. Depuis, elle n’a cessé de travailler, à travers la mise en scène de sa propre image et dans toutes sortes de formats, les questions de genre, de domination et de soumission, du voyeurisme, du lien à l’image de soi utilisée comme masque. <br /><br /><strong>Le parcours de l’exposition</strong> du CPG a été soigneusement réfléchi et mêle prises de vues documentaires aux mises en scènes sélectionnées dans son œuvre. Le récit est fort : depuis un premier mur présentant des façades apparemment banales de lieux où elle a travaillé, un tapis rouge amène le visiteur à une installation lumineuse montrant des lèvres géantes, cramoisies, presque cirées. Impossible d’ignorer le message : on entre dans l’univers de Manon, du féminin, du sexuel, de l’image fonctionnant à la fois comme stimulus et barrière. Un rideau fait passer dans une salle complètement tapissée de molleton noir, comme dans un cocon, où règne un autre tableau lumineux, Selbstportrait in Gold (Autoportrait en or, 2011-2014). Manon apparaît ici dans toute sa splendeur dorée, à la fois dissimulée et moulée par sa tenue. Ce jeu entre la révélation de soi et l’image fonctionnant comme masque condense l’essence de l’œuvre de l’artiste. En face, un polaroid agrandi, tiré du légendaire Boudoir à la couleur saumon, dont d’autres images sont présentées plus loin. De là, une autre salle présente l’intérieur d’hôtels délabrés où la performeuse a travaillé, dans laquelle on aperçoit la femme au détour d’un reflet dans un miroir. La suite de l’exposition présente une série de mises en scène du processus de création de Manon, avant de finir sur une installation saisissante extraite des Elektrokardiogramm (1978).</p>
<hr />
<p><br /><br /><strong>L’exposition, à voir jusqu’au 29 novembre, a l’intérêt particulier de présenter une artiste jusqu’ici négligée en Suisse romande, de montrer des travaux inédits, et au-delà, semble être conçue comme une étape supplémentaire dans le dévoilement que Manon fait d’elle-même. Interview.</strong><br /><br /><br /><strong>l’émiliE : Pouvez-vous me dire comment est né le besoin d’avoir un autre nom, de créer une autre identité, et comment vous l’avez choisi ? Manon est-elle une personnalité fictive pour vous, ou une part de vous ? </strong><br /><strong>MANON </strong>: Mon enfance étant difficile, et portant le prénom que mes parents m’ont donné, et évidemment en plus le nom de famille de mon père, je voulais me libérer de tout ça: en me donnant un autre nom, mon propre nom, choisi par moi-même, court comme une « marque « , un « signet ». Je ne savais pas dans le temps qu'il serait un jour mon nom d'artiste - qui entretemps figure aussi dans mon passeport.<br />Je ne connaissais pas l'histoire de Manon Lescaut, mais étant enfant j'entendais mon oncle parler d'une « Manon » qu'il avait vue au cinéma et qu'il trouvait attirante, il parait qu'elle était toute petite, comme moi. Plus tard j'y ai repensé. <br /><br /><strong>l’émiliE : Manon est-elle une personnalité fictive pour vous, ou une part de vous ? Est-ce que votre rapport à cette autre partie de vous, à Manon l’artiste, a changé au cours des années ?</strong><br />La « Manon » est le devant, la face de la personne que je suis. Ma protectrice, car elle est forte ; la personne derrière ne l'est pas. C'est comme les deux côtés d'une seule médaille. Mais entretemps, avec les années, les deux sont presque devenues une. <br /><br /><strong>l’émiliE : Quel a été le moteur de Manon Presents Man, qu’est ce qui vous a donné l’envie d’exprimer cela ?</strong><br />Je visitais à Hambourg la petite rue - en principe défendue aux visiteuses - où les femmes s'exhibent dans des vitrines, la Herbertstrasse. ll y avait un exemple pour chaque goût masculin: la vamp, la ménagère, la petite fille, la domina, etc. Ça m'avait fascinée, je n'avais jamais vu ça. Plus tard, à Zürich, une galeriste venait de reprendre une ancienne boucherie comme galerie et m'a demandé de faire « une première ». Alors j'ai renversé les faits, en exposant dans les vitrines 7 hommes tous différents, il s'agissait à mon avis des plus beaux hommes de Zürich. <br /><br /><strong>l’émiliE : Pouvez-vous raconter ce qui vous a poussé à réaliser Le Boudoir à la couleur saumon, et comment vous l’avez pensé ?</strong> <br />Dans le temps, les artistes féministes (j'en étais une, et j'en suis une) voulaient travailler, peindre comme les hommes. Les hommes étaient la mesure absolue pour tout!! Comme si le féminin avait moins de valeur. Là je n'étais pas d'accord. Alors j'avais décidé de faire une installation on ne peut plus féminine, Le boudoir saumon - il n’a jamais existé un boudoir pour hommes. <br /><br /><strong>l’émiliE : Comment vous positionnez vous par rapport au féminisme, à vos débuts et maintenant ? Aviez vous un désir de faire avancer la cause des femmes artistes, ou simplement d’exprimer ce qui vous habitait, ou les deux ? Quelles réponses avez-vous eues de la part de théoriciennes ou d’artistes féministes au cours de votre carrière ?</strong><br />Bien sûr, je lisais Simone de Beauvoir, importante. Mais je voulais tout juste vivre comme j'en avais envie, avec mes côtés « féminins » et mes côtés « masculins », et je comptais vivre les deux. <br />Dans le temps, les féministes ne comprenaient pas très bien où j'allais, ça n’est venu que plus tard, peut-être après l’article dans [le journal] Emma. <br /><br /><strong>l’émiliE : Avez-vous des modèles féministes à qui vous vous référez ? Ou est-ce que vos modèles se situent ailleurs, des femmes fortes, réelles ou de fiction, comme Lola Montez, Manon Lescaut, Marlene Dietrich ?</strong> <br />J'avais fait une installation au musée de Saint-Gall (et ailleurs), Das Damenzimmer (La chambre des femmes, 1990/1996/2005), où je faisais l’éloge de 18 femmes qui m'avaient impressionnées. Presque toutes étaient devenues célèbres à la fin de leur vie ou même après leur mort. Je parle de Louise Nevelson, sculpteure, de Marlen Haushofer, écrivaine, de Billie Hollyday, chanteuse, de Verena Löwensberg, peintre, d’Elsa Sciaparelli, designer de mode, etc. <br /><br /><strong>l’émiliE : Estimez-vous que votre travail artistique est militant ?</strong><br />Je ne pense pas dans ces catégories, ni dans d'autres catégories. <br /><br /><strong>l’émiliE : Vous avez dit, « Un jour j’ai décidé de devenir Manon, la fille à la cravate saumon. » Ce mélange des codes de genre a accompagné toute votre production artistique. Au fil des années, vous vous êtes mise en scène de manière multiple : très féminine, ou déguisée en homme, androgyne, etc. Pouvez-vous me parler de ce qui vous attire dans la question du genre, de ses codes et du brouillage des codes? Diriez-vous que tous ces portraits de vous sont des parties de vous, ou des destinées possibles?</strong><br />Tout le monde a beaucoup de facettes, et mon travail m'a donné la possibilité d'en exprimer. Je ne suis pas actrice, je sors juste les côtés en moi qui expriment ce que je veux représenter. Ça peut être l'alcoolique comme la dame du monde, la sportive ou la malade. <br /><br /><strong>l’émiliE: Vous avez dit que les gays et les prostituées ont influencé votre travail. Pouvez-vous dire de quelle manière?</strong><br />J'ai toujours aimé les personnes en dehors de la bourgeoisie tranquille, comme les gays ou aussi les prostituées, car ils ont souvent une sorte de double vie, et ce n'est pas facile. <br /><br /><strong>l’émiliE : Un thème récurrent de votre travail est le rapport domination-soumission, de la femme objet, du mannequin inanimé. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?</strong> <br />Ce qui m'a fasciné par exemple dans l’histoire de Lola Montez, et que j'essayais de performer, c’est la femme dominée et abaissée qui finalement, vue de tout près, est tout aussi dominatrice. Moi-même je ne me suis pas laissé diriger, même étant enfant, ce qui a posé pas mal de problèmes. En tant qu'artiste de toute manière on n'a pas le choix. Il faut être égoïste, surtout en tant qu’artiste femme. <br /><br /><strong>l’émiliE : Dans l’exposition au CPG, vous présentez pour la moitié des mises en scène et pour moitié de prises de vue réelles. Est-ce que c’est une direction dans laquelle vous voulez aller maintenant ? Les prises de vues réelles sont l’envers du décor de la mise en scène, comme si vous montrez les coulisses, et il y a même une photo partielle de vous en reflet - il me semble que c’est la seule photo de vous qui n’est pas une mise en scène dans toute l’exposition. Diriez-vous que vous commencez à accepter de montrer la personne derrière Manon de cette manière indirecte ?</strong> <br />Vous avez raison, la photo nommée n'est pas une mise en scène. <br />Je ne sais pas où mon travail me mènera dans le futur. Il faut peut-être dire qu'il existe des centaines de photos non mises en scène, mes « diaries ». Un jour j'en ferai quelque chose. Je sais que j'ai une grande envie de faire d'autres livres, il y a tellement de matériel jamais montré - d'ailleurs un livre est en route. <br /><br /><strong>l’émiliE : Les deux tableaux lumineux sont des choix très forts ; pour moi, les lèvres sont une partie de vous qui paraît presque fausse, comme en cire, la bouche qui nous appelle dans votre univers, puis votre portrait en doré, glorieuse, à la fois révélée et déguisée par ce que vous portez, sur un trône qui est aussi un appareil de torture et de soins, dans cette pièce feutrée comme un cocon. Ce sont toutes les deux des images doubles, le vrai et le faux, la vérité et son contraire, où on ne vous voit pas, une image qui fonctionne à la fois comme un appel et un masque. Est-ce qu’on peut dire que ce sont les images qui représentent le mieux Manon en ce moment ? Ou le mieux votre travail en général? Ou celles qui permettent d’entrer dans votre univers plus intime, que vous révélez ensuite?</strong> <br />J'adore comme vous décrivez mes deux derniers tableaux, la femme dorée et les lèvres. Il est vrai, j'aime depuis toujours le double, ce que l’on croit voir, et puis ce qu'il y a peut-être derrière. L'attirance en même temps que le dégoût; la force et la faiblesse. <br /><br /><br />« Je ne voulais pas faire de l’art, je voulais être ma propre œuvre d’art. » Manon<br /><br />L’exposition est à voir au Centre de la photographie Genève jusqu’au 29 novembre.<br />Manon figurera également au programme de l’événement PerformanceProcess du Centre culturel suisse de Paris du 18 septembre au 13 décembre 2015.<br />Plus d’infos : http://www.ccsparis.com/events/view/performanceprocess<br /><br />Photo © <em>Manon, Selbstportrait in Gold</em>, <em>2011, courtesy Manon</em><br /><br /></p>
<p><img src="images/ici/03_Manon_Selbstportrait%20in%20Gold_2011_Courtesy%20Manon.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /><br /><br /><br /><strong>« If I had the choice between reality and legend, I would choose legend. » dit-elle ( Si je devais choisir entre la réalité et la légende, je choisirais la légende, ndlr). Pour sa première exposition institutionnelle en Suisse Romande, l’artiste et performeuse Manon (1946) se dévoile comme elle ne l’a encore jamais fait ; non plus uniquement sur le mode érotico-glamour, mais en donnant également accès à l’envers du décor à travers des photos des coulisses de ses mises en scène. Entre intériorité et jeu de miroirs, le soi et la multiplicité des images, l’exposition offre un accès à la personne derrière l’artiste sulfureuse.</strong> <br /><br /><strong>Il aura suffi de deux installations provocantes</strong> et avant-gardistes pour propulser Manon sous le feu des projecteurs de la scène artistique zurichoise: Das lachsfarbene Boudoir (Le Boudoir à la couleur saumon) (1974), où elle expose sa chambre à coucher, vingt ans avant Tracey Emin, et ses fétiches ; et Manon Presents Man (1976) où elle exhibe en vitrine sept hommes en chair et en os, sept exemples de ses fantasmes masculins - dont un avatar d’elle-même dans sa performance de 1975, La fin de Lola Montez, dans laquelle elle était enchaînée dans une cage en tenue S/M. Depuis, elle n’a cessé de travailler, à travers la mise en scène de sa propre image et dans toutes sortes de formats, les questions de genre, de domination et de soumission, du voyeurisme, du lien à l’image de soi utilisée comme masque. <br /><br /><strong>Le parcours de l’exposition</strong> du CPG a été soigneusement réfléchi et mêle prises de vues documentaires aux mises en scènes sélectionnées dans son œuvre. Le récit est fort : depuis un premier mur présentant des façades apparemment banales de lieux où elle a travaillé, un tapis rouge amène le visiteur à une installation lumineuse montrant des lèvres géantes, cramoisies, presque cirées. Impossible d’ignorer le message : on entre dans l’univers de Manon, du féminin, du sexuel, de l’image fonctionnant à la fois comme stimulus et barrière. Un rideau fait passer dans une salle complètement tapissée de molleton noir, comme dans un cocon, où règne un autre tableau lumineux, Selbstportrait in Gold (Autoportrait en or, 2011-2014). Manon apparaît ici dans toute sa splendeur dorée, à la fois dissimulée et moulée par sa tenue. Ce jeu entre la révélation de soi et l’image fonctionnant comme masque condense l’essence de l’œuvre de l’artiste. En face, un polaroid agrandi, tiré du légendaire Boudoir à la couleur saumon, dont d’autres images sont présentées plus loin. De là, une autre salle présente l’intérieur d’hôtels délabrés où la performeuse a travaillé, dans laquelle on aperçoit la femme au détour d’un reflet dans un miroir. La suite de l’exposition présente une série de mises en scène du processus de création de Manon, avant de finir sur une installation saisissante extraite des Elektrokardiogramm (1978).</p>
<hr />
<p><br /><br /><strong>L’exposition, à voir jusqu’au 29 novembre, a l’intérêt particulier de présenter une artiste jusqu’ici négligée en Suisse romande, de montrer des travaux inédits, et au-delà, semble être conçue comme une étape supplémentaire dans le dévoilement que Manon fait d’elle-même. Interview.</strong><br /><br /><br /><strong>l’émiliE : Pouvez-vous me dire comment est né le besoin d’avoir un autre nom, de créer une autre identité, et comment vous l’avez choisi ? Manon est-elle une personnalité fictive pour vous, ou une part de vous ? </strong><br /><strong>MANON </strong>: Mon enfance étant difficile, et portant le prénom que mes parents m’ont donné, et évidemment en plus le nom de famille de mon père, je voulais me libérer de tout ça: en me donnant un autre nom, mon propre nom, choisi par moi-même, court comme une « marque « , un « signet ». Je ne savais pas dans le temps qu'il serait un jour mon nom d'artiste - qui entretemps figure aussi dans mon passeport.<br />Je ne connaissais pas l'histoire de Manon Lescaut, mais étant enfant j'entendais mon oncle parler d'une « Manon » qu'il avait vue au cinéma et qu'il trouvait attirante, il parait qu'elle était toute petite, comme moi. Plus tard j'y ai repensé. <br /><br /><strong>l’émiliE : Manon est-elle une personnalité fictive pour vous, ou une part de vous ? Est-ce que votre rapport à cette autre partie de vous, à Manon l’artiste, a changé au cours des années ?</strong><br />La « Manon » est le devant, la face de la personne que je suis. Ma protectrice, car elle est forte ; la personne derrière ne l'est pas. C'est comme les deux côtés d'une seule médaille. Mais entretemps, avec les années, les deux sont presque devenues une. <br /><br /><strong>l’émiliE : Quel a été le moteur de Manon Presents Man, qu’est ce qui vous a donné l’envie d’exprimer cela ?</strong><br />Je visitais à Hambourg la petite rue - en principe défendue aux visiteuses - où les femmes s'exhibent dans des vitrines, la Herbertstrasse. ll y avait un exemple pour chaque goût masculin: la vamp, la ménagère, la petite fille, la domina, etc. Ça m'avait fascinée, je n'avais jamais vu ça. Plus tard, à Zürich, une galeriste venait de reprendre une ancienne boucherie comme galerie et m'a demandé de faire « une première ». Alors j'ai renversé les faits, en exposant dans les vitrines 7 hommes tous différents, il s'agissait à mon avis des plus beaux hommes de Zürich. <br /><br /><strong>l’émiliE : Pouvez-vous raconter ce qui vous a poussé à réaliser Le Boudoir à la couleur saumon, et comment vous l’avez pensé ?</strong> <br />Dans le temps, les artistes féministes (j'en étais une, et j'en suis une) voulaient travailler, peindre comme les hommes. Les hommes étaient la mesure absolue pour tout!! Comme si le féminin avait moins de valeur. Là je n'étais pas d'accord. Alors j'avais décidé de faire une installation on ne peut plus féminine, Le boudoir saumon - il n’a jamais existé un boudoir pour hommes. <br /><br /><strong>l’émiliE : Comment vous positionnez vous par rapport au féminisme, à vos débuts et maintenant ? Aviez vous un désir de faire avancer la cause des femmes artistes, ou simplement d’exprimer ce qui vous habitait, ou les deux ? Quelles réponses avez-vous eues de la part de théoriciennes ou d’artistes féministes au cours de votre carrière ?</strong><br />Bien sûr, je lisais Simone de Beauvoir, importante. Mais je voulais tout juste vivre comme j'en avais envie, avec mes côtés « féminins » et mes côtés « masculins », et je comptais vivre les deux. <br />Dans le temps, les féministes ne comprenaient pas très bien où j'allais, ça n’est venu que plus tard, peut-être après l’article dans [le journal] Emma. <br /><br /><strong>l’émiliE : Avez-vous des modèles féministes à qui vous vous référez ? Ou est-ce que vos modèles se situent ailleurs, des femmes fortes, réelles ou de fiction, comme Lola Montez, Manon Lescaut, Marlene Dietrich ?</strong> <br />J'avais fait une installation au musée de Saint-Gall (et ailleurs), Das Damenzimmer (La chambre des femmes, 1990/1996/2005), où je faisais l’éloge de 18 femmes qui m'avaient impressionnées. Presque toutes étaient devenues célèbres à la fin de leur vie ou même après leur mort. Je parle de Louise Nevelson, sculpteure, de Marlen Haushofer, écrivaine, de Billie Hollyday, chanteuse, de Verena Löwensberg, peintre, d’Elsa Sciaparelli, designer de mode, etc. <br /><br /><strong>l’émiliE : Estimez-vous que votre travail artistique est militant ?</strong><br />Je ne pense pas dans ces catégories, ni dans d'autres catégories. <br /><br /><strong>l’émiliE : Vous avez dit, « Un jour j’ai décidé de devenir Manon, la fille à la cravate saumon. » Ce mélange des codes de genre a accompagné toute votre production artistique. Au fil des années, vous vous êtes mise en scène de manière multiple : très féminine, ou déguisée en homme, androgyne, etc. Pouvez-vous me parler de ce qui vous attire dans la question du genre, de ses codes et du brouillage des codes? Diriez-vous que tous ces portraits de vous sont des parties de vous, ou des destinées possibles?</strong><br />Tout le monde a beaucoup de facettes, et mon travail m'a donné la possibilité d'en exprimer. Je ne suis pas actrice, je sors juste les côtés en moi qui expriment ce que je veux représenter. Ça peut être l'alcoolique comme la dame du monde, la sportive ou la malade. <br /><br /><strong>l’émiliE: Vous avez dit que les gays et les prostituées ont influencé votre travail. Pouvez-vous dire de quelle manière?</strong><br />J'ai toujours aimé les personnes en dehors de la bourgeoisie tranquille, comme les gays ou aussi les prostituées, car ils ont souvent une sorte de double vie, et ce n'est pas facile. <br /><br /><strong>l’émiliE : Un thème récurrent de votre travail est le rapport domination-soumission, de la femme objet, du mannequin inanimé. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?</strong> <br />Ce qui m'a fasciné par exemple dans l’histoire de Lola Montez, et que j'essayais de performer, c’est la femme dominée et abaissée qui finalement, vue de tout près, est tout aussi dominatrice. Moi-même je ne me suis pas laissé diriger, même étant enfant, ce qui a posé pas mal de problèmes. En tant qu'artiste de toute manière on n'a pas le choix. Il faut être égoïste, surtout en tant qu’artiste femme. <br /><br /><strong>l’émiliE : Dans l’exposition au CPG, vous présentez pour la moitié des mises en scène et pour moitié de prises de vue réelles. Est-ce que c’est une direction dans laquelle vous voulez aller maintenant ? Les prises de vues réelles sont l’envers du décor de la mise en scène, comme si vous montrez les coulisses, et il y a même une photo partielle de vous en reflet - il me semble que c’est la seule photo de vous qui n’est pas une mise en scène dans toute l’exposition. Diriez-vous que vous commencez à accepter de montrer la personne derrière Manon de cette manière indirecte ?</strong> <br />Vous avez raison, la photo nommée n'est pas une mise en scène. <br />Je ne sais pas où mon travail me mènera dans le futur. Il faut peut-être dire qu'il existe des centaines de photos non mises en scène, mes « diaries ». Un jour j'en ferai quelque chose. Je sais que j'ai une grande envie de faire d'autres livres, il y a tellement de matériel jamais montré - d'ailleurs un livre est en route. <br /><br /><strong>l’émiliE : Les deux tableaux lumineux sont des choix très forts ; pour moi, les lèvres sont une partie de vous qui paraît presque fausse, comme en cire, la bouche qui nous appelle dans votre univers, puis votre portrait en doré, glorieuse, à la fois révélée et déguisée par ce que vous portez, sur un trône qui est aussi un appareil de torture et de soins, dans cette pièce feutrée comme un cocon. Ce sont toutes les deux des images doubles, le vrai et le faux, la vérité et son contraire, où on ne vous voit pas, une image qui fonctionne à la fois comme un appel et un masque. Est-ce qu’on peut dire que ce sont les images qui représentent le mieux Manon en ce moment ? Ou le mieux votre travail en général? Ou celles qui permettent d’entrer dans votre univers plus intime, que vous révélez ensuite?</strong> <br />J'adore comme vous décrivez mes deux derniers tableaux, la femme dorée et les lèvres. Il est vrai, j'aime depuis toujours le double, ce que l’on croit voir, et puis ce qu'il y a peut-être derrière. L'attirance en même temps que le dégoût; la force et la faiblesse. <br /><br /><br />« Je ne voulais pas faire de l’art, je voulais être ma propre œuvre d’art. » Manon<br /><br />L’exposition est à voir au Centre de la photographie Genève jusqu’au 29 novembre.<br />Manon figurera également au programme de l’événement PerformanceProcess du Centre culturel suisse de Paris du 18 septembre au 13 décembre 2015.<br />Plus d’infos : http://www.ccsparis.com/events/view/performanceprocess<br /><br />Photo © <em>Manon, Selbstportrait in Gold</em>, <em>2011, courtesy Manon</em><br /><br /></p>
Des espaces publics sûrs. Pour toutes?
2015-10-20T03:16:13+00:00
2015-10-20T03:16:13+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/781-espaces-publics-la-securite-pour-toutes
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/ici/005_marylene_lieber_pic.jpeg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>La revue <a href="http://www.reiso.org/"><span style="text-decoration: underline;">Reiso.org</span></a> publie ce mois un texte de Marylène Lieber, sociologue, professeure associée en Etudes Genre à l’Université de Genève, intitulé <a href="http://www.reiso.org/spip.php?article5360"><span style="text-decoration: underline;">Les violences de genre dans l’espace public</span>.</a> Ces violences à l’encontre des femmes dans les espaces publics refont surface avec l’émergence de jeunes féministes. Jusque-là occultée, cette question qui devient «légitime», apparaît souvent en lien avec le thème des villes sûres, gentrifiées et blanches. l’émiliE a voulu en savoir plus. Interview.</strong><br /><br /><strong>l’émiliE : En quoi est-ce que l’espace public a une dimension politique et en quoi la mobilité est-elle sexuée ?</strong><br /><strong>Marylene Lieber </strong>: L’espace public est politique dans la mesure où c’est un lieu où se recréent les divisions sociales et où ces divisions sociales se marquent spatialement. L’espace public a été pensé la plupart du temps de manière neutre (c’est-à-dire par et pour les hommes) sans prise en compte de la diversité des personnes qui y évoluent. La question de la mobilité des femmes reste donc le plus souvent impensée. <br /><br /><strong>Ce qu’on appelle le harcèlement de rue n’est pourtant pas un phénomène récent…</strong><br />Non, ce n’est pas nouveau puisque la problématique a été au cœur des luttes féministes des années 1970 autour de la question du viol notamment. A cette époque, les féministes dénonçaient le fait que les femmes ne pouvaient pas se mouvoir librement dans l’espace public, puisqu’il y avait cette idée qu’elles devaient être chaperonnées, que l’espace public était dangereux pour elles. Mais ce phénomène est plus ancien, des historiennes montrent comment au XIXe siècle la mobilité des femmes était une question centrale pour la construction de la féminité, en lien avec une problématique de classe puisque les femmes des catégories populaires étaient, elles, dans cet espace public en tant que vendeuses, marchandes…<br /><br /><strong>Dans ce texte, vous dites que dans l’espace public, les femmes ont peur de crimes dont elles sont épargnées. Leur peur ne serait donc que pur fantasme?</strong><br />C’est ce que disent aussi certaines féministes. Cette perception du danger peut être considérée comme largement construite, sans lien réel avec les formes effectives de victimation. C’est une manière de reproduire la division entre espace privé (associé à la féminité) et espace public (associé au masculin). C’est la raison pour laquelle les féministes se sont assez peu occupées du harcèlement dans les espaces publics durant les années 2000, puisque pour elles, le vrai problème était la violence domestique. En effet, les crimes les plus courants à l’encontre des femmes sont le fait d’hommes qu’elles connaissent, conjoints ou ex-conjoints. Il y a effectivement un paradoxe. Les hommes sont davantage victimes dans l’espace public et les femmes sont davantage victimes dans l’espace privé. Cette séparation des sphères et cette représentation qu’on a du danger renvoie les femmes à l’espace privé mais il existe une multitudes d’actes, de paroles, d’intrusions qui fonctionnent comme des rappels à l’ordre sexués et qui font comprendre aux femmes qu’elles ne sont pas les bienvenues dans l’espace public. Ces rappels à l’ordre sexués sont des formes de menaces qui ne sont jamais enregistrées dans les statistiques, qui de fait ne nous donnent pas une image claire de ce qui se passe dans cet espace.<br /><br /><strong>Pourquoi faites-vous une différence entre harcèlement de rue et harcèlement dans l’espace public ?</strong><br />Quand on parle d’espace public, on parle de la rue mais pas seulement. On parle aussi des espaces accessibles. Il y a des espaces privés ouverts au public tels que les grandes surfaces ou des espaces publics à l’accès contrôlé tels que les administrations. Le harcèlement de rue se concentre lui sur un territoire spécifique : la rue. On spécifie une forme de harcèlement de la part de certaines personnes qui se trouvent davantage dans la rue, pour être directe, on parle avant tout d’hommes supposés sans activité. Focaliser sur ce type de harcèlement, c’est aussi une manière de moins parler de ce qui se passe dans les bureaux d’une banque par exemple. Il me paraît plus judicieux de parler de harcèlement dans les espaces publics.<br /><br /><strong>A ce propos, vous revenez sur le documentaire de la belge Sofie Peters et de son approche culturaliste. Selon vous, les pouvoirs publics s’attaqueraient au harcèlement dans l’espace public dès lors que les étrangers en seraient les auteurs ?</strong><br />Si on le présentait comme ça aux pouvoirs publics, ils s’en défendraient et je pense que les choses sont plus complexes. Dans cet article, je pose la question de savoir pourquoi à un moment donné la question du harcèlement réémerge, pourquoi elle semble davantage légitime aujourd’hui qu’hier. Dans la définition de ce harcèlement, on a plusieurs cadrages. D’une part, on a une définition féministe en droite ligne des années 1970 qui est inclusive (la question concerne toutes les femmes dans leur diversité) et d’autre part, on a une version plus simplifiée, plus audible qui ne questionne ni la diversité des femmes ni celle des hommes.</p>
<p>Dans ce documentaire, la réalisatrice favorise une seule explication «culturelle» du problème. Son analyse se réduit à l’interview d’un homme d’origine maghrébine, qui explique en substance que dans la religion musulmane la sexualité serait taboue et les (jeunes) hommes frustrés sexuellement. En choisissant de tourner son film dans un quartier populaire, le documentaire oriente non seulement la définition du problème en le présentant comme celui des seuls hommes d’origine étrangère et de religion musulmane, et n’engage aucune réflexion sur les lieux et les espaces, où se trouvent d’autres catégories sociales d’hommes. L’approche des rapports sociaux dans le film se réduit à une analyse en termes culturalistes, qui est une forme atténuée de racisme. On peut donc s’étonner que ce soit à ce moment-là que les autorités de Bruxelles se sont emparées du problème en créant un délit de harcèlement. Et on peut considérer que la réappropriation simplifiée de la problématique du harcèlement dans les espaces publics sert des intérêts plus larges, en lien avec le processus de gentrification.<br /><br /><strong>Vous faites un lien entre sécurité d’une part et féminité/ blancheur d’autre part, expliquez-nous…</strong> <br />Justement, dans la façon dont les féministes ont pensé la question de la mobilité des femmes et de la sécurité, il y avait une dimension extrêmement inclusive qui voulait mettre au jour un rapport social de domination qui pouvait prendre des formes variées et toucher les femmes de différentes façons. L’approche sécuritaire est tout autre : elle évacue les différences au sein des groupes sociaux, c’est une manière d’enlever la dimension sociale de la question. Au final, on fait émerger des quartiers blancs, à la «diversité gentrifiée» pourrait-on dire, c’est à dire qu’elle ne prend pas en compte les différentes catégories sociales parmi les femmes et les hommes. Et cette diversité qui est prise en compte ici permet de réaffirmer des frontières sociales et morales. Celles-ci repoussent hors des centres-villes les pauvres, les prostituées… Ne restent que les femmes issues de milieux sociaux favorisés.<br /><br /><strong>C’est le concept de villes agréables pour les femmes ?</strong><br />Oui, la sécurité des femmes comptent dans ces villes, elle devient même un marqueur de sécurité globale. Les autorités travaillent sur cette idée d’inclure la perspective des femmes et d’une mobilité sûre, mais quand on regarde qui sont ces femmes eh bien ce sont les femmes favorisées. Je vous donne un exemple concret au sujet d’un atelier sur la question à Paris auquel j’ai participé : toutes les propositions étaient totalement «bobo » et dès que les intérêts d’autres femmes (sans-papiers, prostituées, etc) étaient mis en avant, on leur opposait un discours maternaliste qui ne leur reconnaît pas le droit de cité.<br /><br /><strong>Les femmes qui tenaient ce discours maternaliste se définissent comme féministes ?</strong><br />Oui absolument et je pense qu’elles le sont, mais leur représentation de la diversité est totalement homogène, unifiée et ne prend pas du tout en compte la diversité des intérêts parmi les femmes, leurs situations distinctes et leurs rapports différents à l’espace public. <br /><br />Photo DR</p>
<p><strong><img src="images/ici/005_marylene_lieber_pic.jpeg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>La revue <a href="http://www.reiso.org/"><span style="text-decoration: underline;">Reiso.org</span></a> publie ce mois un texte de Marylène Lieber, sociologue, professeure associée en Etudes Genre à l’Université de Genève, intitulé <a href="http://www.reiso.org/spip.php?article5360"><span style="text-decoration: underline;">Les violences de genre dans l’espace public</span>.</a> Ces violences à l’encontre des femmes dans les espaces publics refont surface avec l’émergence de jeunes féministes. Jusque-là occultée, cette question qui devient «légitime», apparaît souvent en lien avec le thème des villes sûres, gentrifiées et blanches. l’émiliE a voulu en savoir plus. Interview.</strong><br /><br /><strong>l’émiliE : En quoi est-ce que l’espace public a une dimension politique et en quoi la mobilité est-elle sexuée ?</strong><br /><strong>Marylene Lieber </strong>: L’espace public est politique dans la mesure où c’est un lieu où se recréent les divisions sociales et où ces divisions sociales se marquent spatialement. L’espace public a été pensé la plupart du temps de manière neutre (c’est-à-dire par et pour les hommes) sans prise en compte de la diversité des personnes qui y évoluent. La question de la mobilité des femmes reste donc le plus souvent impensée. <br /><br /><strong>Ce qu’on appelle le harcèlement de rue n’est pourtant pas un phénomène récent…</strong><br />Non, ce n’est pas nouveau puisque la problématique a été au cœur des luttes féministes des années 1970 autour de la question du viol notamment. A cette époque, les féministes dénonçaient le fait que les femmes ne pouvaient pas se mouvoir librement dans l’espace public, puisqu’il y avait cette idée qu’elles devaient être chaperonnées, que l’espace public était dangereux pour elles. Mais ce phénomène est plus ancien, des historiennes montrent comment au XIXe siècle la mobilité des femmes était une question centrale pour la construction de la féminité, en lien avec une problématique de classe puisque les femmes des catégories populaires étaient, elles, dans cet espace public en tant que vendeuses, marchandes…<br /><br /><strong>Dans ce texte, vous dites que dans l’espace public, les femmes ont peur de crimes dont elles sont épargnées. Leur peur ne serait donc que pur fantasme?</strong><br />C’est ce que disent aussi certaines féministes. Cette perception du danger peut être considérée comme largement construite, sans lien réel avec les formes effectives de victimation. C’est une manière de reproduire la division entre espace privé (associé à la féminité) et espace public (associé au masculin). C’est la raison pour laquelle les féministes se sont assez peu occupées du harcèlement dans les espaces publics durant les années 2000, puisque pour elles, le vrai problème était la violence domestique. En effet, les crimes les plus courants à l’encontre des femmes sont le fait d’hommes qu’elles connaissent, conjoints ou ex-conjoints. Il y a effectivement un paradoxe. Les hommes sont davantage victimes dans l’espace public et les femmes sont davantage victimes dans l’espace privé. Cette séparation des sphères et cette représentation qu’on a du danger renvoie les femmes à l’espace privé mais il existe une multitudes d’actes, de paroles, d’intrusions qui fonctionnent comme des rappels à l’ordre sexués et qui font comprendre aux femmes qu’elles ne sont pas les bienvenues dans l’espace public. Ces rappels à l’ordre sexués sont des formes de menaces qui ne sont jamais enregistrées dans les statistiques, qui de fait ne nous donnent pas une image claire de ce qui se passe dans cet espace.<br /><br /><strong>Pourquoi faites-vous une différence entre harcèlement de rue et harcèlement dans l’espace public ?</strong><br />Quand on parle d’espace public, on parle de la rue mais pas seulement. On parle aussi des espaces accessibles. Il y a des espaces privés ouverts au public tels que les grandes surfaces ou des espaces publics à l’accès contrôlé tels que les administrations. Le harcèlement de rue se concentre lui sur un territoire spécifique : la rue. On spécifie une forme de harcèlement de la part de certaines personnes qui se trouvent davantage dans la rue, pour être directe, on parle avant tout d’hommes supposés sans activité. Focaliser sur ce type de harcèlement, c’est aussi une manière de moins parler de ce qui se passe dans les bureaux d’une banque par exemple. Il me paraît plus judicieux de parler de harcèlement dans les espaces publics.<br /><br /><strong>A ce propos, vous revenez sur le documentaire de la belge Sofie Peters et de son approche culturaliste. Selon vous, les pouvoirs publics s’attaqueraient au harcèlement dans l’espace public dès lors que les étrangers en seraient les auteurs ?</strong><br />Si on le présentait comme ça aux pouvoirs publics, ils s’en défendraient et je pense que les choses sont plus complexes. Dans cet article, je pose la question de savoir pourquoi à un moment donné la question du harcèlement réémerge, pourquoi elle semble davantage légitime aujourd’hui qu’hier. Dans la définition de ce harcèlement, on a plusieurs cadrages. D’une part, on a une définition féministe en droite ligne des années 1970 qui est inclusive (la question concerne toutes les femmes dans leur diversité) et d’autre part, on a une version plus simplifiée, plus audible qui ne questionne ni la diversité des femmes ni celle des hommes.</p>
<p>Dans ce documentaire, la réalisatrice favorise une seule explication «culturelle» du problème. Son analyse se réduit à l’interview d’un homme d’origine maghrébine, qui explique en substance que dans la religion musulmane la sexualité serait taboue et les (jeunes) hommes frustrés sexuellement. En choisissant de tourner son film dans un quartier populaire, le documentaire oriente non seulement la définition du problème en le présentant comme celui des seuls hommes d’origine étrangère et de religion musulmane, et n’engage aucune réflexion sur les lieux et les espaces, où se trouvent d’autres catégories sociales d’hommes. L’approche des rapports sociaux dans le film se réduit à une analyse en termes culturalistes, qui est une forme atténuée de racisme. On peut donc s’étonner que ce soit à ce moment-là que les autorités de Bruxelles se sont emparées du problème en créant un délit de harcèlement. Et on peut considérer que la réappropriation simplifiée de la problématique du harcèlement dans les espaces publics sert des intérêts plus larges, en lien avec le processus de gentrification.<br /><br /><strong>Vous faites un lien entre sécurité d’une part et féminité/ blancheur d’autre part, expliquez-nous…</strong> <br />Justement, dans la façon dont les féministes ont pensé la question de la mobilité des femmes et de la sécurité, il y avait une dimension extrêmement inclusive qui voulait mettre au jour un rapport social de domination qui pouvait prendre des formes variées et toucher les femmes de différentes façons. L’approche sécuritaire est tout autre : elle évacue les différences au sein des groupes sociaux, c’est une manière d’enlever la dimension sociale de la question. Au final, on fait émerger des quartiers blancs, à la «diversité gentrifiée» pourrait-on dire, c’est à dire qu’elle ne prend pas en compte les différentes catégories sociales parmi les femmes et les hommes. Et cette diversité qui est prise en compte ici permet de réaffirmer des frontières sociales et morales. Celles-ci repoussent hors des centres-villes les pauvres, les prostituées… Ne restent que les femmes issues de milieux sociaux favorisés.<br /><br /><strong>C’est le concept de villes agréables pour les femmes ?</strong><br />Oui, la sécurité des femmes comptent dans ces villes, elle devient même un marqueur de sécurité globale. Les autorités travaillent sur cette idée d’inclure la perspective des femmes et d’une mobilité sûre, mais quand on regarde qui sont ces femmes eh bien ce sont les femmes favorisées. Je vous donne un exemple concret au sujet d’un atelier sur la question à Paris auquel j’ai participé : toutes les propositions étaient totalement «bobo » et dès que les intérêts d’autres femmes (sans-papiers, prostituées, etc) étaient mis en avant, on leur opposait un discours maternaliste qui ne leur reconnaît pas le droit de cité.<br /><br /><strong>Les femmes qui tenaient ce discours maternaliste se définissent comme féministes ?</strong><br />Oui absolument et je pense qu’elles le sont, mais leur représentation de la diversité est totalement homogène, unifiée et ne prend pas du tout en compte la diversité des intérêts parmi les femmes, leurs situations distinctes et leurs rapports différents à l’espace public. <br /><br />Photo DR</p>
La prostitution folklo du Musée d'Orsay
2015-10-09T03:13:24+00:00
2015-10-09T03:13:24+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/777-la-prostitution-folko-du-musee-dorsay
Hellen Williams
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/OLYMPIA%20.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Le Musée d’Orsay à Paris présente jusqu’au 17 janvier 2016 l’exposition «Splendeurs et misères : Images de la prostitution, 1850-1910». Censée être une première, «Splendeurs…» promet dans les textes qui accompagnent tant sur le communiqué de presse, le site internet ou les panneaux de salles, «l’atmosphère fiévreuse du bordel», des salles réservées aux spectateurs-trices averti-e-s, du cabaret et un café polisson. Une expo pour s’encanailler donc, mais où les filles de joie sont reléguées au rang d’objet de spectacle et de consommation, affublées d’une «ivresse mélancolique» ou d’un machiavélisme cupide.</strong><br /><br /><strong>Les écrits, destinés à contextualiser les images et guider le public dans son approche des œuvres</strong>, esquivent pourtant gaillardement la question de la prostitution masculine, et celle de la présence de femmes non-prostituées dans les espaces publics à l’époque concernée. «Splendeurs… » s’alanguit en paroles sur les nouveaux lieux de socialisation de la modernité, dépeints uniquement comme des lupanars en puissance plutôt que comme ce qu’ils étaient aussi : des sites d’émancipation féminine. Pourquoi n'est-il pas fait mention, par exemple, que c’est dans une salle des Folies-Bergère à Marseille, en 1879, que la pionnière féministe Hubertine Auclert défendit pour la première fois devant le III Congrès ouvrier «l’égalité civile, politique, économique et sociale des hommes et des femmes» ? <br /><br /><strong>Et si Toulouse-Lautrec, Manet et compagnie n’avaient représenté des «filles»</strong> <strong>que pour mieux invisibiliser les femmes «honnêtes»</strong> prêtes elles aussi à s’approprier la ville, jusque-là terrain de jeu exclusivement masculin ? Est-ce un hasard si les femmes dans l’opéra sont des sœurs ou des amies lorsque les impressionnistes Mary Cassatt et Berthe Morisod les représentent sur la toile, alors qu’elles sont toutes à vendre chez Degas ? Pourquoi l’exposition ne propose-t-elle pas, pour contraster le pinceau masculiniste, une vision de l’époque dessinée par des femmes? <br /><br /><strong>Des interrogations sans doute</strong> peu bandantes pour le Musée d’Orsay qui préfère insister lourdement sur l’équation espaces publics = femmes publiques, et ne mentionner qu’en passant le «poids de la condition féminine» (sic) comme si le fardeau était inhérent au sexe féminin, plutôt qu’à un système patriarcal. Donnant ainsi une lecture incomplète et sexiste des œuvres présentées, privilégiant le regard dominateur du mâle blanc hétérosexuel. Les conservatrices et autres commissaires de l’exposition n’ont-elles rien trouvé à redire ? <br /><br /><strong>Pour l’historienne d’art Griselda Pollock</strong>, il serait temps de voir les femmes de la fin du XIXème siècle comme des symboles de modernité, plutôt que comme des victimes ou des conséquences malheureuses de cette modernité. Son analyse de l’Olympia de Manet, ouvrage phare de la période et du thème abordés par «Splendeurs…», dénonce d’ailleurs la «prostitutionnalisation» de l’autre sujet du tableau, la «servante» qui, par un raccourci interprétatif associant exotisme, servitude et sexualité, transforme une Parisienne travailleuse, intégrée dans la ville, en «attribut exotique d’une sexualité vénale». <br /><br /><strong>Mais le vrai problème de «Splendeurs et Misères»</strong>, c’est ce que Michel Grojnowski professeur émérite à Paris VII, et Mireille Dottin-Orsini, professeur de littérature comparée à l'Université du Mirail, appellent, dans leur article <a href="http://www.medias19.org/index.php?id=13387"><span style="text-decoration: underline;">La Prostitution dans la Presse Parisienne à la fin du XIXe siècle</span></a>, la «folklorisation» d’une prostitution «donnée à percevoir» «au travers du filtre de l’art». La prostitution n’est pas qu’images crues et chansons paillardes, elle est une transaction marchande parfois consensuelle, souvent inégalitaire. La «folklorisation» de cette transaction, par le biais d’expositions comme celle-ci, ou de films comme <em>L’Apollonide</em> de Bertrand Bonnello, présenté en complément, la trivialisent. Elle transforme une réalité qui pourrait être inconfortable pour le spectateur en fiction culturelle visant à stimuler sa(ses) bourse(s). <br /><br /><strong>Après «Masculin/Masculin. L’homme nu de 1800 à nos jours»</strong>, et «Sade. Attaquer le soleil», le Musée d’Orsay confirme avec «Splendeurs et Misères» son attachement aux sujets qui titillent, «susceptibles de heurter les sensibilités». Ce qui heurte la sensibilité, pourtant, et insulte l’intelligence du public, ce ne sont pas les représentations artistiques des sexualités de tous poils, mais bien cette façon éhontée de nous carrer profond des stéréotypes éculés. Espérons que les colloques et tables rondes accompagnant l’exposition sauront faire sauter les baleines de ces poncifs qui nous corsettent encore un siècle plus tard. <br /><br />Image, Edouard Manet, <em>Olympia</em>, huile sur toile, 130,5x190, 1863. Musée d'Orsay, Paris.<br /><br /></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/OLYMPIA%20.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Le Musée d’Orsay à Paris présente jusqu’au 17 janvier 2016 l’exposition «Splendeurs et misères : Images de la prostitution, 1850-1910». Censée être une première, «Splendeurs…» promet dans les textes qui accompagnent tant sur le communiqué de presse, le site internet ou les panneaux de salles, «l’atmosphère fiévreuse du bordel», des salles réservées aux spectateurs-trices averti-e-s, du cabaret et un café polisson. Une expo pour s’encanailler donc, mais où les filles de joie sont reléguées au rang d’objet de spectacle et de consommation, affublées d’une «ivresse mélancolique» ou d’un machiavélisme cupide.</strong><br /><br /><strong>Les écrits, destinés à contextualiser les images et guider le public dans son approche des œuvres</strong>, esquivent pourtant gaillardement la question de la prostitution masculine, et celle de la présence de femmes non-prostituées dans les espaces publics à l’époque concernée. «Splendeurs… » s’alanguit en paroles sur les nouveaux lieux de socialisation de la modernité, dépeints uniquement comme des lupanars en puissance plutôt que comme ce qu’ils étaient aussi : des sites d’émancipation féminine. Pourquoi n'est-il pas fait mention, par exemple, que c’est dans une salle des Folies-Bergère à Marseille, en 1879, que la pionnière féministe Hubertine Auclert défendit pour la première fois devant le III Congrès ouvrier «l’égalité civile, politique, économique et sociale des hommes et des femmes» ? <br /><br /><strong>Et si Toulouse-Lautrec, Manet et compagnie n’avaient représenté des «filles»</strong> <strong>que pour mieux invisibiliser les femmes «honnêtes»</strong> prêtes elles aussi à s’approprier la ville, jusque-là terrain de jeu exclusivement masculin ? Est-ce un hasard si les femmes dans l’opéra sont des sœurs ou des amies lorsque les impressionnistes Mary Cassatt et Berthe Morisod les représentent sur la toile, alors qu’elles sont toutes à vendre chez Degas ? Pourquoi l’exposition ne propose-t-elle pas, pour contraster le pinceau masculiniste, une vision de l’époque dessinée par des femmes? <br /><br /><strong>Des interrogations sans doute</strong> peu bandantes pour le Musée d’Orsay qui préfère insister lourdement sur l’équation espaces publics = femmes publiques, et ne mentionner qu’en passant le «poids de la condition féminine» (sic) comme si le fardeau était inhérent au sexe féminin, plutôt qu’à un système patriarcal. Donnant ainsi une lecture incomplète et sexiste des œuvres présentées, privilégiant le regard dominateur du mâle blanc hétérosexuel. Les conservatrices et autres commissaires de l’exposition n’ont-elles rien trouvé à redire ? <br /><br /><strong>Pour l’historienne d’art Griselda Pollock</strong>, il serait temps de voir les femmes de la fin du XIXème siècle comme des symboles de modernité, plutôt que comme des victimes ou des conséquences malheureuses de cette modernité. Son analyse de l’Olympia de Manet, ouvrage phare de la période et du thème abordés par «Splendeurs…», dénonce d’ailleurs la «prostitutionnalisation» de l’autre sujet du tableau, la «servante» qui, par un raccourci interprétatif associant exotisme, servitude et sexualité, transforme une Parisienne travailleuse, intégrée dans la ville, en «attribut exotique d’une sexualité vénale». <br /><br /><strong>Mais le vrai problème de «Splendeurs et Misères»</strong>, c’est ce que Michel Grojnowski professeur émérite à Paris VII, et Mireille Dottin-Orsini, professeur de littérature comparée à l'Université du Mirail, appellent, dans leur article <a href="http://www.medias19.org/index.php?id=13387"><span style="text-decoration: underline;">La Prostitution dans la Presse Parisienne à la fin du XIXe siècle</span></a>, la «folklorisation» d’une prostitution «donnée à percevoir» «au travers du filtre de l’art». La prostitution n’est pas qu’images crues et chansons paillardes, elle est une transaction marchande parfois consensuelle, souvent inégalitaire. La «folklorisation» de cette transaction, par le biais d’expositions comme celle-ci, ou de films comme <em>L’Apollonide</em> de Bertrand Bonnello, présenté en complément, la trivialisent. Elle transforme une réalité qui pourrait être inconfortable pour le spectateur en fiction culturelle visant à stimuler sa(ses) bourse(s). <br /><br /><strong>Après «Masculin/Masculin. L’homme nu de 1800 à nos jours»</strong>, et «Sade. Attaquer le soleil», le Musée d’Orsay confirme avec «Splendeurs et Misères» son attachement aux sujets qui titillent, «susceptibles de heurter les sensibilités». Ce qui heurte la sensibilité, pourtant, et insulte l’intelligence du public, ce ne sont pas les représentations artistiques des sexualités de tous poils, mais bien cette façon éhontée de nous carrer profond des stéréotypes éculés. Espérons que les colloques et tables rondes accompagnant l’exposition sauront faire sauter les baleines de ces poncifs qui nous corsettent encore un siècle plus tard. <br /><br />Image, Edouard Manet, <em>Olympia</em>, huile sur toile, 130,5x190, 1863. Musée d'Orsay, Paris.<br /><br /></p>
L'obsession du voile
2015-10-01T03:19:10+00:00
2015-10-01T03:19:10+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/773-lobsession-du-voile
Marc-Henri Remy
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/Voile.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>A la cérémonie d’ouverture de l’année académique en faculté de Théologie et Science des religions à l’Université de Lausanne, la parole était donnée à Silvia Naef, professeure à l’Unité d’arabe à l’Université de Genève, afin d’éclairer les questions sur le voile et le corps féminin, en revenant notamment sur la sémantique plurielle du mot voile et du regard occidental changeant sur cette pratique.</strong><br /><br /><strong>Le voile obsède les esprits</strong> de ceux qui se sont trouvés tout récemment une vocation dans le combat pour le droit des femmes. Que ce soit en France avec la loi contre le voile dans l’espace public, votée en 2010, ou en Suisse avec une première initiative passée au Tessin en 2013 et une autre en préparation en Valais («Pour des élèves tête nue dans les écoles valaisannes», ndlr), il serait ce symbole indiscutable de l’oppression des femmes dans le monde musulman qu’il faudrait interdire dans l’espace public, alors même que ce mot conduit bien souvent à, au mieux une ignorance, au pire une confusion complète sur ce que cela recouvre.</p>
<p><strong>Le voile est multiple,</strong> multiple dans ses interprétations, ses traductions et ses réalités matérielles. Il est souvent présenté comme une règle coranique, mais selon Naef, il s’agit d’interprétations et, il faudrait rajouter, d’interprétation sur des pratiques en vigueur à une certaine époque. En effet, il est évoqué dans le Coran des règles de pudeur – autant pour les hommes que pour les femmes, même si elles sont plus concernées – mais les manières réelles de faire sont vagues. Et les représentations visuelles exactes des premiers jours de l’islam sont rares. Et ces interprétations vont varier dans l’histoire. Par exemple, Naef évoque le fait que, lors de l’expansion de l’islam, le contact avec les milieux urbains ait conduit à des interprétations plus restrictives de ces règles.</p>
<p><strong>Pourtant, le regard occidental</strong> s’est construit dans le temps et a connu également des variations. A juste titre, Silvia Naef évoque les récits d’une femme anglaise en Turquie au XVIIIe siècle, se confrontant à des femmes voilées. Celle-ci, contre toute pensée actuelle, perçoit le voile non pas comme une oppression, mais bien comme une liberté. La liberté de pouvoir soustraire son corps à la vue de l’homme, perturbant le rapport de séduction hétérosexuel occidental. La liberté de pouvoir investir l’espace public grâce à ce voile. Ce n’est que bien plus tard que le voile sera défini comme un symbole d’oppression, notamment dès le début de la colonisation à la fin du XIXe siècle. Le dévoilement des femmes va devenir une guerre symbolique pour les Occidentaux, notamment lors des cérémonies de dévoilement imposées par le pouvoir colonial français en Algérie dans les années 50.</p>
<p><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/Devoilement.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /><br /><br /><strong>Aujourd’hui, parler du voile des femmes musulmanes permet de détourner</strong> les questions que pose la situation des femmes dans les sociétés occidentales, à commencer par les écarts salariaux encore présents. Il s’agit donc de nuancer et d’éviter de faire des amalgames grossiers, entre hier et aujourd’hui, entre ici et là-bas. Il s’agit, grâce à ces nuances, de réfléchir sur les moyens d’exprimer à la fois un féminisme différent et des revendications culturelles, surtout dans un contexte actuel discriminatoire envers l’islam comme le nôtre. Il s’agit aussi de réfléchir sur les politiques publiques mises en place, citées au-dessus : est-ce réellement aider ces femmes que de leur empêcher l’accès à l’espace public, aux écoles, à la société dans son ensemble ?</p>
<p><strong>Cette intervention fait suite à un colloque</strong> organisé en 2013 à l’Université de Genève sur la même thématique, et un livre est sorti en avril 2015 sous la direction de Silvia Naef, Yasmina Foehr-Janssens et Aline Schlaepfer (Voile, corps et pudeur : approches historiques et anthropologiques, Genève : Labor et Fides)</p>
<p>Photo 1, affiche de propagande du <span class="irc_su" style="text-align: left;" dir="ltr">5<sup>e</sup> bureau d'action psychologique de l'Armée française dans les années 50.</span></p>
<p><span class="irc_su" style="text-align: left;" dir="ltr">Photo 2, cérémonie de dévoilement en 1958.<br /></span></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/Voile.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>A la cérémonie d’ouverture de l’année académique en faculté de Théologie et Science des religions à l’Université de Lausanne, la parole était donnée à Silvia Naef, professeure à l’Unité d’arabe à l’Université de Genève, afin d’éclairer les questions sur le voile et le corps féminin, en revenant notamment sur la sémantique plurielle du mot voile et du regard occidental changeant sur cette pratique.</strong><br /><br /><strong>Le voile obsède les esprits</strong> de ceux qui se sont trouvés tout récemment une vocation dans le combat pour le droit des femmes. Que ce soit en France avec la loi contre le voile dans l’espace public, votée en 2010, ou en Suisse avec une première initiative passée au Tessin en 2013 et une autre en préparation en Valais («Pour des élèves tête nue dans les écoles valaisannes», ndlr), il serait ce symbole indiscutable de l’oppression des femmes dans le monde musulman qu’il faudrait interdire dans l’espace public, alors même que ce mot conduit bien souvent à, au mieux une ignorance, au pire une confusion complète sur ce que cela recouvre.</p>
<p><strong>Le voile est multiple,</strong> multiple dans ses interprétations, ses traductions et ses réalités matérielles. Il est souvent présenté comme une règle coranique, mais selon Naef, il s’agit d’interprétations et, il faudrait rajouter, d’interprétation sur des pratiques en vigueur à une certaine époque. En effet, il est évoqué dans le Coran des règles de pudeur – autant pour les hommes que pour les femmes, même si elles sont plus concernées – mais les manières réelles de faire sont vagues. Et les représentations visuelles exactes des premiers jours de l’islam sont rares. Et ces interprétations vont varier dans l’histoire. Par exemple, Naef évoque le fait que, lors de l’expansion de l’islam, le contact avec les milieux urbains ait conduit à des interprétations plus restrictives de ces règles.</p>
<p><strong>Pourtant, le regard occidental</strong> s’est construit dans le temps et a connu également des variations. A juste titre, Silvia Naef évoque les récits d’une femme anglaise en Turquie au XVIIIe siècle, se confrontant à des femmes voilées. Celle-ci, contre toute pensée actuelle, perçoit le voile non pas comme une oppression, mais bien comme une liberté. La liberté de pouvoir soustraire son corps à la vue de l’homme, perturbant le rapport de séduction hétérosexuel occidental. La liberté de pouvoir investir l’espace public grâce à ce voile. Ce n’est que bien plus tard que le voile sera défini comme un symbole d’oppression, notamment dès le début de la colonisation à la fin du XIXe siècle. Le dévoilement des femmes va devenir une guerre symbolique pour les Occidentaux, notamment lors des cérémonies de dévoilement imposées par le pouvoir colonial français en Algérie dans les années 50.</p>
<p><img src="images/genresfeminismes/Devoilement.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /><br /><br /><strong>Aujourd’hui, parler du voile des femmes musulmanes permet de détourner</strong> les questions que pose la situation des femmes dans les sociétés occidentales, à commencer par les écarts salariaux encore présents. Il s’agit donc de nuancer et d’éviter de faire des amalgames grossiers, entre hier et aujourd’hui, entre ici et là-bas. Il s’agit, grâce à ces nuances, de réfléchir sur les moyens d’exprimer à la fois un féminisme différent et des revendications culturelles, surtout dans un contexte actuel discriminatoire envers l’islam comme le nôtre. Il s’agit aussi de réfléchir sur les politiques publiques mises en place, citées au-dessus : est-ce réellement aider ces femmes que de leur empêcher l’accès à l’espace public, aux écoles, à la société dans son ensemble ?</p>
<p><strong>Cette intervention fait suite à un colloque</strong> organisé en 2013 à l’Université de Genève sur la même thématique, et un livre est sorti en avril 2015 sous la direction de Silvia Naef, Yasmina Foehr-Janssens et Aline Schlaepfer (Voile, corps et pudeur : approches historiques et anthropologiques, Genève : Labor et Fides)</p>
<p>Photo 1, affiche de propagande du <span class="irc_su" style="text-align: left;" dir="ltr">5<sup>e</sup> bureau d'action psychologique de l'Armée française dans les années 50.</span></p>
<p><span class="irc_su" style="text-align: left;" dir="ltr">Photo 2, cérémonie de dévoilement en 1958.<br /></span></p>
Manon, pionnière de la performance
2015-09-17T02:26:45+00:00
2015-09-17T02:26:45+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/766-manon-pionniere-de-la-performance
REDACTION
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/ici/03_Manon_Selbstportrait%20in%20Gold_2011_Courtesy%20Manon.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Le Centre de la photographie présente la première exposition institutionnelle de l’œuvre de l’artiste Manon en Suisse romande. Née en 1946 à Berne, cette pionnière de l’art de la performance, lauréate en 2008 du prestigieux Prix Meret Oppenheim, fait partie de l’avant-garde européenne de l’art féministe. L’une des figures les plus marquantes de l’art suisse des quarante dernières années, Manon figurera également au programme de l’événement PerformanceProcess du Centre culturel suisse de Paris du 18 septembre au 13 décembre 2015. </strong><br /><br /><strong>Sa production artistique polymorphe</strong> inclut des environnements, des sculptures, des performances, des installations - le tout articulé autour de la photographie qui occupe une place centrale dans sa démarche. Profondément marquée par une conscience féministe, Manon, contrairement à ses contemporaines des années 70, ne vise ni la provocation, ni le militantisme. Son travail se situe plutôt dans une sphère fantasmagorique où luxure et jeux de rôles se mêlent en un monde onirique, parfois même cauchemardesque. Sa vie est son art et son art est sa vie : «Je ne voulais pas faire de l’art, je voulais être ma propre œuvre d’art!». Une quête de beauté imprègne profondément son œuvre, portée par la conscience que cet objet de désir ne peut tendre que vers la ruine.<br /><br /><strong>C’est en 1974 que Manon entre de manière fracassante dans la scène artistique de Zurich</strong> en exhibant littéralement son «univers» dans la pièce Boudoir à la couleur saumon, à la Galerie Lily Tobler. Elle règne à cette époque telle une fleur vénéneuse dans les bars de la scène zurichoise où se croisent, entre autres, Dieter Meier, Ursula Hodel, David Weiss ou encore Urs Lüthi. L’univers mystérieux qu’elle constitue se nourrit notamment d’influences cinématographiques allant de Marcel Ophüls (<em>Lola Montes</em>) à Josef von Sternberg (<em>Lady from Shanghaï</em>), en passant par les mélodrames de Douglas Sirk, Werner Rainer Fassbinder et de son ami Daniel Schmid.<br /><br />À partir de 1978, Manon se consacre exclusivement au travail photographique en se mettant elle-même en scène devant la caméra. Comme dans ses performances, elle utilise son corps comme support et le décline en des prises de vues dont elle contrôle tous les aspects, du cadrage à la lumière en passant par le maquillage et les costumes. Ce corps reste encore à ce jour à la base de son travail, abordant désormais avec une ironie douce-amère les thèmes de l’âge, de la perte du pouvoir de séduction et de la santé.<br /><br /><strong>L’exposition au CPG</strong> regroupera des œuvres majeures de l’artiste ainsi que plusieurs pièces inédites et produites spécialement pour l’occasion. Elle explorera les différentes représentations de l’espace personnel de l’artiste, autant intérieur qu’extérieur, tout en investissant et remodelant l’espace d’exposition lui-même. Le public découvrira un aspect inattendu de l’œuvre de l’artiste qui peut être considéré comme une sorte de démontage de l’image érotico-glamoureuse que nous connaissons d’elle. Cette approche innovante de l’œuvre de Manon couvrira ainsi un large panorama, de ses débuts dans les années 70, jusqu’à ses créations les plus récentes.<br /><br /><strong>Manon sera présente au vernissage du Centre de la photographie, le jeudi 17 septembre.</strong> <br />Exposition au Centre de la photographie, Genève<br />Du 18 septembre au 29 novembre 2015 / Vernissage jeudi 17 septembre dès 18h<br />Plus d’infos : http://www.centrephotogeneve.ch/index.php</p>
<p>Photo © <em>Manon, Selbstportrait in Gold</em>, <em>2011, courtesy Manon</em></p>
<p><strong><img src="images/ici/03_Manon_Selbstportrait%20in%20Gold_2011_Courtesy%20Manon.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Le Centre de la photographie présente la première exposition institutionnelle de l’œuvre de l’artiste Manon en Suisse romande. Née en 1946 à Berne, cette pionnière de l’art de la performance, lauréate en 2008 du prestigieux Prix Meret Oppenheim, fait partie de l’avant-garde européenne de l’art féministe. L’une des figures les plus marquantes de l’art suisse des quarante dernières années, Manon figurera également au programme de l’événement PerformanceProcess du Centre culturel suisse de Paris du 18 septembre au 13 décembre 2015. </strong><br /><br /><strong>Sa production artistique polymorphe</strong> inclut des environnements, des sculptures, des performances, des installations - le tout articulé autour de la photographie qui occupe une place centrale dans sa démarche. Profondément marquée par une conscience féministe, Manon, contrairement à ses contemporaines des années 70, ne vise ni la provocation, ni le militantisme. Son travail se situe plutôt dans une sphère fantasmagorique où luxure et jeux de rôles se mêlent en un monde onirique, parfois même cauchemardesque. Sa vie est son art et son art est sa vie : «Je ne voulais pas faire de l’art, je voulais être ma propre œuvre d’art!». Une quête de beauté imprègne profondément son œuvre, portée par la conscience que cet objet de désir ne peut tendre que vers la ruine.<br /><br /><strong>C’est en 1974 que Manon entre de manière fracassante dans la scène artistique de Zurich</strong> en exhibant littéralement son «univers» dans la pièce Boudoir à la couleur saumon, à la Galerie Lily Tobler. Elle règne à cette époque telle une fleur vénéneuse dans les bars de la scène zurichoise où se croisent, entre autres, Dieter Meier, Ursula Hodel, David Weiss ou encore Urs Lüthi. L’univers mystérieux qu’elle constitue se nourrit notamment d’influences cinématographiques allant de Marcel Ophüls (<em>Lola Montes</em>) à Josef von Sternberg (<em>Lady from Shanghaï</em>), en passant par les mélodrames de Douglas Sirk, Werner Rainer Fassbinder et de son ami Daniel Schmid.<br /><br />À partir de 1978, Manon se consacre exclusivement au travail photographique en se mettant elle-même en scène devant la caméra. Comme dans ses performances, elle utilise son corps comme support et le décline en des prises de vues dont elle contrôle tous les aspects, du cadrage à la lumière en passant par le maquillage et les costumes. Ce corps reste encore à ce jour à la base de son travail, abordant désormais avec une ironie douce-amère les thèmes de l’âge, de la perte du pouvoir de séduction et de la santé.<br /><br /><strong>L’exposition au CPG</strong> regroupera des œuvres majeures de l’artiste ainsi que plusieurs pièces inédites et produites spécialement pour l’occasion. Elle explorera les différentes représentations de l’espace personnel de l’artiste, autant intérieur qu’extérieur, tout en investissant et remodelant l’espace d’exposition lui-même. Le public découvrira un aspect inattendu de l’œuvre de l’artiste qui peut être considéré comme une sorte de démontage de l’image érotico-glamoureuse que nous connaissons d’elle. Cette approche innovante de l’œuvre de Manon couvrira ainsi un large panorama, de ses débuts dans les années 70, jusqu’à ses créations les plus récentes.<br /><br /><strong>Manon sera présente au vernissage du Centre de la photographie, le jeudi 17 septembre.</strong> <br />Exposition au Centre de la photographie, Genève<br />Du 18 septembre au 29 novembre 2015 / Vernissage jeudi 17 septembre dès 18h<br />Plus d’infos : http://www.centrephotogeneve.ch/index.php</p>
<p>Photo © <em>Manon, Selbstportrait in Gold</em>, <em>2011, courtesy Manon</em></p>
Dans la mémoire collective féminine valaisanne
2015-09-16T06:23:25+00:00
2015-09-16T06:23:25+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/765-dans-la-memoire-collective-feminine-valaisanne
Clothilde Palazzo
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/Valais.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Pour lutter contre les inégalités, les chemins de traverse réservent des surprises même avec de jeunes étudiant·e·s. Comme lors de l’organisation de cette exposition sur les femmes en Valais. Cet article fait partie du Dossier 2015 de <a href="http://www.reiso.org/"><span style="text-decoration: underline;">REISO</span></a> intitulé <em>(In)égalités de genre</em>.</strong><br /><br />Au mois de mars 2014, un petit groupe de femmes, réunissant des historiennes, des sociologues, des politiciennes, des retraitées et des jeunes femmes actives fait, avec amertume, le constat d’une forme d’oubli des femmes dans les projets célébrant la commémoration de l’entrée du Valais dans la Confédération Helvétique (200 ans). Elles constituent l’association Via Mulieris [1] à la suite de discussions animées qu’elles ont eues avec certaines femmes du groupe de sélection des projets où les habituels arguments ont été avancés : «De fait, il n’y avait quasiment pas de projets proposés par les femmes». «Ils étaient de qualité médiocre». Et la sempiternelle question : «Que voulez-vous que l’on fasse si les femmes ne se mobilisent pas ?» Tant les arguments que la question attestent d’une méconnaissance totale des mécanismes de reproduction de la domination masculine que sont l’auto-exclusion et la crainte. Ce qui, soit dit en passant, devrait être connu des organes de décisions.</p>
<p>Lors de cette réunion, quelques enseignantes de la Haute Ecole de Travail Social Valais/Wallis proposent de créer une exposition grand public, bilingue, itinérante et interactive avec la collaboration de dix-huit étudiantes et de deux étudiants venant de toute la Suisse dans le cadre d’un module d’approfondissement sur la corporéité. La réalisation de ce projet a été un défi conséquent, notamment à cause des contraintes matérielles et de l’absence de moyens, tous les organismes potentiellement financeurs ayant été largement sollicités dans le cadre des manifestations officielles ! Au final, le Secrétariat à l’égalité et à la famille du Canton du Valais et une association féministe, Solidarité Femmes, leur allouent une somme rondelette, couvrant les frais d’impression.</p>
<p><strong>L’étiquette «féministe» en Valais ou ailleurs</strong><br />Se lancer dans un événement promouvant l’égalité requiert de l’audace. C’est prendre le risque de s’afficher comme féministe. Dans le contexte actuel, c’est assurément le début d’un processus émancipatoire. Au final, six thématiques choisies par les étudiant·e·s interrogent le travail de production et de reproduction des femmes ainsi que leur place dans l’espace public au travers du sport et de la fanfare. Le réseau médiatique est sollicité et le gratin politique au complet est invité au vernissage de l’exposition : «Des voix et des femmes… Stimmen der Frauen», le 13 janvier 2015 [2]. L’événement est animé par une performance théâtrale offerte par des collègues de la HES-SO Valais faisant partie de la troupe Silex et il est dynamisé par la visite surprise de l’unique conseillère d’Etat valaisanne, Esther Waeber Kalbermatten !<br />La participation des étudiant·e·s à ce type d’action se heurte à des injonctions contradictoires : une relative liberté opposée aux exigences du mandant et de l’école. Monter une exposition demande de l’autonomie et de la créativité. Faire un dessin original, sélectionner des photos d’époque et en créer les cadres. Mettre en pratique des capacités de réseautage (contacter un ami dessinateur pour obtenir des caricatures par exemple). Comme l’exposition est destinée à faire connaître une jeune association sous l’égide d’une Haute Ecole, elle ne peut se résumer à un bricolage trop grossier et doit être scientifiquement pertinente.</p>
<p><strong>Des conditions stressantes pour les étudiant·e·s</strong><br />Une petite part des étudiantes ont été déstabilisées par le timing serré, les moyens aléatoires et les doutes inhérents à ce type de projet. Un vent de panique a soufflé durant la réalisation du travail. Certaines ont requestionné l’organisation et mis en cause leur propre légitimité à produire une «véritable» exposition. D’autres se sont plaintes de l’ampleur de la tâche ou encore ont changé de thématique sans en informer, à temps, l’équipe encadrante. Lors du montage de l’exposition, la tension était palpable et les quelques mécontentes ont communiqué leur angoisse aux autres. Les personnes les plus déstabilisées ont été celles qui s’inscrivent dans des trajectoires de «bonnes élèves sur-adaptées». Elles sont attentives au travail bien fait, mais chronophage, et se font du «souci». Anxieuses, elles assument plus difficilement ce qui pourrait être un échec. Vouloir faire les choses «comme il faut» les fait hésiter à s’engager, à prendre le leadership (Morley et al., 2010) si elles n’ont pas tous les éléments en main.</p>
<p>On retrouve là des caractéristiques qui ont été mises en évidence dans nombre d’études portant sur l’école ou sur la production scientifique. A l’inverse, les étudiants ont traité le travail avec plus de détachement, se reposant un peu sur le travail de leurs collègues, se laissant des marges de manœuvre dans ce qui leur était demandé ou s’accordant certaines libertés. A l’instar de ce que les enseignant·e·s peuvent expérimenter au quotidien, les étudiants ont fait preuve d’un «engagement moins tangible» (Roy, Bouchard et Turcotte, 2012 : 57). Il est piquant de retrouver un rapport genré au savoir dans un projet visant à sensibiliser aux questions de genre !</p>
<p><strong>La prise de parole des femmes</strong><br />L’exposition est une réussite, appréciée du public. Elle a eu une bonne presse. Un ethnologue renommé s’y est même arrêté dans un article de la presse régionale [3]. Elle voyage dans les principales villes du Valais et se trouve dans la capitale au moment des célébrations officielles du bicentenaire. Une galerie bien connue de la place tient ses portes ouvertes durant la période estivale tout exprès pour accueillir l’événement.</p>
<p>Les déplacements prévus aux mois d’octobre et novembre 2015, dans les médiathèques francophones et germanophones, permettront d’intensifier les liens unissant les deux parties linguistiques du Valais et de diffuser du savoir sur les femmes. Des historiennes et des sociologues se sont d’ores et déjà engagées à assurer une conférence. Symboliquement, cette exposition a permis de donner la parole aux femmes d’aujourd’hui tout en faisant un travail de mémoire par la perspective socio-historique choisie. Par le fait qu’elle soit accessible à tous et toutes, elle remplit un des rôles d’une école de travail social : à savoir faire naître le débat sur l’égalité au quotidien et alimenter les questions de genre dans l’espace public. En ce sens, elle contribue à réduire les inégalités entre les sexes.</p>
<p>Cela étant, le projet a souffert des tensions habituelles qui traversent la défense de ce qui est vu comme cause minoritaire oscillant entre politisation et dépolitisation.</p>
<p>La politisation, que l’on peut définir comme l’entrée d’une thématique dans le champ politique et l’espace public, se lit dans la sensibilisation des étudiant·e·s sur la place des femmes dans la société, et dans leur familiarisation avec la perspective des rapports sociaux de sexe. Chausser des lunettes genre est en effet primordial pour le travail social d’une part, parce que la population féminine, à divers titres, court plus de risques d’être cliente des services sociaux. Ces lunettes sont importantes d’autre part, parce que les jeunes femmes qui se forment en travail social représentent environ 75 % des effectifs mais pâtissent de la division sexuelle du travail puisque très peu d’entre elles deviennent cadre. L’exercice a permis la mise au jour des modèles d’identification et fait partie, à l’évidence, d’une démarche de conscientisation.</p>
<p><strong>Les espaces de mobilisation des femmes</strong><br />Afin de mener à bien ce projet, des mobilisations plurielles ont été nécessaires (réseaux personnels et professionnels, associations féministes et féminines, pôle académique, féminisme institutionnel). C’est sans conteste une façon de construire «un espace de la cause des femmes» (Bereni, 2009 :302). Mobilisations utiles car, sans elles, à la lumière de l’année écoulée, les manifestations du bicentenaire auraient consacré la disparition ou du moins l’invisibilité des femmes de l’espace public valaisan.</p>
<p>La dépolitisation, la sortie de l’espace public, tient principalement au fait de la temporalité particulière du module et des conditions spécifiques liées à la participation d’étudiant·e·s. En effet, les modalités incertaines de la réalisation du travail, la fin du module et, donc, le dispersement des étudiant·e·s ne permettent pas d’affirmer que chacun·e, en tant que professionnel·le, s’engagera dans la lutte contre les inégalités entre femmes et hommes ou dans le transfert de la part subversive des questions de genre dans ses pratiques.</p>
<p>La question de la dépolitisation se pose également en termes de formation. Sachant que les étudiant·e·s seront confronté·e·s dans le travail social à une forme de prise de risque, à l’urgence et à la nécessité de faire preuve d’une bonne dose d’adaptabilité, la difficulté qu’elles et ils ont éprouvé à composer avec l’incertitude, soulève des questions. En tant qu’enseignant·e·s, ne sommes-nous pas trop prudent·e·s quant à la liberté que nous leur octroyons ? Dans quelle mesure, la formation que nous proposons parvient-elle à dépasser les inégalités entre les sexes produites durant la scolarité ? Quelle place donnons-nous dans le cursus à l’émergence d’alternatives émancipatoires d’un point de vue du genre afin de rendre les jeunes femmes que nous formons moins timorées ?</p>
<p><strong>La mise en œuvre d’une utopie citoyenne</strong><br />Nonobstant les limites présentées ici, ce projet peut être considéré comme la mise en œuvre d’une utopie, celle qui consiste à «proposer un imaginaire alternatif inventant des souhaitables qui servent de moteur» (Hansotte 2008 :10). D’une manière générale cette initiative a permis de cultiver des «intelligences citoyennes». A savoir: «… les modalités créatives par lesquelles un groupe "se paie le luxe d’interroger", y compris joyeusement, les rôles sociaux» et les différents rapports sociaux, «pour les détricoter, débusquer ce que ces différents rapports ont d’arbitraire et d’injuste» (Hansotte, 2008 : 10).<br />Si ce qui est mis en scène n’est pas fondamentalement nouveau, le fait que l’exposition existe s’apparente à un acte de résistance. Les couleurs choisies, celles de la grève des femmes de 1991, fuchsia et violet, l’exclusivité de la parole donnée aux femmes, les thèmes relativement féminins et le fait qu’elle ait été une des premières manifestations commémoratives représentent un pied de nez sympathique à l’establishment masculin et andro-centré du Valais. La présence de l’exposition au cœur des festivités du bicentenaire, alors même que les femmes, en tant que catégorie sociale, n’y avaient pas été officiellement conviées, témoigne de la puissance de l’impertinence culturelle (Hansotte, 2008).</p>
<p>Cette exposition souligne l’importance des «artifices d’égalité» qui cherchent à créer des conditions pour que la participation soit possible (Carrel, 2007) comme outils du travail social. Le fait que, durant les célébrations, on parlera des femmes grâce à la ténacité de quelques-unes atteste aussi du potentiel de transformations sociales qu’une Haute Ecole peut accompagner. Faire jouer les structures d’opportunités en partenariat avec des acteurs de la société civile appartient à ce que je pourrais appeler un féminisme pragmatique. Il «tente l’inclusion plutôt que la théorisation», il «affirme d’emblée ses possibles limites» (Sauzon, 2012 :5). C’est sans conteste une façon de construire l’égalité réelle (Modak et Martin, 2015).</p>
<hr />
<p><br /><strong>Bibliographie</strong><br />CARREL, Marion. Pauvreté, citoyenneté et participation. Quatre positions dans le débat sur la «participation des habitants». In Neveu, Catherine (Ed). Cultures et pratiques participatives. Perspectives comparatives. Paris : L’Harmattan, 2007.<br />HANSOTTE, Majo. Paroles partagées et intelligences citoyennes. Colloque Paroles Partagées, Lyon : 2008.<br />SAUZON, Virginie. «La déviance en réseau : Grisélidis Réal, Virginie Despentes et le féminisme pragmatique», TRANS- [En ligne], 13 | 2012, mis en ligne le 24 juin 2012, consulté le 07 juin 2015. →Lien<br />BERENI, Laure. Quand la mise à l’agenda ravive les mobilisations féministes. L’espace de la cause des femmes et la parité politique (1997-2000). Revue française de science politique, vol 59, 2009/2.<br />MARTIN Hélène et Marianne MODAK. →De la banalité des inégalités, Revue REISO, 19 janvier 2015.<br />MORLEY Chantal et al. Etude de l’apprentissage du leadership dans le travail de groupe : quelle place pour le genre ? Perspectives féministes en éducation. Nouvelles Questions Féministes, vol 29, n°2, 2010. Lausanne : Antipodes<br />ROY Jacques, Josée BOUCHARD et Marie-Anne TURCOTTE. La construction identitaire des garçons et la réussite au cégep. Service social, vol. 58, n° 1, 2012, p. 55-67.</p>
<hr />
<p><br />[1] Voir les sites internet →Via Mulieris.ch ainsi que →Patrimoine Hérémence et →Silex.<br />[2] Voir cette page de présentation sur REISO<br />[3] Bernard Crettaz, dans le magazine Culture, supplément du Nouvelliste, mai 2015<br /><br /></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/Valais.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Pour lutter contre les inégalités, les chemins de traverse réservent des surprises même avec de jeunes étudiant·e·s. Comme lors de l’organisation de cette exposition sur les femmes en Valais. Cet article fait partie du Dossier 2015 de <a href="http://www.reiso.org/"><span style="text-decoration: underline;">REISO</span></a> intitulé <em>(In)égalités de genre</em>.</strong><br /><br />Au mois de mars 2014, un petit groupe de femmes, réunissant des historiennes, des sociologues, des politiciennes, des retraitées et des jeunes femmes actives fait, avec amertume, le constat d’une forme d’oubli des femmes dans les projets célébrant la commémoration de l’entrée du Valais dans la Confédération Helvétique (200 ans). Elles constituent l’association Via Mulieris [1] à la suite de discussions animées qu’elles ont eues avec certaines femmes du groupe de sélection des projets où les habituels arguments ont été avancés : «De fait, il n’y avait quasiment pas de projets proposés par les femmes». «Ils étaient de qualité médiocre». Et la sempiternelle question : «Que voulez-vous que l’on fasse si les femmes ne se mobilisent pas ?» Tant les arguments que la question attestent d’une méconnaissance totale des mécanismes de reproduction de la domination masculine que sont l’auto-exclusion et la crainte. Ce qui, soit dit en passant, devrait être connu des organes de décisions.</p>
<p>Lors de cette réunion, quelques enseignantes de la Haute Ecole de Travail Social Valais/Wallis proposent de créer une exposition grand public, bilingue, itinérante et interactive avec la collaboration de dix-huit étudiantes et de deux étudiants venant de toute la Suisse dans le cadre d’un module d’approfondissement sur la corporéité. La réalisation de ce projet a été un défi conséquent, notamment à cause des contraintes matérielles et de l’absence de moyens, tous les organismes potentiellement financeurs ayant été largement sollicités dans le cadre des manifestations officielles ! Au final, le Secrétariat à l’égalité et à la famille du Canton du Valais et une association féministe, Solidarité Femmes, leur allouent une somme rondelette, couvrant les frais d’impression.</p>
<p><strong>L’étiquette «féministe» en Valais ou ailleurs</strong><br />Se lancer dans un événement promouvant l’égalité requiert de l’audace. C’est prendre le risque de s’afficher comme féministe. Dans le contexte actuel, c’est assurément le début d’un processus émancipatoire. Au final, six thématiques choisies par les étudiant·e·s interrogent le travail de production et de reproduction des femmes ainsi que leur place dans l’espace public au travers du sport et de la fanfare. Le réseau médiatique est sollicité et le gratin politique au complet est invité au vernissage de l’exposition : «Des voix et des femmes… Stimmen der Frauen», le 13 janvier 2015 [2]. L’événement est animé par une performance théâtrale offerte par des collègues de la HES-SO Valais faisant partie de la troupe Silex et il est dynamisé par la visite surprise de l’unique conseillère d’Etat valaisanne, Esther Waeber Kalbermatten !<br />La participation des étudiant·e·s à ce type d’action se heurte à des injonctions contradictoires : une relative liberté opposée aux exigences du mandant et de l’école. Monter une exposition demande de l’autonomie et de la créativité. Faire un dessin original, sélectionner des photos d’époque et en créer les cadres. Mettre en pratique des capacités de réseautage (contacter un ami dessinateur pour obtenir des caricatures par exemple). Comme l’exposition est destinée à faire connaître une jeune association sous l’égide d’une Haute Ecole, elle ne peut se résumer à un bricolage trop grossier et doit être scientifiquement pertinente.</p>
<p><strong>Des conditions stressantes pour les étudiant·e·s</strong><br />Une petite part des étudiantes ont été déstabilisées par le timing serré, les moyens aléatoires et les doutes inhérents à ce type de projet. Un vent de panique a soufflé durant la réalisation du travail. Certaines ont requestionné l’organisation et mis en cause leur propre légitimité à produire une «véritable» exposition. D’autres se sont plaintes de l’ampleur de la tâche ou encore ont changé de thématique sans en informer, à temps, l’équipe encadrante. Lors du montage de l’exposition, la tension était palpable et les quelques mécontentes ont communiqué leur angoisse aux autres. Les personnes les plus déstabilisées ont été celles qui s’inscrivent dans des trajectoires de «bonnes élèves sur-adaptées». Elles sont attentives au travail bien fait, mais chronophage, et se font du «souci». Anxieuses, elles assument plus difficilement ce qui pourrait être un échec. Vouloir faire les choses «comme il faut» les fait hésiter à s’engager, à prendre le leadership (Morley et al., 2010) si elles n’ont pas tous les éléments en main.</p>
<p>On retrouve là des caractéristiques qui ont été mises en évidence dans nombre d’études portant sur l’école ou sur la production scientifique. A l’inverse, les étudiants ont traité le travail avec plus de détachement, se reposant un peu sur le travail de leurs collègues, se laissant des marges de manœuvre dans ce qui leur était demandé ou s’accordant certaines libertés. A l’instar de ce que les enseignant·e·s peuvent expérimenter au quotidien, les étudiants ont fait preuve d’un «engagement moins tangible» (Roy, Bouchard et Turcotte, 2012 : 57). Il est piquant de retrouver un rapport genré au savoir dans un projet visant à sensibiliser aux questions de genre !</p>
<p><strong>La prise de parole des femmes</strong><br />L’exposition est une réussite, appréciée du public. Elle a eu une bonne presse. Un ethnologue renommé s’y est même arrêté dans un article de la presse régionale [3]. Elle voyage dans les principales villes du Valais et se trouve dans la capitale au moment des célébrations officielles du bicentenaire. Une galerie bien connue de la place tient ses portes ouvertes durant la période estivale tout exprès pour accueillir l’événement.</p>
<p>Les déplacements prévus aux mois d’octobre et novembre 2015, dans les médiathèques francophones et germanophones, permettront d’intensifier les liens unissant les deux parties linguistiques du Valais et de diffuser du savoir sur les femmes. Des historiennes et des sociologues se sont d’ores et déjà engagées à assurer une conférence. Symboliquement, cette exposition a permis de donner la parole aux femmes d’aujourd’hui tout en faisant un travail de mémoire par la perspective socio-historique choisie. Par le fait qu’elle soit accessible à tous et toutes, elle remplit un des rôles d’une école de travail social : à savoir faire naître le débat sur l’égalité au quotidien et alimenter les questions de genre dans l’espace public. En ce sens, elle contribue à réduire les inégalités entre les sexes.</p>
<p>Cela étant, le projet a souffert des tensions habituelles qui traversent la défense de ce qui est vu comme cause minoritaire oscillant entre politisation et dépolitisation.</p>
<p>La politisation, que l’on peut définir comme l’entrée d’une thématique dans le champ politique et l’espace public, se lit dans la sensibilisation des étudiant·e·s sur la place des femmes dans la société, et dans leur familiarisation avec la perspective des rapports sociaux de sexe. Chausser des lunettes genre est en effet primordial pour le travail social d’une part, parce que la population féminine, à divers titres, court plus de risques d’être cliente des services sociaux. Ces lunettes sont importantes d’autre part, parce que les jeunes femmes qui se forment en travail social représentent environ 75 % des effectifs mais pâtissent de la division sexuelle du travail puisque très peu d’entre elles deviennent cadre. L’exercice a permis la mise au jour des modèles d’identification et fait partie, à l’évidence, d’une démarche de conscientisation.</p>
<p><strong>Les espaces de mobilisation des femmes</strong><br />Afin de mener à bien ce projet, des mobilisations plurielles ont été nécessaires (réseaux personnels et professionnels, associations féministes et féminines, pôle académique, féminisme institutionnel). C’est sans conteste une façon de construire «un espace de la cause des femmes» (Bereni, 2009 :302). Mobilisations utiles car, sans elles, à la lumière de l’année écoulée, les manifestations du bicentenaire auraient consacré la disparition ou du moins l’invisibilité des femmes de l’espace public valaisan.</p>
<p>La dépolitisation, la sortie de l’espace public, tient principalement au fait de la temporalité particulière du module et des conditions spécifiques liées à la participation d’étudiant·e·s. En effet, les modalités incertaines de la réalisation du travail, la fin du module et, donc, le dispersement des étudiant·e·s ne permettent pas d’affirmer que chacun·e, en tant que professionnel·le, s’engagera dans la lutte contre les inégalités entre femmes et hommes ou dans le transfert de la part subversive des questions de genre dans ses pratiques.</p>
<p>La question de la dépolitisation se pose également en termes de formation. Sachant que les étudiant·e·s seront confronté·e·s dans le travail social à une forme de prise de risque, à l’urgence et à la nécessité de faire preuve d’une bonne dose d’adaptabilité, la difficulté qu’elles et ils ont éprouvé à composer avec l’incertitude, soulève des questions. En tant qu’enseignant·e·s, ne sommes-nous pas trop prudent·e·s quant à la liberté que nous leur octroyons ? Dans quelle mesure, la formation que nous proposons parvient-elle à dépasser les inégalités entre les sexes produites durant la scolarité ? Quelle place donnons-nous dans le cursus à l’émergence d’alternatives émancipatoires d’un point de vue du genre afin de rendre les jeunes femmes que nous formons moins timorées ?</p>
<p><strong>La mise en œuvre d’une utopie citoyenne</strong><br />Nonobstant les limites présentées ici, ce projet peut être considéré comme la mise en œuvre d’une utopie, celle qui consiste à «proposer un imaginaire alternatif inventant des souhaitables qui servent de moteur» (Hansotte 2008 :10). D’une manière générale cette initiative a permis de cultiver des «intelligences citoyennes». A savoir: «… les modalités créatives par lesquelles un groupe "se paie le luxe d’interroger", y compris joyeusement, les rôles sociaux» et les différents rapports sociaux, «pour les détricoter, débusquer ce que ces différents rapports ont d’arbitraire et d’injuste» (Hansotte, 2008 : 10).<br />Si ce qui est mis en scène n’est pas fondamentalement nouveau, le fait que l’exposition existe s’apparente à un acte de résistance. Les couleurs choisies, celles de la grève des femmes de 1991, fuchsia et violet, l’exclusivité de la parole donnée aux femmes, les thèmes relativement féminins et le fait qu’elle ait été une des premières manifestations commémoratives représentent un pied de nez sympathique à l’establishment masculin et andro-centré du Valais. La présence de l’exposition au cœur des festivités du bicentenaire, alors même que les femmes, en tant que catégorie sociale, n’y avaient pas été officiellement conviées, témoigne de la puissance de l’impertinence culturelle (Hansotte, 2008).</p>
<p>Cette exposition souligne l’importance des «artifices d’égalité» qui cherchent à créer des conditions pour que la participation soit possible (Carrel, 2007) comme outils du travail social. Le fait que, durant les célébrations, on parlera des femmes grâce à la ténacité de quelques-unes atteste aussi du potentiel de transformations sociales qu’une Haute Ecole peut accompagner. Faire jouer les structures d’opportunités en partenariat avec des acteurs de la société civile appartient à ce que je pourrais appeler un féminisme pragmatique. Il «tente l’inclusion plutôt que la théorisation», il «affirme d’emblée ses possibles limites» (Sauzon, 2012 :5). C’est sans conteste une façon de construire l’égalité réelle (Modak et Martin, 2015).</p>
<hr />
<p><br /><strong>Bibliographie</strong><br />CARREL, Marion. Pauvreté, citoyenneté et participation. Quatre positions dans le débat sur la «participation des habitants». In Neveu, Catherine (Ed). Cultures et pratiques participatives. Perspectives comparatives. Paris : L’Harmattan, 2007.<br />HANSOTTE, Majo. Paroles partagées et intelligences citoyennes. Colloque Paroles Partagées, Lyon : 2008.<br />SAUZON, Virginie. «La déviance en réseau : Grisélidis Réal, Virginie Despentes et le féminisme pragmatique», TRANS- [En ligne], 13 | 2012, mis en ligne le 24 juin 2012, consulté le 07 juin 2015. →Lien<br />BERENI, Laure. Quand la mise à l’agenda ravive les mobilisations féministes. L’espace de la cause des femmes et la parité politique (1997-2000). Revue française de science politique, vol 59, 2009/2.<br />MARTIN Hélène et Marianne MODAK. →De la banalité des inégalités, Revue REISO, 19 janvier 2015.<br />MORLEY Chantal et al. Etude de l’apprentissage du leadership dans le travail de groupe : quelle place pour le genre ? Perspectives féministes en éducation. Nouvelles Questions Féministes, vol 29, n°2, 2010. Lausanne : Antipodes<br />ROY Jacques, Josée BOUCHARD et Marie-Anne TURCOTTE. La construction identitaire des garçons et la réussite au cégep. Service social, vol. 58, n° 1, 2012, p. 55-67.</p>
<hr />
<p><br />[1] Voir les sites internet →Via Mulieris.ch ainsi que →Patrimoine Hérémence et →Silex.<br />[2] Voir cette page de présentation sur REISO<br />[3] Bernard Crettaz, dans le magazine Culture, supplément du Nouvelliste, mai 2015<br /><br /></p>
Quand on est une femme seule réfugiée
2015-09-09T03:16:47+00:00
2015-09-09T03:16:47+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/760-quand-on-est-une-femme-seule-refugiee
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/syrienne.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Quand on est une femme seule réfugiée, la vie ne va pas de soi. Sur les quatre millions de personnes qui fuient la guerre en Syrie, des femmes seules luttent pour leur survie et celle de leurs enfants. Si une partie d’entre elles parvient en Europe, la plupart croupissent dans les camps de Jordanie, d’Irak ou du Liban avec pour unique horizon, la violence.</strong><br /><br /><strong>Si les organisations humanitaires</strong> ont actuellement bien d’autres soucis que d’établir des statistiques sur ces femmes, un rapport du Haut Commissariat aux Réfugiés, intitulé <em>Femme seule</em> avait été publié l’année dernière motivant quelques reporters à aller dans ces camps, à la rencontre de ces Syriennes. Basé sur les témoignages personnels de 135 de ces femmes, recueillis au cours de trois mois d’entretiens début 2014, le rapport du HCR établissait à l’époque que 145'000 familles étaient dirigées par des femmes, contraintes d’assumer seules la responsabilité de leur foyer après que leur mari a été tué, enlevé ou séparé pour une raison ou une autre. Et face au cruel manque d’argent, elles doivent se battre sans cesse pour leur loyer, pour la nourriture, pour les médicaments.<br /><br /><strong>En 2015, la situation de ces femmes</strong> ne s’est guère améliorée et le nombre de réfugiées n’a fait qu’augmenter. Après avoir épuisé leurs économies et vendu leur alliance, elles doivent compter sur l’aide extérieure, aléatoire et souvent dérisoire. Mais selon l’ONG <em>Jordanian Women Union</em>, c’est leur isolement-même qui rend l’accès aux aides compliqué : «Alors qu’elles ont encore plus besoin de soutien que les autres, beaucoup de femmes seules ne peuvent pas se rendre dans les centres sociaux et auprès des ONG car elles ne peuvent pas laisser seuls leurs enfants et les transports coûtent trop cher». Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés António Guterres explique que «pour des centaines de milliers de femmes, fuir leur patrie en ruine n’a été que la première étape d’un parcours semé d’embûches». Après avoir échappé à la guerre, elles sont confrontées à d’autres formes de violence tout aussi traumatisantes comme le raconte Nuha, arrivée au Caire avec son mari où peu de temps après, il a été assassiné : «Je ne veux pas quitter mon domicile à cause de la tristesse que j’ai dans mon cœur», dit-elle. «Nous avons fui la mort en Syrie pour la retrouver ici en Egypte». De nombreuses femmes se sont plaintes d’être harcelées verbalement – par des chauffeurs de taxi, des conducteurs de bus, des propriétaires, des prestataires de services, et par des hommes dans les magasins, sur le marché, dans les transports publics et même lors des distributions d’aide. «Une femme seule en Egypte est une proie pour tous les hommes», explique Diala, qui vit à Alexandrie. Même histoire en Jordanie selon Zahwa qui dit avoir été harcelée par des réfugiés en allant chercher des coupons alimentaires : «Je vivais dans la dignité, mais maintenant personne ne me respecte parce que je ne suis pas avec un homme». <br /><br /><strong>Beaucoup refusent de s’exprimer sur les violences sexuelles</strong> qu’elles subissent. Au camp de Zaatari en Jordanie, où s’entassent désormais 200'000 personnes, le quotidien de ces femmes réfugiées respecte scrupuleusement la loi du silence. A l'intérieur du camp, pourtant, la sécurité des femmes n'est pas assurée, au point qu'Amnesty International avait lancé une campagne dès 2013 sur ce sujet précis en demandant aux autorités jordaniennes d'agir afin que les réfugiées puissent accéder en toute sécurité aux espaces publics du camp y compris aux toilettes, en empêchant notamment le vandalisme sur les éclairages. Toutefois, le lieu de ces agressions ne se limite pas au camp, comme l'ont constaté deux journalistes français Bruno Pieretti et Emmanuel Raspiengeas qui ont poussé leur investigation un peu plus à l’ouest jusqu’à Al Mafraq, ville-bordel de la région. Dans leur excellent <a href="http://rue89.nouvelobs.com/2014/02/08/prostitution-discrete-refugiees-syriennes-249750"><span style="text-decoration: underline;">reportage</span></a>, publié dans Rue89, ils décrivent l’exploitation, la prostitution, le tourisme marital et le fantasme de la femme syrienne blonde aux yeux bleus. Ils racontent que «dans les rues défilent Saoudiens, Qataris, Yéménites et Jordaniens riches venus de villes plus au Sud» et qu’«aux portes du désert, plus aucun fantasme n’est trop dur, ni aucun goût trop bizarre. Il suffit de se marier, puis d’abandonner. Tout le panel des obsédés sexuels se retrouve dans les sables entre Mafrak et Zaatari». <br /><br /><strong>Najwa, une des rares à en parler ouvertement</strong>, a témoigné au HCR de sa propre expérience : «Dans notre société, une femme qui vit seule n’est pas respectée. Une femme doit toujours être entourée d’un mari ou de parents. Les gens pensent donc que si je vis seule, c’est parce que je suis une sorte de prostituée. A chaque fois que quelqu’un me propose de l’aide, il me demande ensuite des services sexuels en échange». Aujourd’hui, au sein du HCR, Najwa accompagne les réfugiées qui ont subi les mêmes violences.<br /><br /><strong>Si la majorité des femmes sont désemparées</strong> au regard du nouveau rôle qu’elles doivent tenir au sein de la famille, d’autres en revanche, loin de leurs maris et de la structure familiale traditionnelle, y trouvent l’occasion de s’émanciper et sont assez fières de vivre sans le soutien d’un homme. C’est le cas de Suraya qui cuisine dans la cafétéria du camp de Zaatari. Pour elle, c’est clair : «Quand je rentrerai en Syrie, il faudra que je travaille. Je n’imagine pas revenir un jour à mon ancienne vie de femme au foyer». D’autres encore, plus téméraires, tentent le voyage jusqu’en Europe. Dina qui vient d’arriver en Allemagne, seule avec ses deux enfants, savoure son exploit et sa nouvelle liberté. L’avenir enfin ?<br /><br />Photo © Oxfam, <em>Une femme avec ses enfants au camp de Zaatari.</em><br /><br /> <br /><br /><br /></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/syrienne.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Quand on est une femme seule réfugiée, la vie ne va pas de soi. Sur les quatre millions de personnes qui fuient la guerre en Syrie, des femmes seules luttent pour leur survie et celle de leurs enfants. Si une partie d’entre elles parvient en Europe, la plupart croupissent dans les camps de Jordanie, d’Irak ou du Liban avec pour unique horizon, la violence.</strong><br /><br /><strong>Si les organisations humanitaires</strong> ont actuellement bien d’autres soucis que d’établir des statistiques sur ces femmes, un rapport du Haut Commissariat aux Réfugiés, intitulé <em>Femme seule</em> avait été publié l’année dernière motivant quelques reporters à aller dans ces camps, à la rencontre de ces Syriennes. Basé sur les témoignages personnels de 135 de ces femmes, recueillis au cours de trois mois d’entretiens début 2014, le rapport du HCR établissait à l’époque que 145'000 familles étaient dirigées par des femmes, contraintes d’assumer seules la responsabilité de leur foyer après que leur mari a été tué, enlevé ou séparé pour une raison ou une autre. Et face au cruel manque d’argent, elles doivent se battre sans cesse pour leur loyer, pour la nourriture, pour les médicaments.<br /><br /><strong>En 2015, la situation de ces femmes</strong> ne s’est guère améliorée et le nombre de réfugiées n’a fait qu’augmenter. Après avoir épuisé leurs économies et vendu leur alliance, elles doivent compter sur l’aide extérieure, aléatoire et souvent dérisoire. Mais selon l’ONG <em>Jordanian Women Union</em>, c’est leur isolement-même qui rend l’accès aux aides compliqué : «Alors qu’elles ont encore plus besoin de soutien que les autres, beaucoup de femmes seules ne peuvent pas se rendre dans les centres sociaux et auprès des ONG car elles ne peuvent pas laisser seuls leurs enfants et les transports coûtent trop cher». Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés António Guterres explique que «pour des centaines de milliers de femmes, fuir leur patrie en ruine n’a été que la première étape d’un parcours semé d’embûches». Après avoir échappé à la guerre, elles sont confrontées à d’autres formes de violence tout aussi traumatisantes comme le raconte Nuha, arrivée au Caire avec son mari où peu de temps après, il a été assassiné : «Je ne veux pas quitter mon domicile à cause de la tristesse que j’ai dans mon cœur», dit-elle. «Nous avons fui la mort en Syrie pour la retrouver ici en Egypte». De nombreuses femmes se sont plaintes d’être harcelées verbalement – par des chauffeurs de taxi, des conducteurs de bus, des propriétaires, des prestataires de services, et par des hommes dans les magasins, sur le marché, dans les transports publics et même lors des distributions d’aide. «Une femme seule en Egypte est une proie pour tous les hommes», explique Diala, qui vit à Alexandrie. Même histoire en Jordanie selon Zahwa qui dit avoir été harcelée par des réfugiés en allant chercher des coupons alimentaires : «Je vivais dans la dignité, mais maintenant personne ne me respecte parce que je ne suis pas avec un homme». <br /><br /><strong>Beaucoup refusent de s’exprimer sur les violences sexuelles</strong> qu’elles subissent. Au camp de Zaatari en Jordanie, où s’entassent désormais 200'000 personnes, le quotidien de ces femmes réfugiées respecte scrupuleusement la loi du silence. A l'intérieur du camp, pourtant, la sécurité des femmes n'est pas assurée, au point qu'Amnesty International avait lancé une campagne dès 2013 sur ce sujet précis en demandant aux autorités jordaniennes d'agir afin que les réfugiées puissent accéder en toute sécurité aux espaces publics du camp y compris aux toilettes, en empêchant notamment le vandalisme sur les éclairages. Toutefois, le lieu de ces agressions ne se limite pas au camp, comme l'ont constaté deux journalistes français Bruno Pieretti et Emmanuel Raspiengeas qui ont poussé leur investigation un peu plus à l’ouest jusqu’à Al Mafraq, ville-bordel de la région. Dans leur excellent <a href="http://rue89.nouvelobs.com/2014/02/08/prostitution-discrete-refugiees-syriennes-249750"><span style="text-decoration: underline;">reportage</span></a>, publié dans Rue89, ils décrivent l’exploitation, la prostitution, le tourisme marital et le fantasme de la femme syrienne blonde aux yeux bleus. Ils racontent que «dans les rues défilent Saoudiens, Qataris, Yéménites et Jordaniens riches venus de villes plus au Sud» et qu’«aux portes du désert, plus aucun fantasme n’est trop dur, ni aucun goût trop bizarre. Il suffit de se marier, puis d’abandonner. Tout le panel des obsédés sexuels se retrouve dans les sables entre Mafrak et Zaatari». <br /><br /><strong>Najwa, une des rares à en parler ouvertement</strong>, a témoigné au HCR de sa propre expérience : «Dans notre société, une femme qui vit seule n’est pas respectée. Une femme doit toujours être entourée d’un mari ou de parents. Les gens pensent donc que si je vis seule, c’est parce que je suis une sorte de prostituée. A chaque fois que quelqu’un me propose de l’aide, il me demande ensuite des services sexuels en échange». Aujourd’hui, au sein du HCR, Najwa accompagne les réfugiées qui ont subi les mêmes violences.<br /><br /><strong>Si la majorité des femmes sont désemparées</strong> au regard du nouveau rôle qu’elles doivent tenir au sein de la famille, d’autres en revanche, loin de leurs maris et de la structure familiale traditionnelle, y trouvent l’occasion de s’émanciper et sont assez fières de vivre sans le soutien d’un homme. C’est le cas de Suraya qui cuisine dans la cafétéria du camp de Zaatari. Pour elle, c’est clair : «Quand je rentrerai en Syrie, il faudra que je travaille. Je n’imagine pas revenir un jour à mon ancienne vie de femme au foyer». D’autres encore, plus téméraires, tentent le voyage jusqu’en Europe. Dina qui vient d’arriver en Allemagne, seule avec ses deux enfants, savoure son exploit et sa nouvelle liberté. L’avenir enfin ?<br /><br />Photo © Oxfam, <em>Une femme avec ses enfants au camp de Zaatari.</em><br /><br /> <br /><br /><br /></p>
Sense8 des Wachowski, saison 1
2015-09-07T03:19:49+00:00
2015-09-07T03:19:49+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/759-sense8-des-wachowski-saison-1
Marc-Henri Remy
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/sense8.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Entrer dans <em>Sense8</em>, la série originale sortie cet été sur Netflix, écrite et réalisée par Lana et Andy Wachowski, c’est se plonger dans une aventure qui transcende les frontières et les différences. Dans la filmographie des Wachowski, et notamment suite à leur chef-d’œuvre mésestimé <em>Cloud Atlas</em>, les identités se confondent, se fluidifient…</strong><br /><br /><strong>L’aspect fantastique</strong> – huit personnes qui peuvent communiquer, voire prendre possession du corps de l’autre à des milliers de kilomètres les uns des autres – est une sorte d’allégorie de notre époque ultra connectée. Mais à la différence d’autres séries qui mesurent nos avancées technologiques sous un œil critique (voir <em>Black Mirror</em>), <em>Sense8</em> propose de les envisager comme un moyen de s’entraider, d’apporter ses connaissances et son expérience à d’autres qui en ont besoin. Et, encore une fois, de passer outre les frontières culturelles.<br /><br />Parmi la galerie de personnages tous plus attachants les uns que les autres, celui de Nomi sort très clairement du lot. Interprétée par l’actrice Jamie Clayton, elle joue le rôle d’une activiste politique sur Internet au passé de hackeuse. Elle est aussi trans MtF, en couple avec Amanita. En termes de visibilité des minorités LGBTQ, <em>Sense8</em> met ainsi en avant deux couples, un lesbien et un gay – les seuls en fait déjà existants au début de l’histoire - aux difficultés propres, mais surtout qui exposent à leur manière, une certaine "normalité" : j’entends ici non pas selon des principes normatifs du modèle hétérocentré, mais bien d’une vie de couple à la fois singulière et similaire à tant d’autres. Ce sont deux couples très liés, dont l’amour est puissant : Amanita, qui n’hésite pas une seule seconde à suivre Nomi et à la secourir par tous les moyens, et Hernando, le compagnon de Lito, qui accepte de rester dans l’ombre, non sans réticence, du succès médiatique de Lito afin d’éviter de compromettre sa carrière d’acteur. Cette série met ainsi en lumière les nombreux problèmes actuels : assumer son orientation sexuelle ou son identité de genre sans que cela ne compromette une carrière ou une exposition médiatique, la violence des mots et le rôle des proches dans ce qui peut détruire ou sauver une vie. <br /><br /><strong>Mais il y a aussi le personnage de Sun</strong>, joué par Bae Doona (Cloud Atlas), fille d’un riche homme d’affaire coréen, est un exemple de vie de lutte entre ombre et lumière. Sa participation dans l’entreprise de son père passe inaperçue, voire est méprisée par ceux qui ne font le lien avec son père. Pourtant, elle réussit, dans l’ombre, à être une furieuse combattante de kickboxing, une compétence qui servira plus tard au groupe. Cette héroïne offre une image très valorisante et très positive de figure féminine.</p>
<p><strong>En outre, deux passages, deux discours</strong> résonnent plus que d’autres dans ce récit qui prend toute son ampleur si on pense au fait que Lana Wachowksi est aussi passée par une transition, tout comme Nomi. Le premier se situe au début de l’aventure, alors que Nomi et Amanita assistent à la Pride de San Francisco : <br />«<em>J’ai beaucoup repensé à ma vie et aux erreurs que j’ai commises. Celles que j’ai gardées en moi, celles que je regrette, sont celles que j’ai commises par peur. Pendant longtemps, j’avais peur de qui j’étais, car mes parents m’ont toujours dit qu’il y avait quelque chose de travers chez les gens comme moi. Quelque chose d’offensant, quelque chose à éviter, peut-être même plaindre. Quelque chose qu’on ne pourrait jamais aimer. Ma mère est une adepte de St-Thomas d’Aquin. Elle voit la fierté comme un péché. Et de tous les péchés mortels et véniels, St-Thomas voyait la fierté comme le pire des sept péchés capitaux. C’était le péché ultime qui menait aux autres et ferait de vous un pécheur incorrigible. Mais la haine n’est pas un péché sur cette liste. La honte non plus. J’avais peur de cette Gay Pride car je voulais tellement en faire partie. Alors aujourd’hui, j’y participe pour cette partie de moi qui avait peur de le faire, autrefois. Et pour tous ceux qui ne peuvent pas y participer. Ceux qui vivent que je le faisais. J’y participe pour me rappeler que je ne suis pas seule. Nous sommes unis. Et nous défilons avec fierté. Alors va te faire foutre, St-Thomas</em>. » (S01E02)<br /><br />Le second, impliquant cette fois Nomi et Lito, porte sur la question de réussir à affirmer sa différence y compris dans un contexte difficile:<br />«<em>Lito : J’ai peur de perdre tout ce pour quoi j’ai travaillé. </em></p>
<p><em>Nomi : Je sais ce que ça fait. Mais à un moment, je me suis rendu compte qu’il y avait une énorme différence entre ce pour quoi on travaille et ce pour quoi on vit. </em></p>
<p><em>Lito : Toute ma vie, j’ai voulu être un acteur. Mais je ne peux avoir les rôles que je veux… en étant gay.</em></p>
<p><em>Nomi : J’adore les poupées. Mon père ne m’a jamais pardonné cela. A huit ans, mon père m’a inscrit dans un club de natation. Il en avait lui-même fait partie. Il disait que les choses qu’il avait apprises dans les vestiaires avaient fait de lui l’homme qu’il est devenu. Je détestais ces vestiaires. A cet âge, j’avais du mal à accepter mon corps. Je n’aimais pas être nu, surtout devant d’autres garçons. Mais il fallait prendre une douche avant d’entrer dans l’eau, alors je la prenais en gardant mon maillot et un t-shirt. Les garçons se moquaient de moi, mais je les ignorais et je me dépêchais. Ça a marché, pendant un moment. Jusqu’au jour où ça n’a plus marché. Ces vestiaires ont fait de mon père l’homme qu’il est, mais aussi la femme que je suis. Après cela, j’ai arrêté le club de natation. Je n’ai plus cherché à me faire accepter, à être l’un d’eux. Je savais que ça n’arriverait jamais. Et surtout, je ne le voulais pas. Leur violence était mesquine et ignorante, mais finalement, ça montrait leur vraie personnalité. La vraie violence, la violence qui était impardonnable, comme je l’ai compris, est la violence que l’on s’inflige à soi-même quand on a trop peur d’être qui on est vraiment.</em> » (S01E09)<br /><br />En bref, les Wachowski ont réussi à lancer une histoire intense et déjà marquée de nombreux moments cultes, comme cette scène d’amour follement érotique réunissant les huit personnages. Leur maîtrise extraordinaire explose dans le climax final, laissant espérer que la suite sera à la hauteur de cette première saison.<br /><br /></p>
<p>Photo DR, <em>les huit personnages de la série.</em></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/sense8.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Entrer dans <em>Sense8</em>, la série originale sortie cet été sur Netflix, écrite et réalisée par Lana et Andy Wachowski, c’est se plonger dans une aventure qui transcende les frontières et les différences. Dans la filmographie des Wachowski, et notamment suite à leur chef-d’œuvre mésestimé <em>Cloud Atlas</em>, les identités se confondent, se fluidifient…</strong><br /><br /><strong>L’aspect fantastique</strong> – huit personnes qui peuvent communiquer, voire prendre possession du corps de l’autre à des milliers de kilomètres les uns des autres – est une sorte d’allégorie de notre époque ultra connectée. Mais à la différence d’autres séries qui mesurent nos avancées technologiques sous un œil critique (voir <em>Black Mirror</em>), <em>Sense8</em> propose de les envisager comme un moyen de s’entraider, d’apporter ses connaissances et son expérience à d’autres qui en ont besoin. Et, encore une fois, de passer outre les frontières culturelles.<br /><br />Parmi la galerie de personnages tous plus attachants les uns que les autres, celui de Nomi sort très clairement du lot. Interprétée par l’actrice Jamie Clayton, elle joue le rôle d’une activiste politique sur Internet au passé de hackeuse. Elle est aussi trans MtF, en couple avec Amanita. En termes de visibilité des minorités LGBTQ, <em>Sense8</em> met ainsi en avant deux couples, un lesbien et un gay – les seuls en fait déjà existants au début de l’histoire - aux difficultés propres, mais surtout qui exposent à leur manière, une certaine "normalité" : j’entends ici non pas selon des principes normatifs du modèle hétérocentré, mais bien d’une vie de couple à la fois singulière et similaire à tant d’autres. Ce sont deux couples très liés, dont l’amour est puissant : Amanita, qui n’hésite pas une seule seconde à suivre Nomi et à la secourir par tous les moyens, et Hernando, le compagnon de Lito, qui accepte de rester dans l’ombre, non sans réticence, du succès médiatique de Lito afin d’éviter de compromettre sa carrière d’acteur. Cette série met ainsi en lumière les nombreux problèmes actuels : assumer son orientation sexuelle ou son identité de genre sans que cela ne compromette une carrière ou une exposition médiatique, la violence des mots et le rôle des proches dans ce qui peut détruire ou sauver une vie. <br /><br /><strong>Mais il y a aussi le personnage de Sun</strong>, joué par Bae Doona (Cloud Atlas), fille d’un riche homme d’affaire coréen, est un exemple de vie de lutte entre ombre et lumière. Sa participation dans l’entreprise de son père passe inaperçue, voire est méprisée par ceux qui ne font le lien avec son père. Pourtant, elle réussit, dans l’ombre, à être une furieuse combattante de kickboxing, une compétence qui servira plus tard au groupe. Cette héroïne offre une image très valorisante et très positive de figure féminine.</p>
<p><strong>En outre, deux passages, deux discours</strong> résonnent plus que d’autres dans ce récit qui prend toute son ampleur si on pense au fait que Lana Wachowksi est aussi passée par une transition, tout comme Nomi. Le premier se situe au début de l’aventure, alors que Nomi et Amanita assistent à la Pride de San Francisco : <br />«<em>J’ai beaucoup repensé à ma vie et aux erreurs que j’ai commises. Celles que j’ai gardées en moi, celles que je regrette, sont celles que j’ai commises par peur. Pendant longtemps, j’avais peur de qui j’étais, car mes parents m’ont toujours dit qu’il y avait quelque chose de travers chez les gens comme moi. Quelque chose d’offensant, quelque chose à éviter, peut-être même plaindre. Quelque chose qu’on ne pourrait jamais aimer. Ma mère est une adepte de St-Thomas d’Aquin. Elle voit la fierté comme un péché. Et de tous les péchés mortels et véniels, St-Thomas voyait la fierté comme le pire des sept péchés capitaux. C’était le péché ultime qui menait aux autres et ferait de vous un pécheur incorrigible. Mais la haine n’est pas un péché sur cette liste. La honte non plus. J’avais peur de cette Gay Pride car je voulais tellement en faire partie. Alors aujourd’hui, j’y participe pour cette partie de moi qui avait peur de le faire, autrefois. Et pour tous ceux qui ne peuvent pas y participer. Ceux qui vivent que je le faisais. J’y participe pour me rappeler que je ne suis pas seule. Nous sommes unis. Et nous défilons avec fierté. Alors va te faire foutre, St-Thomas</em>. » (S01E02)<br /><br />Le second, impliquant cette fois Nomi et Lito, porte sur la question de réussir à affirmer sa différence y compris dans un contexte difficile:<br />«<em>Lito : J’ai peur de perdre tout ce pour quoi j’ai travaillé. </em></p>
<p><em>Nomi : Je sais ce que ça fait. Mais à un moment, je me suis rendu compte qu’il y avait une énorme différence entre ce pour quoi on travaille et ce pour quoi on vit. </em></p>
<p><em>Lito : Toute ma vie, j’ai voulu être un acteur. Mais je ne peux avoir les rôles que je veux… en étant gay.</em></p>
<p><em>Nomi : J’adore les poupées. Mon père ne m’a jamais pardonné cela. A huit ans, mon père m’a inscrit dans un club de natation. Il en avait lui-même fait partie. Il disait que les choses qu’il avait apprises dans les vestiaires avaient fait de lui l’homme qu’il est devenu. Je détestais ces vestiaires. A cet âge, j’avais du mal à accepter mon corps. Je n’aimais pas être nu, surtout devant d’autres garçons. Mais il fallait prendre une douche avant d’entrer dans l’eau, alors je la prenais en gardant mon maillot et un t-shirt. Les garçons se moquaient de moi, mais je les ignorais et je me dépêchais. Ça a marché, pendant un moment. Jusqu’au jour où ça n’a plus marché. Ces vestiaires ont fait de mon père l’homme qu’il est, mais aussi la femme que je suis. Après cela, j’ai arrêté le club de natation. Je n’ai plus cherché à me faire accepter, à être l’un d’eux. Je savais que ça n’arriverait jamais. Et surtout, je ne le voulais pas. Leur violence était mesquine et ignorante, mais finalement, ça montrait leur vraie personnalité. La vraie violence, la violence qui était impardonnable, comme je l’ai compris, est la violence que l’on s’inflige à soi-même quand on a trop peur d’être qui on est vraiment.</em> » (S01E09)<br /><br />En bref, les Wachowski ont réussi à lancer une histoire intense et déjà marquée de nombreux moments cultes, comme cette scène d’amour follement érotique réunissant les huit personnages. Leur maîtrise extraordinaire explose dans le climax final, laissant espérer que la suite sera à la hauteur de cette première saison.<br /><br /></p>
<p>Photo DR, <em>les huit personnages de la série.</em></p>
Combien vaut votre femme?
2015-08-31T12:39:40+00:00
2015-08-31T12:39:40+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/757-combien-vaut-votre-femme
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/ashley%20madison.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Ce que révèle le piratage par Impact Team du site de rencontres adultères Ashley Madison va bien au-delà de la publication des noms des utilisateurs-trices : tandis qu’il met à nu des pratiques plus que douteuses, dans le même temps, il dévoile les bases du fonctionnement d’une entreprise qui s’appuie sur les pires stéréotypes de genre et dont les projets laissent sans voix.</strong><br /><br /><strong>Après la publication le 19 août dernier de la base de données du site Ashley Madison</strong>, les journalistes de Gizmodo ont mené l’enquête en s’intéressant de plus près aux profils des 38 millions d’abonné-e-s que revendique la plateforme de rencontre. Ainsi officiellement, il y aurait environ 5,5 millions de femmes pour 32,5 millions d’hommes qui s’y retrouveraient. Or, selon les recherches de Gizmodo, 11 millions d’hommes chatent avec 2'400 femmes. Quant à la messagerie, 20 millions d’hommes l’utilisent contre 1'500 femmes. La disproportion est énorme.<br /><br /><strong>En cause, les faux profils féminins</strong> créés par la société. Que ce soit automatiquement par le biais de robots ou manuellement par les employé-e-s, Gizmodo a déjà dénombré une dizaine de faux profils de femmes. Les journalistes ont en effet trouvé des milliers d’adresses mail de type (un chiffre)@ashleymadison.com générées par un robot. Par ailleurs, d’anciennes employé-e-s de la firme avaient déclaré voici quelques temps que leur job consistait à créer un millier de faux profils tous les trois mois. <br /><br /><strong>Et des profils féminins, il en fallait pour attirer les hommes</strong>, les vrais sur le site. Car à n’en pas douter sous ses dehors <em>girly</em> ou <em>female friendly</em>, selon la rhétorique de la firme, le site s’adressait essentiellement aux hommes. Les publicités ne laissent planer aucun doute quant au public cible. Quelle femme, a fortiori mariée, voudrait utiliser un service qui la représente comme une mégère ? Le discours publicitaire est très clair : l’idée est que les hommes puissent tromper bobonne sans se donner trop de mal.<br /><br /><strong>Sauf qu’en réalité</strong>, «des millions d’hommes envoient des mails, discutent et dépensent de l’argent pour des femmes qui ne sont pas là» comme le suggère l’enquête de Gizmodo. Car question finances, l’entreprise fonctionne bien. D’après CNN, elle aurait engrangé de 115, 5 millions de dollars en 2014. Sur ce réseau pas très social, où les hommes ne peuvent pas échanger entre eux, où les femmes n’existent pas et où la seule transaction réelle est celle qui débite les cartes de crédit, flotte comme une drôle d’atmosphère, un air de frustration peut-être ? De déception sûrement pour tous ces maris qui y ont cru. Alors sans faire dans le «tel est pris qui croyait prendre», on peut supposer qu’on ne les y reprendra plus. <br /><br /><strong>Le meilleur reste pourtant à venir</strong>: La prochaine trouvaille estampillée Ashley Madison, une application appelée "<em>What's Your Wife Worth</em>" (Combien vaut votre femme, ndlr) qui permet aux utilisateurs de poster une photo de leurs femmes et de les faire évaluer sur une échelle de 1 à 10. Ces dernières seront associées à une somme d'argent en fonction de leur note obtenue. L’idée est encore dans les cartons mais soyons sur-e-s qu'elle verra prochainement le jour. Vous trouvez que ça dégénère? C'est pas faux.</p>
<p>Photo, <em>une publicité pour le site Ashley Madison "Votre femme vous a fait peur hier soir?"</em></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/ashley%20madison.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Ce que révèle le piratage par Impact Team du site de rencontres adultères Ashley Madison va bien au-delà de la publication des noms des utilisateurs-trices : tandis qu’il met à nu des pratiques plus que douteuses, dans le même temps, il dévoile les bases du fonctionnement d’une entreprise qui s’appuie sur les pires stéréotypes de genre et dont les projets laissent sans voix.</strong><br /><br /><strong>Après la publication le 19 août dernier de la base de données du site Ashley Madison</strong>, les journalistes de Gizmodo ont mené l’enquête en s’intéressant de plus près aux profils des 38 millions d’abonné-e-s que revendique la plateforme de rencontre. Ainsi officiellement, il y aurait environ 5,5 millions de femmes pour 32,5 millions d’hommes qui s’y retrouveraient. Or, selon les recherches de Gizmodo, 11 millions d’hommes chatent avec 2'400 femmes. Quant à la messagerie, 20 millions d’hommes l’utilisent contre 1'500 femmes. La disproportion est énorme.<br /><br /><strong>En cause, les faux profils féminins</strong> créés par la société. Que ce soit automatiquement par le biais de robots ou manuellement par les employé-e-s, Gizmodo a déjà dénombré une dizaine de faux profils de femmes. Les journalistes ont en effet trouvé des milliers d’adresses mail de type (un chiffre)@ashleymadison.com générées par un robot. Par ailleurs, d’anciennes employé-e-s de la firme avaient déclaré voici quelques temps que leur job consistait à créer un millier de faux profils tous les trois mois. <br /><br /><strong>Et des profils féminins, il en fallait pour attirer les hommes</strong>, les vrais sur le site. Car à n’en pas douter sous ses dehors <em>girly</em> ou <em>female friendly</em>, selon la rhétorique de la firme, le site s’adressait essentiellement aux hommes. Les publicités ne laissent planer aucun doute quant au public cible. Quelle femme, a fortiori mariée, voudrait utiliser un service qui la représente comme une mégère ? Le discours publicitaire est très clair : l’idée est que les hommes puissent tromper bobonne sans se donner trop de mal.<br /><br /><strong>Sauf qu’en réalité</strong>, «des millions d’hommes envoient des mails, discutent et dépensent de l’argent pour des femmes qui ne sont pas là» comme le suggère l’enquête de Gizmodo. Car question finances, l’entreprise fonctionne bien. D’après CNN, elle aurait engrangé de 115, 5 millions de dollars en 2014. Sur ce réseau pas très social, où les hommes ne peuvent pas échanger entre eux, où les femmes n’existent pas et où la seule transaction réelle est celle qui débite les cartes de crédit, flotte comme une drôle d’atmosphère, un air de frustration peut-être ? De déception sûrement pour tous ces maris qui y ont cru. Alors sans faire dans le «tel est pris qui croyait prendre», on peut supposer qu’on ne les y reprendra plus. <br /><br /><strong>Le meilleur reste pourtant à venir</strong>: La prochaine trouvaille estampillée Ashley Madison, une application appelée "<em>What's Your Wife Worth</em>" (Combien vaut votre femme, ndlr) qui permet aux utilisateurs de poster une photo de leurs femmes et de les faire évaluer sur une échelle de 1 à 10. Ces dernières seront associées à une somme d'argent en fonction de leur note obtenue. L’idée est encore dans les cartons mais soyons sur-e-s qu'elle verra prochainement le jour. Vous trouvez que ça dégénère? C'est pas faux.</p>
<p>Photo, <em>une publicité pour le site Ashley Madison "Votre femme vous a fait peur hier soir?"</em></p>
Le 7ème congrès féministe à Montréal
2015-08-14T07:00:12+00:00
2015-08-14T07:00:12+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/751-le-7eme-congres-feministe-a-montreal
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/uqam.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Du 24 au 28 août prochain se tient à Montréal le 7ème congrès international des recherches féministes dans la francophonie. Intitulé Penser Créer Agir les féminismes, l’événement rassemble la crème de la crème des chercheurs-euses qui se consacrent au sujet. L’Université du Québec à Montréal (UQAM) accueille cette édition organisée conjointement par l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF), le Réseau québécois en études féministes (RéQEF) et le Service aux collectivités (SAC).</strong><br /><br /><strong>Après Québec</strong> (1996), Dakar (1999), Toulouse (2002), Ottawa (2005), Rabat (2008) et Lausanne (2012), c’est donc Montréal qui va devenir le centre de tous les féminismes et de toutes les attentions le temps de ce congrès. À défaut d’être le dernier salon où l’on cause ou celui des inventions, ce grand rassemblement est l’occasion de faire le point sur ce qui se dit et se fait en matière de féminismes et sur qui le dit et qui le fait. À cet égard, le programme de ces quatre journées est extrêmement riche et varié. Selon les organisatrices «les thématiques accueillies dans le cadre du Congrès traduisent les réflexions qui traversent les recherches féministes sur le(s) genre(s)/les rapports sociaux de sexe, la différence/les différences, l’identité sexuelle/les identités sexuelles, le projet collectif vs les choix individuels, notions qui sont elles-mêmes révélatrices de la diversité des problématiques et des interprétations mobilisées dans la francophonie pour élaborer un projet féministe de société». Il est d’ailleurs intéressant de noter que dans le but de coller au plus près de réalités à la fois multiples et complexes, le congrès s’attache à une meilleure représentation de toutes les femmes. Ce défi est de taille car il recoupe la diversité des expériences des femmes traversées par plusieurs rapports de pouvoir et interpelle de fait les féministes tant d’un point de vue théorique, que d’un point de vue militant. <br /><br /><strong>L’autre point fort de cette conférence</strong> porte sur les idées, les tendances et les débats féministes émergents avec un appel à contribution vers des chercheurs-euses qui questionnent autrement, ailleurs ou qui font preuve d’innovation dans leur réflexion : «L’intention est de susciter de nouveaux regards sur des questions touchant l’ordre économique, la militarisation des sociétés, l’exploitation des territoires, la division sexuelle du travail, la participation citoyenne des femmes, la perpétuation de la violence envers elles et les contrôles exercés sur leur image, leur corps, leur santé et leur environnement», comme l’expliquent les organisatrices. <br /><br /><strong>l’émiliE pour sa part</strong> fera l’objet d’une intervention au dernier jour du congrès, celle d’une chercheuse neuchâteloise, Rebecca Bendjama, qui consacre sa thèse de doctorat à notre journal et plus particulièrement à son évolution depuis 2001. Intitulé «Représentations des féministes dans la revue féministe l’émiliE», l’exposé de Rebecca Bendjama s’intéresse aux regards que pose la rédaction sur les différents courants qui traverse le mouvement. A la mi-juillet, la chercheuse nous a confié «étudier les remises en question faites par des journalistes féministes sur des féministes et sur les féminismes». l’émiliE qui depuis 2001 tient à témoigner de cette diversité des idées se réjouit de voir que ses efforts deviennent sujet d’étude…<br /><br />Vous pouvez télécharger le programme du congrès <a href="http://cirff2015.uqam.ca/upload/files/Prog_preliminaire_web_2015-07-24.pdf"><strong><span style="text-decoration: underline;">ici</span></strong></a>.</p>
<p>Photo, <em>UQAM, l'université de Montréal</em>.</p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/uqam.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Du 24 au 28 août prochain se tient à Montréal le 7ème congrès international des recherches féministes dans la francophonie. Intitulé Penser Créer Agir les féminismes, l’événement rassemble la crème de la crème des chercheurs-euses qui se consacrent au sujet. L’Université du Québec à Montréal (UQAM) accueille cette édition organisée conjointement par l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF), le Réseau québécois en études féministes (RéQEF) et le Service aux collectivités (SAC).</strong><br /><br /><strong>Après Québec</strong> (1996), Dakar (1999), Toulouse (2002), Ottawa (2005), Rabat (2008) et Lausanne (2012), c’est donc Montréal qui va devenir le centre de tous les féminismes et de toutes les attentions le temps de ce congrès. À défaut d’être le dernier salon où l’on cause ou celui des inventions, ce grand rassemblement est l’occasion de faire le point sur ce qui se dit et se fait en matière de féminismes et sur qui le dit et qui le fait. À cet égard, le programme de ces quatre journées est extrêmement riche et varié. Selon les organisatrices «les thématiques accueillies dans le cadre du Congrès traduisent les réflexions qui traversent les recherches féministes sur le(s) genre(s)/les rapports sociaux de sexe, la différence/les différences, l’identité sexuelle/les identités sexuelles, le projet collectif vs les choix individuels, notions qui sont elles-mêmes révélatrices de la diversité des problématiques et des interprétations mobilisées dans la francophonie pour élaborer un projet féministe de société». Il est d’ailleurs intéressant de noter que dans le but de coller au plus près de réalités à la fois multiples et complexes, le congrès s’attache à une meilleure représentation de toutes les femmes. Ce défi est de taille car il recoupe la diversité des expériences des femmes traversées par plusieurs rapports de pouvoir et interpelle de fait les féministes tant d’un point de vue théorique, que d’un point de vue militant. <br /><br /><strong>L’autre point fort de cette conférence</strong> porte sur les idées, les tendances et les débats féministes émergents avec un appel à contribution vers des chercheurs-euses qui questionnent autrement, ailleurs ou qui font preuve d’innovation dans leur réflexion : «L’intention est de susciter de nouveaux regards sur des questions touchant l’ordre économique, la militarisation des sociétés, l’exploitation des territoires, la division sexuelle du travail, la participation citoyenne des femmes, la perpétuation de la violence envers elles et les contrôles exercés sur leur image, leur corps, leur santé et leur environnement», comme l’expliquent les organisatrices. <br /><br /><strong>l’émiliE pour sa part</strong> fera l’objet d’une intervention au dernier jour du congrès, celle d’une chercheuse neuchâteloise, Rebecca Bendjama, qui consacre sa thèse de doctorat à notre journal et plus particulièrement à son évolution depuis 2001. Intitulé «Représentations des féministes dans la revue féministe l’émiliE», l’exposé de Rebecca Bendjama s’intéresse aux regards que pose la rédaction sur les différents courants qui traverse le mouvement. A la mi-juillet, la chercheuse nous a confié «étudier les remises en question faites par des journalistes féministes sur des féministes et sur les féminismes». l’émiliE qui depuis 2001 tient à témoigner de cette diversité des idées se réjouit de voir que ses efforts deviennent sujet d’étude…<br /><br />Vous pouvez télécharger le programme du congrès <a href="http://cirff2015.uqam.ca/upload/files/Prog_preliminaire_web_2015-07-24.pdf"><strong><span style="text-decoration: underline;">ici</span></strong></a>.</p>
<p>Photo, <em>UQAM, l'université de Montréal</em>.</p>
Algorithmes malins
2015-07-08T09:02:38+00:00
2015-07-08T09:02:38+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/747-algorithmes-malins
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/FB.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Sur internet, les algorithmes de recommandation ne font pas que suggérer des publicités qui nous poussent à l’achat. Ils reproduisent également des stéréotypes de genre et des discriminations tout en dévoilant aux annonceurs des données personnelles telle que l’orientation sexuelle, comme le révèlent deux études publiées récemment.</strong><br /><br />Naïvement on y avait cru au partage, à la communauté d’affinité qui rompait avec la sacro-sainte segmentation par sexe/âge/revenu chère au marketing et à la publicité qui pouvaient ainsi mieux nous cibler. On pensait enfin pouvoir se retrouver sur internet pour échanger en fonction de nos centres d’intérêt. Vraiment ? On y a cru un seul instant ? Ensuite, on nous a vendu le Big Data, susceptible de nous offrir du contenu taillé sur mesure, rien que pour nous… Le rêve en somme !<br /><br /><strong>Redescendons sur terre</strong>, car derrière les algorithmes de recommandation qui proposent comme par magie des publicités qui nous seraient personnellement destinées, il y a des humains… qui reproduisent les stéréotypes du monde réel. C’est ce que révèlent deux études, l’une de la Carnegie Melon University et de l’International Computer Science Institute et l’autre menée par des chercheurs-euses de Microsoft en Inde et du Max Planck Institute for Software Systems en Allemagne. La première établit qu’un profil d’homme en recherche d’emploi était ciblé via Google Ads par des publicités pour des postes de direction bien rémunérés contrairement au profil de femme dans une situation similaire qui ne se verra suggérer que des annonces moins prestigieuses. C’est la soi-disant neutralité informatique qui est ici mise à mal. <br /><br /><strong>La seconde étude pointe les mêmes dérapages</strong> plus un gros souci sur la confidentialité des données personnelles. Cette fois, les chercheurs-euses s’intéressent aux annonces publiées sur les comptes Facebook des particuliers. Si certaines informations de leur profil ne sont pas publiques, elles ne sont pas pour autant absolument privées. L’étude établit qu’il est assez simple de déterminer pour un annonceur l’orientation sexuelle d’un-e utilisateur-euse Facebook. Si les personnes qui cliquent sur les publicités de bar gay sont identifiées comme homo, des stratagèmes sont mis en place pour débusquer les gays qui n’ont pas cliqué sur ces pubs et qui n’ont pas rendu leur préférence sexuelle publique. Ainsi certaines annonces sans rapport avec leur orientation (exemple, une offre pour un cursus d’infirmier-e en Floride) ne sont proposées qu’aux homosexuel-le-s et pas du tout aux hétéros. Dans ce cas, c’est moins le contenu de la publicité qui prime que l’information que récolte l’annonceur, à savoir la personne qui a cliqué dessus pourrait être homosexuelle. Ensuite d’autres recoupements permettront d’établir «identité» totale de la cible.<br /><br />Pourquoi ne pas alors se demander si le gros coup de pub de Facebook qui a créé un filtre arc-en-ciel pour soi-disant fêter le mariage pour tous aux Etats-Unis n’était pas destiné à glaner ce type d’information sur les comptes qui l’auraient publié ? Combien de personnes LGBT ou non ont affiché leur soutien sans réfléchir ? Naïvement on a cru à la cause…<br /><br />Photo © <em>Profil Facebook de Mark Zuckerberg, CEO de Facebook</em><br /><br /></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/FB.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Sur internet, les algorithmes de recommandation ne font pas que suggérer des publicités qui nous poussent à l’achat. Ils reproduisent également des stéréotypes de genre et des discriminations tout en dévoilant aux annonceurs des données personnelles telle que l’orientation sexuelle, comme le révèlent deux études publiées récemment.</strong><br /><br />Naïvement on y avait cru au partage, à la communauté d’affinité qui rompait avec la sacro-sainte segmentation par sexe/âge/revenu chère au marketing et à la publicité qui pouvaient ainsi mieux nous cibler. On pensait enfin pouvoir se retrouver sur internet pour échanger en fonction de nos centres d’intérêt. Vraiment ? On y a cru un seul instant ? Ensuite, on nous a vendu le Big Data, susceptible de nous offrir du contenu taillé sur mesure, rien que pour nous… Le rêve en somme !<br /><br /><strong>Redescendons sur terre</strong>, car derrière les algorithmes de recommandation qui proposent comme par magie des publicités qui nous seraient personnellement destinées, il y a des humains… qui reproduisent les stéréotypes du monde réel. C’est ce que révèlent deux études, l’une de la Carnegie Melon University et de l’International Computer Science Institute et l’autre menée par des chercheurs-euses de Microsoft en Inde et du Max Planck Institute for Software Systems en Allemagne. La première établit qu’un profil d’homme en recherche d’emploi était ciblé via Google Ads par des publicités pour des postes de direction bien rémunérés contrairement au profil de femme dans une situation similaire qui ne se verra suggérer que des annonces moins prestigieuses. C’est la soi-disant neutralité informatique qui est ici mise à mal. <br /><br /><strong>La seconde étude pointe les mêmes dérapages</strong> plus un gros souci sur la confidentialité des données personnelles. Cette fois, les chercheurs-euses s’intéressent aux annonces publiées sur les comptes Facebook des particuliers. Si certaines informations de leur profil ne sont pas publiques, elles ne sont pas pour autant absolument privées. L’étude établit qu’il est assez simple de déterminer pour un annonceur l’orientation sexuelle d’un-e utilisateur-euse Facebook. Si les personnes qui cliquent sur les publicités de bar gay sont identifiées comme homo, des stratagèmes sont mis en place pour débusquer les gays qui n’ont pas cliqué sur ces pubs et qui n’ont pas rendu leur préférence sexuelle publique. Ainsi certaines annonces sans rapport avec leur orientation (exemple, une offre pour un cursus d’infirmier-e en Floride) ne sont proposées qu’aux homosexuel-le-s et pas du tout aux hétéros. Dans ce cas, c’est moins le contenu de la publicité qui prime que l’information que récolte l’annonceur, à savoir la personne qui a cliqué dessus pourrait être homosexuelle. Ensuite d’autres recoupements permettront d’établir «identité» totale de la cible.<br /><br />Pourquoi ne pas alors se demander si le gros coup de pub de Facebook qui a créé un filtre arc-en-ciel pour soi-disant fêter le mariage pour tous aux Etats-Unis n’était pas destiné à glaner ce type d’information sur les comptes qui l’auraient publié ? Combien de personnes LGBT ou non ont affiché leur soutien sans réfléchir ? Naïvement on a cru à la cause…<br /><br />Photo © <em>Profil Facebook de Mark Zuckerberg, CEO de Facebook</em><br /><br /></p>
Oh regarde, une chatte!
2015-07-06T04:07:11+00:00
2015-07-06T04:07:11+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/746-oh-regarde-une-chatte
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/pea.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Deux artistes de Los Angeles cartonnent en publiant sur leur compte Instagram des photos d’objets ou de paysages qui ressemblent à un sexe féminin. L’idée consiste à déconstruire pas mal de stéréotypes sur le sujet.</strong><br /><br />Depuis un an, Eva Sealove et Chelsea Jones postent régulièrement sur le compte<a href="https://instagram.com/p/0GNmIhCZn5/?taken-by=look_at_this_pusssy"> @Look_at_this_pussy</a> des images de vêtements, d’objets quotidiens, d’animaux, de légumes qui rappellent le sexe des femmes. D’apparence diverse et variée, comme dans la réalité, les photos s’accompagnent de commentaires féministes du type «Vous êtes le CEO de votre corps, si on essaie d’usurper ce pouvoir, faites en sorte d’expulser l’intrus de votre corps et de l’exorciser de votre vie ».<br /><br />Si au départ, ce n’était qu’un jeu, une sorte de «Où est Charlie ?» comme elles l’ont déclaré dans le magazine en ligne Bullet, le concept va très vite trouver des adeptes : Pas moins de 22 000 followers approuvent leur manière de combattre certains clichés dévalorisants sur le corps des femmes en général et leur sexe en particulier que d’aucuns pensent hideux et nauséabond et qu’il s’agit donc de cacher à tout prix. Les deux femmes ont voulu créer «un espace où les gens pourraient trouver normal de se sentir comme ça ou d’être comme ça», un espace où être soi-même donc.<br /><br />«Dénoncer la honte» à l’aide de la classique moule ou de l’huître incontournable peut certes sembler convenu ou prêter à sourire mais leur imagination sans borne propose une palette infinie de représentations inattendues du sexe féminin, aussi bien artistiques que politiques. Elles voient des chattes partout pour mieux affirmer leur fierté d’être qui elles sont, telles qu’elles sont. Elles exposent une vision engagée avec humour. Lorsqu’on leur pose la question de la censure sur Instagram, elles feignent l’innocence en répondant par une pirouette : «Du sexe ? Mais où ? Nous ne publions que des photos d’objets ou de nature…». Ah tiens, j’aurais pourtant cru voir autre chose…</p>
<p>Photo © Instagram @Look_at_this_pussy</p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/pea.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Deux artistes de Los Angeles cartonnent en publiant sur leur compte Instagram des photos d’objets ou de paysages qui ressemblent à un sexe féminin. L’idée consiste à déconstruire pas mal de stéréotypes sur le sujet.</strong><br /><br />Depuis un an, Eva Sealove et Chelsea Jones postent régulièrement sur le compte<a href="https://instagram.com/p/0GNmIhCZn5/?taken-by=look_at_this_pusssy"> @Look_at_this_pussy</a> des images de vêtements, d’objets quotidiens, d’animaux, de légumes qui rappellent le sexe des femmes. D’apparence diverse et variée, comme dans la réalité, les photos s’accompagnent de commentaires féministes du type «Vous êtes le CEO de votre corps, si on essaie d’usurper ce pouvoir, faites en sorte d’expulser l’intrus de votre corps et de l’exorciser de votre vie ».<br /><br />Si au départ, ce n’était qu’un jeu, une sorte de «Où est Charlie ?» comme elles l’ont déclaré dans le magazine en ligne Bullet, le concept va très vite trouver des adeptes : Pas moins de 22 000 followers approuvent leur manière de combattre certains clichés dévalorisants sur le corps des femmes en général et leur sexe en particulier que d’aucuns pensent hideux et nauséabond et qu’il s’agit donc de cacher à tout prix. Les deux femmes ont voulu créer «un espace où les gens pourraient trouver normal de se sentir comme ça ou d’être comme ça», un espace où être soi-même donc.<br /><br />«Dénoncer la honte» à l’aide de la classique moule ou de l’huître incontournable peut certes sembler convenu ou prêter à sourire mais leur imagination sans borne propose une palette infinie de représentations inattendues du sexe féminin, aussi bien artistiques que politiques. Elles voient des chattes partout pour mieux affirmer leur fierté d’être qui elles sont, telles qu’elles sont. Elles exposent une vision engagée avec humour. Lorsqu’on leur pose la question de la censure sur Instagram, elles feignent l’innocence en répondant par une pirouette : «Du sexe ? Mais où ? Nous ne publions que des photos d’objets ou de nature…». Ah tiens, j’aurais pourtant cru voir autre chose…</p>
<p>Photo © Instagram @Look_at_this_pussy</p>
A quoi rêvent les jeunes filles?
2015-06-30T06:51:45+00:00
2015-06-30T06:51:45+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/744-a-quoi-revent-les-jeunes-filles
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/ovidie.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Si vous aviez manqué la diffusion à la télévision du documentaire d’Ovidie, féministe pro-sexe, intitulé «A quoi rêvent les jeunes filles ?», vous avez désormais la possibilité de le visionner sur <a href="https://www.youtube.com/watch?v=kZQ8GUDscOw"><span style="text-decoration: underline;">YouTube</span></a>. La réalisatrice s’intéresse aux jeunes filles dites de la génération Y, celles de la révolution du Net, à leur sexualité, leur rapport au corps, leur rapport à l’autre. Dans une société hypersexualisée, elle interroge les nouvelles normes qui guident les discours et les pratiques de ces jeunes femmes. Ne sont-elles pas en train de reproduire les schémas ancestraux de la domination masculine ?</strong><br /><br />On est loin du micro-trottoir : Ovidie a soigneusement choisi les intervenantes. Parmi elles, la blogueuse Clarence, la gameuse Mar_Lard ou la photographe Ortie, aptes à poser un regard critique sur les us et coutumes de leurs congénères et à en décrypter la plus obscures des attitudes. Ainsi, à les en croire, les filles de la génération Y seraient portées sur le X ? Clarence explique comment la pornographie a influencé leurs pratiques et comment la norme s’est déplacée : d’interdits, la fellation et la sodomie seraient devenues obligatoires. Les jeunes filles doivent désormais se conformer au stéréotype d’une sexualité exacerbée, sans pour autant être à l’écoute de leurs propres désirs et de leur propre plaisir. Les injonctions qui pèsent sur les filles existent toujours, la différence avec la période précédente c’est qu’elles sont passées sans transition d’une interdiction à s’intéresser au sexe à une injonction de sexualité débridée. Il s’agit de réussir à ce niveau comme dans le reste.<br /><br /><strong>Débridée, vraiment ?</strong> Quand il est question de bisexualité, les garde-fous se dressent très vite. La jeune femme qui assume ses choix est stigmatisée. Si le porno n’a plus rien de transgressif aux yeux des jeunes, les mentalités restent ultra-coincées. La société n’a guère évolué et les vieux schémas opèrent toujours. Le sociologue Michel Bozon rappelle que la représentation de la sexualité est encore inégalitaire entre les filles et les garçons. D’un côté, on contrôle celle des filles et de l’autre on survalorise celle des garçons. Selon lui, «les femmes ne peuvent avoir accès à la sexualité que si elles sont amoureuses. La sexualité en soi ne les intéresse pas. Elles échangent de la sexualité contre de l’amour ou de la sexualité contre du couple». Car cette injonction faite aux femmes débute avec les contes de fées. Dès l’enfance, les filles sont bercées de l’obligation d’être en couple. Les magazines féminins prennent ensuite le relais pour leur apprendre «à être la pute dans votre couple», dixit Michel Bozon. Le cheminement est clair : 1. Trouver le bon. 2. Le garder (par tous les moyens), en recyclant notamment les codes du porno. Et toujours d’après le sociologue, ce n’est pas par envie mais bien pour obtenir quelque chose en échange.<br /><br /><strong>Et quoi de plus simple,</strong> souligne Ovidie, pour qui «ces codes du porno sont récupérés partout dans les médias. Ils font vendre. Les représentations des rapports homme/femme les plus sexistes et les plus archaïques sous-tendent le système dans son entier. L’imagerie sexiste se retrouve également dans les jeux vidéos dont les jeunes raffolent. Les filles constituent la moitié des gamers. Dans ces espaces virtuels, elles sont confrontées à une violence sexiste réelle sans borne. Mar_Lard confie que «l’absence d’empathie créée par la distance et le sentiment d’impunité créé par l’anonymat, c’est un cocktail mortel. La personne qu’on insulte à travers un écran n’existe pas vraiment». <br /><br /><strong>Avec les réseaux sociaux</strong>, le rapport à l’autre a changé. A l’abri d’un écran, chacun-e peut créer une identité, un univers virtuel, tout en restant caché-e, sans vraiment se dévoiler. En même temps, le paradoxe réside dans le fait que chacun-e se sur-expose, se met à nu, affiche son intimité, livre ses données personnelles à travers des applications, des réseaux sociaux, en quelques clics…<br /><br />L’excellent documentaire d’Ovidie résume parfaitement la réalité à laquelle se trouvent aujourd'hui confrontés les individus, en particulier les jeunes filles, pas nécessairement armées pour comprendre les enjeux des rapports sociaux de sexe à l’œuvre dans ces espaces. A travers ce reportage, on a le sentiment que la domination masculine s’exerce massivement et que les jeunes filles qui affichent cette apparente liberté sont plus que jamais instrumentalisées. Le chemin vers l’égalité semble affreusement long.</p>
<p>Photo © extraite du documentaire <em>A quoi rêvent les jeunes filles ?</em> d'Ovidie</p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/ovidie.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Si vous aviez manqué la diffusion à la télévision du documentaire d’Ovidie, féministe pro-sexe, intitulé «A quoi rêvent les jeunes filles ?», vous avez désormais la possibilité de le visionner sur <a href="https://www.youtube.com/watch?v=kZQ8GUDscOw"><span style="text-decoration: underline;">YouTube</span></a>. La réalisatrice s’intéresse aux jeunes filles dites de la génération Y, celles de la révolution du Net, à leur sexualité, leur rapport au corps, leur rapport à l’autre. Dans une société hypersexualisée, elle interroge les nouvelles normes qui guident les discours et les pratiques de ces jeunes femmes. Ne sont-elles pas en train de reproduire les schémas ancestraux de la domination masculine ?</strong><br /><br />On est loin du micro-trottoir : Ovidie a soigneusement choisi les intervenantes. Parmi elles, la blogueuse Clarence, la gameuse Mar_Lard ou la photographe Ortie, aptes à poser un regard critique sur les us et coutumes de leurs congénères et à en décrypter la plus obscures des attitudes. Ainsi, à les en croire, les filles de la génération Y seraient portées sur le X ? Clarence explique comment la pornographie a influencé leurs pratiques et comment la norme s’est déplacée : d’interdits, la fellation et la sodomie seraient devenues obligatoires. Les jeunes filles doivent désormais se conformer au stéréotype d’une sexualité exacerbée, sans pour autant être à l’écoute de leurs propres désirs et de leur propre plaisir. Les injonctions qui pèsent sur les filles existent toujours, la différence avec la période précédente c’est qu’elles sont passées sans transition d’une interdiction à s’intéresser au sexe à une injonction de sexualité débridée. Il s’agit de réussir à ce niveau comme dans le reste.<br /><br /><strong>Débridée, vraiment ?</strong> Quand il est question de bisexualité, les garde-fous se dressent très vite. La jeune femme qui assume ses choix est stigmatisée. Si le porno n’a plus rien de transgressif aux yeux des jeunes, les mentalités restent ultra-coincées. La société n’a guère évolué et les vieux schémas opèrent toujours. Le sociologue Michel Bozon rappelle que la représentation de la sexualité est encore inégalitaire entre les filles et les garçons. D’un côté, on contrôle celle des filles et de l’autre on survalorise celle des garçons. Selon lui, «les femmes ne peuvent avoir accès à la sexualité que si elles sont amoureuses. La sexualité en soi ne les intéresse pas. Elles échangent de la sexualité contre de l’amour ou de la sexualité contre du couple». Car cette injonction faite aux femmes débute avec les contes de fées. Dès l’enfance, les filles sont bercées de l’obligation d’être en couple. Les magazines féminins prennent ensuite le relais pour leur apprendre «à être la pute dans votre couple», dixit Michel Bozon. Le cheminement est clair : 1. Trouver le bon. 2. Le garder (par tous les moyens), en recyclant notamment les codes du porno. Et toujours d’après le sociologue, ce n’est pas par envie mais bien pour obtenir quelque chose en échange.<br /><br /><strong>Et quoi de plus simple,</strong> souligne Ovidie, pour qui «ces codes du porno sont récupérés partout dans les médias. Ils font vendre. Les représentations des rapports homme/femme les plus sexistes et les plus archaïques sous-tendent le système dans son entier. L’imagerie sexiste se retrouve également dans les jeux vidéos dont les jeunes raffolent. Les filles constituent la moitié des gamers. Dans ces espaces virtuels, elles sont confrontées à une violence sexiste réelle sans borne. Mar_Lard confie que «l’absence d’empathie créée par la distance et le sentiment d’impunité créé par l’anonymat, c’est un cocktail mortel. La personne qu’on insulte à travers un écran n’existe pas vraiment». <br /><br /><strong>Avec les réseaux sociaux</strong>, le rapport à l’autre a changé. A l’abri d’un écran, chacun-e peut créer une identité, un univers virtuel, tout en restant caché-e, sans vraiment se dévoiler. En même temps, le paradoxe réside dans le fait que chacun-e se sur-expose, se met à nu, affiche son intimité, livre ses données personnelles à travers des applications, des réseaux sociaux, en quelques clics…<br /><br />L’excellent documentaire d’Ovidie résume parfaitement la réalité à laquelle se trouvent aujourd'hui confrontés les individus, en particulier les jeunes filles, pas nécessairement armées pour comprendre les enjeux des rapports sociaux de sexe à l’œuvre dans ces espaces. A travers ce reportage, on a le sentiment que la domination masculine s’exerce massivement et que les jeunes filles qui affichent cette apparente liberté sont plus que jamais instrumentalisées. Le chemin vers l’égalité semble affreusement long.</p>
<p>Photo © extraite du documentaire <em>A quoi rêvent les jeunes filles ?</em> d'Ovidie</p>
Portées au nu
2015-06-24T03:37:08+00:00
2015-06-24T03:37:08+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/741-portees-au-nu
Manon Legrand
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/sein.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>La nudité politique n’est pas née avec les Femen. Depuis plus d’un siècle et dans le monde entier, des femmes mettent leur poitrine à nu pour défendre leurs droits et lutter contre l’oppression. Un sujet d'<a href="http://axellemag.be/"><span style="text-decoration: underline;">axelle magazine</span></a>.</strong><br /><br /><br />La nudité réfère d’abord, selon le Larousse, à ce qui est "non vêtu". La nudité désigne aussi l’état de "ce qui n’est garni par rien, qui est dépouillé de tout ornement". S’en tenir à cette définition serait superficiel et insuffisant pour aborder la question de la nudité féminine – et puis on ne comprend pas la nudité selon qu’on vit en Amazonie ou en Belgique, au XIXe ou XXIe siècle. On peut regarder la nudité au féminin de mille manières, mais en cette période estivale où la mise à nu de la peau des femmes est vécue tout autant comme une injonction pénible que comme une libération joyeuse, <em>axelle</em> prend à bras-le-corps celles qui exposent volontairement leur corps à des fins politiques. <br /><br /><strong>La nudité politique</strong><br />Le corps nu des femmes est souvent défini, dessiné, pensé, mis en scène par les hommes, pour les hommes, et parfois utilisé par ceux-ci afin d’assouvir appétit sexuel et besoin de domination. Certaines femmes militantes décident de prendre le contre-pied et se dénudent pour revendiquer leur droit à disposer de leur corps, leur pleine souveraineté : c’est la "nudité politique". Elle est le plus souvent partielle : le bas du corps, en particulier le sexe et les fesses, reste caché.</p>
<p>L’exemple le plus médiatisé est celui du mouvement Femen. Ses militantes manifestent seins nus, slogans inscrits sur le corps devenu "arme", comme elles le revendiquent. Ce groupe ukrainien né en 2008, se considérant comme féministe, athée et antireligieux, a bénéficié d’une couverture médiatique absolument inédite pour un mouvement féministe. On les voit devant des églises en Ukraine, au Vatican, ou encore devant la Grande Mosquée de Bruxelles pour défendre leur consœur Amina Tyler. Cette jeune femme tunisienne, de son vrai nom Amina Sboui, avait posté sur la page Facebook de Femen Tunisie une photo où elle dévoilait sa poitrine marquée du slogan "Mon corps m'appartient et n'est source d'honneur pour personne". Cette action avait déclenché la colère des branches les plus conservatrices de Tunisie. Au départ associée aux Femen, Amina Sboui s’en est ensuite distanciée après que les "militantes topless", comme elles sont souvent présentées, ont brûlé un drapeau noir frappé de la profession de foi musulmane devant la Grande Mosquée de Paris. Un geste "trop radical", avait alors jugé Amina. <br /><br /><strong>Les Africaines au front</strong> <br />Même si les médias parlent beaucoup des Femen, leur méthode n’a rien de nouveau. Partout dans le monde, des femmes jouent la carte de la nudité. En juillet 2004, des mères de famille de l’État indien du Manipur défilent nues devant des banderoles affichant "l’armée indienne nous viole", protestant ainsi contre l’immunité des militaires ; en 2011, les Canadiennes de la Slutwalk – littéralement "Marche des Salopes" – manifestent dans l’espace public, vêtues ou dévêtues, et inspirent un mouvement mondial... On pense aussi aux femmes qui jetaient leur soutien-gorge en 68, geste symbolique pour libérer leurs seins du poids patriarcal, culturel, religieux, et réaffirmation de la pleine souveraineté de leur corps.</p>
<p>En fait, la première manifestation de femmes nues remonterait aux années 30 au Nigéria. Des femmes protestent alors poitrine dévêtue contre l’autorité coloniale. "Il s’agissait d’une manifestation importante de la résistance des femmes noires à l'autorité coloniale et aux notions occidentales racialisées du corps", décrit la journaliste Maryam Kazeem, basée au Nigéria.</p>
<p>En 2008, c’est au tour de Libériennes réfugiées au Ghana de se déshabiller à Accra pour dénoncer un projet d'expulsion vers leur pays d'origine. En Ouganda en 2012, quinze activistes manifestent en soutien-gorge pour dénoncer l'arrestation d’une opposante politique. "Déjà, ces femmes noires et leur courage de porter leur corps au front et de tenir une position ferme contre les multinationales du pétrole, la corruption et la violence, recevaient peu de visibilité. Parfois, même dans leur propre pays, leur engagement fut considéré comme insensé, infructueux et futile", explique Maryam Kazeem.</p>
<p>Ouvrir le regard sur cette nudité politique venue d’ailleurs, c’est en élargir la définition. "Contrairement à d'autres mouvements en Europe, comme les Femen qui ont fait couler beaucoup d'encre dans les médias, ces Africaines ne brandissent pas leur nudité comme un geste de liberté. Se déshabiller ainsi, c'est avouer ne plus avoir aucun autre recours possible et n'avoir comme seule solution que de mettre dans la balance ce qu'il y a de plus sacré pour beaucoup de cultures africaines : les corps des mères et des filles", analyse ainsi Romain Mielcarek pour RFI. La mise à nu de ces femmes participe ici d’une démonstration de désespoir, à mille lieues du discours "guerrier" et des actions résolument provocantes des Femen. <br /><br /><strong>Corps convoité, corps contestataire</strong><br />Ici ou ailleurs, le fait que des femmes décident de s’emparer de leur corps désempare ceux qui en avaient le contrôle. La mise à nu peut même être passible d’amendes ou d’une condamnation pour "exhibition sexuelle" – l’une des Femen en a récemment fait les frais. Faut-il rappeler que les hommes, eux, peuvent montrer leur torse sans courir de risque pénal ? Et le corps des femmes est largement exposé dans les publicités sans que cela ne pose problème… Une hypocrisie contre laquelle s’insurge l’historienne Christine Bard, auteure d’<em>Une histoire politique du pantalon</em> : "Le sein est montré sans problème dès lors qu’il est artistique, ou en action maternelle, ou quand il n’en reste qu’un : le fameux sein des Amazones ! Sans oublier tous les seins nus du cinéma, sur scène, au spectacle, sur les cartes postales ! Quand Colette fait scandale en dansant à moitié nue, c’est en 1907". Cent ans plus tard, les seins des femmes, exhibés par la société de consommation, sont devenus habituels, mais ceux que les femmes dénudent publiquement en signe de protestation contre les oppressions, eux, suscitent encore l’indignation ! C’est le message qu’a voulu porter la féministe américaine Moira Johnston : elle a milité de longues années pour que les femmes obtiennent le droit de se promener topless dans les rues de New York sans craindre une arrestation. Un combat gagné en 2013.</p>
<p>Au-delà du droit revendiqué des femmes d’apparaître nue dans l’espace public, n’oublions pas celui, encore incomplet, de disposer pleinement de leur corps. La mise à nu pensée comme telle ne passe pas forcément par le "dénudement"... L’activiste Chitra Nagarajan déplorait ainsi : "Les Femen proclament que le fait de retirer ses vêtements en public est un indicateur clé de l’accomplissement des droits humains et l’activisme le plus effectif qui soit. Tout le reste est perçu comme moins radical. Avec ces standards, des pays dans le nord de l’Afrique ou au Moyen-Orient et les communautés de ces pays qui vivent en Europe sont perçus comme n’étant pas à la hauteur." En conclusion, quelle que soit la quantité de tissu qui recouvre notre peau, proposons à ceux qui nous dévêtissent de force et à ceux qui détricotent nos droits… d’aller se rhabiller !</p>
<p>Image, <em>Gabrielle d'Estrées et sa soeur</em>, tableau du XVIe siècle, Musée du Louvre, Paris.</p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/sein.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>La nudité politique n’est pas née avec les Femen. Depuis plus d’un siècle et dans le monde entier, des femmes mettent leur poitrine à nu pour défendre leurs droits et lutter contre l’oppression. Un sujet d'<a href="http://axellemag.be/"><span style="text-decoration: underline;">axelle magazine</span></a>.</strong><br /><br /><br />La nudité réfère d’abord, selon le Larousse, à ce qui est "non vêtu". La nudité désigne aussi l’état de "ce qui n’est garni par rien, qui est dépouillé de tout ornement". S’en tenir à cette définition serait superficiel et insuffisant pour aborder la question de la nudité féminine – et puis on ne comprend pas la nudité selon qu’on vit en Amazonie ou en Belgique, au XIXe ou XXIe siècle. On peut regarder la nudité au féminin de mille manières, mais en cette période estivale où la mise à nu de la peau des femmes est vécue tout autant comme une injonction pénible que comme une libération joyeuse, <em>axelle</em> prend à bras-le-corps celles qui exposent volontairement leur corps à des fins politiques. <br /><br /><strong>La nudité politique</strong><br />Le corps nu des femmes est souvent défini, dessiné, pensé, mis en scène par les hommes, pour les hommes, et parfois utilisé par ceux-ci afin d’assouvir appétit sexuel et besoin de domination. Certaines femmes militantes décident de prendre le contre-pied et se dénudent pour revendiquer leur droit à disposer de leur corps, leur pleine souveraineté : c’est la "nudité politique". Elle est le plus souvent partielle : le bas du corps, en particulier le sexe et les fesses, reste caché.</p>
<p>L’exemple le plus médiatisé est celui du mouvement Femen. Ses militantes manifestent seins nus, slogans inscrits sur le corps devenu "arme", comme elles le revendiquent. Ce groupe ukrainien né en 2008, se considérant comme féministe, athée et antireligieux, a bénéficié d’une couverture médiatique absolument inédite pour un mouvement féministe. On les voit devant des églises en Ukraine, au Vatican, ou encore devant la Grande Mosquée de Bruxelles pour défendre leur consœur Amina Tyler. Cette jeune femme tunisienne, de son vrai nom Amina Sboui, avait posté sur la page Facebook de Femen Tunisie une photo où elle dévoilait sa poitrine marquée du slogan "Mon corps m'appartient et n'est source d'honneur pour personne". Cette action avait déclenché la colère des branches les plus conservatrices de Tunisie. Au départ associée aux Femen, Amina Sboui s’en est ensuite distanciée après que les "militantes topless", comme elles sont souvent présentées, ont brûlé un drapeau noir frappé de la profession de foi musulmane devant la Grande Mosquée de Paris. Un geste "trop radical", avait alors jugé Amina. <br /><br /><strong>Les Africaines au front</strong> <br />Même si les médias parlent beaucoup des Femen, leur méthode n’a rien de nouveau. Partout dans le monde, des femmes jouent la carte de la nudité. En juillet 2004, des mères de famille de l’État indien du Manipur défilent nues devant des banderoles affichant "l’armée indienne nous viole", protestant ainsi contre l’immunité des militaires ; en 2011, les Canadiennes de la Slutwalk – littéralement "Marche des Salopes" – manifestent dans l’espace public, vêtues ou dévêtues, et inspirent un mouvement mondial... On pense aussi aux femmes qui jetaient leur soutien-gorge en 68, geste symbolique pour libérer leurs seins du poids patriarcal, culturel, religieux, et réaffirmation de la pleine souveraineté de leur corps.</p>
<p>En fait, la première manifestation de femmes nues remonterait aux années 30 au Nigéria. Des femmes protestent alors poitrine dévêtue contre l’autorité coloniale. "Il s’agissait d’une manifestation importante de la résistance des femmes noires à l'autorité coloniale et aux notions occidentales racialisées du corps", décrit la journaliste Maryam Kazeem, basée au Nigéria.</p>
<p>En 2008, c’est au tour de Libériennes réfugiées au Ghana de se déshabiller à Accra pour dénoncer un projet d'expulsion vers leur pays d'origine. En Ouganda en 2012, quinze activistes manifestent en soutien-gorge pour dénoncer l'arrestation d’une opposante politique. "Déjà, ces femmes noires et leur courage de porter leur corps au front et de tenir une position ferme contre les multinationales du pétrole, la corruption et la violence, recevaient peu de visibilité. Parfois, même dans leur propre pays, leur engagement fut considéré comme insensé, infructueux et futile", explique Maryam Kazeem.</p>
<p>Ouvrir le regard sur cette nudité politique venue d’ailleurs, c’est en élargir la définition. "Contrairement à d'autres mouvements en Europe, comme les Femen qui ont fait couler beaucoup d'encre dans les médias, ces Africaines ne brandissent pas leur nudité comme un geste de liberté. Se déshabiller ainsi, c'est avouer ne plus avoir aucun autre recours possible et n'avoir comme seule solution que de mettre dans la balance ce qu'il y a de plus sacré pour beaucoup de cultures africaines : les corps des mères et des filles", analyse ainsi Romain Mielcarek pour RFI. La mise à nu de ces femmes participe ici d’une démonstration de désespoir, à mille lieues du discours "guerrier" et des actions résolument provocantes des Femen. <br /><br /><strong>Corps convoité, corps contestataire</strong><br />Ici ou ailleurs, le fait que des femmes décident de s’emparer de leur corps désempare ceux qui en avaient le contrôle. La mise à nu peut même être passible d’amendes ou d’une condamnation pour "exhibition sexuelle" – l’une des Femen en a récemment fait les frais. Faut-il rappeler que les hommes, eux, peuvent montrer leur torse sans courir de risque pénal ? Et le corps des femmes est largement exposé dans les publicités sans que cela ne pose problème… Une hypocrisie contre laquelle s’insurge l’historienne Christine Bard, auteure d’<em>Une histoire politique du pantalon</em> : "Le sein est montré sans problème dès lors qu’il est artistique, ou en action maternelle, ou quand il n’en reste qu’un : le fameux sein des Amazones ! Sans oublier tous les seins nus du cinéma, sur scène, au spectacle, sur les cartes postales ! Quand Colette fait scandale en dansant à moitié nue, c’est en 1907". Cent ans plus tard, les seins des femmes, exhibés par la société de consommation, sont devenus habituels, mais ceux que les femmes dénudent publiquement en signe de protestation contre les oppressions, eux, suscitent encore l’indignation ! C’est le message qu’a voulu porter la féministe américaine Moira Johnston : elle a milité de longues années pour que les femmes obtiennent le droit de se promener topless dans les rues de New York sans craindre une arrestation. Un combat gagné en 2013.</p>
<p>Au-delà du droit revendiqué des femmes d’apparaître nue dans l’espace public, n’oublions pas celui, encore incomplet, de disposer pleinement de leur corps. La mise à nu pensée comme telle ne passe pas forcément par le "dénudement"... L’activiste Chitra Nagarajan déplorait ainsi : "Les Femen proclament que le fait de retirer ses vêtements en public est un indicateur clé de l’accomplissement des droits humains et l’activisme le plus effectif qui soit. Tout le reste est perçu comme moins radical. Avec ces standards, des pays dans le nord de l’Afrique ou au Moyen-Orient et les communautés de ces pays qui vivent en Europe sont perçus comme n’étant pas à la hauteur." En conclusion, quelle que soit la quantité de tissu qui recouvre notre peau, proposons à ceux qui nous dévêtissent de force et à ceux qui détricotent nos droits… d’aller se rhabiller !</p>
<p>Image, <em>Gabrielle d'Estrées et sa soeur</em>, tableau du XVIe siècle, Musée du Louvre, Paris.</p>
Rébellion dans le film d'animation
2015-06-19T03:14:14+00:00
2015-06-19T03:14:14+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/740-les-exclues-du-film-danimation-se-rebellent
Clémentine Delignières
[email protected]
<p> </p>
<p><strong> </strong></p>
<p><img src="http://lemilie.org/images/Florence_Miaihle.JPG" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p><br /><strong>Cette année, le Festival international du film d’animation d’Annecy rend hommage aux femmes. Celles que Disney cantonnaient aux rôles secondaires – notamment au coloriage... Aujourd’hui, rassemblées en association, les professionnelles du milieu veulent s’imposer. Objectif : parité en 2025.</strong><br /><br />«Merci. Vous m’inspirez toutes !» Les compliments fusent, cette semaine à Annecy. Les femmes sont à l’honneur et certaines retiennent toute l’attention. Productrices, responsables du développement, programmatrices… elles ont fait leur place, à force de persévérance et de courage. Pour aider leurs consœurs, elles s’impliquent au sein de l’organisation internationale Women in Animation (WIA). Lors du festival, les membres de l’équipe présentaient les résultats d’une enquête inédite.</p>
<p>Dans le milieu, on compte 60 % de femmes parmi les étudiant-e-s, 20 % parmi les professionnel-le-s. Des chiffres pour la seule ville de Los Angeles, mais qui seraient similaires dans le monde entier, selon la co-présidente de WIA, Marge Dean. Où passent donc les 40 % restants, après l’obtention du diplôme ? Mystère. Cela fera l’objet de nouvelles recherches.</p>
<p><strong>Messieurs, la compétition est ouverte</strong><br />L’attention se concentre aussi sur le type de métier. Le problème date de la naissance du cinéma d’animation. En 1938, Walt Disney répondait à la candidature d’une jeune artiste en précisant que : «Le seul travail ouvert aux femmes consiste à dessiner les contours des personnages sur des feuilles vierges à l'encre de Chine et à les remplir de peinture au verso, en suivant les indications données.»</p>
<p>Aujourd’hui encore, on retrouve davantage de femmes dans les rôles exécutifs que créatifs. Elles sont quasiment absentes dans la réalisation de longs métrages, si on ne leur accole pas un homme (comme Jennifer Lee, accompagnée de Chris Buck au générique de <em>La Reine des neiges</em>).</p>
<p>Cette année, le Festival international du film d’animation d’Annecy a réuni des jurys entièrement féminins, mais celui de la compétition officielle longs métrages devra départager… uniquement des hommes. Un paradoxe. Marge Dean, également jurée, défend l’événement : «Ne blâmez pas les organisateurs ! On ne leur a pas assez soumis de films de femmes. Cette édition spéciale, c’est déjà beaucoup.»</p>
<p><strong style="font-size: 10px;">« Ne tracassez pas votre jolie petite tête ! »</strong></p>
<p><span style="font-size: 10px;">Beaucoup. Mais pas suffisant. Les professionnelles se plaignent d’une certaine solitude, dans un milieu viril. Elles font face, aussi, à un sexisme latent. Adina Pitt de WIA, brillante vice-présidente acquisition de contenus et coproductions (pour Cartoon Network et Boomerang), préfère en rire : «Un jour, au téléphone, on m’a répondu "Ne tracassez pas votre jolie petite tête avec ça !"»</span></p>
<p>Côté Europe, la réalisatrice française Florence Miailhe n’a pas senti d’obstacles pour la production de ses courts métrages. «Maintenant, je cherche à créer mon premier long. C’est difficile de trouver des financements, mais je ne sais pas si mon statut de femme entre en jeu… Enfin, on m’a quand même dit, malgré mon Cristal à Annecy, mon César et une mention spéciale à Cannes : "Tu sais, il faut des épaules solides pour faire un long métrage !"»</p>
<p>Une jeune femme raconte aussi qu’elle a carrément dû demander à sa hiérarchie d’intervenir. Au studio, ses collègues ayant découvert ses convictions féministes, ils se permettaient des remarques désobligeantes. «Certes, on ne sent pas de discrimination tous les jours. Mais dans l’animation, on entre dans un boys club.» Elle préfère témoigner de façon anonyme.</p>
<p>Les mentalités doivent changer. Les femmes aussi. À Annecy, le problème principal a bien été identifié : elles ne font pas assez preuve de courage pour s’imposer. Marge Dean raconte que, quand elle a commencé à travailler pour Mattel en tant que directrice de production, elle ne voyait que des hommes, avant de réclamer une certaine parité. «J’ai dit : "Vraiment, Messieurs, vous n’y avez pas pensé ? Peut-être pourrions commencer à engager des femmes pour la réalisation de Barbie.» Elle reçut une réaction positive. « fallait juste demander ! Ils n’y avaient pas pensé…»</p>
<p>Les femmes, douées dans l’organisation, manqueraient encore de cran pour affirmer haut et fort «C’est mon film !» WIA organise donc des programmes de mentorat, afin d’encourager les animatrices à être des leaders.</p>
<p><strong>«Que les rêves deviennent réalité»</strong></p>
<p><span style="font-size: 10px;">L’association se concentre aussi sur le réseau, afin de s’embaucher entre femmes, et sur des formations. Ces battantes comptent bien révolutionner l’animation. Après presque dix ans de travail, Marge Dean n’a qu’un seul regret : «En 2006, dans notre milieu, on comptait 16 % de femmes. Aujourd’hui, 20 %. L’évolution n’est pas assez rapide.»</span></p>
<p>Le groupe vise le chiffre courageux de 50 % en 2025. Encore une décennie pour évoluer, et faire avancer notre culture. Car les animateurs s’adressent souvent aux enfants et peuvent jouer un rôle fort dans la représentation des femmes. <br />Courage, Mesdames. «Suivez vos rêves. Vous pouvez les faire devenir réalité.» À Annecy, la phrase n’est pas sortie d’un dessin animé mielleux, mais de Jinko Gotoh, éminente productrice exécutive (dernier film en date : <em>Le Petit Prince</em>). Une prise de conscience collective. Durant le festival, une association française "Les femmes s’animent" a été lancée. Tout le monde veut faire preuve d’optimisme, avec un credo : place au changement. <br /><br /><br />Notes :<br />Festival international du film d’animation d’Annecy jusqu’au 20 juin 2015. Programme sur www.annecy.org<br />Plus d’informations sur Women in Animation sur le site www.womeninanimation.org<br /><br />Photo <em>Florence Miailhe en dédicace à Annecy. Le festival lui remet le Cristal d’honneur 2015 pour sa carrière.</em> © Clémentine Delignières</p>
<p> </p>
<p><strong> </strong></p>
<p><img src="images/Florence_Miaihle.JPG" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p><br /><strong>Cette année, le Festival international du film d’animation d’Annecy rend hommage aux femmes. Celles que Disney cantonnaient aux rôles secondaires – notamment au coloriage... Aujourd’hui, rassemblées en association, les professionnelles du milieu veulent s’imposer. Objectif : parité en 2025.</strong><br /><br />«Merci. Vous m’inspirez toutes !» Les compliments fusent, cette semaine à Annecy. Les femmes sont à l’honneur et certaines retiennent toute l’attention. Productrices, responsables du développement, programmatrices… elles ont fait leur place, à force de persévérance et de courage. Pour aider leurs consœurs, elles s’impliquent au sein de l’organisation internationale Women in Animation (WIA). Lors du festival, les membres de l’équipe présentaient les résultats d’une enquête inédite.</p>
<p>Dans le milieu, on compte 60 % de femmes parmi les étudiant-e-s, 20 % parmi les professionnel-le-s. Des chiffres pour la seule ville de Los Angeles, mais qui seraient similaires dans le monde entier, selon la co-présidente de WIA, Marge Dean. Où passent donc les 40 % restants, après l’obtention du diplôme ? Mystère. Cela fera l’objet de nouvelles recherches.</p>
<p><strong>Messieurs, la compétition est ouverte</strong><br />L’attention se concentre aussi sur le type de métier. Le problème date de la naissance du cinéma d’animation. En 1938, Walt Disney répondait à la candidature d’une jeune artiste en précisant que : «Le seul travail ouvert aux femmes consiste à dessiner les contours des personnages sur des feuilles vierges à l'encre de Chine et à les remplir de peinture au verso, en suivant les indications données.»</p>
<p>Aujourd’hui encore, on retrouve davantage de femmes dans les rôles exécutifs que créatifs. Elles sont quasiment absentes dans la réalisation de longs métrages, si on ne leur accole pas un homme (comme Jennifer Lee, accompagnée de Chris Buck au générique de <em>La Reine des neiges</em>).</p>
<p>Cette année, le Festival international du film d’animation d’Annecy a réuni des jurys entièrement féminins, mais celui de la compétition officielle longs métrages devra départager… uniquement des hommes. Un paradoxe. Marge Dean, également jurée, défend l’événement : «Ne blâmez pas les organisateurs ! On ne leur a pas assez soumis de films de femmes. Cette édition spéciale, c’est déjà beaucoup.»</p>
<p><strong style="font-size: 10px;">« Ne tracassez pas votre jolie petite tête ! »</strong></p>
<p><span style="font-size: 10px;">Beaucoup. Mais pas suffisant. Les professionnelles se plaignent d’une certaine solitude, dans un milieu viril. Elles font face, aussi, à un sexisme latent. Adina Pitt de WIA, brillante vice-présidente acquisition de contenus et coproductions (pour Cartoon Network et Boomerang), préfère en rire : «Un jour, au téléphone, on m’a répondu "Ne tracassez pas votre jolie petite tête avec ça !"»</span></p>
<p>Côté Europe, la réalisatrice française Florence Miailhe n’a pas senti d’obstacles pour la production de ses courts métrages. «Maintenant, je cherche à créer mon premier long. C’est difficile de trouver des financements, mais je ne sais pas si mon statut de femme entre en jeu… Enfin, on m’a quand même dit, malgré mon Cristal à Annecy, mon César et une mention spéciale à Cannes : "Tu sais, il faut des épaules solides pour faire un long métrage !"»</p>
<p>Une jeune femme raconte aussi qu’elle a carrément dû demander à sa hiérarchie d’intervenir. Au studio, ses collègues ayant découvert ses convictions féministes, ils se permettaient des remarques désobligeantes. «Certes, on ne sent pas de discrimination tous les jours. Mais dans l’animation, on entre dans un boys club.» Elle préfère témoigner de façon anonyme.</p>
<p>Les mentalités doivent changer. Les femmes aussi. À Annecy, le problème principal a bien été identifié : elles ne font pas assez preuve de courage pour s’imposer. Marge Dean raconte que, quand elle a commencé à travailler pour Mattel en tant que directrice de production, elle ne voyait que des hommes, avant de réclamer une certaine parité. «J’ai dit : "Vraiment, Messieurs, vous n’y avez pas pensé ? Peut-être pourrions commencer à engager des femmes pour la réalisation de Barbie.» Elle reçut une réaction positive. « fallait juste demander ! Ils n’y avaient pas pensé…»</p>
<p>Les femmes, douées dans l’organisation, manqueraient encore de cran pour affirmer haut et fort «C’est mon film !» WIA organise donc des programmes de mentorat, afin d’encourager les animatrices à être des leaders.</p>
<p><strong>«Que les rêves deviennent réalité»</strong></p>
<p><span style="font-size: 10px;">L’association se concentre aussi sur le réseau, afin de s’embaucher entre femmes, et sur des formations. Ces battantes comptent bien révolutionner l’animation. Après presque dix ans de travail, Marge Dean n’a qu’un seul regret : «En 2006, dans notre milieu, on comptait 16 % de femmes. Aujourd’hui, 20 %. L’évolution n’est pas assez rapide.»</span></p>
<p>Le groupe vise le chiffre courageux de 50 % en 2025. Encore une décennie pour évoluer, et faire avancer notre culture. Car les animateurs s’adressent souvent aux enfants et peuvent jouer un rôle fort dans la représentation des femmes. <br />Courage, Mesdames. «Suivez vos rêves. Vous pouvez les faire devenir réalité.» À Annecy, la phrase n’est pas sortie d’un dessin animé mielleux, mais de Jinko Gotoh, éminente productrice exécutive (dernier film en date : <em>Le Petit Prince</em>). Une prise de conscience collective. Durant le festival, une association française "Les femmes s’animent" a été lancée. Tout le monde veut faire preuve d’optimisme, avec un credo : place au changement. <br /><br /><br />Notes :<br />Festival international du film d’animation d’Annecy jusqu’au 20 juin 2015. Programme sur www.annecy.org<br />Plus d’informations sur Women in Animation sur le site www.womeninanimation.org<br /><br />Photo <em>Florence Miailhe en dédicace à Annecy. Le festival lui remet le Cristal d’honneur 2015 pour sa carrière.</em> © Clémentine Delignières</p>
TransScreen, un genre de festival
2015-06-15T03:56:29+00:00
2015-06-15T03:56:29+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/736-transscreen-un-genre-de-festival-
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/flyerpage1-e1429379883556.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Amsterdam vient de clore la troisième édition de TransScreen, le plus grand festival de films transgenres en Europe. Ce rendez-vous incontournable organisé tous les deux ans par une poignée de bénévoles propose une programmation riche et diverse consacrée à la culture et aux identités trans*.</strong><br /><br />Si les organisateurs-trices veulent avant tout sensibiliser le public, ils/elles envisagent TransScreen comme «un événement au cours duquel la diversité (trans)genre est la norme. C’est un espace où chacun-e peut être soi-même dans un environnement sûr. Quelle que soit son orientation de genre ou sa préférence sexuelle». En ce sens, l’équipe de militant-e-s qui assure l’intendance explique que le festival a clairement une «mission sociale» et d’ailleurs, des rencontres sont organisées avant le lancement officiel du festival pour permettre aux personnes trans* de se retrouver, d’échanger et de créer des liens privilégiés. Les personnes trans* qui fréquentent le festival apprécient ces moments en dehors de la communauté LGBT, qui selon elles, est trop souvent accaparée par les hommes gays. TransScreen apparaît comme une respiration.<br /><br />Le challenge de l’aveu même des programmateurs-trices tient à la difficulté de restituer au mieux la multiplicité des expériences et des points de vue trans*. C’est en partie pour cette raison que les documentaires ont pris le pas sur les fictions cette année. Et l’idée d’élargir les représentations et les réalités a conduit l’équipe à ouvrir la sélection aux productions venues des pays du Sud et de l’Est plutôt que de s’en tenir aux Anglo-Saxonnes. Et comme il faut faire un choix, deux thématiques ont été privilégiées, à savoir la transparentalité et les travaileurs-euses du sexe.<br /><br />En ouverture, c’est le film hawaïen de Dean Hamer et Joe Wilson <a href="http://www.pbs.org/independentlens/kumu-hina/film.html"><span style="text-decoration: underline;">Kumu Hina</span></a>, qui raconte la vie d’Hina Wong-Kalu, professeure à Honolulu. Dans son rôle de passeuse des traditions hawaiiennes aux plus jeunes, Hina ranime la symbolique sacrée des māhū (personnes transgenres) avant l’arrivée des missionnaires chrétiens, et les valeurs ancestrales de l’aloha : amour, honneur et respect pour tous.<br /><br />La série documentaire <a href="http://www.mygenderation.com/"><span style="text-decoration: underline;">My genderation</span></a> donne quant à elle un aperçu du vécu collectif et individuel de personnes trans*. Le projet réalisé par des trans* s’adresse au grand public. A noter l’excellent <a href="https://vimeo.com/84257153"><span style="text-decoration: underline;">Kate Bornstein is a queer and pleasant danger </span></a> de Sam Feder qui se définit comme trans-gouine, polyamoureuse SM entre autres délices.<br /><br />Pour celles et ceux qui auraient manqué cette édition, il vous faudra patienter jusqu’en 2017.</p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/flyerpage1-e1429379883556.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Amsterdam vient de clore la troisième édition de TransScreen, le plus grand festival de films transgenres en Europe. Ce rendez-vous incontournable organisé tous les deux ans par une poignée de bénévoles propose une programmation riche et diverse consacrée à la culture et aux identités trans*.</strong><br /><br />Si les organisateurs-trices veulent avant tout sensibiliser le public, ils/elles envisagent TransScreen comme «un événement au cours duquel la diversité (trans)genre est la norme. C’est un espace où chacun-e peut être soi-même dans un environnement sûr. Quelle que soit son orientation de genre ou sa préférence sexuelle». En ce sens, l’équipe de militant-e-s qui assure l’intendance explique que le festival a clairement une «mission sociale» et d’ailleurs, des rencontres sont organisées avant le lancement officiel du festival pour permettre aux personnes trans* de se retrouver, d’échanger et de créer des liens privilégiés. Les personnes trans* qui fréquentent le festival apprécient ces moments en dehors de la communauté LGBT, qui selon elles, est trop souvent accaparée par les hommes gays. TransScreen apparaît comme une respiration.<br /><br />Le challenge de l’aveu même des programmateurs-trices tient à la difficulté de restituer au mieux la multiplicité des expériences et des points de vue trans*. C’est en partie pour cette raison que les documentaires ont pris le pas sur les fictions cette année. Et l’idée d’élargir les représentations et les réalités a conduit l’équipe à ouvrir la sélection aux productions venues des pays du Sud et de l’Est plutôt que de s’en tenir aux Anglo-Saxonnes. Et comme il faut faire un choix, deux thématiques ont été privilégiées, à savoir la transparentalité et les travaileurs-euses du sexe.<br /><br />En ouverture, c’est le film hawaïen de Dean Hamer et Joe Wilson <a href="http://www.pbs.org/independentlens/kumu-hina/film.html"><span style="text-decoration: underline;">Kumu Hina</span></a>, qui raconte la vie d’Hina Wong-Kalu, professeure à Honolulu. Dans son rôle de passeuse des traditions hawaiiennes aux plus jeunes, Hina ranime la symbolique sacrée des māhū (personnes transgenres) avant l’arrivée des missionnaires chrétiens, et les valeurs ancestrales de l’aloha : amour, honneur et respect pour tous.<br /><br />La série documentaire <a href="http://www.mygenderation.com/"><span style="text-decoration: underline;">My genderation</span></a> donne quant à elle un aperçu du vécu collectif et individuel de personnes trans*. Le projet réalisé par des trans* s’adresse au grand public. A noter l’excellent <a href="https://vimeo.com/84257153"><span style="text-decoration: underline;">Kate Bornstein is a queer and pleasant danger </span></a> de Sam Feder qui se définit comme trans-gouine, polyamoureuse SM entre autres délices.<br /><br />Pour celles et ceux qui auraient manqué cette édition, il vous faudra patienter jusqu’en 2017.</p>
Insultes et préjugés
2015-06-01T12:13:59+00:00
2015-06-01T12:13:59+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/732-insultes-et-prejuges
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/dad%20bod.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Voici deux semaines, on avait eu droit au <em>beach body</em>, il y a huit jours, le <em>dad bod</em> et son corollaire le <em>mom bod</em>. Symptôme saisonnier à l’approche de l’été ou concentré de sexisme et de préjugés variés ? Toujours est-il que les réseaux sociaux se délectent de ces morceaux de choix qui sont jetés en pâture à des internautes toujours ravi-e-s de donner leur avis.</strong><br /><br />Le<em> dad bod</em> ou ventre de papa vient des Etats-Unis (surprise !). Non pas d’une de ces études commandées à un obscur labo indépendant qui tire des conclusions hâtives à partir de pauvres tests commis sur deux-trois cobayes égarés et mal payés, non ça vient du cerveau lumineux de Mackenzie Pearson, une étudiante âgée de 19 ans de l’Université de Clemson (Caroline du Sud) qui a publié sur le journal en ligne de la fac un petit texte intitulé “<em>Why Girls Love The Dad Bod</em>” (Pourquoi les filles aiment le <em>dad bod</em>, ndlr). Elle y explique les raisons de préférer les garçons bedonnants : plus doux, moins cavaleurs, meilleurs faire-valoir. Après les réseaux sociaux qui se sont emparés du débat, le Washington Post l’a carrément érigé en mouvement de société.<br /><br />Parler de sexisme à ce propos relève de l’évidence, à commencer par la différence de traitement qui est ici faite entre les corps masculins et féminins. Si les femmes en surpoids n’ont que peu de chance d’être valorisées, les hommes en revanche restent «sexy» avec la bedaine. Le corps parfait pour les unes passe par la minceur et la beauté tandis que pour les autres, le muscle est la norme. Un peu de ventre reste associé à une forme de virilité. L’injonction à la minceur pour les femmes s’inscrit dans un système de contrôle social permanent qui pèse sur elles dans tous les espaces (privé et public). Les hommes sont libres de se goinfrer, de sécher les cours de pilates, sans jamais craindre de se faire plaquer pour un embonpoint quelconque. <br /><br />Quant au critère de l’âge que Mackenzie Pearson a introduit dans son appellation, là encore, la différence est flagrante. Si l’image paternelle rassure, celle de la mère est repoussoir. Au point qu’une journaliste du New-Yorker, Susan Orlean, s’est même demandé si le terme «<em>mom</em>» (maman, ndlr) ne devenait pas un gros mot. Et de répertorier les expressions qui allaient dans ce sens. Tout ce qui est «<em>mommy thing</em>» est ringard, antisexy avec en point d’orgue le <em>mom jean</em>, emblème des années 90. <br /><br />Alors vous êtes une femme, mère, avec des kilos en trop et vous perdez votre confiance en vous ? Qu’est-ce qui vous reste ? Un hashtag # momisbeautiful ? l’émiliE pencherait pour #everybodysperfect.</p>
<p>Photo DR</p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/dad%20bod.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Voici deux semaines, on avait eu droit au <em>beach body</em>, il y a huit jours, le <em>dad bod</em> et son corollaire le <em>mom bod</em>. Symptôme saisonnier à l’approche de l’été ou concentré de sexisme et de préjugés variés ? Toujours est-il que les réseaux sociaux se délectent de ces morceaux de choix qui sont jetés en pâture à des internautes toujours ravi-e-s de donner leur avis.</strong><br /><br />Le<em> dad bod</em> ou ventre de papa vient des Etats-Unis (surprise !). Non pas d’une de ces études commandées à un obscur labo indépendant qui tire des conclusions hâtives à partir de pauvres tests commis sur deux-trois cobayes égarés et mal payés, non ça vient du cerveau lumineux de Mackenzie Pearson, une étudiante âgée de 19 ans de l’Université de Clemson (Caroline du Sud) qui a publié sur le journal en ligne de la fac un petit texte intitulé “<em>Why Girls Love The Dad Bod</em>” (Pourquoi les filles aiment le <em>dad bod</em>, ndlr). Elle y explique les raisons de préférer les garçons bedonnants : plus doux, moins cavaleurs, meilleurs faire-valoir. Après les réseaux sociaux qui se sont emparés du débat, le Washington Post l’a carrément érigé en mouvement de société.<br /><br />Parler de sexisme à ce propos relève de l’évidence, à commencer par la différence de traitement qui est ici faite entre les corps masculins et féminins. Si les femmes en surpoids n’ont que peu de chance d’être valorisées, les hommes en revanche restent «sexy» avec la bedaine. Le corps parfait pour les unes passe par la minceur et la beauté tandis que pour les autres, le muscle est la norme. Un peu de ventre reste associé à une forme de virilité. L’injonction à la minceur pour les femmes s’inscrit dans un système de contrôle social permanent qui pèse sur elles dans tous les espaces (privé et public). Les hommes sont libres de se goinfrer, de sécher les cours de pilates, sans jamais craindre de se faire plaquer pour un embonpoint quelconque. <br /><br />Quant au critère de l’âge que Mackenzie Pearson a introduit dans son appellation, là encore, la différence est flagrante. Si l’image paternelle rassure, celle de la mère est repoussoir. Au point qu’une journaliste du New-Yorker, Susan Orlean, s’est même demandé si le terme «<em>mom</em>» (maman, ndlr) ne devenait pas un gros mot. Et de répertorier les expressions qui allaient dans ce sens. Tout ce qui est «<em>mommy thing</em>» est ringard, antisexy avec en point d’orgue le <em>mom jean</em>, emblème des années 90. <br /><br />Alors vous êtes une femme, mère, avec des kilos en trop et vous perdez votre confiance en vous ? Qu’est-ce qui vous reste ? Un hashtag # momisbeautiful ? l’émiliE pencherait pour #everybodysperfect.</p>
<p>Photo DR</p>
Les nonnes se rebiffent
2015-05-22T03:48:40+00:00
2015-05-22T03:48:40+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/728-les-nonnes-se-rebiffent
Hellen Williams
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/forcades.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /><br /><br /><strong>Pendant que l’évêque de Sion s’embourbe dans une provocation d’un autre siècle, en Espagne des religieuses bien dans leur temps imposent un activisme décalotté. A la veille des Municipales espagnoles, Lucía Caram, sœur dominicaine de Manresa, et Teresa Forcades, bénédictine au Monastère de San Benet, défient le Vatican en exposant publiquement leurs convictions politiques. Ce tombé du bâillon pas très catholique froisse les soutanes en haut-lieu, au point que le retour de férule ne s’est pas fait attendre.</strong><br /><br />Convoquée vendredi dernier à Rome, sœur Lucía Caram s’est vue signifier par le nonce apostolique que son comportement n’était en rien compatible avec la vie monastique. Mais Caram, qui se définit elle-même comme la «nonne casse-couilles» dans <span style="text-decoration: underline;"><a href="http://www.elperiodico.com/es/noticias/barcelona/sor-lucia-caram-puede-construir-desde-indignacion-4202309"><em>El</em></a> </span><span style="text-decoration: underline;"><em><span style="text-decoration: underline;">Per</span>iodico</em></span> n’a pas l’intention de laisser le Saint-Siège lui dicter sa conduite. Habituée des débats télévisés, sœur Lucia accompagnait hier encore le candidat de la droite indépendantiste Xavier Trias, pour dénoncer la démagogie facile d’une certaine gauche (celle des Indignés) et dire que le fait de se plaindre, et de ne pas aller voter, est un péché. Et pas question de rentrer dans l’(es) ordre(s) après les élections : la nonne la plus médiatique d’Espagne s’apprête à tâter de la téléréalité avec «En la caja » (« Dans la boîte ») où elle «affrontera» au vu et au su de tous une vie de luxe et d’abondance…<br /><br />A l’opposé idéologique de Caram, Teresa Forcades secoue elle-aussi le bénitier. Bénédictine indomptable, docteure en théologie et en santé publique, enseignante de théologie queer à l’Université de Berlin, elle s’affirme féministe radicale et favorable au mariage homo. Une religieuse pas très canonique dont Paul B. <a href="http://paroledequeer.blogspot.com.es/2014/10/encarnar-disidencias-entrevista-beatriz.html"><span style="text-decoration: underline;">Preciado</span></a> dit: «Si j’avais été nonne, ou plutôt curé, j’aurais pu être Teresa Forcades». Proche du mouvement de gauche Podemos, Forcades envisage même l’exclaustration si c’est le seul moyen de défendre la plateforme pacifiste et démocratique qu’elle a fondée, Procès Consituent. Se présentera-t-elle aux élections? Pas si les évêques barcelonais de Vic et de San-Feliu-de-Llobregat ont le dernier mot.<br /><br />En effet, alors que François peut y aller de ses petits tangos verbaux (un pas en avant, trois pas en arrière) sans défriser les congrégations, les soeurs, elles, seraient condamnées au motus éternel? Curieusement, sa Sainteté n’a pas pipé quand Suor Cristina entonnait<em> Like a Virgin</em> dans l’édition italienne de <em>The Voice</em> ; ni quand le <a href="http://www.telecinco.es/lavoz/voz-edicion-3/programas/batallas/primera-batallas-29-04-2015/batalla-Toni-Padre-Damian_2_1979280214.html"><span style="text-decoration: underline;">padre Damian</span></a>, hipster pur en bure, susurrait <em>Love me Again</em> à son compère Tony dans la version espagnole du concours. Le pape est pop, peut-être ? <br /><br />Gardons la foi ! Caram et Forcades n’ont pas dit leur dernier Ave. L’Espagne qui encensait Sœur Rat d’égout et <a href="http://www.wat.tv/video/dans-tenebres-sali-porque-sali-3cl8v_37tcd_.html"><span style="text-decoration: underline;">les cornettes d’Almodovar</span></a> en 1983, ne saurait aujourd’hui museler ses féministes insoumis-e-s, nonnes ou non, pape ou pas. Rendez-vous dimanche, devant l’autel des urnes. Quant à l’évêque de Sion, trois Pater, quinze <em>Love me Again</em>, et nous lui pardonnerons, car il ne sait pas ce qu’il fait.<br /><br />Photo: Teresa Forcades © e-noticies</p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span>Vidéo: © El Deseo<br /></span></span></p>
<p><img src="images/genresfeminismes/forcades.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /><br /><br /><strong>Pendant que l’évêque de Sion s’embourbe dans une provocation d’un autre siècle, en Espagne des religieuses bien dans leur temps imposent un activisme décalotté. A la veille des Municipales espagnoles, Lucía Caram, sœur dominicaine de Manresa, et Teresa Forcades, bénédictine au Monastère de San Benet, défient le Vatican en exposant publiquement leurs convictions politiques. Ce tombé du bâillon pas très catholique froisse les soutanes en haut-lieu, au point que le retour de férule ne s’est pas fait attendre.</strong><br /><br />Convoquée vendredi dernier à Rome, sœur Lucía Caram s’est vue signifier par le nonce apostolique que son comportement n’était en rien compatible avec la vie monastique. Mais Caram, qui se définit elle-même comme la «nonne casse-couilles» dans <span style="text-decoration: underline;"><a href="http://www.elperiodico.com/es/noticias/barcelona/sor-lucia-caram-puede-construir-desde-indignacion-4202309"><em>El</em></a> </span><span style="text-decoration: underline;"><em><span style="text-decoration: underline;">Per</span>iodico</em></span> n’a pas l’intention de laisser le Saint-Siège lui dicter sa conduite. Habituée des débats télévisés, sœur Lucia accompagnait hier encore le candidat de la droite indépendantiste Xavier Trias, pour dénoncer la démagogie facile d’une certaine gauche (celle des Indignés) et dire que le fait de se plaindre, et de ne pas aller voter, est un péché. Et pas question de rentrer dans l’(es) ordre(s) après les élections : la nonne la plus médiatique d’Espagne s’apprête à tâter de la téléréalité avec «En la caja » (« Dans la boîte ») où elle «affrontera» au vu et au su de tous une vie de luxe et d’abondance…<br /><br />A l’opposé idéologique de Caram, Teresa Forcades secoue elle-aussi le bénitier. Bénédictine indomptable, docteure en théologie et en santé publique, enseignante de théologie queer à l’Université de Berlin, elle s’affirme féministe radicale et favorable au mariage homo. Une religieuse pas très canonique dont Paul B. <a href="http://paroledequeer.blogspot.com.es/2014/10/encarnar-disidencias-entrevista-beatriz.html"><span style="text-decoration: underline;">Preciado</span></a> dit: «Si j’avais été nonne, ou plutôt curé, j’aurais pu être Teresa Forcades». Proche du mouvement de gauche Podemos, Forcades envisage même l’exclaustration si c’est le seul moyen de défendre la plateforme pacifiste et démocratique qu’elle a fondée, Procès Consituent. Se présentera-t-elle aux élections? Pas si les évêques barcelonais de Vic et de San-Feliu-de-Llobregat ont le dernier mot.<br /><br />En effet, alors que François peut y aller de ses petits tangos verbaux (un pas en avant, trois pas en arrière) sans défriser les congrégations, les soeurs, elles, seraient condamnées au motus éternel? Curieusement, sa Sainteté n’a pas pipé quand Suor Cristina entonnait<em> Like a Virgin</em> dans l’édition italienne de <em>The Voice</em> ; ni quand le <a href="http://www.telecinco.es/lavoz/voz-edicion-3/programas/batallas/primera-batallas-29-04-2015/batalla-Toni-Padre-Damian_2_1979280214.html"><span style="text-decoration: underline;">padre Damian</span></a>, hipster pur en bure, susurrait <em>Love me Again</em> à son compère Tony dans la version espagnole du concours. Le pape est pop, peut-être ? <br /><br />Gardons la foi ! Caram et Forcades n’ont pas dit leur dernier Ave. L’Espagne qui encensait Sœur Rat d’égout et <a href="http://www.wat.tv/video/dans-tenebres-sali-porque-sali-3cl8v_37tcd_.html"><span style="text-decoration: underline;">les cornettes d’Almodovar</span></a> en 1983, ne saurait aujourd’hui museler ses féministes insoumis-e-s, nonnes ou non, pape ou pas. Rendez-vous dimanche, devant l’autel des urnes. Quant à l’évêque de Sion, trois Pater, quinze <em>Love me Again</em>, et nous lui pardonnerons, car il ne sait pas ce qu’il fait.<br /><br />Photo: Teresa Forcades © e-noticies</p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span>Vidéo: © El Deseo<br /></span></span></p>
La caravane de la MMF débarque à Genève
2015-05-19T11:12:19+00:00
2015-05-19T11:12:19+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/726-la-caravane-de-la-mmf-debarque-a-geneve
REDACTION
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/agenda/MMF.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>En 2015, en Europe, l’action de la MMF a pris la forme d’une caravane qui traverse plusieurs pays du continent. Elle a symboliquement commencé son périple le 8 mars dernier depuis le Kurdistan pour circuler ensuite à travers la Grèce, les Balkans, l’Italie et arriver en Suisse en mai. La suite du programme se fera en France, Allemagne, Belgique, Autriche, Hongrie, Espagne, puis se terminera au Portugal en octobre. Cette caravane contribue à forger une mémoire collective et à consolider les liens des mouvements féministes à travers l’Europe.</strong><br /><br />La Marche mondiale des femmes est un réseau féministe d'action qui lutte contre la pauvreté et contre les violences faites aux femmes et qui revendique un monde respectant la diversité et la pluralité des cultures et préservant l'environnement. Au début du projet, une polémique était née au sein même du mouvement, des éco-féministes contestaient l’idée de circuler en camion plutôt qu’en transport en commun. <br /><br />En fin de compte, la caravane débarquera malgré tout à Genève du 23 au 25 mai 2015. Différents ateliers, débats, animations seront proposés au public, notamment la projection du film Laïcité Inch’Allah de Nadia El Fani en présence de la réalisatrice, à la maison de quartier des Pâquis le samedi 23. Des discussions autour de thématiques aussi diverses que l’austérité, les employées de maison sans papier, la militarisation dans le monde ou la souveraineté alimentaire sont prévues. Dimanche soir, c’est fiesta et lundi rendez-vous au parc Beaulieu pour gratter la terre et faire griller des saucisses de veau. Décidément nos amies écoféministes végétariennes pour la plupart (à n'en pas douter) ne sont pas à la fête et risquent de faire la tête : l’idée de durabilité n’est pas vraiment au centre des préoccupations de la MMF sur ce coup-là. Une prochaine fois peut-être…<br /><br /><a href="http://www.marchemondiale.ch">www.marchemondiale.ch</a></p>
<p><strong><img src="images/agenda/MMF.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>En 2015, en Europe, l’action de la MMF a pris la forme d’une caravane qui traverse plusieurs pays du continent. Elle a symboliquement commencé son périple le 8 mars dernier depuis le Kurdistan pour circuler ensuite à travers la Grèce, les Balkans, l’Italie et arriver en Suisse en mai. La suite du programme se fera en France, Allemagne, Belgique, Autriche, Hongrie, Espagne, puis se terminera au Portugal en octobre. Cette caravane contribue à forger une mémoire collective et à consolider les liens des mouvements féministes à travers l’Europe.</strong><br /><br />La Marche mondiale des femmes est un réseau féministe d'action qui lutte contre la pauvreté et contre les violences faites aux femmes et qui revendique un monde respectant la diversité et la pluralité des cultures et préservant l'environnement. Au début du projet, une polémique était née au sein même du mouvement, des éco-féministes contestaient l’idée de circuler en camion plutôt qu’en transport en commun. <br /><br />En fin de compte, la caravane débarquera malgré tout à Genève du 23 au 25 mai 2015. Différents ateliers, débats, animations seront proposés au public, notamment la projection du film Laïcité Inch’Allah de Nadia El Fani en présence de la réalisatrice, à la maison de quartier des Pâquis le samedi 23. Des discussions autour de thématiques aussi diverses que l’austérité, les employées de maison sans papier, la militarisation dans le monde ou la souveraineté alimentaire sont prévues. Dimanche soir, c’est fiesta et lundi rendez-vous au parc Beaulieu pour gratter la terre et faire griller des saucisses de veau. Décidément nos amies écoféministes végétariennes pour la plupart (à n'en pas douter) ne sont pas à la fête et risquent de faire la tête : l’idée de durabilité n’est pas vraiment au centre des préoccupations de la MMF sur ce coup-là. Une prochaine fois peut-être…<br /><br /><a href="http://www.marchemondiale.ch">www.marchemondiale.ch</a></p>
Artivisme en vue
2015-05-12T03:21:16+00:00
2015-05-12T03:21:16+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/723-artivisme-en-vue
Hellen Williams
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/accion-mujeres-contra-anuncio-multiopticas-4.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p><br /><strong>L’artiste espagnole Yolanda Dominguez (Madrid 1977) vient de secouer la toile en recréant “live” et “in situ”, pour le dénoncer, le spot publicitaire sexiste d’une grande marque de lunetteries. Le spot en question, à l’ambiance lupanar de l’ouest constellé de bombasses, dressait, d’après l’artiste, une analogie d’objectification entre les lunettes et les femmes, caractérisant ces dernières comme accessibles et accessoires. Accessibles parce qu’offertes et disponibles, et accessoires parce que l’homme peut en changer comme il veut.</strong> <br /><br />L’artiste a donc appelé les femmes via sa page Facebook à se rendre dans les magasins de la marque, habillées en “prostituées” comme dans <a href="http://www.lavozdegalicia.es/video/sociedad/2015/05/07/anuncio-multiopticas/00311431010493344710876.htm"><span style="text-decoration: underline;">le spot publicitaire</span></a>. <br />Le problème c’est que si à Séville, la police est intervenue en force pour les arrêter, à Madrid de nombreux clients ont pensé qu’ils s’agissait d’une action s’inscrivant dans la stratégie de communication de la marque, qui, en passant a récupéré pour moult euros d’espace publicitaire gratuit en étant citée dans toute la presse.<br /><br />Le film critiqué par Dominguez dégage un sexisme certain (et une hétéro-normativité crasse, ce qui n’a l’air de déranger personne). Mais à part deux quasi-subliminales, les femmes qui y figurent sont habillées comme elles le seraient, par exemple, pour se rendre à un vernissage. Or, sur les photos relayées par la presse et les réseaux sociaux de l’artiste, ses “followeuses” occupent fièrement l’espace public en petite culotte. N’auraient-elles pas pu recréer la scène par un comportement, plutôt que par un déshabillage qui reproduit ce que l’artiste cherche à dénoncer? Ont-elles été envoyées dans l’arène nues juste pour promouvoir l’artiste ?<br /><br />En parlant d’art engagé, l’écrivaine et peintre Bracha Ettinger1 développait en 2006 le concept de “wit(h)ness” néologisme combinant les paroles anglaises witness et with, (en français « témoin » et « avec ») et qui définirait l’action de témoigner par l’art avec empathie, d’accompagner par l’art celle/celui qui souffre. Avec Yolanda Dominguez, l’empathie se perd dans une image ripolinée reprenant les conventions visuelles bien léchées des films publicitaires contemporains. Et même si son action part d’une intention féministe, elle finit “encadrée” et mise en valeur telle une oeuvre d’art canonique, pendant que ses sujets d’inspiration restent anonymes, chairs à commerce pour Occidentaux sur-consommateurs.<br /><br />Alors l’art de Dominguez est-il cause perdue ? Pas tout à fait. Toute femme occupant l’espace public relève du défi et de l’acte politique et contribue ainsi à faire avancer la schmilblickette. Mais toujours depuis le respect et la solidarité. <br /><br />Dominguez demandait à la marque de retirer son annonce. Le lunettier l’a effacée de son site web, mais dit être victime d’une mauvaise compréhension de son spot qui ne visait à reproduire que «la sensation d’être au centre des regards lorsqu’on étrenne quelque chose de neuf». Ce qui serait vraiment neuf, c’est que la publicité cesse d’objectifier les femmes. Mais cette façon de voir n’a pas encore atteint tous les cerveaux… et ce n’est pas une question de lunettes. <br /><br /></p>
<p>Photo A. Sierra Serrano / Yolanda Dominguez</p>
<p><img src="images/genresfeminismes/accion-mujeres-contra-anuncio-multiopticas-4.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p><br /><strong>L’artiste espagnole Yolanda Dominguez (Madrid 1977) vient de secouer la toile en recréant “live” et “in situ”, pour le dénoncer, le spot publicitaire sexiste d’une grande marque de lunetteries. Le spot en question, à l’ambiance lupanar de l’ouest constellé de bombasses, dressait, d’après l’artiste, une analogie d’objectification entre les lunettes et les femmes, caractérisant ces dernières comme accessibles et accessoires. Accessibles parce qu’offertes et disponibles, et accessoires parce que l’homme peut en changer comme il veut.</strong> <br /><br />L’artiste a donc appelé les femmes via sa page Facebook à se rendre dans les magasins de la marque, habillées en “prostituées” comme dans <a href="http://www.lavozdegalicia.es/video/sociedad/2015/05/07/anuncio-multiopticas/00311431010493344710876.htm"><span style="text-decoration: underline;">le spot publicitaire</span></a>. <br />Le problème c’est que si à Séville, la police est intervenue en force pour les arrêter, à Madrid de nombreux clients ont pensé qu’ils s’agissait d’une action s’inscrivant dans la stratégie de communication de la marque, qui, en passant a récupéré pour moult euros d’espace publicitaire gratuit en étant citée dans toute la presse.<br /><br />Le film critiqué par Dominguez dégage un sexisme certain (et une hétéro-normativité crasse, ce qui n’a l’air de déranger personne). Mais à part deux quasi-subliminales, les femmes qui y figurent sont habillées comme elles le seraient, par exemple, pour se rendre à un vernissage. Or, sur les photos relayées par la presse et les réseaux sociaux de l’artiste, ses “followeuses” occupent fièrement l’espace public en petite culotte. N’auraient-elles pas pu recréer la scène par un comportement, plutôt que par un déshabillage qui reproduit ce que l’artiste cherche à dénoncer? Ont-elles été envoyées dans l’arène nues juste pour promouvoir l’artiste ?<br /><br />En parlant d’art engagé, l’écrivaine et peintre Bracha Ettinger1 développait en 2006 le concept de “wit(h)ness” néologisme combinant les paroles anglaises witness et with, (en français « témoin » et « avec ») et qui définirait l’action de témoigner par l’art avec empathie, d’accompagner par l’art celle/celui qui souffre. Avec Yolanda Dominguez, l’empathie se perd dans une image ripolinée reprenant les conventions visuelles bien léchées des films publicitaires contemporains. Et même si son action part d’une intention féministe, elle finit “encadrée” et mise en valeur telle une oeuvre d’art canonique, pendant que ses sujets d’inspiration restent anonymes, chairs à commerce pour Occidentaux sur-consommateurs.<br /><br />Alors l’art de Dominguez est-il cause perdue ? Pas tout à fait. Toute femme occupant l’espace public relève du défi et de l’acte politique et contribue ainsi à faire avancer la schmilblickette. Mais toujours depuis le respect et la solidarité. <br /><br />Dominguez demandait à la marque de retirer son annonce. Le lunettier l’a effacée de son site web, mais dit être victime d’une mauvaise compréhension de son spot qui ne visait à reproduire que «la sensation d’être au centre des regards lorsqu’on étrenne quelque chose de neuf». Ce qui serait vraiment neuf, c’est que la publicité cesse d’objectifier les femmes. Mais cette façon de voir n’a pas encore atteint tous les cerveaux… et ce n’est pas une question de lunettes. <br /><br /></p>
<p>Photo A. Sierra Serrano / Yolanda Dominguez</p>
IVG, le grand pardon version catho?
2015-05-11T07:39:01+00:00
2015-05-11T07:39:01+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/722-ivg-le-grand-pardon-version-catho
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/eloise%20bouton.png" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Le Vatican, désormais habitué, sous le règne de François, à la politique du pas en avant puis deux en arrière, remet le couvert sur la question de l’avortement. A l'occasion du prochain "Jubilé de la miséricorde", les femmes qui ont avorté et les personnes qui les ont aidées pourront être absoutes. Cette initiative ne revient toutefois pas sur la définition de l’avortement qui reste un péché aux yeux de l’église catholique.</strong><br /><br />Dans la religion catholique, ce jubilé, qui va de décembre 2015 à novembre 2016, offre aux fidèles d'obtenir le pardon de leurs péchés. Petite révolution dans ce rituel millénaire, le coordinateur de l’événement, l'archevêque Rino Fisichella, a communiqué à la presse que l'avortement en ferait partie : "Parmi les possibilités de pardon accordées aux missionnaires de la miséricorde, il y aura aussi l'avortement". En effet, tout au long de cette "Année sainte", des cohortes de prêtres seront envoyés comme "missionnaires" pour apporter la miséricorde aux croyant-e-s, c’est-à-dire le pardon. Jusqu'à présent, l'avortement, faute grave punie d'ex-communication automatique, n’était pardonné qu’à certaines conditions et lors de moments bien précis dans le calendrier liturgique comme l'Avent (avant Noël) ou le Carême (avant Pâques), ou lors d’événements symboliques comme actuellement l'ostension du Saint-Suaire du 19 avril au 24 juin prochain dans le diocèse de Turin, a rappelé le cardinal. Ce pardon pourrait être accordé aux femmes ayant avorté, mais aussi aux médecins qui ont pratiqué l’acte. Ils/elles devront pour cela exprimer un "vrai repentir".</p>
<p>Afin de prévenir tout dérapage ou malentendu, Mgr Valasio De Paolis a d’emblée recadré la dimension de l’initiative papale : «L'avortement reste un péché, et le pape n'a pas décidé de l'abroger, a-t-il déclaré au journal florentin <em>La Nazione</em>. Et si l'Eglise catholique veut se positionner par rapport aux avortements pratiqués suite à des viols, elle s'y prend mal et les plus conservateurs de ses leaders lui interdisent d'évoluer sur le sujet comme elle voudrait. On se souvient du scandale au Brésil en 2009 provoqué par l’ex-communication d’une mère et des médecins qui avaient fait avorter une fille de neuf ans, violée par son beau-père. Le Vatican avait alors soutenu l'archevêque de Recife dans sa décision qui estimait que le viol était "moins grave que l'avortement". Le tollé avait été à la hauteur de l’injustice et du crime commis.</p>
<p>En matière d’avortement, le Vatican pratiquerait volontiers un double discours, comme pour l’homosexualité, plutôt que d’aborder sereinement ces problématiques. Du coup, les marges de manœuvre restent limitées et les croyant-e-s restent eux/elles sur leur faim.<br /><br />© Eloïse Bouton, Femen.</p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/eloise%20bouton.png" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Le Vatican, désormais habitué, sous le règne de François, à la politique du pas en avant puis deux en arrière, remet le couvert sur la question de l’avortement. A l'occasion du prochain "Jubilé de la miséricorde", les femmes qui ont avorté et les personnes qui les ont aidées pourront être absoutes. Cette initiative ne revient toutefois pas sur la définition de l’avortement qui reste un péché aux yeux de l’église catholique.</strong><br /><br />Dans la religion catholique, ce jubilé, qui va de décembre 2015 à novembre 2016, offre aux fidèles d'obtenir le pardon de leurs péchés. Petite révolution dans ce rituel millénaire, le coordinateur de l’événement, l'archevêque Rino Fisichella, a communiqué à la presse que l'avortement en ferait partie : "Parmi les possibilités de pardon accordées aux missionnaires de la miséricorde, il y aura aussi l'avortement". En effet, tout au long de cette "Année sainte", des cohortes de prêtres seront envoyés comme "missionnaires" pour apporter la miséricorde aux croyant-e-s, c’est-à-dire le pardon. Jusqu'à présent, l'avortement, faute grave punie d'ex-communication automatique, n’était pardonné qu’à certaines conditions et lors de moments bien précis dans le calendrier liturgique comme l'Avent (avant Noël) ou le Carême (avant Pâques), ou lors d’événements symboliques comme actuellement l'ostension du Saint-Suaire du 19 avril au 24 juin prochain dans le diocèse de Turin, a rappelé le cardinal. Ce pardon pourrait être accordé aux femmes ayant avorté, mais aussi aux médecins qui ont pratiqué l’acte. Ils/elles devront pour cela exprimer un "vrai repentir".</p>
<p>Afin de prévenir tout dérapage ou malentendu, Mgr Valasio De Paolis a d’emblée recadré la dimension de l’initiative papale : «L'avortement reste un péché, et le pape n'a pas décidé de l'abroger, a-t-il déclaré au journal florentin <em>La Nazione</em>. Et si l'Eglise catholique veut se positionner par rapport aux avortements pratiqués suite à des viols, elle s'y prend mal et les plus conservateurs de ses leaders lui interdisent d'évoluer sur le sujet comme elle voudrait. On se souvient du scandale au Brésil en 2009 provoqué par l’ex-communication d’une mère et des médecins qui avaient fait avorter une fille de neuf ans, violée par son beau-père. Le Vatican avait alors soutenu l'archevêque de Recife dans sa décision qui estimait que le viol était "moins grave que l'avortement". Le tollé avait été à la hauteur de l’injustice et du crime commis.</p>
<p>En matière d’avortement, le Vatican pratiquerait volontiers un double discours, comme pour l’homosexualité, plutôt que d’aborder sereinement ces problématiques. Du coup, les marges de manœuvre restent limitées et les croyant-e-s restent eux/elles sur leur faim.<br /><br />© Eloïse Bouton, Femen.</p>
168 produits chimiques par jour
2015-05-04T03:22:04+00:00
2015-05-04T03:22:04+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/719-168-produits-chimiques-par-jour
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/cosmo.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Pour se faire « belle », une femme utilise en moyenne deux fois plus de produits de beauté qu’un homme. Composés de substances chimiques, ces cosmétiques ont un impact sur la santé.</strong> <br /><br />Cosmétiques, parfums, produits d’hygiène… les femmes appliqueraient chaque jour pas moins de 168 substances chimiques sur leur corps et leur visage selon <span style="text-decoration: underline;"><a href="http://www.ewg.org/skindeep/2004/06/15/exposures-add-up-survey-results/">une étude</a></span> indépendante. Si certaines sont inoffensives, d’autres en revanche sont neurotoxiques, cancérigènes ou sont des perturbateurs endocriniens. La plupart n’ont encore pas été testées suffisamment longtemps pour certifier de leurs effets avant d’être mises sur le marché. Certaines recherches commencent à établir un rapport direct entre ces cocktails chimiques et les problèmes de stérilité ou les cancers féminins. Aux Etats-Unis, l’association des gynécologues et obstétriciens (American College of Obstetricians and Gynecologists), a produit un rapport en 2013 dans lequel elle soulignait déjà ce lien de cause à effet. Le problème est que jusqu’à présent, personne ne s’est vraiment penché sur les impacts de ces produits chimiques sur la santé des femmes.<br /><br />Autant les législations peuvent encadrer les ingrédients qui entrent dans la composition des aliments, autant en matière de cosmétiques, elles sont plutôt limitées voire inexistantes. Et quand bien même l’étiquetage mentionne les molécules qui composent telle ou telle crème, les consommatrices sont peu informées de leur réelle dangerosité. En Europe, une mention supplémentaire sur les étiquettes a été apportée sur les substances (au-delà d'une certaine concentration) susceptibles de provoquer des allergies, mais ça s’arrête là. Si la presse féminine parle de ces produits à longueur de pages, c’est surtout pour en vanter leurs mérites, revenus publicitaires obligent. Sur ce coup, la corrélation magazines féminins/marques cosmétiques est plus qu’évidente. Il s’agit de vendre, le reste n’est que poudre aux yeux. Question chiffres, le marché des cosmétiques représente quelque 110 milliards d'euros, soit 3500 euros de produits de beauté et cosmétiques vendus dans le monde chaque seconde. Le bon filon en somme. Et il ne faut surtout pas relâcher la pression sur les femmes.<br /><br />Car la problématique de genre est au cœur du sujet. Les injonctions qui pèsent sur les femmes à travers les discours assénés dans les représentations publicitaires ou dans les magazines féminins conditionnent largement leurs modes de consommation. Un homme, moins exposé à ces messages, utilise en moyenne 5 à 7 produits d’hygiène par jour contre 9 à 12 pour une femme. Les adolescentes, elles, sont les plus touchées avec 17 produits en moyenne chaque jour. Pour de nombreuses femmes conscientes de mettre en danger leur santé, les produits sans phtalates, sans parabène ni autre cochonnerie chimique sont une alternative. Pour d’autres, adeptes du <em>no deo</em> ou du <em>no poo</em>, il s’agit de carrément s’en passer en supprimant déodorant et shampoing. La tendance fait des émules. Et si vous trouvez que l’eau ne fait pas tout, essayez donc de mélanger du bicarbonate de soude avec du vinaigre de cidre, il paraît que le résultat donne des cheveux extraordinairement brillants.</p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/cosmo.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Pour se faire « belle », une femme utilise en moyenne deux fois plus de produits de beauté qu’un homme. Composés de substances chimiques, ces cosmétiques ont un impact sur la santé.</strong> <br /><br />Cosmétiques, parfums, produits d’hygiène… les femmes appliqueraient chaque jour pas moins de 168 substances chimiques sur leur corps et leur visage selon <span style="text-decoration: underline;"><a href="http://www.ewg.org/skindeep/2004/06/15/exposures-add-up-survey-results/">une étude</a></span> indépendante. Si certaines sont inoffensives, d’autres en revanche sont neurotoxiques, cancérigènes ou sont des perturbateurs endocriniens. La plupart n’ont encore pas été testées suffisamment longtemps pour certifier de leurs effets avant d’être mises sur le marché. Certaines recherches commencent à établir un rapport direct entre ces cocktails chimiques et les problèmes de stérilité ou les cancers féminins. Aux Etats-Unis, l’association des gynécologues et obstétriciens (American College of Obstetricians and Gynecologists), a produit un rapport en 2013 dans lequel elle soulignait déjà ce lien de cause à effet. Le problème est que jusqu’à présent, personne ne s’est vraiment penché sur les impacts de ces produits chimiques sur la santé des femmes.<br /><br />Autant les législations peuvent encadrer les ingrédients qui entrent dans la composition des aliments, autant en matière de cosmétiques, elles sont plutôt limitées voire inexistantes. Et quand bien même l’étiquetage mentionne les molécules qui composent telle ou telle crème, les consommatrices sont peu informées de leur réelle dangerosité. En Europe, une mention supplémentaire sur les étiquettes a été apportée sur les substances (au-delà d'une certaine concentration) susceptibles de provoquer des allergies, mais ça s’arrête là. Si la presse féminine parle de ces produits à longueur de pages, c’est surtout pour en vanter leurs mérites, revenus publicitaires obligent. Sur ce coup, la corrélation magazines féminins/marques cosmétiques est plus qu’évidente. Il s’agit de vendre, le reste n’est que poudre aux yeux. Question chiffres, le marché des cosmétiques représente quelque 110 milliards d'euros, soit 3500 euros de produits de beauté et cosmétiques vendus dans le monde chaque seconde. Le bon filon en somme. Et il ne faut surtout pas relâcher la pression sur les femmes.<br /><br />Car la problématique de genre est au cœur du sujet. Les injonctions qui pèsent sur les femmes à travers les discours assénés dans les représentations publicitaires ou dans les magazines féminins conditionnent largement leurs modes de consommation. Un homme, moins exposé à ces messages, utilise en moyenne 5 à 7 produits d’hygiène par jour contre 9 à 12 pour une femme. Les adolescentes, elles, sont les plus touchées avec 17 produits en moyenne chaque jour. Pour de nombreuses femmes conscientes de mettre en danger leur santé, les produits sans phtalates, sans parabène ni autre cochonnerie chimique sont une alternative. Pour d’autres, adeptes du <em>no deo</em> ou du <em>no poo</em>, il s’agit de carrément s’en passer en supprimant déodorant et shampoing. La tendance fait des émules. Et si vous trouvez que l’eau ne fait pas tout, essayez donc de mélanger du bicarbonate de soude avec du vinaigre de cidre, il paraît que le résultat donne des cheveux extraordinairement brillants.</p>
Le GGRA dézingue Zofingue
2015-04-27T10:58:10+00:00
2015-04-27T10:58:10+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/716-le-ggra-dezingue-zofingue
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/arton98.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Samedi 18 avril se tenait la représentation annuelle du spectacle de Zofingue Vaud, une association d'étudiants qui revendique le sexisme comme valeur fondamentale. A cette occasion, le collectif GGRA (Groupe Genre, Réflexion et Action) a mené une action sur scène dans le but de dénoncer la discrimination envers les femmes dont fait preuve le club estudiantin. La <a href="https://www.youtube.com/watch?v=f-EvOSY1deA&feature=youtu.be"><span style="text-decoration: underline;">vidéo</span> </a>postée par le GGRA a vite fait le buzz. l’émiliE a voulu en savoir un peu plus. Interview collective.</strong><br /><br /><strong>l’émiliE : Pourquoi vous attaquez-vous à cette société d'étudiants?</strong><br /><strong>GGRA </strong>: Nous nous en sommes pris-e-s à Zofingue pour dénoncer la non-mixité qu'ils revendiquent et qui est, selon nous, un moyen sexiste de préserver leurs privilèges d'hommes bourgeois dominants. Zofingue représente en effet un réseau de cooptation élitiste pour accéder à des postes et des positions sociales dominantes (une grande partie des membres des "Vieux Zofingiens" sont des médecins, des juristes, des patrons, etc).<br /><br /><strong>Aviez-vous préparé votre action?</strong><br />Cette action a été le fruit d'une réflexion collective qui a eu lieu en un temps relativement court (environ une semaine). La préparation a été relative du fait que nous n'avions pas beaucoup d'informations sur le spectacle et que nous ne savions pas à quelle réaction nous attendre, une grande place fut donc laissée à la spontanéité. Au final, nous n'avons pas pu lire le texte que nous avions écrit en entier mais sommes satisfait-e-s de ce que nous avons réussi à réaliser.<br /><br /><strong>Que s'est-il passé?</strong><br />Nous sommes montées sur scène au début du spectacle, à la fin d'une chanson, afin d'y lire un texte dénonçant le sexisme de la société. Les textes furent rapidement arrachés des mains des lectrices par certains des acteurs présents sur scène. Les violences se sont ensuite enchaînées, certain-e-s d'entre nous se sont fait pousser de la scène et molester (coups et strangulations). En voyant la violence disproportionnée inattendue de la part de l'association, nous avons décidé de partir, non sans recevoir de nombreuses insultes et d'autres coups.<br /><br /><strong>Vous êtes plus La Barbe ou Femen?</strong> <br />Ni l'un ni l'autre. Nous agissons en fonction des motivations et de ce qui paraît faisable à celles et ceux qui participent. Nous n'avons pas de dogme de non-violence ou de violence, c'est selon la situation du moment et selon nos forces. Nous revendiquons surtout un féminisme inclusif et luttons donc aussi contre toutes les autres formes de dominations (islamophobie, racisme, homophobie, ...).<br /><br /><strong>La non-mixité de Zofingue a été confirmée par le Tribunal Fédéral, vous en contestez pourtant la légalité?</strong><br />Ce qui est légal n'est pas forcément légitime. Leur non-mixité n'est pas légitime, peu importe ce qu'en disent les institutions.<br /><br /><strong>Comment expliquez-vous que la liberté d'expression soit jugée supérieure à l'égalité par le TF?</strong><br />La liberté d'expression défendue par le TF est une liberté subjective qui est utilisée par des personnes qui défendent leurs propres intérêts en faisant fi des rapports de pouvoir. Nous ne sommes de ce fait pas si surpris-e-s qu'une fois de plus les personnes défendues soient celles qui bénéficient d'un statut privilégié au sein de la société.<br /><br /><strong>L'UNIL ou votre collectif, allez-vous faire appel d'un tel énoncé? Allez-vous porter l'affaire devant la CEDH?</strong><br />Ce n'est pas une question dont nous avons discuté parce que ce n'est pas notre objectif. Le GGRA est un collectif de réflexion et d'action qui cherche à développer une (auto-)critique et à agir indépendamment des institutions.<br /><br /><strong>Quelles sont les prochaines étapes puisque vous affirmez vouloir traquer les privilèges des dominants?</strong><br />C'est en cours de réflexion. Nous débordons d'idées d'actions et nous avons reçu un gros soutien de la part de beaucoup de personnes très motivées et inspirées, de Lausanne, de Genève, et de l'étranger.<br /><br />Photo © GGRA</p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/arton98.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Samedi 18 avril se tenait la représentation annuelle du spectacle de Zofingue Vaud, une association d'étudiants qui revendique le sexisme comme valeur fondamentale. A cette occasion, le collectif GGRA (Groupe Genre, Réflexion et Action) a mené une action sur scène dans le but de dénoncer la discrimination envers les femmes dont fait preuve le club estudiantin. La <a href="https://www.youtube.com/watch?v=f-EvOSY1deA&feature=youtu.be"><span style="text-decoration: underline;">vidéo</span> </a>postée par le GGRA a vite fait le buzz. l’émiliE a voulu en savoir un peu plus. Interview collective.</strong><br /><br /><strong>l’émiliE : Pourquoi vous attaquez-vous à cette société d'étudiants?</strong><br /><strong>GGRA </strong>: Nous nous en sommes pris-e-s à Zofingue pour dénoncer la non-mixité qu'ils revendiquent et qui est, selon nous, un moyen sexiste de préserver leurs privilèges d'hommes bourgeois dominants. Zofingue représente en effet un réseau de cooptation élitiste pour accéder à des postes et des positions sociales dominantes (une grande partie des membres des "Vieux Zofingiens" sont des médecins, des juristes, des patrons, etc).<br /><br /><strong>Aviez-vous préparé votre action?</strong><br />Cette action a été le fruit d'une réflexion collective qui a eu lieu en un temps relativement court (environ une semaine). La préparation a été relative du fait que nous n'avions pas beaucoup d'informations sur le spectacle et que nous ne savions pas à quelle réaction nous attendre, une grande place fut donc laissée à la spontanéité. Au final, nous n'avons pas pu lire le texte que nous avions écrit en entier mais sommes satisfait-e-s de ce que nous avons réussi à réaliser.<br /><br /><strong>Que s'est-il passé?</strong><br />Nous sommes montées sur scène au début du spectacle, à la fin d'une chanson, afin d'y lire un texte dénonçant le sexisme de la société. Les textes furent rapidement arrachés des mains des lectrices par certains des acteurs présents sur scène. Les violences se sont ensuite enchaînées, certain-e-s d'entre nous se sont fait pousser de la scène et molester (coups et strangulations). En voyant la violence disproportionnée inattendue de la part de l'association, nous avons décidé de partir, non sans recevoir de nombreuses insultes et d'autres coups.<br /><br /><strong>Vous êtes plus La Barbe ou Femen?</strong> <br />Ni l'un ni l'autre. Nous agissons en fonction des motivations et de ce qui paraît faisable à celles et ceux qui participent. Nous n'avons pas de dogme de non-violence ou de violence, c'est selon la situation du moment et selon nos forces. Nous revendiquons surtout un féminisme inclusif et luttons donc aussi contre toutes les autres formes de dominations (islamophobie, racisme, homophobie, ...).<br /><br /><strong>La non-mixité de Zofingue a été confirmée par le Tribunal Fédéral, vous en contestez pourtant la légalité?</strong><br />Ce qui est légal n'est pas forcément légitime. Leur non-mixité n'est pas légitime, peu importe ce qu'en disent les institutions.<br /><br /><strong>Comment expliquez-vous que la liberté d'expression soit jugée supérieure à l'égalité par le TF?</strong><br />La liberté d'expression défendue par le TF est une liberté subjective qui est utilisée par des personnes qui défendent leurs propres intérêts en faisant fi des rapports de pouvoir. Nous ne sommes de ce fait pas si surpris-e-s qu'une fois de plus les personnes défendues soient celles qui bénéficient d'un statut privilégié au sein de la société.<br /><br /><strong>L'UNIL ou votre collectif, allez-vous faire appel d'un tel énoncé? Allez-vous porter l'affaire devant la CEDH?</strong><br />Ce n'est pas une question dont nous avons discuté parce que ce n'est pas notre objectif. Le GGRA est un collectif de réflexion et d'action qui cherche à développer une (auto-)critique et à agir indépendamment des institutions.<br /><br /><strong>Quelles sont les prochaines étapes puisque vous affirmez vouloir traquer les privilèges des dominants?</strong><br />C'est en cours de réflexion. Nous débordons d'idées d'actions et nous avons reçu un gros soutien de la part de beaucoup de personnes très motivées et inspirées, de Lausanne, de Genève, et de l'étranger.<br /><br />Photo © GGRA</p>
Interview de Louise Toupin
2015-04-20T03:13:05+00:00
2015-04-20T03:13:05+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/714-interview-de-louise-toupin
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/LT-25.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>A l’occasion de sa venue à Genève, Louise Toupin, universitaire canadienne spécialiste des études féministes, a accordé à l’émiliE un long entretien centré sur un mouvement tombé dans l’oubli, celui du salaire au travail ménager. De ses travaux sur ce courant, elle en a tiré un livre qu’elle présentera à la Librairie du Boulevard le 28 avril et à Uni-Mail lors d’une conférence le 30 avril.</strong><br /><br /><strong>l’émiliE : Pourquoi vouliez-vous réhabiliter ce mouvement féministe dit du “salaire au travail ménager”?</strong><br /><strong>Louise Toupin </strong>: Tout d’abord pour réinscrire dans l’histoire du mouvement féministe un chapitre complètement évanoui. À peine trouve-t-on, aujourd’hui, trace du mouvement du salaire au travail ménager dans l’historiographie de la « deuxième vague » du féminisme. C’est un courant qui, malgré les débats très vifs qu’il a suscités, n’est plus enseigné depuis belle lurette dans les cours en études féministes. C’est ce qui m’a d’abord motivée à recomposer des fragments de son histoire : faire connaitre la pensée qui sous-tendait la revendication si contestée, et quelques-unes des mobilisations organisées en son nom dans six pays, soit en Italie, en Angleterre, aux États-Unis, au Canada anglais, en Allemagne et bien sûr en Suisse. Enfin, j’ai produit ce livre dans le but d’offrir des outils critiques à plusieurs débats et enjeux actuels, dont la sempiternelle question du partage des tâches au sein des couples, la difficile « conciliation famille-emploi » et ses effets discriminants sur les mères salariées, ainsi que la nouvelle division internationale du travail reproductif dans le monde. Donc, un devoir de mémoire, mais aussi un outil de réflexion historique pour nourrir des questions actuelles. <br /><br /><strong>Quelles étaient les spécificités de ce courant?</strong><br />Plusieurs « spécificités » l’ont caractérisé. Tout d’abord sa dimension transnationale et celle de réseau. Il s’est appelé Collectif féministe international à partir de 1972 jusqu’en 1977. C’est la période étudiée dans mon livre. Certaines composantes du réseau initial ont par la suite poursuivi leurs activités, mais sous d’autres noms. Je me suis pour ma part limitée à la période où le réseau portait le nom de Collectif féministe international.</p>
<p>Ce réseau transnational, issu de la seconde vague du féminisme, était je crois une première à cette époque. Il compta des groupes actifs en Italie, en Angleterre, aux États-Unis, au Canada anglais notamment. Des groupes militaient aussi à sa périphérie, comme en Allemagne de l’Ouest et en Suisse. Les militantes genevoises du salaire au travail ménager, les Insoumises, ont qualifié ce réseau d’«embryon d’Internationale des femmes», ce qui correspondait tout à fait à l’idée fondatrice de ce collectif international : engager, à partir de la perspective politique du salaire au travail ménager, une mobilisation féministe internationale, et agir de concert. <br /><br />Autre spécificité : la liaison pensée-action. La pensée et les mobilisations qui l’incarnaient étaient intrinsèquement liées. La théorie s’est faite action. Il ne s’agissait donc pas uniquement d’une pensée strictement « théorique », mais aussi d’une pensée « en action », les deux s’articulant d’un même souffle, d’un même élan. Cette pensée se retrouve dans le livre-manifeste de Mariarosa Dalla Costa et de Selma James, Le pouvoir des femmes et la subversion sociale, publié en 1972 en italien, puis en anglais. Il sera traduit l’année suivante en allemand et en français (ici même à Genève par la Librairie Adversaire). Puis en espagnol et en japonais dans les années qui suivent. <br /><br />Sa stratégie d’action était aussi singulière. Alors que le mouvement des femmes dans son ensemble préféra investir ses efforts, en matière de travail, dans l’accessibilité des femmes au marché du travail, dans la lutte pour améliorer leurs conditions de travail, et l’obtention de congés parentaux et de services collectifs facilitant cet accès au travail salarié, il relégua le travail ménager au « partage des tâches » avec le ou la conjoint-e. Une autre voie, un autre champ de lutte et une autre stratégie étaient proposés par le courant du salaire au travail ménager : une contre-stratégie à partir de la cuisine. Les cibles de ses luttes devenaient autant d’occasions de politiser les enjeux du travail ménager, ses conditions d’exercice et son prolongement en milieu salarié : allocations familiales, aide sociale, avortement et santé des femmes, sexualité, équipements collectifs, situation des infirmières, enseignantes, serveuses, lesbiennes et « prostituées », en sont des exemples. <br /><br />Je mentionnerai encore une autre spécificité de ce courant, qui écarte celle-là l’accusation d’essentialisme qu’on a pu accoler à la stratégie du salaire au travail ménager: sa définition des femmes. Les femmes y sont définies non par leur biologie, mais par leur travail commun. C’est le socle commun à leurs différents rôles. Elles sont les « ouvrières de la maison ». Ce travail se situe bien au-delà des tâches matérielles généralement englobées dans l’expression travail ménager. Il consiste en l’ensemble des activités, matérielles et immatérielles, par lesquelles la vie est reproduite. On parle ici du travail consistant à fournir à la société des personnes qui peuvent fonctionner jour après jour, à renouveler et à restaurer la capacité de travail des individu-e-s. Il s’agit, en réalité, d’un travail de reproduction sociale. <br />Il était bien entendu que ce travail se déclinait fort différemment selon les classes, les « races », et les appartenances culturelles des femmes, mais partout, ce travail était construit comme étant « féminin ». <br /><br />Je terminerai par une autre contribution majeure de la pensée sur le salaire au travail ménager : celle d’avoir jeté un nouveau regard sur le fonctionnement de l’économie capitaliste. Notamment en dévoilant le fait que le travail reproductif gratuit et invisible des femmes contribue au premier chef à l’accumulation du capital, du profit à l’échelle mondiale, et cela à l’instar des autres personnes non ou mal salariées de la Terre (colonisé-e-s, populations paysan-ne-s du Sud, personnes racisées, en chômage ou travaillant dans des conditions d’esclavage). Tous ces sans-salaire de la Terre font partie du cycle de production capitaliste à l’échelle mondiale, et participent à sa plus-value. </p>
<p>Cette autre contribution de la pensée du salaire au travail ménager s’est donc élargie en une analyse de la division internationale du travail, selon les genres, les « races », les nations, et de sa face cachée (voir la contribution pionnière de Selma James dans <em>Sex, Race, and Class, Falling Wall Press</em>, 1975). La gratuité, ou quasi-gratuité, du travail de ces personnes a rendu invisible cette partie essentielle du cycle productif de l’économie, qualifiée d’ « autre pôle de l’accumulation capitaliste ».</p>
<p>En d’autres termes, la source cachée de la plus-value du capitalisme à l’échelle mondiale réside dans le travail exploité de toutes ces catégories de sans-salaire et du travail de reproduction des femmes partout sur cette planète. Ce qui fera dire à la féministe allemande Claudia von Werlhof : « Lorsque nous aurons compris le travail ménager, alors nous pourrons comprendre l’économie ». <br /><br /><strong>Vous en soulignez la diversité. Quelles sortes de différences transcendait-il?</strong><br />Il s’agit là en effet d’une autre caractéristique singulière du courant du salaire au travail ménager : la grande diversité de ses militantes. Des femmes « blanches » hétérosexuelles, mais aussi lesbiennes, des femmes racisées, des assistées sociales, des travailleuses de toutes sortes comme des serveuses, des infirmières, des secrétaires, des employées d’hôpitaux et même des « prostituées » ont été galvanisées par cette pensée. Certaines ont pu former leurs propres groupes, sur leurs propres bases, à l’intérieur de ce même réseau, et développer des analyses très originales à partir de leurs positions respectives. Par exemple les Black Women for Wages for Housework, regroupant des femmes racisées, et les Wages Due Lesbians, nom du rassemblement des lesbiennes. Il s’agissait en réalité d’un membership « intersectionnel » avant la lettre, duquel émergea une pensée et une pratique aussi « intersectionnelles ».<br /><br /><br /><strong>Son rejet n’était-il pas évident dès le départ notamment à cause de la division sexuelle des rôles qu’il renforçait?</strong><br />C’est là un des aspects qui n’a hélas pas été bien compris dans le mouvement des femmes, à mon avis par méconnaissance du système de pensée qui soutenait la revendication. L’idée était de revendiquer un salaire pour le « travail » ménager, quelle que soit la personne qui l’exécute, ce qui ouvrait la possibilité aux hommes d’effectuer ce travail et d’en recevoir un salaire, « dégenrant » ainsi la revendication. Il ne s’agissait donc pas de réclamer un salaire « à la ménagère » comme les opposantes se plaisaient à l’exprimer pour en montrer l’ « essentialisme » présumé. Le contraire était visé : l’idée avancée dans la revendication était de salarier un travail, et non une prétendue « nature ». Il s’agissait de couper le cordon ombilical reliant femme et travail ménager. </p>
<p>À preuve, le slogan de la revendication du salaire au travail ménager était aussi exprimé dans des formules voisines, qui en montrait bien l’esprit : on réclamait un salaire contre le travail ménager, et parfois un salaire pour/contre le travail ménager. Ces formulations du même slogan agissaient comme instrument de sensibilisation pour mobiliser, dévoiler l’étendue du travail invisible effectué très majoritairement par des femmes et subvertir le rôle qui leur était imposé. Bref, dirait-on aujourd’hui, pour le « queeriser », c’est-à-dire pour le « tourner à l’envers » et en inverser le sens, dévoilant ainsi son sens réel. La revendication d’un salaire au travail ménager comportait donc une signification très subversive. Voilà aussi pourquoi j’ai cru bon d’écrire ce livre : pour lever certaines équivoques qui entachaient la revendication. L’objection que vous soulevez dans votre question en est une. <br /><br /><strong>Vous évoquez les effets pervers de la stratégie de la conciliation emploi-famille et du partage des tâches. Quels sont-ils plus précisément?</strong><br />Comme le mouvement des femmes n’a pas fait du travail de reproduction sociale un véritable terrain de lutte, cette orientation a laissé un impensé en la matière et a induit des conséquences et des effets non voulus, du moins si on considère l’évolution que connaît le travail de reproduction dans le monde depuis 40 ans, soit depuis l’époque où fut pensée la perspective du salaire au travail ménager.</p>
<p>Rappelons que la solution qui fut proposée alors par le mouvement des femmes à l’égard du travail ménager, domestique et de soins, fut le « partage des tâches », laissant l’accomplissement de ce travail au gré des arrangements entre partenaires. Ce qui équivalut au fil des ans à une « privatisation » de cette question et à ses conséquences. On le sait maintenant, le partage des tâches entre conjoint-e-s fit plutôt place, dans une large mesure, à un « partage » de tâches avec des femmes pauvres, venant dans plusieurs cas de très loin, de pays du Sud, ce qui contribua à créer ce que Mariarosa Dalla Costa qualifia de « nouvelles stratifications parmi les femmes », de classes et de « races » notamment, et un rapport de pouvoir entre elles, nous éloignant ainsi de la recherche de solutions collectives. Ce qui laissa quasi intacte la division sexuée du travail domestique, tout en établissant une « nouvelle division du travail reproductif dans le monde », selon les mots de Silvia Federici.</p>
<p>On peut en effet se demander si ce n’est pas là un des effets pervers (non voulu, répétons-le) du choix du mouvement des femmes d’avoir contourné la question de la reproduction sociale dans ses stratégies, laissant ainsi cet impensé dont on parlait. Comment dès lors penser les luttes féministes en matière de reproduction sociale et les alliances «intersectionnelles» dans ce nouveau contexte ? Je crois qu’il y a là matière à de sérieuses réflexions et discussions. Je me suis dit qu’un retour sur l’histoire du courant du salaire au travail ménager et sa stratégie non aboutie pourrait nourrir les réflexions en la matière.<br /><br /><strong>Pour le groupe des Insoumises à Genève, le salaire au travail ménager représentait “une manière de venger le destin de nos mères et de redonner une dignité au travail des générations passées”. N’est-ce pas surtout une utopie? Comment aurait-elle pu être mise en pratique?</strong><br />Des générations et des générations de femmes ont usé leur vie en étant au service de leur famille 24 heures sur 24, sans reconnaissance aucune, monétaire ou autre, dans la plus grande invisibilité et la plus grande dépendance financière, au total dans un état de vulnérabilité très grand.</p>
<p>Ce fut le sort de la plupart des mères des femmes de ma génération et de bien d’autres avant elles, de mes tantes et grandes tantes, à qui d’ailleurs je dédie mon livre : un salaire leur aurait sans doute permis d’imaginer autrement leur vie. C’est d’ailleurs ce que certaines d’entre elles m’ont affirmé. <br /><br />Utopie, dites-vous ? L’idée implicite à la base de la stratégie du salaire était de voir le mouvement des femmes s’engager à lutter pour redéfinir ce travail reproductif et pour le placer au même plan que les autres types de travail, ce qui aurait eu pour effet, par exemple, pour les travailleuses - ou travailleurs - au foyer, d’être protégé-e-s par les lois du travail, comme les normes de santé-sécurité au travail, les règles du salaire minimum, ce qui aurait signifié avoir droit au repos, de s’absenter, d’accéder aux régimes de retraites, etc.</p>
<p><strong>L’apparition de structures alternatives comme Viol-Secours, SOS femmes battues ou le Dispensaire des femmes à Genève, que le mouvement avait pourtant fait émerger, n’a-t-il pas sonné le glas de son unité?</strong></p>
<p>Ce qui s’est produit à Genève s’est produit aussi ailleurs à peu près au même moment. La fin de la décennie 1970 correspond à la fin d’une ère dans le féminisme de la seconde vague : celle des grandes mobilisations féministes. Cette autre période qui s’enclenche alors verra le déclin de ce type mobilisations, pour faire place à la création de groupes à intérêts spécifiques, entre autres dans le domaine de la santé et des services sociaux, en lieu et place des groupes d’intérêt général qui avaient précédé. C’était aussi le constat que faisait une Insoumise que j’ai interviewée. Parlant de l’évolution du mouvement féministe à Genève vers la fin des années 1970, elle dira : « On fera de plus de plus de place à la création de services. On perdra peu à peu la dimension MLF et, petit à petit, plus personne ne se dira du MLF ». Ce qui ne signifia pas pour autant la fin du féminisme, seulement la fin d’une de ses phases.<br /><br /><strong>En quoi consistait le Congrès des mauvaises mères?</strong><br />Le Congrès des mauvaises mères est une initiative tout à fait originale du Collectif L’Insoumise. Elle vient à l’encontre d’un reproche que formulent parfois des femmes des jeunes générations à l’encontre du féminisme des débuts de la seconde vague : celui de ne pas s’être préoccupé des mères et d’avoir ignoré la question de la maternité. Il est vrai que les Insoumises s’adressaient aux « mauvaises » mères, à des « mères en colère ». En réalité, il s’agissait de mères « mauvaises parce qu’elle ne font pas exactement ce que l’État, la Famille, l’Église, les Flics veulent leur imposer ». Par ailleurs, ajoutent-elles dans leur journal <em>L’Insoumise</em>, « Pour leurs enfants, ce sont les meilleures mères du monde, car elles sont vivantes, elles n’ont pas l’odeur de la résignation et du sacrifice, mais sentent bon la révolte et la liberté ». Ça c’est le « style Insoumises » !</p>
<p>Le sort des mères constitue l’une des préoccupations les plus significatives du Collectif L’Insoumise, du moins d’après mes sources. Les Insoumises ont réclamé pour les mères 2000 francs suisses par mois et par enfant pendant trois ans « pour des espaces de liberté » et pour changer qualitativement le travail ménager et le socialiser à leur manière. Elles ont constitué un Fichier des mères en colère, destiné « à toutes les mères qui veulent se défendre ensemble pour réclamer leur dû ». Elles ont de même créé une Mutuelle des mères en colère, dans le but de « devenir un mouvement fort et offensif des mères ». Elles ont organisé aussi, comme vous le signalez dans votre question, un Congrès des mauvaises mères, afin de rassembler toutes les mères vivant en Suisse « pour discuter et agir ensemble tout de suite ». Ce Congrès eut bel et bien lieu et produisit un <em>Journal du Congrès</em>, fort bien documenté. Le journal <em>L’Insoumise</em> pour sa part conçut en plus des « fiches pratiques » à l’intention des mères.</p>
<p>Autre geste qui décrit bien le « style Insoumise » : pour rendre ce congrès accessible aux femmes de la Suisse alémanique, les Insoumises ont imprimé et distribué aux intéressées un bon en allemand, sorte de faux laissez-passer leur donnant le droit d’effectuer le voyage à Genève en train gratuitement ! Et ça a marché ! Les femmes sont en effet venues à ce congrès sans payer ! « C’était ça aussi l’esprit salaire », me dira l’une des organisatrices. Et c’est ainsi que 200 femmes, venues de tous les cantons, ont pu participer au Congrès des mauvaises mères ! Toute cette opération « mauvaises mères » était à mon avis très subversive, eu égard à cet aspect « sacré » dont le rôle de mère a toujours été auréolé.</p>
<p><strong>Finalement ces femmes qui revendiquaient un salaire au travail ménager étaient rarement au foyer, ou bien?</strong> <br />Il s’agissait en majorité de militantes « indépendantes », qui devaient nécessairement « gagner leur vie ». Certaines étaient des mères ou salariées, ou percevant des allocations d’aide sociale ou de chômage, d’autres vivaient en couple (hétérosexuel ou lesbien), d’autres seules. Le travail ménager n’était étranger à aucune d’entre elles, d’autant plus que leurs propres mères étaient en bon nombre des femmes au foyer vivant en situation de dépendance financière. Elles ont été à même de constater la vulnérabilité de leur situation.</p>
<p>Je veux profiter de votre question pour dissiper une autre équivoque sur le courant du salaire au travail ménager : l’opposition femmes au foyer/femmes salariées. Le courant porteur de cette revendication ne s’opposait pas au travail à l’extérieur pour les femmes, puisque c’était déjà la réalité de plusieurs d’entre elles, notamment les plus pauvres. Pour ces militantes, le travail à l’extérieur correspondait à une nécessité économique, et pouvait donc difficilement être considéré comme une « stratégie ».</p>
<p>On considérait plutôt que le travail à l’extérieur n’était pas la solution miracle à l’émancipation des femmes, puisqu’il avait pour effet dans la réalité d’augmenter le labeur des femmes, d’instaurer une double journée de travail, et de créer ce qu’on appellera plus tard des « superwomen ». C’était là, pour les groupes du salaire au travail ménager, une drôle de stratégie que celle qui suggère aux femmes de travailler deux fois plus en retour d’un seul salaire. L’esprit de la perspective et de sa revendication était plutôt le suivant : on ne peut dissocier les deux. On ne peut dissocier la revendication de l’accès au travail à l’extérieur de la revendication d’une reconnaissance matérielle, sociale et politique du travail ménager et reproductif. <br /><br /><strong>A l’époque, elles finissent par se sentir “enfermées dans notre réalité suisse de Femmes du Nord”, n’est-ce pas toujours le cas?</strong><br />Les ex-Insoumises seraient mieux placées que moi pour répondre à votre question ! Sans les connaître toutes (en réalité j’en connais trois…), je crois que plusieurs d’entre elles se sont engagées par la suite dans des actions à caractère international, ou à l’échelle internationale. Je mentionne dans mon chapitre sur les Insoumises que certaines ont participé par la suite au développement de réseaux internationaux sur la santé des femmes, au développement du mouvement local et international des lesbiennes. D’autres partirent vivre et militer au Nicaragua avec leur famille, etc. Et je crois que certaines demeurent très actives dans les mouvements de solidarité internationale et altermondialiste. Mais je répète que c’est auprès d’ex-Insoumises que vous auriez une réponse plus adéquate à cette question. <br /><br /><br /><strong><em>Le salaire au travail ménager. Chronique d’une lutte féministe internationale (1972-1977)</em>, Louise Toupin, Éditions du Remue-ménage, 2014, Montréal</strong><br /><br /><br /></p>
<p>Photo © Louise Toupin</p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/LT-25.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>A l’occasion de sa venue à Genève, Louise Toupin, universitaire canadienne spécialiste des études féministes, a accordé à l’émiliE un long entretien centré sur un mouvement tombé dans l’oubli, celui du salaire au travail ménager. De ses travaux sur ce courant, elle en a tiré un livre qu’elle présentera à la Librairie du Boulevard le 28 avril et à Uni-Mail lors d’une conférence le 30 avril.</strong><br /><br /><strong>l’émiliE : Pourquoi vouliez-vous réhabiliter ce mouvement féministe dit du “salaire au travail ménager”?</strong><br /><strong>Louise Toupin </strong>: Tout d’abord pour réinscrire dans l’histoire du mouvement féministe un chapitre complètement évanoui. À peine trouve-t-on, aujourd’hui, trace du mouvement du salaire au travail ménager dans l’historiographie de la « deuxième vague » du féminisme. C’est un courant qui, malgré les débats très vifs qu’il a suscités, n’est plus enseigné depuis belle lurette dans les cours en études féministes. C’est ce qui m’a d’abord motivée à recomposer des fragments de son histoire : faire connaitre la pensée qui sous-tendait la revendication si contestée, et quelques-unes des mobilisations organisées en son nom dans six pays, soit en Italie, en Angleterre, aux États-Unis, au Canada anglais, en Allemagne et bien sûr en Suisse. Enfin, j’ai produit ce livre dans le but d’offrir des outils critiques à plusieurs débats et enjeux actuels, dont la sempiternelle question du partage des tâches au sein des couples, la difficile « conciliation famille-emploi » et ses effets discriminants sur les mères salariées, ainsi que la nouvelle division internationale du travail reproductif dans le monde. Donc, un devoir de mémoire, mais aussi un outil de réflexion historique pour nourrir des questions actuelles. <br /><br /><strong>Quelles étaient les spécificités de ce courant?</strong><br />Plusieurs « spécificités » l’ont caractérisé. Tout d’abord sa dimension transnationale et celle de réseau. Il s’est appelé Collectif féministe international à partir de 1972 jusqu’en 1977. C’est la période étudiée dans mon livre. Certaines composantes du réseau initial ont par la suite poursuivi leurs activités, mais sous d’autres noms. Je me suis pour ma part limitée à la période où le réseau portait le nom de Collectif féministe international.</p>
<p>Ce réseau transnational, issu de la seconde vague du féminisme, était je crois une première à cette époque. Il compta des groupes actifs en Italie, en Angleterre, aux États-Unis, au Canada anglais notamment. Des groupes militaient aussi à sa périphérie, comme en Allemagne de l’Ouest et en Suisse. Les militantes genevoises du salaire au travail ménager, les Insoumises, ont qualifié ce réseau d’«embryon d’Internationale des femmes», ce qui correspondait tout à fait à l’idée fondatrice de ce collectif international : engager, à partir de la perspective politique du salaire au travail ménager, une mobilisation féministe internationale, et agir de concert. <br /><br />Autre spécificité : la liaison pensée-action. La pensée et les mobilisations qui l’incarnaient étaient intrinsèquement liées. La théorie s’est faite action. Il ne s’agissait donc pas uniquement d’une pensée strictement « théorique », mais aussi d’une pensée « en action », les deux s’articulant d’un même souffle, d’un même élan. Cette pensée se retrouve dans le livre-manifeste de Mariarosa Dalla Costa et de Selma James, Le pouvoir des femmes et la subversion sociale, publié en 1972 en italien, puis en anglais. Il sera traduit l’année suivante en allemand et en français (ici même à Genève par la Librairie Adversaire). Puis en espagnol et en japonais dans les années qui suivent. <br /><br />Sa stratégie d’action était aussi singulière. Alors que le mouvement des femmes dans son ensemble préféra investir ses efforts, en matière de travail, dans l’accessibilité des femmes au marché du travail, dans la lutte pour améliorer leurs conditions de travail, et l’obtention de congés parentaux et de services collectifs facilitant cet accès au travail salarié, il relégua le travail ménager au « partage des tâches » avec le ou la conjoint-e. Une autre voie, un autre champ de lutte et une autre stratégie étaient proposés par le courant du salaire au travail ménager : une contre-stratégie à partir de la cuisine. Les cibles de ses luttes devenaient autant d’occasions de politiser les enjeux du travail ménager, ses conditions d’exercice et son prolongement en milieu salarié : allocations familiales, aide sociale, avortement et santé des femmes, sexualité, équipements collectifs, situation des infirmières, enseignantes, serveuses, lesbiennes et « prostituées », en sont des exemples. <br /><br />Je mentionnerai encore une autre spécificité de ce courant, qui écarte celle-là l’accusation d’essentialisme qu’on a pu accoler à la stratégie du salaire au travail ménager: sa définition des femmes. Les femmes y sont définies non par leur biologie, mais par leur travail commun. C’est le socle commun à leurs différents rôles. Elles sont les « ouvrières de la maison ». Ce travail se situe bien au-delà des tâches matérielles généralement englobées dans l’expression travail ménager. Il consiste en l’ensemble des activités, matérielles et immatérielles, par lesquelles la vie est reproduite. On parle ici du travail consistant à fournir à la société des personnes qui peuvent fonctionner jour après jour, à renouveler et à restaurer la capacité de travail des individu-e-s. Il s’agit, en réalité, d’un travail de reproduction sociale. <br />Il était bien entendu que ce travail se déclinait fort différemment selon les classes, les « races », et les appartenances culturelles des femmes, mais partout, ce travail était construit comme étant « féminin ». <br /><br />Je terminerai par une autre contribution majeure de la pensée sur le salaire au travail ménager : celle d’avoir jeté un nouveau regard sur le fonctionnement de l’économie capitaliste. Notamment en dévoilant le fait que le travail reproductif gratuit et invisible des femmes contribue au premier chef à l’accumulation du capital, du profit à l’échelle mondiale, et cela à l’instar des autres personnes non ou mal salariées de la Terre (colonisé-e-s, populations paysan-ne-s du Sud, personnes racisées, en chômage ou travaillant dans des conditions d’esclavage). Tous ces sans-salaire de la Terre font partie du cycle de production capitaliste à l’échelle mondiale, et participent à sa plus-value. </p>
<p>Cette autre contribution de la pensée du salaire au travail ménager s’est donc élargie en une analyse de la division internationale du travail, selon les genres, les « races », les nations, et de sa face cachée (voir la contribution pionnière de Selma James dans <em>Sex, Race, and Class, Falling Wall Press</em>, 1975). La gratuité, ou quasi-gratuité, du travail de ces personnes a rendu invisible cette partie essentielle du cycle productif de l’économie, qualifiée d’ « autre pôle de l’accumulation capitaliste ».</p>
<p>En d’autres termes, la source cachée de la plus-value du capitalisme à l’échelle mondiale réside dans le travail exploité de toutes ces catégories de sans-salaire et du travail de reproduction des femmes partout sur cette planète. Ce qui fera dire à la féministe allemande Claudia von Werlhof : « Lorsque nous aurons compris le travail ménager, alors nous pourrons comprendre l’économie ». <br /><br /><strong>Vous en soulignez la diversité. Quelles sortes de différences transcendait-il?</strong><br />Il s’agit là en effet d’une autre caractéristique singulière du courant du salaire au travail ménager : la grande diversité de ses militantes. Des femmes « blanches » hétérosexuelles, mais aussi lesbiennes, des femmes racisées, des assistées sociales, des travailleuses de toutes sortes comme des serveuses, des infirmières, des secrétaires, des employées d’hôpitaux et même des « prostituées » ont été galvanisées par cette pensée. Certaines ont pu former leurs propres groupes, sur leurs propres bases, à l’intérieur de ce même réseau, et développer des analyses très originales à partir de leurs positions respectives. Par exemple les Black Women for Wages for Housework, regroupant des femmes racisées, et les Wages Due Lesbians, nom du rassemblement des lesbiennes. Il s’agissait en réalité d’un membership « intersectionnel » avant la lettre, duquel émergea une pensée et une pratique aussi « intersectionnelles ».<br /><br /><br /><strong>Son rejet n’était-il pas évident dès le départ notamment à cause de la division sexuelle des rôles qu’il renforçait?</strong><br />C’est là un des aspects qui n’a hélas pas été bien compris dans le mouvement des femmes, à mon avis par méconnaissance du système de pensée qui soutenait la revendication. L’idée était de revendiquer un salaire pour le « travail » ménager, quelle que soit la personne qui l’exécute, ce qui ouvrait la possibilité aux hommes d’effectuer ce travail et d’en recevoir un salaire, « dégenrant » ainsi la revendication. Il ne s’agissait donc pas de réclamer un salaire « à la ménagère » comme les opposantes se plaisaient à l’exprimer pour en montrer l’ « essentialisme » présumé. Le contraire était visé : l’idée avancée dans la revendication était de salarier un travail, et non une prétendue « nature ». Il s’agissait de couper le cordon ombilical reliant femme et travail ménager. </p>
<p>À preuve, le slogan de la revendication du salaire au travail ménager était aussi exprimé dans des formules voisines, qui en montrait bien l’esprit : on réclamait un salaire contre le travail ménager, et parfois un salaire pour/contre le travail ménager. Ces formulations du même slogan agissaient comme instrument de sensibilisation pour mobiliser, dévoiler l’étendue du travail invisible effectué très majoritairement par des femmes et subvertir le rôle qui leur était imposé. Bref, dirait-on aujourd’hui, pour le « queeriser », c’est-à-dire pour le « tourner à l’envers » et en inverser le sens, dévoilant ainsi son sens réel. La revendication d’un salaire au travail ménager comportait donc une signification très subversive. Voilà aussi pourquoi j’ai cru bon d’écrire ce livre : pour lever certaines équivoques qui entachaient la revendication. L’objection que vous soulevez dans votre question en est une. <br /><br /><strong>Vous évoquez les effets pervers de la stratégie de la conciliation emploi-famille et du partage des tâches. Quels sont-ils plus précisément?</strong><br />Comme le mouvement des femmes n’a pas fait du travail de reproduction sociale un véritable terrain de lutte, cette orientation a laissé un impensé en la matière et a induit des conséquences et des effets non voulus, du moins si on considère l’évolution que connaît le travail de reproduction dans le monde depuis 40 ans, soit depuis l’époque où fut pensée la perspective du salaire au travail ménager.</p>
<p>Rappelons que la solution qui fut proposée alors par le mouvement des femmes à l’égard du travail ménager, domestique et de soins, fut le « partage des tâches », laissant l’accomplissement de ce travail au gré des arrangements entre partenaires. Ce qui équivalut au fil des ans à une « privatisation » de cette question et à ses conséquences. On le sait maintenant, le partage des tâches entre conjoint-e-s fit plutôt place, dans une large mesure, à un « partage » de tâches avec des femmes pauvres, venant dans plusieurs cas de très loin, de pays du Sud, ce qui contribua à créer ce que Mariarosa Dalla Costa qualifia de « nouvelles stratifications parmi les femmes », de classes et de « races » notamment, et un rapport de pouvoir entre elles, nous éloignant ainsi de la recherche de solutions collectives. Ce qui laissa quasi intacte la division sexuée du travail domestique, tout en établissant une « nouvelle division du travail reproductif dans le monde », selon les mots de Silvia Federici.</p>
<p>On peut en effet se demander si ce n’est pas là un des effets pervers (non voulu, répétons-le) du choix du mouvement des femmes d’avoir contourné la question de la reproduction sociale dans ses stratégies, laissant ainsi cet impensé dont on parlait. Comment dès lors penser les luttes féministes en matière de reproduction sociale et les alliances «intersectionnelles» dans ce nouveau contexte ? Je crois qu’il y a là matière à de sérieuses réflexions et discussions. Je me suis dit qu’un retour sur l’histoire du courant du salaire au travail ménager et sa stratégie non aboutie pourrait nourrir les réflexions en la matière.<br /><br /><strong>Pour le groupe des Insoumises à Genève, le salaire au travail ménager représentait “une manière de venger le destin de nos mères et de redonner une dignité au travail des générations passées”. N’est-ce pas surtout une utopie? Comment aurait-elle pu être mise en pratique?</strong><br />Des générations et des générations de femmes ont usé leur vie en étant au service de leur famille 24 heures sur 24, sans reconnaissance aucune, monétaire ou autre, dans la plus grande invisibilité et la plus grande dépendance financière, au total dans un état de vulnérabilité très grand.</p>
<p>Ce fut le sort de la plupart des mères des femmes de ma génération et de bien d’autres avant elles, de mes tantes et grandes tantes, à qui d’ailleurs je dédie mon livre : un salaire leur aurait sans doute permis d’imaginer autrement leur vie. C’est d’ailleurs ce que certaines d’entre elles m’ont affirmé. <br /><br />Utopie, dites-vous ? L’idée implicite à la base de la stratégie du salaire était de voir le mouvement des femmes s’engager à lutter pour redéfinir ce travail reproductif et pour le placer au même plan que les autres types de travail, ce qui aurait eu pour effet, par exemple, pour les travailleuses - ou travailleurs - au foyer, d’être protégé-e-s par les lois du travail, comme les normes de santé-sécurité au travail, les règles du salaire minimum, ce qui aurait signifié avoir droit au repos, de s’absenter, d’accéder aux régimes de retraites, etc.</p>
<p><strong>L’apparition de structures alternatives comme Viol-Secours, SOS femmes battues ou le Dispensaire des femmes à Genève, que le mouvement avait pourtant fait émerger, n’a-t-il pas sonné le glas de son unité?</strong></p>
<p>Ce qui s’est produit à Genève s’est produit aussi ailleurs à peu près au même moment. La fin de la décennie 1970 correspond à la fin d’une ère dans le féminisme de la seconde vague : celle des grandes mobilisations féministes. Cette autre période qui s’enclenche alors verra le déclin de ce type mobilisations, pour faire place à la création de groupes à intérêts spécifiques, entre autres dans le domaine de la santé et des services sociaux, en lieu et place des groupes d’intérêt général qui avaient précédé. C’était aussi le constat que faisait une Insoumise que j’ai interviewée. Parlant de l’évolution du mouvement féministe à Genève vers la fin des années 1970, elle dira : « On fera de plus de plus de place à la création de services. On perdra peu à peu la dimension MLF et, petit à petit, plus personne ne se dira du MLF ». Ce qui ne signifia pas pour autant la fin du féminisme, seulement la fin d’une de ses phases.<br /><br /><strong>En quoi consistait le Congrès des mauvaises mères?</strong><br />Le Congrès des mauvaises mères est une initiative tout à fait originale du Collectif L’Insoumise. Elle vient à l’encontre d’un reproche que formulent parfois des femmes des jeunes générations à l’encontre du féminisme des débuts de la seconde vague : celui de ne pas s’être préoccupé des mères et d’avoir ignoré la question de la maternité. Il est vrai que les Insoumises s’adressaient aux « mauvaises » mères, à des « mères en colère ». En réalité, il s’agissait de mères « mauvaises parce qu’elle ne font pas exactement ce que l’État, la Famille, l’Église, les Flics veulent leur imposer ». Par ailleurs, ajoutent-elles dans leur journal <em>L’Insoumise</em>, « Pour leurs enfants, ce sont les meilleures mères du monde, car elles sont vivantes, elles n’ont pas l’odeur de la résignation et du sacrifice, mais sentent bon la révolte et la liberté ». Ça c’est le « style Insoumises » !</p>
<p>Le sort des mères constitue l’une des préoccupations les plus significatives du Collectif L’Insoumise, du moins d’après mes sources. Les Insoumises ont réclamé pour les mères 2000 francs suisses par mois et par enfant pendant trois ans « pour des espaces de liberté » et pour changer qualitativement le travail ménager et le socialiser à leur manière. Elles ont constitué un Fichier des mères en colère, destiné « à toutes les mères qui veulent se défendre ensemble pour réclamer leur dû ». Elles ont de même créé une Mutuelle des mères en colère, dans le but de « devenir un mouvement fort et offensif des mères ». Elles ont organisé aussi, comme vous le signalez dans votre question, un Congrès des mauvaises mères, afin de rassembler toutes les mères vivant en Suisse « pour discuter et agir ensemble tout de suite ». Ce Congrès eut bel et bien lieu et produisit un <em>Journal du Congrès</em>, fort bien documenté. Le journal <em>L’Insoumise</em> pour sa part conçut en plus des « fiches pratiques » à l’intention des mères.</p>
<p>Autre geste qui décrit bien le « style Insoumise » : pour rendre ce congrès accessible aux femmes de la Suisse alémanique, les Insoumises ont imprimé et distribué aux intéressées un bon en allemand, sorte de faux laissez-passer leur donnant le droit d’effectuer le voyage à Genève en train gratuitement ! Et ça a marché ! Les femmes sont en effet venues à ce congrès sans payer ! « C’était ça aussi l’esprit salaire », me dira l’une des organisatrices. Et c’est ainsi que 200 femmes, venues de tous les cantons, ont pu participer au Congrès des mauvaises mères ! Toute cette opération « mauvaises mères » était à mon avis très subversive, eu égard à cet aspect « sacré » dont le rôle de mère a toujours été auréolé.</p>
<p><strong>Finalement ces femmes qui revendiquaient un salaire au travail ménager étaient rarement au foyer, ou bien?</strong> <br />Il s’agissait en majorité de militantes « indépendantes », qui devaient nécessairement « gagner leur vie ». Certaines étaient des mères ou salariées, ou percevant des allocations d’aide sociale ou de chômage, d’autres vivaient en couple (hétérosexuel ou lesbien), d’autres seules. Le travail ménager n’était étranger à aucune d’entre elles, d’autant plus que leurs propres mères étaient en bon nombre des femmes au foyer vivant en situation de dépendance financière. Elles ont été à même de constater la vulnérabilité de leur situation.</p>
<p>Je veux profiter de votre question pour dissiper une autre équivoque sur le courant du salaire au travail ménager : l’opposition femmes au foyer/femmes salariées. Le courant porteur de cette revendication ne s’opposait pas au travail à l’extérieur pour les femmes, puisque c’était déjà la réalité de plusieurs d’entre elles, notamment les plus pauvres. Pour ces militantes, le travail à l’extérieur correspondait à une nécessité économique, et pouvait donc difficilement être considéré comme une « stratégie ».</p>
<p>On considérait plutôt que le travail à l’extérieur n’était pas la solution miracle à l’émancipation des femmes, puisqu’il avait pour effet dans la réalité d’augmenter le labeur des femmes, d’instaurer une double journée de travail, et de créer ce qu’on appellera plus tard des « superwomen ». C’était là, pour les groupes du salaire au travail ménager, une drôle de stratégie que celle qui suggère aux femmes de travailler deux fois plus en retour d’un seul salaire. L’esprit de la perspective et de sa revendication était plutôt le suivant : on ne peut dissocier les deux. On ne peut dissocier la revendication de l’accès au travail à l’extérieur de la revendication d’une reconnaissance matérielle, sociale et politique du travail ménager et reproductif. <br /><br /><strong>A l’époque, elles finissent par se sentir “enfermées dans notre réalité suisse de Femmes du Nord”, n’est-ce pas toujours le cas?</strong><br />Les ex-Insoumises seraient mieux placées que moi pour répondre à votre question ! Sans les connaître toutes (en réalité j’en connais trois…), je crois que plusieurs d’entre elles se sont engagées par la suite dans des actions à caractère international, ou à l’échelle internationale. Je mentionne dans mon chapitre sur les Insoumises que certaines ont participé par la suite au développement de réseaux internationaux sur la santé des femmes, au développement du mouvement local et international des lesbiennes. D’autres partirent vivre et militer au Nicaragua avec leur famille, etc. Et je crois que certaines demeurent très actives dans les mouvements de solidarité internationale et altermondialiste. Mais je répète que c’est auprès d’ex-Insoumises que vous auriez une réponse plus adéquate à cette question. <br /><br /><br /><strong><em>Le salaire au travail ménager. Chronique d’une lutte féministe internationale (1972-1977)</em>, Louise Toupin, Éditions du Remue-ménage, 2014, Montréal</strong><br /><br /><br /></p>
<p>Photo © Louise Toupin</p>
Le rejet des lettré-e-s
2015-04-10T04:03:17+00:00
2015-04-10T04:03:17+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/709-le-rejet-des-lettre-e-s
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/all%20can%20do%20it.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Certain-e-s féministes ont fait des réseaux sociaux un espace d’expression hors d’atteinte pour les universitaires et expert-e-s féministes qui seraient tenté-e-s de les analyser. Ces internautes disent leur rejet d’un académisme sans lien avec leur réalité dont ils ne se privent pas de torpiller les travaux sans vergogne. La fronde gronde au sein des courants féministes.</strong><br /><br /><br />Les réseaux sociaux bruissent parfois d’échos qui interpellent parce qu’ils cassent un entre-soi confortable. Et lorsque ces opinions sont reprises ou partagées par des voix fortes comme celle de Chimamanda Ngozi Adochie dont l’émiliE avait présenté, en février dernier, <a href="http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/687-le-talent-de-chimamanda-ngozi-adichie"><span style="text-decoration: underline;"> le manifeste « Nous sommes tous féministes »</span></a>, on s’y intéresse de plus près.</p>
<p>L’auteure nigérianne y écrit notamment que «chaque fois que j’essaie de lire ce qu’on appelle “les classiques du féminisme”, je suis saisie d’ennui et ne les termine qu’à grand-peine». Dans une interview récente donnée à Libération, elle précise sa position par rapport au féminisme en tant que sujet académique. Pour elle, le féminisme est d’abord «une expérience vécue, en tant que manière de changer les esprits». En cela, elle rejoint nombre de personnes en Europe et ailleurs pour qui les concepts sociologiques sont trop éloignés de leur réalité et qui si elles en sont objets d’étude n’en sont pas au final cibles de lecture.</p>
<p>Différentes attitudes semblent gouverner ce rejet des lettré-e-s : une problématique de classe (la crise est passée par là et tout le monde n’a pas les moyens de se payer des études), une problématique de race (les féministes blanches privilégiées auraient tendance à donner des leçons aux autres) et une problématique de sexe (le binarisme domine ces productions académiques : homme/femme, homo/hétéro…).</p>
<p>Interrogé-e-s, quelques internautes ont livré leur vision : Ils/elles n’ont plus envie qu’on édicte de grands principes, plus envie d’être sujets d’études même lorsu’ils sont menés par des femmes. Ils/elles contestent ce rapport hiérarchique du haut vers le bas en arguant du fait qu’aujourd’hui il existe d’autres moyens de s’informer. Ils/elles ont surtout envie de partager, de vivre, d’expérimenter. Selon eux/elles, les réseaux sociaux permettent une grande diversité d’opinions, il n’y a plus un savant ou un expert qui publie un livre-papier pour leur expliquer la vie. Une femme trans non binaire nous explique que dès qu’elle tombe sur «un livre de cent pages qui me dit comment être comment vivre ou pire, qui m’explique qui je suis, je vomis». Un radicalisme qui peut surprendre et qui ôte une certaine légitimité aux «spécialistes» du féminisme.</p>
<p>Et ces échanges qui court-circuitent l’académie et les institutions en général sont le fait de gens plutôt jeunes et pourraient bien dessiner les rapports inter-féministes de demain. Alors individualisme ou révolution culturelle d’un nouveau genre ? Ces gardes rouges bousculent les féministes de tous poils installées dans une militance ronronnante. En fin de compte, leur revendication est assez simple : loin des injonctions et des conseils, aussi bienveillants soient-ils, ils aspirent à se reconnecter avec eux-mêmes, à vivre libres. Pas si facile dans un monde... ultra-connecté.<br /><br /><br /></p>
<p> </p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/all%20can%20do%20it.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Certain-e-s féministes ont fait des réseaux sociaux un espace d’expression hors d’atteinte pour les universitaires et expert-e-s féministes qui seraient tenté-e-s de les analyser. Ces internautes disent leur rejet d’un académisme sans lien avec leur réalité dont ils ne se privent pas de torpiller les travaux sans vergogne. La fronde gronde au sein des courants féministes.</strong><br /><br /><br />Les réseaux sociaux bruissent parfois d’échos qui interpellent parce qu’ils cassent un entre-soi confortable. Et lorsque ces opinions sont reprises ou partagées par des voix fortes comme celle de Chimamanda Ngozi Adochie dont l’émiliE avait présenté, en février dernier, <a href="http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/687-le-talent-de-chimamanda-ngozi-adichie"><span style="text-decoration: underline;"> le manifeste « Nous sommes tous féministes »</span></a>, on s’y intéresse de plus près.</p>
<p>L’auteure nigérianne y écrit notamment que «chaque fois que j’essaie de lire ce qu’on appelle “les classiques du féminisme”, je suis saisie d’ennui et ne les termine qu’à grand-peine». Dans une interview récente donnée à Libération, elle précise sa position par rapport au féminisme en tant que sujet académique. Pour elle, le féminisme est d’abord «une expérience vécue, en tant que manière de changer les esprits». En cela, elle rejoint nombre de personnes en Europe et ailleurs pour qui les concepts sociologiques sont trop éloignés de leur réalité et qui si elles en sont objets d’étude n’en sont pas au final cibles de lecture.</p>
<p>Différentes attitudes semblent gouverner ce rejet des lettré-e-s : une problématique de classe (la crise est passée par là et tout le monde n’a pas les moyens de se payer des études), une problématique de race (les féministes blanches privilégiées auraient tendance à donner des leçons aux autres) et une problématique de sexe (le binarisme domine ces productions académiques : homme/femme, homo/hétéro…).</p>
<p>Interrogé-e-s, quelques internautes ont livré leur vision : Ils/elles n’ont plus envie qu’on édicte de grands principes, plus envie d’être sujets d’études même lorsu’ils sont menés par des femmes. Ils/elles contestent ce rapport hiérarchique du haut vers le bas en arguant du fait qu’aujourd’hui il existe d’autres moyens de s’informer. Ils/elles ont surtout envie de partager, de vivre, d’expérimenter. Selon eux/elles, les réseaux sociaux permettent une grande diversité d’opinions, il n’y a plus un savant ou un expert qui publie un livre-papier pour leur expliquer la vie. Une femme trans non binaire nous explique que dès qu’elle tombe sur «un livre de cent pages qui me dit comment être comment vivre ou pire, qui m’explique qui je suis, je vomis». Un radicalisme qui peut surprendre et qui ôte une certaine légitimité aux «spécialistes» du féminisme.</p>
<p>Et ces échanges qui court-circuitent l’académie et les institutions en général sont le fait de gens plutôt jeunes et pourraient bien dessiner les rapports inter-féministes de demain. Alors individualisme ou révolution culturelle d’un nouveau genre ? Ces gardes rouges bousculent les féministes de tous poils installées dans une militance ronronnante. En fin de compte, leur revendication est assez simple : loin des injonctions et des conseils, aussi bienveillants soient-ils, ils aspirent à se reconnecter avec eux-mêmes, à vivre libres. Pas si facile dans un monde... ultra-connecté.<br /><br /><br /></p>
<p> </p>
Cachez ce sang que je ne saurais voir
2015-04-03T05:03:39+00:00
2015-04-03T05:03:39+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/707-cachez-ce-sang-que-je-ne-saurais-voir
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/rupi%20kaur.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>La censure sélective des réseaux sociaux sur la représentation des corps féminins devient récurrente et provoque la colère de ses usagères. Règles, allaitement, graisse, rides, poils n’ont pas leur place dans ces univers aseptisés. La diversité des réalités comme celle des corps est bannie au profit du seXXXy. Une domination masculine à l’œuvre que supportent de moins en moins les femmes.</strong></p>
<p>Dernier épisode en date, cette image sur Instagram où l’on voit une jeune femme allongée de dos sur un lit, le pantalon et les draps tachés par ses règles. La censure a frappé à deux reprises, supprimant l’objet du délit. Et quel tartuffe cela dérange-t-il ? Une journaliste du Guardian, Jessica Valenti, le résume très bien : « Les images sexy sont appropriées, pas celles de corps féminins normaux. Plus simplement : sont acceptées les photos de femmes que les hommes veulent bien baiser, point barre. […] Vraiment, c’est difficile d’imaginer des femmes offensées par des images d’allaitement, de bikini débraillé ou de sang – c’est notre quotidien, pour bon nombre d’entre nous. Ce sont les hommes que les géants des médias sociaux ‘protègent’, des hommes qui ont grandi avec des images aseptisées de la sexualité et du corps féminin. Des hommes à qui l’on a appris à croire en la pop culture, au fait que le corps des femmes est là pour eux. Et s’ils doivent voir une femme qui n’est pas mince, épilée et prête à faire l’amour, bonjour l’évanouissement. »</p>
<p>Et si au départ, l’auteure et modèle de la photo censurée, Rupi Kaur, explique sur le site du Huffington Post avoir posté cette image sur Instagram dans le cadre d’un projet de dernière année à l’université, « visant à disséquer la manière dont les différentes formes de médias envisagent une information visuelle », elle était loin d’imaginer le retentissement que cela aurait. L’idée était de s’interroger sur le tabou des règles dans nos sociétés ? « Pourquoi nous dépêchons-nous de ranger nos tampons quand nous les sortons accidentellement de nos sacs à main ? » se demande l’étudiante. Derrière cette question s’en cache une autre : pourquoi refuse-t-on de voir le corps des femmes dans sa réalité et sa diversité ? Ce à quoi Rupi Kaur répond : « Souligner le fait que le vagin puisse être utilisé pour autre chose que le sexe représente une attaque directe sur nos conceptions idylliques d’une identité féminine manucurée ». Ce qui sous-entend que la vie des femmes n’a de sens que si elle est utile aux hommes et n’est acceptable que si elle a un rapport avec le sexe. La jeune femme conclut que « ce que les femmes doivent endurer en silence est réel, et ce silence leur fait du mal. Nous devons nous battre en faveur du changement. Et qui dit bataille, dit sang». Depuis, sa photo est de nouveau en ligne sur son compte I<a href="https://instagram.com/p/0ovWwJHA6f/"><span style="text-decoration: underline;">nstagram</span></a>…<br /><br />Photo © (@rupikaur_)</p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/rupi%20kaur.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>La censure sélective des réseaux sociaux sur la représentation des corps féminins devient récurrente et provoque la colère de ses usagères. Règles, allaitement, graisse, rides, poils n’ont pas leur place dans ces univers aseptisés. La diversité des réalités comme celle des corps est bannie au profit du seXXXy. Une domination masculine à l’œuvre que supportent de moins en moins les femmes.</strong></p>
<p>Dernier épisode en date, cette image sur Instagram où l’on voit une jeune femme allongée de dos sur un lit, le pantalon et les draps tachés par ses règles. La censure a frappé à deux reprises, supprimant l’objet du délit. Et quel tartuffe cela dérange-t-il ? Une journaliste du Guardian, Jessica Valenti, le résume très bien : « Les images sexy sont appropriées, pas celles de corps féminins normaux. Plus simplement : sont acceptées les photos de femmes que les hommes veulent bien baiser, point barre. […] Vraiment, c’est difficile d’imaginer des femmes offensées par des images d’allaitement, de bikini débraillé ou de sang – c’est notre quotidien, pour bon nombre d’entre nous. Ce sont les hommes que les géants des médias sociaux ‘protègent’, des hommes qui ont grandi avec des images aseptisées de la sexualité et du corps féminin. Des hommes à qui l’on a appris à croire en la pop culture, au fait que le corps des femmes est là pour eux. Et s’ils doivent voir une femme qui n’est pas mince, épilée et prête à faire l’amour, bonjour l’évanouissement. »</p>
<p>Et si au départ, l’auteure et modèle de la photo censurée, Rupi Kaur, explique sur le site du Huffington Post avoir posté cette image sur Instagram dans le cadre d’un projet de dernière année à l’université, « visant à disséquer la manière dont les différentes formes de médias envisagent une information visuelle », elle était loin d’imaginer le retentissement que cela aurait. L’idée était de s’interroger sur le tabou des règles dans nos sociétés ? « Pourquoi nous dépêchons-nous de ranger nos tampons quand nous les sortons accidentellement de nos sacs à main ? » se demande l’étudiante. Derrière cette question s’en cache une autre : pourquoi refuse-t-on de voir le corps des femmes dans sa réalité et sa diversité ? Ce à quoi Rupi Kaur répond : « Souligner le fait que le vagin puisse être utilisé pour autre chose que le sexe représente une attaque directe sur nos conceptions idylliques d’une identité féminine manucurée ». Ce qui sous-entend que la vie des femmes n’a de sens que si elle est utile aux hommes et n’est acceptable que si elle a un rapport avec le sexe. La jeune femme conclut que « ce que les femmes doivent endurer en silence est réel, et ce silence leur fait du mal. Nous devons nous battre en faveur du changement. Et qui dit bataille, dit sang». Depuis, sa photo est de nouveau en ligne sur son compte I<a href="https://instagram.com/p/0ovWwJHA6f/"><span style="text-decoration: underline;">nstagram</span></a>…<br /><br />Photo © (@rupikaur_)</p>
Selfridges invente l'a-gender marketing
2015-03-26T06:13:17+00:00
2015-03-26T06:13:17+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/704-selfridges-invente-la-gender-marketing
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/150130_Agender.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Les magasins Selfridges, toujours précursseurs en matière de mode et de marketing lancent Agender, un concept unisexe qui efface les frontières homme/femme. Révolution ou poudre aux yeux ? Poule aux œufs d’or, à n’en pas douter.</strong><br /><br />Les lignes sont-elles en train de bouger ? Le department store de luxe Selfridges lance un rayon de mode unisexe dans ses magasins de Londres, Manchester et Birmingham. Agender, concept créé par la designer Faye Toogwood, parle de lui-même : sans genre. L’espace a été pensé en ce sens avec la volonté de casser les sempiternelles catégories homme/femme. De l’avis de la créatrice, «le genre n’est pas simplement binaire, mais les vêtements sont toujours vendus selon ces critères. Il suffit de regarder la prépondérance du rose et du bleu au rayon enfant pour voir comment les choix que nous faisons renforcent des rôles genrés artificiels».<br /><br />Dans un communiqué, Selfridges explique que l’idée est d’offrir «une expérience à ses clients pour s’habiller en dehors de toutes contraintes ou stéréotypes». Et si l’industrie de la mode s’aventurait parfois hors des sentiers battus en faisant défiler sur les podiums des mannequins transgenres ou transexuels, les collections restaient jusqu’à présent très normées. Il y avait toujours d’un côté les vêtements pour hommes de l’autre les vêtements pour femmes. Casser cette frontière est une gageure.<br /><br />Afin de promouvoir sa campagne, Selfridges a mis le paquet en faisant appel à Neneh Cherry et Devonté Hynes qui interprètent le titre <a href="https://www.youtube.com/watch?v=_9rPiexwJJA#t=17"><span style="text-decoration: underline;">He She Me</span></a> : le message véhiculé est d’abord d’être soi-même avant de se conformer à son genre biologique, masculin ou féminin. Et si Agender n’est pas «une tendance» comme l’affirme Linda Hewson, directrice créative de Selfridges mais «un état d’esprit», il est difficile d’oublier que Selfridges doit faire du profit. Et il est de fait légitime de se demander si Agender ne s’inscrit pas dans un plan marketing bien orchestré comme s'y entend le department store. Linda Hewson précise d’ailleurs que «le projet doit servir de berceau à des tests autour de l’idée de genre, à la fois pour permettre à nos client-e-s de vivre l’expérience sans idées préconçues et pour nous en tant que vendeurs de faire avancer notre façon de voir la mode». Alors Selfridges vient-il de lancer l’a-gender marketing ?</p>
<p>Photo © Selfridges</p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/150130_Agender.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Les magasins Selfridges, toujours précursseurs en matière de mode et de marketing lancent Agender, un concept unisexe qui efface les frontières homme/femme. Révolution ou poudre aux yeux ? Poule aux œufs d’or, à n’en pas douter.</strong><br /><br />Les lignes sont-elles en train de bouger ? Le department store de luxe Selfridges lance un rayon de mode unisexe dans ses magasins de Londres, Manchester et Birmingham. Agender, concept créé par la designer Faye Toogwood, parle de lui-même : sans genre. L’espace a été pensé en ce sens avec la volonté de casser les sempiternelles catégories homme/femme. De l’avis de la créatrice, «le genre n’est pas simplement binaire, mais les vêtements sont toujours vendus selon ces critères. Il suffit de regarder la prépondérance du rose et du bleu au rayon enfant pour voir comment les choix que nous faisons renforcent des rôles genrés artificiels».<br /><br />Dans un communiqué, Selfridges explique que l’idée est d’offrir «une expérience à ses clients pour s’habiller en dehors de toutes contraintes ou stéréotypes». Et si l’industrie de la mode s’aventurait parfois hors des sentiers battus en faisant défiler sur les podiums des mannequins transgenres ou transexuels, les collections restaient jusqu’à présent très normées. Il y avait toujours d’un côté les vêtements pour hommes de l’autre les vêtements pour femmes. Casser cette frontière est une gageure.<br /><br />Afin de promouvoir sa campagne, Selfridges a mis le paquet en faisant appel à Neneh Cherry et Devonté Hynes qui interprètent le titre <a href="https://www.youtube.com/watch?v=_9rPiexwJJA#t=17"><span style="text-decoration: underline;">He She Me</span></a> : le message véhiculé est d’abord d’être soi-même avant de se conformer à son genre biologique, masculin ou féminin. Et si Agender n’est pas «une tendance» comme l’affirme Linda Hewson, directrice créative de Selfridges mais «un état d’esprit», il est difficile d’oublier que Selfridges doit faire du profit. Et il est de fait légitime de se demander si Agender ne s’inscrit pas dans un plan marketing bien orchestré comme s'y entend le department store. Linda Hewson précise d’ailleurs que «le projet doit servir de berceau à des tests autour de l’idée de genre, à la fois pour permettre à nos client-e-s de vivre l’expérience sans idées préconçues et pour nous en tant que vendeurs de faire avancer notre façon de voir la mode». Alors Selfridges vient-il de lancer l’a-gender marketing ?</p>
<p>Photo © Selfridges</p>
Le manifeste des Femen
2015-03-20T05:56:40+00:00
2015-03-20T05:56:40+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/702-le-manifeste-des-femen
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/femen%202.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Aujourd’hui paraît le Manifeste des Femen qui, tout en réaffirmant les idéaux et les luttes d’origine du mouvement, marque une étape. Il fait entrer le groupe dans une phase de maturité et témoigne d’une assise acquise au fil du temps. Laissant la période ukrainienne et les actions brouillonnes loin derrière, le collectif, à vocation internationale, est désormais dirigé par la seule Inna Shevchenko.</strong><br /><br />Si ce n’est pas le premier manifeste publié par les Femen, qui avaient déjà posé par écrit les bases de leur combat voici deux ans, c’est le plus abouti, à l’image de l’évolution du mouvement. Celui-ce a en effet parcouru un bout de chemin en grandissant et en grossissant. Débarassé de son ancrage ukrainien, il se veut universel, avec des antennes actives dans quinze pays et une base à Paris. Alors les Femen deviennent-elles une franchise ? En tous cas, l’organisation est beaucoup mieux structurée qu’à ses débuts. Beaucoup mieux lisible aussi. Il faut dire que le ménage a été fait de fond en comble. Inna Shevchenko s’est imposée comme leader naturelle balayant au passage les autres fondatrices Anna Hutsol, Oksana Chatchko et Alexandra Shevtchenko.<br /><br />Sur le fond, le manifeste reste fidèle aux luttes contre le patriarcat, les religions, l’industrie du sexe et sur la forme, il répète l’efficacité des moyens d’action seins à l’air, slogans sur la poitrine et couronnes de fleur, ultime concession à l’origine ukrainienne. La radicalité constitue toujours la colonne vertébrale de la pratique et du discours, unique moyen selon les activistes de combattre la violence que le système oppose aux femmes. Le texte ne s’adresse d’ailleurs qu’à elles : <br />« A vous qui n’êtes ni fille, ni mère, ni sœur, ni épouse, <br />A vous qui n’êtes ni femmes dans l’ombre d’un grand homme, ni petites mains de la guerre, ni forces arrières, <br />A vous qui êtes maîtresses de votre condition et combattantes pour vos droits, <br />A vous qui êtes femmes,<br />L’heure est venue de prendre nos responsabilités et de nous battre ensemble, avec témérité et détermination, pour la grande lutte féministe.<br />Parce que l’égalité n’est pas qu’une utopie, parce que le commerce des femmes n’est pas un métier, parce que les violences faites aux femmes ne sont ni passion ni honneur mais crime, parce que le viol ne doit pas être une arme de guerre, parce que nos corps ne sont pas des champs de bataille, parce que nos compétences intellectuelles ne sont pas inférieures, parce que nous ne sommes pas de petits êtres vulnérables, ni des morceaux de viande, parce que rien ne nous oblige à respecter des lois et des dogmes qui ont été écrits sans nous et contre nous, exécrons tout de suite et inconditionnellement le système qui nous oppresse. Haïssons-le, dénonçons-le et détruisons-le. »<br /><br /><strong><em>Le manifeste des Femen</em>, <span class="work_infos">éditions Utopia, dans la collection Dépasser le patriarcat, 64 pages.</span></strong></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/femen%202.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Aujourd’hui paraît le Manifeste des Femen qui, tout en réaffirmant les idéaux et les luttes d’origine du mouvement, marque une étape. Il fait entrer le groupe dans une phase de maturité et témoigne d’une assise acquise au fil du temps. Laissant la période ukrainienne et les actions brouillonnes loin derrière, le collectif, à vocation internationale, est désormais dirigé par la seule Inna Shevchenko.</strong><br /><br />Si ce n’est pas le premier manifeste publié par les Femen, qui avaient déjà posé par écrit les bases de leur combat voici deux ans, c’est le plus abouti, à l’image de l’évolution du mouvement. Celui-ce a en effet parcouru un bout de chemin en grandissant et en grossissant. Débarassé de son ancrage ukrainien, il se veut universel, avec des antennes actives dans quinze pays et une base à Paris. Alors les Femen deviennent-elles une franchise ? En tous cas, l’organisation est beaucoup mieux structurée qu’à ses débuts. Beaucoup mieux lisible aussi. Il faut dire que le ménage a été fait de fond en comble. Inna Shevchenko s’est imposée comme leader naturelle balayant au passage les autres fondatrices Anna Hutsol, Oksana Chatchko et Alexandra Shevtchenko.<br /><br />Sur le fond, le manifeste reste fidèle aux luttes contre le patriarcat, les religions, l’industrie du sexe et sur la forme, il répète l’efficacité des moyens d’action seins à l’air, slogans sur la poitrine et couronnes de fleur, ultime concession à l’origine ukrainienne. La radicalité constitue toujours la colonne vertébrale de la pratique et du discours, unique moyen selon les activistes de combattre la violence que le système oppose aux femmes. Le texte ne s’adresse d’ailleurs qu’à elles : <br />« A vous qui n’êtes ni fille, ni mère, ni sœur, ni épouse, <br />A vous qui n’êtes ni femmes dans l’ombre d’un grand homme, ni petites mains de la guerre, ni forces arrières, <br />A vous qui êtes maîtresses de votre condition et combattantes pour vos droits, <br />A vous qui êtes femmes,<br />L’heure est venue de prendre nos responsabilités et de nous battre ensemble, avec témérité et détermination, pour la grande lutte féministe.<br />Parce que l’égalité n’est pas qu’une utopie, parce que le commerce des femmes n’est pas un métier, parce que les violences faites aux femmes ne sont ni passion ni honneur mais crime, parce que le viol ne doit pas être une arme de guerre, parce que nos corps ne sont pas des champs de bataille, parce que nos compétences intellectuelles ne sont pas inférieures, parce que nous ne sommes pas de petits êtres vulnérables, ni des morceaux de viande, parce que rien ne nous oblige à respecter des lois et des dogmes qui ont été écrits sans nous et contre nous, exécrons tout de suite et inconditionnellement le système qui nous oppresse. Haïssons-le, dénonçons-le et détruisons-le. »<br /><br /><strong><em>Le manifeste des Femen</em>, <span class="work_infos">éditions Utopia, dans la collection Dépasser le patriarcat, 64 pages.</span></strong></p>
Combattre les insultes par le rire
2015-03-13T04:31:39+00:00
2015-03-13T04:31:39+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/699-combattre-les-insultes-par-le-rire
Joëlle Rebetez
[email protected]
<p><strong><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/Petit%20imagier_Lemilie%20glissees.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></strong></p>
<p><strong><strong>Le collectif Gendering s'attaque par le biais de l'humour aux insultes en publiant u</strong>n imagier qui répertorie des termes sexistes et homophobes à l'œuvre dans la langue française. Pour mieux les dénoncer ! </strong></p>
<p>Sifflements, insultes ou propositions indécentes : le sexisme ordinaire se révèle en permanence - et avec une certaine obstination, vous en conviendrez - au coin de la rue, en famille ou entre collègues. Mais avant d'atterrir sur l'espace public, ses multiples expressions foisonnent d'abord dans le langage. Notre langage. Ce réservoir infini qu'on utilise tous les jours et qui, dans certaines bouches, déborde de mots ou d'usages sexistes et homophobes. Chienne ! Allumeuse ! Entraîneuse, et j'en passe et des meilleurs ! Le vocabulaire sexiste a une mission, celle de réduire la femme en objet tantôt risible, tantôt sexuel, dont on se moque gaillardement dans l'entre-soi viril et potentat. Autre cible toute désignée par ce lexique réducteur : les personnes homosexuelles. Broute-gazon ! Tante ! Grande folle ! La langue française est riche. Hélas, elle l'est tout autant lorsque certains s'en servent pour emprisonner le féminin et l'homosexualité, à grands renforts de qualificatifs forts mal placés. Reflet du temps et des modes langagières, les insultes ont évolué dans la forme qu'elles revêtent mais peu sur le fond. <em>Le Petit imagier de vocabulaire sexiste et homophobe</em> publié par l'association Gendering illustre cette terminologie de manière ludique et explicite. Un dessin et un mot pour prendre de la distance vis-à-vis des insultes, pour en rigoler et imaginer de nouveaux usages et détournements. Si l'imagier reste l'outil par excellence pour accompagner le développement du vocabulaire des petits, il s'avère également efficace pour pointer du doigt le sexisme et l’homophobie à l’œuvre dans la langue française. Pour un résultat fort en gueule qui ravira celles et ceux ayant choisi de combattre l'outrage par le rire.</p>
<p>L’imagier est en vente à la librairie<a href="http://www.livresse.ch/"><span style="text-decoration: underline;"> Livresse</span></a>, au 5 rue Vignier à Genève</p>
<p><strong><strong><img src="images/genresfeminismes/Petit%20imagier_Lemilie%20glissees.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></strong></p>
<p><strong><strong>Le collectif Gendering s'attaque par le biais de l'humour aux insultes en publiant u</strong>n imagier qui répertorie des termes sexistes et homophobes à l'œuvre dans la langue française. Pour mieux les dénoncer ! </strong></p>
<p>Sifflements, insultes ou propositions indécentes : le sexisme ordinaire se révèle en permanence - et avec une certaine obstination, vous en conviendrez - au coin de la rue, en famille ou entre collègues. Mais avant d'atterrir sur l'espace public, ses multiples expressions foisonnent d'abord dans le langage. Notre langage. Ce réservoir infini qu'on utilise tous les jours et qui, dans certaines bouches, déborde de mots ou d'usages sexistes et homophobes. Chienne ! Allumeuse ! Entraîneuse, et j'en passe et des meilleurs ! Le vocabulaire sexiste a une mission, celle de réduire la femme en objet tantôt risible, tantôt sexuel, dont on se moque gaillardement dans l'entre-soi viril et potentat. Autre cible toute désignée par ce lexique réducteur : les personnes homosexuelles. Broute-gazon ! Tante ! Grande folle ! La langue française est riche. Hélas, elle l'est tout autant lorsque certains s'en servent pour emprisonner le féminin et l'homosexualité, à grands renforts de qualificatifs forts mal placés. Reflet du temps et des modes langagières, les insultes ont évolué dans la forme qu'elles revêtent mais peu sur le fond. <em>Le Petit imagier de vocabulaire sexiste et homophobe</em> publié par l'association Gendering illustre cette terminologie de manière ludique et explicite. Un dessin et un mot pour prendre de la distance vis-à-vis des insultes, pour en rigoler et imaginer de nouveaux usages et détournements. Si l'imagier reste l'outil par excellence pour accompagner le développement du vocabulaire des petits, il s'avère également efficace pour pointer du doigt le sexisme et l’homophobie à l’œuvre dans la langue française. Pour un résultat fort en gueule qui ravira celles et ceux ayant choisi de combattre l'outrage par le rire.</p>
<p>L’imagier est en vente à la librairie<a href="http://www.livresse.ch/"><span style="text-decoration: underline;"> Livresse</span></a>, au 5 rue Vignier à Genève</p>
Erika Lust: le porno fun et féministe
2015-03-06T11:54:48+00:00
2015-03-06T11:54:48+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/696-erika-lust-le-porno-fun-et-feministe
Hellen Williams
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/ici/Erika-Camera-Balcony-1024x682.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Depuis 2005, la réalisatrice suédoise Erika Lust révolutionne le genre du porno en mettant les femmes aux commandes, devant et derrière la caméra. Alors que ses films tombent la culotte ce week-end à la Fête du slip, l'émiliE a tenté de mettre à nu une femme au féminisme joyeusement bandant.</strong> <strong>Interview.</strong><br /><br /><strong>l'Emilie: Qu’est-ce qui vous a décidé à réaliser du porno pour les femmes ?</strong><br /><strong>Erika Lust</strong>: Quand j’étudiais les sciences politiques à l’université de Lund en Suède, je me suis rendu compte qu’il y avait un manque considérable de voix féminines dans l’industrie du film pour adultes. Mais c’est en lisant <em>Hardcore</em> de Linda Williams que j’ai compris que le porno est un discours sur la sexualité humaine qui peut être utilisé comme instrument de libération sexuelle. A cette même époque j’ai déménagé à Barcelone, commencé des études de réalisation, tourné <em>The Good Girl</em> qui a connu un succès surprenant sur le web, et lancé ma propre entreprise Lust Films. C’est là que j’ai repéré une niche (dans le marché du porno, ndlr) professionnellement et intellectuellement excitante. J’ai voulu redéfinir et rétablir la façon de penser le porno et de le filmer. J’ai voulu secouer une industrie dominée par les hommes. J’ai voulu donner aux femmes une voix dans le porno.<br /><br /><strong>Comment votre cinéma se distancie-t-il du porno traditionnel et sexiste ?</strong><br />Mon porno est intelligent et imaginatif, parce qu’il est inspiré par mon public. Il est centré sur des perspectives féminines avec notre plaisir en point de mire. Enfin, mon porno est créatif, contemporain et réaliste, avec des décors magnifiques, des professionnels et des amateurs qui s’assemblent pour recréer les fantasmes de femmes, d’hommes et de couples. Des thèmes et des valeurs qui ne se retrouvent pas dans le porno « traditionnel », celui-ci étant majoritairement le fruit d’esprits sexistes dénués d’imagination et de réalisme. Leurs caméras ne se concentrent que sur le va-et-vient des parties génitales et l’éjaculatoire « money shot » final.<br /><br /><strong>Diriez-vous que vous faites du cinéma féministe ?</strong><br />Etre féministe implique que l’on prenne en considération le point de vue des femmes et ceci est à la base de tout ce que je fais, pas seulement de mes films. Le féminisme influence ma façon d’être, de penser, d’élever mes filles. Inévitablement il fait partie intégrante de mon travail, tout comme les gadgets et les filles en bikini font partie intégrante d’un « James Bond ».<br /><br />Mes films érotiques sont féministes parce qu’ils évitent les clichés sexistes et qu’ils sont centrés sur les femmes, nos besoins, nos passions et nos désirs. Mais surtout, mes films sont fun et sexy ! J’essaie de les rendre intelligents et imaginatifs en privilégient les points de vue féminins. <br /><br /><strong>Vous dirigez votre propre maison de production. Trouvez-vous facile de vous faire une place dans ce milieu du porno, si lourdement masculin ?</strong><br />Quand j’ai commencé, j’ai ressenti une très grande hostilité de la part des autres réalisateurs. Mon travail était dénigré parce qu’ils le considéraient une perte de temps et d’argent. Ils disaient « on s’en occupe, nous, du porno pour femmes » et ne voyaient pas pourquoi j’aurais soudainement besoin d’en tourner. Ils ont même jugé discriminatoire de ma part d’envisager cette idée! Ils affirmaient que je ne ferais jamais mieux qu’eux. Aujourd’hui, avec de nombreux prix à mon actif, plus de 30'000 membres sur mon site XConfessions, ainsi qu’une entreprise et une marque en pleine expansion, je leur donne tort, et la sensation est géniale!<br /><br /><strong>Etes-vous une patronne féministe ?</strong><br />Je ne suis pas sûre de savoir ce que ça signifie ! Mais comme expliqué plus haut, le féminisme inspire toutes mes actions, il s’épanouit dans mon entreprise, et dans l’équipe merveilleuse qui m’entoure. Mon staff de production est féminin à 90%, des femmes talentueuses, créatives et autonomes. Du coup, toutes les étapes de réalisation, maquillage, décors, scénarii, bénéficient en priorité d’un point de vue féminin. Alors, oui, je crois que je suis une patronne féministe, mais c’est une chose positive, non ?<br /><br /><strong>Quelles femmes vous ont particulièrement inspirée ? Lesquelles admirez-vous tout particulièrement ?</strong><br />En grandissant, j’ai été très influencée par Simone de Beauvoir et par le livre <em>Under det rosa täcket</em> (Sous le Duvet Rose) de l’écrivaine féministe suédoise Nina Björk.<br /><br />Plus tard, à l’université, ce sont les ouvrages <em>Hardcore</em> et <em>Porn Studies</em> de Linda Williams. C’est grâce à elle que j’ai compris que je pourrais utiliser le porno comme outil de libération sexuelle, et tourner le genre de films que moi et beaucoup d’autres aimerions regarder.<br /><br /><strong>Vous avez deux filles en bas âge. Comment sensibilise-t-on ses enfants aux questions de respect et d’égalité, alors qu’ils ont si facilement accès sur Internet à un porno violent et sexiste ?</strong><br />Ma fille Lara m’a déjà demandé : «Maman, les gens sont toujours tous nus dans tes films?»<br />Mon partenaire Pablo et moi leur donnons déjà une éducation sexuelle, notamment avec le livre <em>Where Did I Come From ?</em> (Je viens d’où ?) et elles adorent. Les dernières tendances éducatives affirment qu’il est plus judicieux de commencer tôt à parler de sexe et de genre aux enfants, plutôt que d’attendre qu’ils aient dix ou onze ans, quand la honte apparaît dans les esprits pré-adolescents.<br /><br />C’était facile de « sortir du placard » porno avec mes enfants, qui sont ouverts sur ce que nous choisissons de leur apprendre. Bien plus facile qu’avec certains adultes figés dans leurs stéréotypes sur le sexe et la pornographie.<br /><br />Parce qu’il ne s’agit pas seulement d’éduquer mes filles sur le sexe, mais aussi sur le porno, ce qui les avantagera plus tard. De nombreux parents donnent volontiers une éducation sexuelle mais évitent complètement de parler du porno. Et c’est une erreur, parce que le porno occupe une place importante. Il est pour beaucoup de jeunes la première et parfois seule « éducation sexuelle » qu’ils-elles reçoivent, et influence dramatiquement leur vision des genres et des relations.<br />J’en parle d’ailleurs dans la<span style="text-decoration: underline;"> conférence TED</span> donnée à Vienne en novembre dernier. <br /><br /><strong>Quels sont vos prochains projets?</strong><br />Nous sommes en phase création du volume 5 de XConfessions et je prépare un long-métrage pour cette année. Je suis aussi très fière de participer aux 10ème anniversaire des Feminist Porn Awards de Toronto, où je présente une sélection des meilleurs courts-métrages de XConfessions.</p>
<p>Photo © Rocio Lunaire, <em>Erika Lust aux commandes</em></p>
<p><strong><img src="images/ici/Erika-Camera-Balcony-1024x682.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Depuis 2005, la réalisatrice suédoise Erika Lust révolutionne le genre du porno en mettant les femmes aux commandes, devant et derrière la caméra. Alors que ses films tombent la culotte ce week-end à la Fête du slip, l'émiliE a tenté de mettre à nu une femme au féminisme joyeusement bandant.</strong> <strong>Interview.</strong><br /><br /><strong>l'Emilie: Qu’est-ce qui vous a décidé à réaliser du porno pour les femmes ?</strong><br /><strong>Erika Lust</strong>: Quand j’étudiais les sciences politiques à l’université de Lund en Suède, je me suis rendu compte qu’il y avait un manque considérable de voix féminines dans l’industrie du film pour adultes. Mais c’est en lisant <em>Hardcore</em> de Linda Williams que j’ai compris que le porno est un discours sur la sexualité humaine qui peut être utilisé comme instrument de libération sexuelle. A cette même époque j’ai déménagé à Barcelone, commencé des études de réalisation, tourné <em>The Good Girl</em> qui a connu un succès surprenant sur le web, et lancé ma propre entreprise Lust Films. C’est là que j’ai repéré une niche (dans le marché du porno, ndlr) professionnellement et intellectuellement excitante. J’ai voulu redéfinir et rétablir la façon de penser le porno et de le filmer. J’ai voulu secouer une industrie dominée par les hommes. J’ai voulu donner aux femmes une voix dans le porno.<br /><br /><strong>Comment votre cinéma se distancie-t-il du porno traditionnel et sexiste ?</strong><br />Mon porno est intelligent et imaginatif, parce qu’il est inspiré par mon public. Il est centré sur des perspectives féminines avec notre plaisir en point de mire. Enfin, mon porno est créatif, contemporain et réaliste, avec des décors magnifiques, des professionnels et des amateurs qui s’assemblent pour recréer les fantasmes de femmes, d’hommes et de couples. Des thèmes et des valeurs qui ne se retrouvent pas dans le porno « traditionnel », celui-ci étant majoritairement le fruit d’esprits sexistes dénués d’imagination et de réalisme. Leurs caméras ne se concentrent que sur le va-et-vient des parties génitales et l’éjaculatoire « money shot » final.<br /><br /><strong>Diriez-vous que vous faites du cinéma féministe ?</strong><br />Etre féministe implique que l’on prenne en considération le point de vue des femmes et ceci est à la base de tout ce que je fais, pas seulement de mes films. Le féminisme influence ma façon d’être, de penser, d’élever mes filles. Inévitablement il fait partie intégrante de mon travail, tout comme les gadgets et les filles en bikini font partie intégrante d’un « James Bond ».<br /><br />Mes films érotiques sont féministes parce qu’ils évitent les clichés sexistes et qu’ils sont centrés sur les femmes, nos besoins, nos passions et nos désirs. Mais surtout, mes films sont fun et sexy ! J’essaie de les rendre intelligents et imaginatifs en privilégient les points de vue féminins. <br /><br /><strong>Vous dirigez votre propre maison de production. Trouvez-vous facile de vous faire une place dans ce milieu du porno, si lourdement masculin ?</strong><br />Quand j’ai commencé, j’ai ressenti une très grande hostilité de la part des autres réalisateurs. Mon travail était dénigré parce qu’ils le considéraient une perte de temps et d’argent. Ils disaient « on s’en occupe, nous, du porno pour femmes » et ne voyaient pas pourquoi j’aurais soudainement besoin d’en tourner. Ils ont même jugé discriminatoire de ma part d’envisager cette idée! Ils affirmaient que je ne ferais jamais mieux qu’eux. Aujourd’hui, avec de nombreux prix à mon actif, plus de 30'000 membres sur mon site XConfessions, ainsi qu’une entreprise et une marque en pleine expansion, je leur donne tort, et la sensation est géniale!<br /><br /><strong>Etes-vous une patronne féministe ?</strong><br />Je ne suis pas sûre de savoir ce que ça signifie ! Mais comme expliqué plus haut, le féminisme inspire toutes mes actions, il s’épanouit dans mon entreprise, et dans l’équipe merveilleuse qui m’entoure. Mon staff de production est féminin à 90%, des femmes talentueuses, créatives et autonomes. Du coup, toutes les étapes de réalisation, maquillage, décors, scénarii, bénéficient en priorité d’un point de vue féminin. Alors, oui, je crois que je suis une patronne féministe, mais c’est une chose positive, non ?<br /><br /><strong>Quelles femmes vous ont particulièrement inspirée ? Lesquelles admirez-vous tout particulièrement ?</strong><br />En grandissant, j’ai été très influencée par Simone de Beauvoir et par le livre <em>Under det rosa täcket</em> (Sous le Duvet Rose) de l’écrivaine féministe suédoise Nina Björk.<br /><br />Plus tard, à l’université, ce sont les ouvrages <em>Hardcore</em> et <em>Porn Studies</em> de Linda Williams. C’est grâce à elle que j’ai compris que je pourrais utiliser le porno comme outil de libération sexuelle, et tourner le genre de films que moi et beaucoup d’autres aimerions regarder.<br /><br /><strong>Vous avez deux filles en bas âge. Comment sensibilise-t-on ses enfants aux questions de respect et d’égalité, alors qu’ils ont si facilement accès sur Internet à un porno violent et sexiste ?</strong><br />Ma fille Lara m’a déjà demandé : «Maman, les gens sont toujours tous nus dans tes films?»<br />Mon partenaire Pablo et moi leur donnons déjà une éducation sexuelle, notamment avec le livre <em>Where Did I Come From ?</em> (Je viens d’où ?) et elles adorent. Les dernières tendances éducatives affirment qu’il est plus judicieux de commencer tôt à parler de sexe et de genre aux enfants, plutôt que d’attendre qu’ils aient dix ou onze ans, quand la honte apparaît dans les esprits pré-adolescents.<br /><br />C’était facile de « sortir du placard » porno avec mes enfants, qui sont ouverts sur ce que nous choisissons de leur apprendre. Bien plus facile qu’avec certains adultes figés dans leurs stéréotypes sur le sexe et la pornographie.<br /><br />Parce qu’il ne s’agit pas seulement d’éduquer mes filles sur le sexe, mais aussi sur le porno, ce qui les avantagera plus tard. De nombreux parents donnent volontiers une éducation sexuelle mais évitent complètement de parler du porno. Et c’est une erreur, parce que le porno occupe une place importante. Il est pour beaucoup de jeunes la première et parfois seule « éducation sexuelle » qu’ils-elles reçoivent, et influence dramatiquement leur vision des genres et des relations.<br />J’en parle d’ailleurs dans la<span style="text-decoration: underline;"> conférence TED</span> donnée à Vienne en novembre dernier. <br /><br /><strong>Quels sont vos prochains projets?</strong><br />Nous sommes en phase création du volume 5 de XConfessions et je prépare un long-métrage pour cette année. Je suis aussi très fière de participer aux 10ème anniversaire des Feminist Porn Awards de Toronto, où je présente une sélection des meilleurs courts-métrages de XConfessions.</p>
<p>Photo © Rocio Lunaire, <em>Erika Lust aux commandes</em></p>
Hormones, discrètes alliées
2015-03-04T04:56:38+00:00
2015-03-04T04:56:38+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/694-hormones-discretes-alliees
Annabelle Georgen
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/hormones.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Victimes d'idées reçues aux relents sexistes, les hormones sécrétées par notre corps ont des fonctions bienfaitrices très variées et encore trop souvent méconnues. </strong><strong>Elles dopent notre moral, nous protègent face à certaines maladies, nous aident à accoucher ou à nous sortir d'une situation dangereuse... Les hormones, ces messagères chimiques qui circulent dans notre corps en quantité infinitésimale, ont une action bénéfique sur notre santé et notre bien-être. En voici quelques exemples.</strong><br /><br /><br /><br /><strong>Les œstrogènes et la progestérone, les hormones "féminines"</strong><br />C'est particulièrement le cas des hormones sexuelles dites féminines que sont les œstrogènes et la progestérone : "Elles exercent un effet protecteur contre un grand nombre de maladies incluant les maladies cardiovasculaires, les maladies cérébrales et l’ostéoporose. À dosage adéquat, elles ont aussi des propriétés anti-cancer, et non le contraire", explique la docteure québécoise Sylvie Demers, spécialiste en biologie moléculaire et en hormonothérapie.</p>
<p>Elle œuvre depuis des années pour la reconnaissance des bienfaits des œstrogènes et de la progestérone tant sur la santé des femmes que des hommes, car comme elle le souligne, "aucune hormone n’est spécifique aux femmes ou aux hommes. Les femmes et les hommes produisent les mêmes hormones, y compris sexuelles. Ce qui diffère surtout entre les sexes, c'est que les ovaires produisent davantage d’œstrogènes et de progestérone, tandis que les testicules produisent davantage d'androgènes."</p>
<p>Bien que certaines études mettent en cause les traitements hormonaux substitutifs de la ménopause dans l'apparition de cancers – notamment du sein – et que la pilule contraceptive augmente le risque de thrombose chez les femmes qui la prennent, Sylvie Demers estime que le rôle bénéfique général des hormones sexuelles féminines n'est aujourd'hui pas suffisamment reconnu par le corps médical. Elle constate qu’il existe ce qu’elle appelle une "misogynie hormonale" : "Il y a un discours ambiant qui consiste à mépriser, voire à craindre les œstrogènes, alors que la société survalorise la testostérone".</p>
<p>Les œstrogènes ont des effets positifs sur notre moral, poursuit Sylvie Demers : "L’estradiol-17β est un antidépresseur naturel puissant, il favorise un meilleur sommeil, augmente la mémoire et a des effets neuro-protecteurs". C'est ce qui expliquerait pourquoi les phases où la production de ces hormones chute de manière radicale, comme durant les règles, après un accouchement ou lors de la ménopause, peuvent s’accompagner d'anxiété, de fatigue, d'irritabilité, voire d'un état dépressif passager. Des effets secondaires qui ont inspiré le fameux "Si elle est de mauvaise humeur, c'est qu'elle doit avoir ses règles", grand classique de la vanne sexiste, sous-entendant que le comportement des femmes serait entièrement assujetti à leur cycle menstruel et envisageant les hormones sous un angle négatif. "Le mépris des œstrogènes reflète d’une certaine manière le mépris des femmes", analyse Sylvie Demers. "Je crois qu’il ne pourra y avoir de véritable égalité des sexes tant que cette misogynie hormonale perdurera."<br /><br /><strong>La testostérone, une hormone pas exclusivement masculine</strong><br />Contrairement aux idées reçues, les femmes produisent également cette hormone au niveau des ovaires et des glandes surrénales, situées au-dessus des reins, en quantité toutefois beaucoup moins élevée que chez les hommes. À la puberté, c'est cette hormone qui déclenche la poussée des poils et l'augmentation de la taille de la vulve ; elle rend souvent la peau grasse et les odeurs corporelles plus fortes. Elle entraîne également chez les jeunes filles la mue de la voix. Mais la testostérone est avant tout l'hormone qui, au long de la vie, est responsable du désir sexuel chez la femme comme chez l'homme.</p>
<p>Dans son essai <em>Testo Junkie</em>, le philosophe espagnol et activiste queer Paul Preciado faisait il y a quelques années le récit d'une expérience extrême, menée lorsqu'il n'avait pas encore changé d'identité juridique et portait encore le prénom féminin de Beatriz. Pendant 264 jours, Beatriz Preciado s'était soumise à ce qu'elle appelait une "intoxication hormonale volontaire" en s'administrant quotidiennement une micro-dose de testostérone par voie cutanée, de manière à ne pas modifier l'apparence de ses caractères sexuels secondaires – les particularités physiques qui, en dehors des organes génitaux, différencient le corps féminin du corps masculin – mais à tout de même pouvoir en ressentir les effets : "[Les micro-doses] produisent des changements subtils mais déterminants dans mes affects, dans la perception interne de mon propre corps, dans l'excitation sexuelle, dans mon odeur corporelle, dans la résistance à la fatigue", écrivait-elle. <br /><br /><strong>L'ocytocine, l'hormone de l'accouchement et de l'attachement</strong><br />Cette hormone sécrétée par l'hypophyse, une petite glande située à la base du crâne, joue un grand rôle dans l'accouchement (elle stimule les contractions) et dans la production de lait maternel. L'ocytocine est également surnommée l'hormone de l'attachement. Elle est notamment produite durant l'orgasme, quel que soit le sexe de l'individu, mais en quantité toutefois plus importante chez les femmes, fait remarquer le psychiatre Michel Reynaud, auteur du livre L'amour est une drogue douce... en général. Une différence que certains, tout en se défendant de sexisme, sont tentés d'expliquer par des arguments visant à rendre "naturelles" les inégalités entre les femmes et les hommes. L'homme chercherait avant tout à se reproduire avec le plus possible de femmes pour assurer sa descendance, tandis que les femmes tendraient à se contenter d'un seul partenaire sexuel, dans le but qu'il veille avec elle sur leur future progéniture... Heureusement que des biologistes et des scientifiques féministes – comme l’anthropologue et spécialiste des primates Sarah Blaffer Hrdy ou la neurobiologiste Catherine Vidal – apportent un contrepoint à cette analyse… et montrent bien qu’on peut faire dire tout, et son contraire, à une donnée scientifique. <br /><br /><strong>L'adrénaline, l'hormone du stress</strong><br />Produite par le système nerveux central et les glandes surrénales, l'adrénaline est une réponse à un état de stress ou à l'exposition à un danger. C'est cette fameuse "montée d'adrénaline" qui nous donne soudain la capacité de courir à toute vitesse, d'éviter un projectile au millième de seconde près ou qui permet de mobiliser la force physique nécessaire afin de se défendre face à une situation risquée. Cette hormone provoque instantanément une accélération du rythme cardiaque, une hausse de la pression artérielle, une dilatation des pupilles ainsi que des bronches. À forte dose, l’adrénaline, tout comme le cortisol, l’autre hormone du stress, est toxique : les femmes exposées aux violences en subissent les conséquences néfastes sur leur santé cardiaque, vasculaire et neurologique. <br /><br /><strong>Le cocktail hormonal de l'amour</strong><br />De nombreuses hormones sont sécrétées par le corps lors de la rencontre amoureuse et peuvent nous plonger dans une euphorie propice à l'apparition de sentiments : l'ocytocine et la vasopressine, qui jouent un rôle primordial dans l'attachement, la dopamine, l'hormone du plaisir et de la motivation, ainsi que la lulibérine, qui a un effet coupe-faim, et les endorphines, dont les effets sont comparables à ceux de l'opium, comme l'explique Michel Reynaud : "On sécrète ces opioïdes en particulier au moment de l'orgasme. C'est ce qui donne cette espèce de béatitude, cette impression cotonneuse de détente." Loin de provoquer "sautes d'humeur" et désagréments physiques, nos hormones peuvent être des alliées au quotidien, et à tout âge !<br /><br /><br />Photo DR<br /><strong>Un article à retrouver également sur <a href="http://axellemag.be/">Axelle</a></strong></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/hormones.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Victimes d'idées reçues aux relents sexistes, les hormones sécrétées par notre corps ont des fonctions bienfaitrices très variées et encore trop souvent méconnues. </strong><strong>Elles dopent notre moral, nous protègent face à certaines maladies, nous aident à accoucher ou à nous sortir d'une situation dangereuse... Les hormones, ces messagères chimiques qui circulent dans notre corps en quantité infinitésimale, ont une action bénéfique sur notre santé et notre bien-être. En voici quelques exemples.</strong><br /><br /><br /><br /><strong>Les œstrogènes et la progestérone, les hormones "féminines"</strong><br />C'est particulièrement le cas des hormones sexuelles dites féminines que sont les œstrogènes et la progestérone : "Elles exercent un effet protecteur contre un grand nombre de maladies incluant les maladies cardiovasculaires, les maladies cérébrales et l’ostéoporose. À dosage adéquat, elles ont aussi des propriétés anti-cancer, et non le contraire", explique la docteure québécoise Sylvie Demers, spécialiste en biologie moléculaire et en hormonothérapie.</p>
<p>Elle œuvre depuis des années pour la reconnaissance des bienfaits des œstrogènes et de la progestérone tant sur la santé des femmes que des hommes, car comme elle le souligne, "aucune hormone n’est spécifique aux femmes ou aux hommes. Les femmes et les hommes produisent les mêmes hormones, y compris sexuelles. Ce qui diffère surtout entre les sexes, c'est que les ovaires produisent davantage d’œstrogènes et de progestérone, tandis que les testicules produisent davantage d'androgènes."</p>
<p>Bien que certaines études mettent en cause les traitements hormonaux substitutifs de la ménopause dans l'apparition de cancers – notamment du sein – et que la pilule contraceptive augmente le risque de thrombose chez les femmes qui la prennent, Sylvie Demers estime que le rôle bénéfique général des hormones sexuelles féminines n'est aujourd'hui pas suffisamment reconnu par le corps médical. Elle constate qu’il existe ce qu’elle appelle une "misogynie hormonale" : "Il y a un discours ambiant qui consiste à mépriser, voire à craindre les œstrogènes, alors que la société survalorise la testostérone".</p>
<p>Les œstrogènes ont des effets positifs sur notre moral, poursuit Sylvie Demers : "L’estradiol-17β est un antidépresseur naturel puissant, il favorise un meilleur sommeil, augmente la mémoire et a des effets neuro-protecteurs". C'est ce qui expliquerait pourquoi les phases où la production de ces hormones chute de manière radicale, comme durant les règles, après un accouchement ou lors de la ménopause, peuvent s’accompagner d'anxiété, de fatigue, d'irritabilité, voire d'un état dépressif passager. Des effets secondaires qui ont inspiré le fameux "Si elle est de mauvaise humeur, c'est qu'elle doit avoir ses règles", grand classique de la vanne sexiste, sous-entendant que le comportement des femmes serait entièrement assujetti à leur cycle menstruel et envisageant les hormones sous un angle négatif. "Le mépris des œstrogènes reflète d’une certaine manière le mépris des femmes", analyse Sylvie Demers. "Je crois qu’il ne pourra y avoir de véritable égalité des sexes tant que cette misogynie hormonale perdurera."<br /><br /><strong>La testostérone, une hormone pas exclusivement masculine</strong><br />Contrairement aux idées reçues, les femmes produisent également cette hormone au niveau des ovaires et des glandes surrénales, situées au-dessus des reins, en quantité toutefois beaucoup moins élevée que chez les hommes. À la puberté, c'est cette hormone qui déclenche la poussée des poils et l'augmentation de la taille de la vulve ; elle rend souvent la peau grasse et les odeurs corporelles plus fortes. Elle entraîne également chez les jeunes filles la mue de la voix. Mais la testostérone est avant tout l'hormone qui, au long de la vie, est responsable du désir sexuel chez la femme comme chez l'homme.</p>
<p>Dans son essai <em>Testo Junkie</em>, le philosophe espagnol et activiste queer Paul Preciado faisait il y a quelques années le récit d'une expérience extrême, menée lorsqu'il n'avait pas encore changé d'identité juridique et portait encore le prénom féminin de Beatriz. Pendant 264 jours, Beatriz Preciado s'était soumise à ce qu'elle appelait une "intoxication hormonale volontaire" en s'administrant quotidiennement une micro-dose de testostérone par voie cutanée, de manière à ne pas modifier l'apparence de ses caractères sexuels secondaires – les particularités physiques qui, en dehors des organes génitaux, différencient le corps féminin du corps masculin – mais à tout de même pouvoir en ressentir les effets : "[Les micro-doses] produisent des changements subtils mais déterminants dans mes affects, dans la perception interne de mon propre corps, dans l'excitation sexuelle, dans mon odeur corporelle, dans la résistance à la fatigue", écrivait-elle. <br /><br /><strong>L'ocytocine, l'hormone de l'accouchement et de l'attachement</strong><br />Cette hormone sécrétée par l'hypophyse, une petite glande située à la base du crâne, joue un grand rôle dans l'accouchement (elle stimule les contractions) et dans la production de lait maternel. L'ocytocine est également surnommée l'hormone de l'attachement. Elle est notamment produite durant l'orgasme, quel que soit le sexe de l'individu, mais en quantité toutefois plus importante chez les femmes, fait remarquer le psychiatre Michel Reynaud, auteur du livre L'amour est une drogue douce... en général. Une différence que certains, tout en se défendant de sexisme, sont tentés d'expliquer par des arguments visant à rendre "naturelles" les inégalités entre les femmes et les hommes. L'homme chercherait avant tout à se reproduire avec le plus possible de femmes pour assurer sa descendance, tandis que les femmes tendraient à se contenter d'un seul partenaire sexuel, dans le but qu'il veille avec elle sur leur future progéniture... Heureusement que des biologistes et des scientifiques féministes – comme l’anthropologue et spécialiste des primates Sarah Blaffer Hrdy ou la neurobiologiste Catherine Vidal – apportent un contrepoint à cette analyse… et montrent bien qu’on peut faire dire tout, et son contraire, à une donnée scientifique. <br /><br /><strong>L'adrénaline, l'hormone du stress</strong><br />Produite par le système nerveux central et les glandes surrénales, l'adrénaline est une réponse à un état de stress ou à l'exposition à un danger. C'est cette fameuse "montée d'adrénaline" qui nous donne soudain la capacité de courir à toute vitesse, d'éviter un projectile au millième de seconde près ou qui permet de mobiliser la force physique nécessaire afin de se défendre face à une situation risquée. Cette hormone provoque instantanément une accélération du rythme cardiaque, une hausse de la pression artérielle, une dilatation des pupilles ainsi que des bronches. À forte dose, l’adrénaline, tout comme le cortisol, l’autre hormone du stress, est toxique : les femmes exposées aux violences en subissent les conséquences néfastes sur leur santé cardiaque, vasculaire et neurologique. <br /><br /><strong>Le cocktail hormonal de l'amour</strong><br />De nombreuses hormones sont sécrétées par le corps lors de la rencontre amoureuse et peuvent nous plonger dans une euphorie propice à l'apparition de sentiments : l'ocytocine et la vasopressine, qui jouent un rôle primordial dans l'attachement, la dopamine, l'hormone du plaisir et de la motivation, ainsi que la lulibérine, qui a un effet coupe-faim, et les endorphines, dont les effets sont comparables à ceux de l'opium, comme l'explique Michel Reynaud : "On sécrète ces opioïdes en particulier au moment de l'orgasme. C'est ce qui donne cette espèce de béatitude, cette impression cotonneuse de détente." Loin de provoquer "sautes d'humeur" et désagréments physiques, nos hormones peuvent être des alliées au quotidien, et à tout âge !<br /><br /><br />Photo DR<br /><strong>Un article à retrouver également sur <a href="http://axellemag.be/">Axelle</a></strong></p>
Le talent de Chimamanda Ngozi Adichie
2015-02-13T06:31:19+00:00
2015-02-13T06:31:19+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/687-le-talent-de-chimamanda-ngozi-adichie
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/Nous%20sommes%20tous%20des%20feministes.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>«Partout dans le monde, la question du genre est cruciale. Alors j’aimerais aujourd’hui que nous nous mettions à rêver à un monde différent et à le préparer. Un monde plus équitable. Un monde où les hommes et les femmes seront plus heureux et plus honnêtes envers eux-mêmes. Et voici le point de départ : nous devons élever nos filles autrement. Nous devons élever nos fils autrement.»</strong></p>
<p>
Par ces/ses mots, Chimamanda Ngozi Adichie aborde le féminisme avec lucidité, éloquence et humour. Cette Nigérianne qui a émigré aux États-Unis pour y poursuivre ses études a décidé de devenir écrivaine. Son premier roman, <em>L'Hibiscus pourpre</em>, publié en 2003 est loué par la critique. Les suivants connaissent le même engouement. Ses livres sont traduits dans trente langues et les ventes de chaque opus dépassent le demi-million. Autant dire que c’est une star dans le monde de l’édition. Mais ce qui va la rendre très très «célèbre» c’est le sample d’un de ses discours <span style="text-decoration: underline;"><a href="https://www.youtube.com/watch?v=hg3umXU_qWc&feature=youtu.be">We should all be feminists</a> </span>(TEDx) par Beyoncé en 2013 sur le titre <a href="https://www.youtube.com/watch?v=IyuUWOnS9BY"><span style="text-decoration: underline;">"Flawless"</span></a>. <br /><br />Pourtant le succès n’est pas venu tout de suite. C’est d’ailleurs le sujet de son second roman Americanah, et l’histoire de son double, Ifemelu, émigrée aux Etats-Unis, blogueuse qui peine à être éditée jusqu’à connaître la gloire après des années de galère. Certes un public nombreux assiste à ses conférences, mais Ifemelu comprend qu’il ne lit pas ses livres. Les auditeurs sont blancs. Ils veulent juste la voir, par curiosité parce qu’elle est «la “première blogueuse” en matière de race». Ifemelu comme Chimamanda Ngozi Adichie s’adapte, d’ailleurs pour les Nigérians, le terme Americanah désigne la personne qui s’est «américanisée». Du coup, Ifemelu raconte «ce qu’ils avaient envie d’entendre, rien de ce qu’elle écrirait jamais sur son blog, parce qu’elle savait que les gens qui lisaient son blog n’étaient pas les mêmes que ceux qui assistaient à ses ateliers sur le multiculturalisme».<br /><br />Chimamanda Ngozi Adichie prend fait et cause pour les femmes et les minorités notamment les homosexuel-le-s persécuté-e-s en Afrique. Alors si nous ne sommes pas tous Charlie, sommes-nous tous et toutes des féministes (que nous ignorons)? C'est ce que l'auteure suggère en substance. Son manifeste <em>Nous sommes tous des féministes</em> reflète l’essence même de son combat. A paraître le 26 février prochain.
</p>
<p><em><strong>Nous sommes tous des féministes</strong></em>, suivi de <em>Les marieuses</em>, de Chimamanda Ngozi Adichie, Editions Gallimard/Folio, 96 pages. <br /><br /></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/Nous%20sommes%20tous%20des%20feministes.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>«Partout dans le monde, la question du genre est cruciale. Alors j’aimerais aujourd’hui que nous nous mettions à rêver à un monde différent et à le préparer. Un monde plus équitable. Un monde où les hommes et les femmes seront plus heureux et plus honnêtes envers eux-mêmes. Et voici le point de départ : nous devons élever nos filles autrement. Nous devons élever nos fils autrement.»</strong></p>
<p>
Par ces/ses mots, Chimamanda Ngozi Adichie aborde le féminisme avec lucidité, éloquence et humour. Cette Nigérianne qui a émigré aux États-Unis pour y poursuivre ses études a décidé de devenir écrivaine. Son premier roman, <em>L'Hibiscus pourpre</em>, publié en 2003 est loué par la critique. Les suivants connaissent le même engouement. Ses livres sont traduits dans trente langues et les ventes de chaque opus dépassent le demi-million. Autant dire que c’est une star dans le monde de l’édition. Mais ce qui va la rendre très très «célèbre» c’est le sample d’un de ses discours <span style="text-decoration: underline;"><a href="https://www.youtube.com/watch?v=hg3umXU_qWc&feature=youtu.be">We should all be feminists</a> </span>(TEDx) par Beyoncé en 2013 sur le titre <a href="https://www.youtube.com/watch?v=IyuUWOnS9BY"><span style="text-decoration: underline;">"Flawless"</span></a>. <br /><br />Pourtant le succès n’est pas venu tout de suite. C’est d’ailleurs le sujet de son second roman Americanah, et l’histoire de son double, Ifemelu, émigrée aux Etats-Unis, blogueuse qui peine à être éditée jusqu’à connaître la gloire après des années de galère. Certes un public nombreux assiste à ses conférences, mais Ifemelu comprend qu’il ne lit pas ses livres. Les auditeurs sont blancs. Ils veulent juste la voir, par curiosité parce qu’elle est «la “première blogueuse” en matière de race». Ifemelu comme Chimamanda Ngozi Adichie s’adapte, d’ailleurs pour les Nigérians, le terme Americanah désigne la personne qui s’est «américanisée». Du coup, Ifemelu raconte «ce qu’ils avaient envie d’entendre, rien de ce qu’elle écrirait jamais sur son blog, parce qu’elle savait que les gens qui lisaient son blog n’étaient pas les mêmes que ceux qui assistaient à ses ateliers sur le multiculturalisme».<br /><br />Chimamanda Ngozi Adichie prend fait et cause pour les femmes et les minorités notamment les homosexuel-le-s persécuté-e-s en Afrique. Alors si nous ne sommes pas tous Charlie, sommes-nous tous et toutes des féministes (que nous ignorons)? C'est ce que l'auteure suggère en substance. Son manifeste <em>Nous sommes tous des féministes</em> reflète l’essence même de son combat. A paraître le 26 février prochain.
</p>
<p><em><strong>Nous sommes tous des féministes</strong></em>, suivi de <em>Les marieuses</em>, de Chimamanda Ngozi Adichie, Editions Gallimard/Folio, 96 pages. <br /><br /></p>
Nudité politique, l'arme fatale
2015-02-09T14:39:26+00:00
2015-02-09T14:39:26+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/685-nudite-politique-larme-fatale
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/eloise%20bouton.png" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Cela faisait 50 ans qu’une femme n’avait pas été condamnée en France pour exhibition sexuelle. Pour son action en 2013 à l’église de la Madeleine, Eloïse Bouton, une ex-Femen, s’est vue à la surprise générale notifier sa condamnation. Pourtant la nudité politique est une arme fréquemment utilisée et pas seulement par les féministes. Il semble que tout se complique dès lors que les militant-e-s vexent les religieux.</strong><br /><br />Si les féministes de mai 68 qui brûlaient leur soutien-gorge et enlevaient le haut durant les nombreuses manifs qui émaillèrent ces journées printanières, aucune n’ont été condamnées pour exhibition sexuelle. Il aura fallu attendre décembre 2014 pour qu’une ancienne Femen, Eloïse Bouton, soit reconnue coupable d’avoir montré ses seins lors de son action à la Madeleine à Paris en soutien au combat des Espagnoles pour le droit à l’avortement. Elle a été condamnée à un mois de prison avec sursis et à verser à l’Eglise 2 000 euros de dommages et intérêts et 1 500 euros de frais d’avocat.<br /><br />La peine est sévère mais dès qu’il s’agit de religion, les coups pleuvent. Que dire de l’aplomb de l’actrice iranienne Golshifteh Farahani qui pose nue en couverture de la très rare revue « Egoïste » ? Aux prises avec les mollahs depuis 2008 pour avoir joué dans une production américaine et pour être apparue sans voile aux côtés de Leonardo di Caprio lors de l’avant-première, elle est contrainte de vivre en exil. Privée de passeport par l’Iran, ou disons incapable d’en payer le prix (fixé par l’administration iranienne à deux millions de dollars), Golshifteh Farahani tient tête. Elle veut se sentir libre malgré tout et en 2012, elle montre un sein dans un clip tourné pour la cérémonie des Césars. Cette fois, sa famille restée en Iran est directement menacée. La nudité comme arme radicale est utilisée par les féministes du monde entier. En 2012, une autre Iranienne, Maryam Namazie avait diffusé un calendrier de nus défendant les libertés des femmes en soutien à l’activiste égyptienne Aliaa Magda Elmahdy. Celle-ci avait posté sur son blog une photo d’elle nue en bas noirs et chaussures rouges lors du printemps arabe. L’image avait le tour du monde au moment et l’a contrainte, elle aussi, à l’exil.<br /><br />Cette nudité politique n’a rien de provocant ni de racoleur, elle ne montre pas un corps à consommer mais un être à écouter et à respecter. D’autres que les féministes ont compris la puissance de cette arme pour faire passer leur message : on se souvient des intermittents du spectacle face à l’ancienne ministre de la culture Aurélie Filippetti ou les zadistes de Notre-Dame-des-Landes. Ceux-là n’ont jamais été inquiétés quant à une éventuelle condamnation pour exhibition sexuelle. Dans ces deux cas, les religieux n’avaient pas leur mot à dire. Le corps des femmes resterait-il un territoire propriété des églises, des familles, des états, des médecins ? Les femmes doivent faire face à plusieurs formes d'oppression qui s'imbriquent (patriarcat, racisme, colonialisme, capitalisme, hétérosexisme). Et l’aliénation religieuse ne fait qu’ajouter à la complexité des enjeux. Quant aux institutions religieuses, elles savent pertinemment jouer des paradoxes pour culpabiliser les femmes… <br /><br />Photo DR</p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/eloise%20bouton.png" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Cela faisait 50 ans qu’une femme n’avait pas été condamnée en France pour exhibition sexuelle. Pour son action en 2013 à l’église de la Madeleine, Eloïse Bouton, une ex-Femen, s’est vue à la surprise générale notifier sa condamnation. Pourtant la nudité politique est une arme fréquemment utilisée et pas seulement par les féministes. Il semble que tout se complique dès lors que les militant-e-s vexent les religieux.</strong><br /><br />Si les féministes de mai 68 qui brûlaient leur soutien-gorge et enlevaient le haut durant les nombreuses manifs qui émaillèrent ces journées printanières, aucune n’ont été condamnées pour exhibition sexuelle. Il aura fallu attendre décembre 2014 pour qu’une ancienne Femen, Eloïse Bouton, soit reconnue coupable d’avoir montré ses seins lors de son action à la Madeleine à Paris en soutien au combat des Espagnoles pour le droit à l’avortement. Elle a été condamnée à un mois de prison avec sursis et à verser à l’Eglise 2 000 euros de dommages et intérêts et 1 500 euros de frais d’avocat.<br /><br />La peine est sévère mais dès qu’il s’agit de religion, les coups pleuvent. Que dire de l’aplomb de l’actrice iranienne Golshifteh Farahani qui pose nue en couverture de la très rare revue « Egoïste » ? Aux prises avec les mollahs depuis 2008 pour avoir joué dans une production américaine et pour être apparue sans voile aux côtés de Leonardo di Caprio lors de l’avant-première, elle est contrainte de vivre en exil. Privée de passeport par l’Iran, ou disons incapable d’en payer le prix (fixé par l’administration iranienne à deux millions de dollars), Golshifteh Farahani tient tête. Elle veut se sentir libre malgré tout et en 2012, elle montre un sein dans un clip tourné pour la cérémonie des Césars. Cette fois, sa famille restée en Iran est directement menacée. La nudité comme arme radicale est utilisée par les féministes du monde entier. En 2012, une autre Iranienne, Maryam Namazie avait diffusé un calendrier de nus défendant les libertés des femmes en soutien à l’activiste égyptienne Aliaa Magda Elmahdy. Celle-ci avait posté sur son blog une photo d’elle nue en bas noirs et chaussures rouges lors du printemps arabe. L’image avait le tour du monde au moment et l’a contrainte, elle aussi, à l’exil.<br /><br />Cette nudité politique n’a rien de provocant ni de racoleur, elle ne montre pas un corps à consommer mais un être à écouter et à respecter. D’autres que les féministes ont compris la puissance de cette arme pour faire passer leur message : on se souvient des intermittents du spectacle face à l’ancienne ministre de la culture Aurélie Filippetti ou les zadistes de Notre-Dame-des-Landes. Ceux-là n’ont jamais été inquiétés quant à une éventuelle condamnation pour exhibition sexuelle. Dans ces deux cas, les religieux n’avaient pas leur mot à dire. Le corps des femmes resterait-il un territoire propriété des églises, des familles, des états, des médecins ? Les femmes doivent faire face à plusieurs formes d'oppression qui s'imbriquent (patriarcat, racisme, colonialisme, capitalisme, hétérosexisme). Et l’aliénation religieuse ne fait qu’ajouter à la complexité des enjeux. Quant aux institutions religieuses, elles savent pertinemment jouer des paradoxes pour culpabiliser les femmes… <br /><br />Photo DR</p>
Les guerilla girls ont 30 ans
2015-02-02T05:29:56+00:00
2015-02-02T05:29:56+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/682-les-guerilla-girls-ont-30-ans
Hellen Williams
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/2014getnakedmusicvideos.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Les Guerrilla Girls ne peuvent encadrer aucune des discriminations ternissant le monde de l’art. C’est pourquoi, depuis 1985, ce collectif américain d’artistes anonymes féministes, dont le signe distinctif est un masque de gorille, «refait» joyeusement le portrait aux autorités et institutions culturelles. Autrefois craintes, aujourd’hui courtisées, les Guerrilla Girls ne se laissent toujours pas caresser dans le sens du poil. Quand Pharell les invite pour son expo GIRL à Paris l’été dernier, elles n’acceptent que pour mieux dénoncer l’ultra sexisme des vidéos musicales et des conservateurs de galeries, en actualisant deux des <a href="http://www.guerrillagirls.com/exhibitions/2014pharrellperrotin.shtml"><span style="text-decoration: underline;">Guerrilla posters</span></a> les plus connus.</strong> <strong>Fêtons leurs 30 ans d’activisme dans la brume, avec une auto-interview issue de leur <a href="http://www.guerrillagirls.com">site web</a> ! </strong> <br /><br /><strong>Comment a commencé l’aventure des Guerrilla Girls?</strong><br />En 1984, le Musée d’Art Moderne de New York (MOMA) présentait l’exposition Une Etude Internationale de la Peinture et de la Sculpture, soit disant une synthèse actualisée de l’art contemporain le plus significatif au niveau mondial. Sur 169 artistes, seules 13 étaient des femmes, et tou-te-s étaient blancs, d’Europe ou des Etats-Unis. Pour Kynaston Mc Shine, conservateur, les artistes qui n’y figuraient pas devaient reconsidérer leur carrière. Cette réaction aussi sexiste que raciste, et l’indifférence générale du public et des institutions face aux préjugés flagrants de l’exposition nous ont énervées. C’est là que nous avons décidé de nous réapproprier la tradition du vengeur masqué pour mener des actions destinées à secouer les consciences en combattant stéréotypes et discriminations.<br /><br /><strong>Que faites-vous à part des posters ?</strong> <br />Les posters sont notre arme de communication la plus connue, mais nous organisons aussi des manifs, et créons des affiches, des publicités sur les bus, des reportages dans les magazines, des autocollants et des campagnes d’envois de lettres.<br /><br /><strong>Quelle est la philosophie à la base de votre activisme ?</strong><br />Nous essayons de nous différencier d’un art colérique qui souligne ce qui ne va pas. Nous voulons être subversives, bousculer notre public avec des déclarations basées sur des faits avérés, et réussir à le conscientiser. Mais toujours avec humour, histoire de démolir le cliché de la féministe pas drôle…<br /><br /><strong>Vous détestez la terminologie descriptive de l’art. Qu’est-ce qui cloche avec «tableau de maître» ou «génie artistique» ?</strong><br />Si un tableau de maître ne peut être produit que par «un homme possédant de l’autorité» vous voyez où est le problème… Quant au mot «génie», il provient de «testicules» en latin. Cela explique peut-être pourquoi il est si rarement utilisé pour une femme !<br /><br /><strong>Comment peut-on faire partie des Guerrilla Girls ?</strong><br />En vous associant à nos actions partout où vous êtes ! <a href="http://www.guerrillagirls.com/freedownloads/index.shtml"><span style="text-decoration: underline;">Téléchargez</span></a> et imprimez nos autocollants et posters puis collez-les partout dans votre ville ! Inspirez-vous de nous en choisissant un nom de code scandaleux et affichez autour de vous les posters qui vous touchent le plus. Si ça marche, recommencez. Si ça ne marche pas, aussi. Et inscrivez-vous à notre <a href="http://www.guerrillagirls.com/hotflashes/index.shtml"><span style="text-decoration: underline;">newsletter</span></a> pour tout savoir de nos prochaines actions ! <br /><br />Comme elles l’affirment elles-mêmes : nous sommes peut-être l’une d’entre vous, nous sommes partout ! Guerrilla Girls : Gare au gorille….<br /><br /><br />A lire : <em>Bitches, Bimbos and Ballbreakers: The Guerrilla Girls' Illustrated Guide to Female Stereotypes</em>, New York : Penguin, 2003<br /><em>The Guerrilla Girls' Bedside Companion to the History of Western Art</em>, New York : Penguin, 1998<br /><br /></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/2014getnakedmusicvideos.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Les Guerrilla Girls ne peuvent encadrer aucune des discriminations ternissant le monde de l’art. C’est pourquoi, depuis 1985, ce collectif américain d’artistes anonymes féministes, dont le signe distinctif est un masque de gorille, «refait» joyeusement le portrait aux autorités et institutions culturelles. Autrefois craintes, aujourd’hui courtisées, les Guerrilla Girls ne se laissent toujours pas caresser dans le sens du poil. Quand Pharell les invite pour son expo GIRL à Paris l’été dernier, elles n’acceptent que pour mieux dénoncer l’ultra sexisme des vidéos musicales et des conservateurs de galeries, en actualisant deux des <a href="http://www.guerrillagirls.com/exhibitions/2014pharrellperrotin.shtml"><span style="text-decoration: underline;">Guerrilla posters</span></a> les plus connus.</strong> <strong>Fêtons leurs 30 ans d’activisme dans la brume, avec une auto-interview issue de leur <a href="http://www.guerrillagirls.com">site web</a> ! </strong> <br /><br /><strong>Comment a commencé l’aventure des Guerrilla Girls?</strong><br />En 1984, le Musée d’Art Moderne de New York (MOMA) présentait l’exposition Une Etude Internationale de la Peinture et de la Sculpture, soit disant une synthèse actualisée de l’art contemporain le plus significatif au niveau mondial. Sur 169 artistes, seules 13 étaient des femmes, et tou-te-s étaient blancs, d’Europe ou des Etats-Unis. Pour Kynaston Mc Shine, conservateur, les artistes qui n’y figuraient pas devaient reconsidérer leur carrière. Cette réaction aussi sexiste que raciste, et l’indifférence générale du public et des institutions face aux préjugés flagrants de l’exposition nous ont énervées. C’est là que nous avons décidé de nous réapproprier la tradition du vengeur masqué pour mener des actions destinées à secouer les consciences en combattant stéréotypes et discriminations.<br /><br /><strong>Que faites-vous à part des posters ?</strong> <br />Les posters sont notre arme de communication la plus connue, mais nous organisons aussi des manifs, et créons des affiches, des publicités sur les bus, des reportages dans les magazines, des autocollants et des campagnes d’envois de lettres.<br /><br /><strong>Quelle est la philosophie à la base de votre activisme ?</strong><br />Nous essayons de nous différencier d’un art colérique qui souligne ce qui ne va pas. Nous voulons être subversives, bousculer notre public avec des déclarations basées sur des faits avérés, et réussir à le conscientiser. Mais toujours avec humour, histoire de démolir le cliché de la féministe pas drôle…<br /><br /><strong>Vous détestez la terminologie descriptive de l’art. Qu’est-ce qui cloche avec «tableau de maître» ou «génie artistique» ?</strong><br />Si un tableau de maître ne peut être produit que par «un homme possédant de l’autorité» vous voyez où est le problème… Quant au mot «génie», il provient de «testicules» en latin. Cela explique peut-être pourquoi il est si rarement utilisé pour une femme !<br /><br /><strong>Comment peut-on faire partie des Guerrilla Girls ?</strong><br />En vous associant à nos actions partout où vous êtes ! <a href="http://www.guerrillagirls.com/freedownloads/index.shtml"><span style="text-decoration: underline;">Téléchargez</span></a> et imprimez nos autocollants et posters puis collez-les partout dans votre ville ! Inspirez-vous de nous en choisissant un nom de code scandaleux et affichez autour de vous les posters qui vous touchent le plus. Si ça marche, recommencez. Si ça ne marche pas, aussi. Et inscrivez-vous à notre <a href="http://www.guerrillagirls.com/hotflashes/index.shtml"><span style="text-decoration: underline;">newsletter</span></a> pour tout savoir de nos prochaines actions ! <br /><br />Comme elles l’affirment elles-mêmes : nous sommes peut-être l’une d’entre vous, nous sommes partout ! Guerrilla Girls : Gare au gorille….<br /><br /><br />A lire : <em>Bitches, Bimbos and Ballbreakers: The Guerrilla Girls' Illustrated Guide to Female Stereotypes</em>, New York : Penguin, 2003<br /><em>The Guerrilla Girls' Bedside Companion to the History of Western Art</em>, New York : Penguin, 1998<br /><br /></p>
Le piège de l'économie collaborative
2015-01-22T09:23:29+00:00
2015-01-22T09:23:29+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/681-le-piege-de-leconomie-collaborative
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/share.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>L’économie collaborative qui se développe à la vitesse de l’éclair risque de foudroyer un certain nombre de travailleurs au premier rang desquels les femmes. En remettant en cause le modèle social et le concept du salaire à la base des grandes avancées du XXe siècle, les Uber et autres Airbnb favorisent les emplois précaires et les inégalités.</strong><br /><br />L’idée centrale de ces sociétés du numérique forcément cool et hype, c’est l’absence de salarié-e-s : en fait, tout le monde peut participer, chacun-e peut transporter des gens dans sa voiture ou héberger des touristes chez soi. Pas de charges, pas de taxes, c’est simple, flexible. Uber et Airbnb sont là pour mettre en relation fournisseurs et utilisateurs à travers leurs plateformes sur le web. Et qui dit flexibilité sur le marché du travail, signifie concrètement jeunes et femmes. A travers l’Europe, les contrats à durée déterminée deviennent la norme pour les moins de 25 ans et pour les femmes. Si les chauffeurs-euses de taxis se sont rebiffé-e-s contre les attaques d’Uber qui s’en prend directement à leur gagne-pain, d’autres secteurs peuvent se faire du souci comme les coursiers-ières qui étaient jusque-là salarié-e-s. Quant à l’hôtellerie qui emploie beaucoup de monde, là encore, la menace est réelle. <br /><br />Ces sociétés valorisées à plusieurs dizaines de milliards de dollars n’emploient qu’un millier de personnes. Leurs meilleur-e-s vendeurs-euses sont les utilisateurs-trices (fournisseurs et bénéficiaires) qui vantent les mérites dans une vision à court terme d’un tel système sans comprendre qu’ils/elles sont en train de scier la branche sur laquelle ils/elles sont assis-es. Torpiller le salariat, c’est revenir à la rémunération à la tâche, ce que propose en substance Amazon avec sa plateforme Amazon Turk. Il y aura d’un côté les super-salariés employés au sein de ces sociétés ultra-rentables et de l’autre un sous-prolétariat mal payé, mal protégé au sein duquel les femmes se trouveront majoritaires. Croire que la croissance générée par ces sociétés sera redistribuée relève de l’utopie.<br /><br />Alors oui, quelques femmes très diplômées avec des compétences particulières seront associées à ces réussites : on a vu comment Apple et Facebook se livraient une guerre sans merci pour recruter de tels profils en allant jusqu’à leur offrir de congeler leurs ovocytes (voir <a href="http://lemilie.org/index.php/ailleurs/631-applefacebook-congelez-vos-ovocytes-"><span style="text-decoration: underline;">notre précédent article</span></a>). En individualisant, en isolant les travailleurs-euses les un-e-s des autres, ces entreprises empêchent les gens de s’organiser et d’offrir une réponse collective aux attaques de notre modèle social.<br /><br /></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/share.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>L’économie collaborative qui se développe à la vitesse de l’éclair risque de foudroyer un certain nombre de travailleurs au premier rang desquels les femmes. En remettant en cause le modèle social et le concept du salaire à la base des grandes avancées du XXe siècle, les Uber et autres Airbnb favorisent les emplois précaires et les inégalités.</strong><br /><br />L’idée centrale de ces sociétés du numérique forcément cool et hype, c’est l’absence de salarié-e-s : en fait, tout le monde peut participer, chacun-e peut transporter des gens dans sa voiture ou héberger des touristes chez soi. Pas de charges, pas de taxes, c’est simple, flexible. Uber et Airbnb sont là pour mettre en relation fournisseurs et utilisateurs à travers leurs plateformes sur le web. Et qui dit flexibilité sur le marché du travail, signifie concrètement jeunes et femmes. A travers l’Europe, les contrats à durée déterminée deviennent la norme pour les moins de 25 ans et pour les femmes. Si les chauffeurs-euses de taxis se sont rebiffé-e-s contre les attaques d’Uber qui s’en prend directement à leur gagne-pain, d’autres secteurs peuvent se faire du souci comme les coursiers-ières qui étaient jusque-là salarié-e-s. Quant à l’hôtellerie qui emploie beaucoup de monde, là encore, la menace est réelle. <br /><br />Ces sociétés valorisées à plusieurs dizaines de milliards de dollars n’emploient qu’un millier de personnes. Leurs meilleur-e-s vendeurs-euses sont les utilisateurs-trices (fournisseurs et bénéficiaires) qui vantent les mérites dans une vision à court terme d’un tel système sans comprendre qu’ils/elles sont en train de scier la branche sur laquelle ils/elles sont assis-es. Torpiller le salariat, c’est revenir à la rémunération à la tâche, ce que propose en substance Amazon avec sa plateforme Amazon Turk. Il y aura d’un côté les super-salariés employés au sein de ces sociétés ultra-rentables et de l’autre un sous-prolétariat mal payé, mal protégé au sein duquel les femmes se trouveront majoritaires. Croire que la croissance générée par ces sociétés sera redistribuée relève de l’utopie.<br /><br />Alors oui, quelques femmes très diplômées avec des compétences particulières seront associées à ces réussites : on a vu comment Apple et Facebook se livraient une guerre sans merci pour recruter de tels profils en allant jusqu’à leur offrir de congeler leurs ovocytes (voir <a href="index.php/ailleurs/631-applefacebook-congelez-vos-ovocytes-"><span style="text-decoration: underline;">notre précédent article</span></a>). En individualisant, en isolant les travailleurs-euses les un-e-s des autres, ces entreprises empêchent les gens de s’organiser et d’offrir une réponse collective aux attaques de notre modèle social.<br /><br /></p>
Eliane Blanc, la militance et l'amour
2015-01-19T08:28:28+00:00
2015-01-19T08:28:28+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/676-eliane-blanc-une-vie-de-militance-et-damour
Anita Cuenod
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/Amazones_20101224.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Eliane s’est éteinte exactement cinq semaines après sa compagne, son grand amour, Giselda Fernandes. Après une vie commune de luttes et de victoires. De peines et de tristesses aussi, celles de la perte de son frère dans la fleur de l’âge, celles des injustices et des discriminations faites aux femmes, aux lesbiennes doublement, à toute la communauté LGBTI, aux idéalistes et aux belles âmes, pour ce couple qui n’avait pas de temps à perdre et qui a consacré son énergie passionnelle à ses convictions.</strong><br /><br />Eliane est née le 5 juin 1945 à Sion, en Valais, où ses parents ont tenu des hôtels, à Sion, puis à Crans-Montana. D'où son goût pour l’élégance et… le champagne! Elle est toujours restée très attachée au haut plateau valaisan et revenait avec plaisir dans son petit pied-à-terre, ses racines disait-elle. Elles y allaient toutes les deux fréquemment jusqu’à ce que la santé de Giselda ne lui permette plus ces petits déplacements en altitude ainsi que les grands voyages vers son Brésil natal, pour y revoir de temps en temps ses parents chéris.<br /><br />Claude, était l’unique frère d’Eliane, il est parti à l'âge de 44 ans, il y a longtemps déjà. Elle était très proche de lui, cette mort l'a beaucoup marquée. <br /><br />Elle a été en charge de l’administration de Lestime jusqu’à sa retraite, mais plus tôt c’est en tant que documentaliste qu’Eliane s’est immergée de nombreuses années durant dans le monde de l’art, collaborant avec de prestigieux éditeurs. Elle su transmettre son goût et sa passion pour l'art, à toutes celles qui partageaient cet engouement. Elle a notamment légué sa belle collection d’ouvrages de femmes artistes et créatrices, connues et moins connues, à Filigrane ainsi que l’impressionnante bibliothèque de livres d’auteures de science-fiction de Giselda. Elle aimait écrire et aurait tenu un journal tout au long de sa vie. Riche héritage pour nous qui avons appris à ses côtés, le sens de l’engagement, la persévérance et la rigueur, le courage passionnément. Une femme qui a entièrement dédié sa vie à l’être aimé et à ses convictions, une magnifique histoire d'amour!<br /><br />Anita Cuénod, <br />avec Carole Varone</p>
<p>Photo © Arielle Denoréaz, <em> les Amazones, Eliane et Giselda</em></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/Amazones_20101224.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Eliane s’est éteinte exactement cinq semaines après sa compagne, son grand amour, Giselda Fernandes. Après une vie commune de luttes et de victoires. De peines et de tristesses aussi, celles de la perte de son frère dans la fleur de l’âge, celles des injustices et des discriminations faites aux femmes, aux lesbiennes doublement, à toute la communauté LGBTI, aux idéalistes et aux belles âmes, pour ce couple qui n’avait pas de temps à perdre et qui a consacré son énergie passionnelle à ses convictions.</strong><br /><br />Eliane est née le 5 juin 1945 à Sion, en Valais, où ses parents ont tenu des hôtels, à Sion, puis à Crans-Montana. D'où son goût pour l’élégance et… le champagne! Elle est toujours restée très attachée au haut plateau valaisan et revenait avec plaisir dans son petit pied-à-terre, ses racines disait-elle. Elles y allaient toutes les deux fréquemment jusqu’à ce que la santé de Giselda ne lui permette plus ces petits déplacements en altitude ainsi que les grands voyages vers son Brésil natal, pour y revoir de temps en temps ses parents chéris.<br /><br />Claude, était l’unique frère d’Eliane, il est parti à l'âge de 44 ans, il y a longtemps déjà. Elle était très proche de lui, cette mort l'a beaucoup marquée. <br /><br />Elle a été en charge de l’administration de Lestime jusqu’à sa retraite, mais plus tôt c’est en tant que documentaliste qu’Eliane s’est immergée de nombreuses années durant dans le monde de l’art, collaborant avec de prestigieux éditeurs. Elle su transmettre son goût et sa passion pour l'art, à toutes celles qui partageaient cet engouement. Elle a notamment légué sa belle collection d’ouvrages de femmes artistes et créatrices, connues et moins connues, à Filigrane ainsi que l’impressionnante bibliothèque de livres d’auteures de science-fiction de Giselda. Elle aimait écrire et aurait tenu un journal tout au long de sa vie. Riche héritage pour nous qui avons appris à ses côtés, le sens de l’engagement, la persévérance et la rigueur, le courage passionnément. Une femme qui a entièrement dédié sa vie à l’être aimé et à ses convictions, une magnifique histoire d'amour!<br /><br />Anita Cuénod, <br />avec Carole Varone</p>
<p>Photo © Arielle Denoréaz, <em> les Amazones, Eliane et Giselda</em></p>
Le blanc de leurs yeux
2015-01-13T09:55:27+00:00
2015-01-13T09:55:27+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/671-le-blanc-de-leurs-yeux
Viviane Cretton
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/ici/cegr_f.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Une marque de lessive vante les vertus de la blancheur. Rien de plus normal ? Sauf qu’elle reprend la logique des publicités racistes du siècle passé. Ou quand un «impensé» idéologique sous-tend notre vision du monde. l'Emilie reproduit ici l'article de Viviane Cretton, docteure en anthropologie, professeure à la Haute Ecole de Travail Social//HES-SO Valais, paru le 22 décembre 214 dans REISO, Revue d'information en social et santé (<a href="http://www.reiso.org/">www.reiso.org</a>).</strong></p>
<p><br />Depuis novembre 2014, les protestations raciales grondent aux Etats-Unis, à Ferguson, Cleveland, New York et Phoenix, suite à la multiplication des bavures policières blanches à l’encontre de Noirs américains. Au même moment dans l’espace public romand, une publicité pour lessive qui semble s’être inspirée de vieilles techniques racistes de représentation de la propreté, passe quasiment inaperçue. La publicité en question montre un ours en peluche brun dont le bas du corps immergé devient tout blanc grâce au produit de lessive Total, marque phare de la plus grande entreprise de distribution de Suisse, Migros.<br />Eclairage sur un impensé, idéologique et silencieux, qui façonne les rapports sociaux et sous-tend notre façon de voir le monde : la blanchité [1].</p>
<p><strong> </strong></p>
<p><strong>« Non, mon ours brun ne deviendra pas blanc »</strong><br /> [2] Fin octobre 2014, un groupe de citoyen.ne.s (plus de 90 personnes) a demandé à Migros de retirer de l’espace public les affiches associant explicitement «couleur brune» à «saleté» et «propreté» à «blancheur». Le refus du «géant orange» s’est voulu professionnel :</p>
<p>«L’objectif de notre campagne est de démontrer le pouvoir nettoyant des produits de lessive de notre marque Total, et ce à l’aide de divers sujets qui, sur une affiche, illustrent de manière percutante le processus de transformation grâce au nettoyage. Il s’agit à chaque fois d’un animal en peluche qui est tellement sali qu’on le prend pour un autre animal. En annexe, vous trouverez les trois sujets de notre campagne. »<br /><em>Lettre de la Fédération des Coopératives Migros, 30 octobre 2014</em></p>
<p>Les trois animaux en peluche choisis pour la campagne sont un scarabée noir qui après lavage redevient coccinelle, une panthère noire qui après nettoyage retrouve son apparence de tigre et un ours brun qui redevient ours blanc en sortant de la machine à laver. Les deux premiers sujets de la campagne suivent une même logique de sens qui consiste à passer d’un animal (sale) à un autre (propre) pour mieux montrer l’efficacité du produit de lessive. Mais le troisième sujet s’en écarte en ceci que l’animal choisi reste le même : un ours brun qui demeure ours, mais devient blanc.</p>
<p>Ce processus qui associe le brun au sale a été particulièrement mis en scène par la publicité dite coloniale, au début du XXe siècle. Il révèle une idéologie de la race, qui est l’une des idéologies existantes les plus profondément naturalisées par les médias (Hall, 1995).</p>
<p><strong style="font-size: 10px;">L’esprit du blanc colonial et l’échelle des races</strong></p>
<p><span style="font-size: 10px;">Au début du XXe siècle, les publicités pour Javel S.D.C se vantaient, visuel à l’appui, de «blanchir un nègre». Celle pour le savon La Perdrix assurait qu’elle «blanchit tout», par exemple un Africain. La publicité pour le savon Dirtoff elle aussi promettait de tout nettoyer, dont les mains d’un Noir s’exclamant «Le savon Dirtoff me blanchit !»</span></p>
<p><img src="http://lemilie.org/images/ici/Dirtoff_Perdrix_Pears_Javel-SDC_c_DR-2.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /><br /><br /><em>Les savons Dirtoff, La Perdrix, Pears et l’eau de Javel SDC © DR</em><br /><br />De telles affiches sont bien connues des historiens du colonialisme et des médias. Certaines d’entre elles sont recherchées aujourd’hui pour leur valeur «esthétique» et «historique». En tant que témoins de l’histoire coloniale, elles se monnaient parfois très cher. D’un point de vue anthropologique, elles sont reconnues comme de purs produits de l’idéologie raciste du XIXe siècle.</p>
<p>C’est en effet au XIXe siècle que les différents groupes humains ont été répertoriés, classés et hiérarchisés en terme de «race». Vers 1850, toute une littérature s’est attachée à démontrer «l’inégalité» des «races» humaines d’un point de vue qui se voulait scientifique. On citera notamment l’Essai sur l’inégalité des races humaines (1853-1855) du diplomate et écrivain français Arthur Gobineau, ou les théories racialistes et racistes du comte Georges Vacher de Lapouge. Ce père de l’eugénisme était convaincu de l’infériorité psychologique et physiologique des métis et de la dangerosité du métissage pour l’espèce humaine. Mais on songe aussi aux nombreux travaux de Philippe Broca, ce médecin français persuadé du lien entre le développement de l’intelligence et le volume du cerveau. Comme ses pairs, Broca était mu par une conviction : celle de «la supériorité des Européens par rapport aux Nègres d’Afrique» (Broca, 1861). Le médecin et son équipe ont mesuré des centaines et des centaines de crânes, donnant ainsi naissance à la crâniométrie.</p>
<p><strong style="font-size: 10px;">La couleur des races et la saleté</strong></p>
<p>C’est à peine plus tard que Langlebert (1885) publia son Histoire naturelle, en répertoriant quatre races associées à des couleurs : «une race blanche ou caucasique», «une race jaune ou mongolique», «une race noire ou africaine», «une race rouge ou américaine». Sur cette échelle raciale, l’Européen, blanc, chrétien et civilisé se retrouva positionné au sommet, en tant que modèle à atteindre pour toutes les sociétés du globe. A l’inverse, «la malheureuse race australienne» se retrouva «au plus bas degré de l’échelle humaine» (Broca 1861 : 153). Dans l’Histoire naturelle de Langlebert, la «race blanche» est décrite comme «remarquable par la puissance de son intelligence», tandis que les autres se résument à des caractéristiques physiques déclinées en des termes péjoratifs.</p>
<p>Dans une perspective évolutionniste, c’est non seulement l’humanité qui a été «classée» en groupes selon des critères physiques liés à la pigmentation de la peau. Les groupes de «couleurs» ont aussi été associés à un ensemble de valeurs hiérarchisées et hiérarchisantes. En haut, le blanc, représentant la civilisation, le progrès, la raison, la science. En bas, le noir, identifié à l’animalité, l’archaïsme, la superstition, la magie. Cette façon de se représenter le monde et ses habitants était communément partagée au XIXe siècle, aussi bien par les savants que par les gens dits ordinaires. Ailleurs, comme ici.</p>
<p>Bien que la Suisse n’ait pas eu de colonies formelles, ces représentations ont été largement répandues. Dans son ouvrage intitulé <em>La Suisse coloniale</em> (2010), l’historien Patrick Minder s’est intéressé aux représentations des Africains en Suisse de la fin du XIXe siècle jusqu’au début de la première guerre mondiale. Il montre qu’au début du XXe siècle, tout se passe un peu comme si les Africains incarnaient, aux yeux des missionnaires et voyageurs suisses en Afrique, un stade d’évolution proche de l’animalité. L’Africain est décrit dans leurs récits comme vivant dans la nature, subissant les aléas du climat et des cycles «naturels». Les odeurs de la «ruralité» sont rapportées comme «dérangeantes» par les voyageurs urbains. La «crasse» est associée à un défaut qui symbolise un degré de civilisation moindre. A l’opposé, le blanc se balade en brousse avec son eau de Cologne et son savon. Pour illustration, cette citation du médecin lausannois Fred Blanchot, en 1939 :</p>
<p>«Les Masaïs ne se lavent jamais, aussi les mouches qui leur dévorent le nez, la bouche et les yeux se frottent les pattes de devant, satisfaites. (…) Tous les Masaïs que je vois me donnent l’impression d’appartenir à une race qui va mourir de maladie et de crasse.»<br /><em>Blanchot, 1939, cité dans Minder 2011 : 322</em></p>
<p>De telles descriptions sont aujourd’hui considérées comme racistes, insultantes et déshumanisantes. Au début du XXe siècle, elles allaient de soi et reflétaient la vision dominante du monde, à travers «le blanc de leurs yeux».</p>
<p><strong style="font-size: 10px;">L’invisible omniprésence de la blanchité</strong></p>
<p>La blanchité (whiteness) est une notion relativement récente qui a émergé à la fin des années 80, d’abord en Grande-Bretagne, ensuite aux Etats-Unis pour désigner «l’hégémonie sociale, culturelle et politique blanche à laquelle sont confrontées les minorités ethnoraciales» (Cervulle 2013 : 15). L’idée de blanchité est issue des Critical White Studies (Dyer 1988, Hooks 1990, Ware 1992). Cette approche permet de saisir les dynamiques de reproduction du racisme et des identités ethnoraciales, notamment dans la sphère publique et les médias. Sa force est sans doute d’inverser les perspectives en proposant de renverser les normes là où on ne s’y attend pas. Ainsi, la blanchité peut se définir comme une formation hégémonique presque invisible à force d’omniprésence.</p>
<p>La plupart du temps, la blanchité sert «de support implicite à la production d’un discours constituant les «non-blancs» en tant que marqués par un trait visible et particularisant» (Cervulle 2013 : 16). En d’autres termes, la notion de blanchité a pour objectif de décrire une expérience sociale qui se caractérise par le vécu de la domination. Particulièrement naturalisée, la blanchité demeure un impensé qui structure nombre de nos représentations, jusqu’à parfois nous aveugler.</p>
<p>«Le groupe adulte, blanc, de sexe mâle, catholique, de classe bourgeoise, sain d’esprit et de mœurs, est donc cette catégorie qui ne se définit pas comme telle et fait silence sur soi-même. Elle impose aux autres cependant à travers la langue sa définition comme norme.»<br /><em>Guillaumin 1992 : 294</em></p>
<p>A divers égards, cet impensé profondément structuré et structurant qu’est la blanchité permet d’expliquer l’impossibilité dans laquelle se trouve le sens dominant de «voir» [3] du racisme dans la publicité de Migros en 2014. C’est là qu’il relève de l’idéologie, dont l’un des principes de fonctionnement consiste à naturaliser les rapports sociaux (Hall 1995) en nous faisant croire qu’ils vont de soi et ne pourraient être différents. Pourtant, comme l’ a suggéré Eric Macé (cité dans Cervulle 2013 : 88), si «la couleur» était l’étalon à partir duquel on comparait les variations de pigmentation de nos peaux, alors il faudrait considérer que les blancs sont «dépigmentés».</p>
<p>Est-il possible d’espérer que lorsque «la couleur» deviendra la norme de référence en matière de pigmentation, les ours en peluche bruns n’auront plus besoin de devenir blancs pour avoir l’air propres ?<br />______________________________________________________________</p>
<div class="notes">
<p>[<a id="nb1" class="spip_note" href="http://www.reiso.org/spip.php?article4895#nh1" title="Notes 1">1</a>] Le titre de cet article fait référence au texte de Stuart Hall (1995), <em>Le blanc de leurs yeux : idéologies racistes et médias</em>, voir références</p>
<p>[<a id="nb2" class="spip_note" href="http://www.reiso.org/spip.php?article4895#nh2" title="Notes 2">2</a>] Cet intertitre fait référence à une lettre ouverte de l’écrivain Max Lobe, publiée dans <em>Le Courrier</em> du 5 novembre 2014 et intitulée, «Non, mon ourson ne deviendra pas blanc !»</p>
<p>[<a id="nb3" class="spip_note" href="http://www.reiso.org/spip.php?article4895#nh3" title="Notes 3">3</a>] Le 10 décembre 2014, l’émission RTS la 1ère En ligne directe a ainsi abordé la question de l’affiche Migros avec un titre qui en dit long : «Les antiracistes vont-ils trop loin ?»</p>
<p>_______________________________________________________________</p>
</div>
<p> </p>
<p><strong>Références citées </strong>:<br /> • Broca Paul, 1861, «Sur le volume et la forme du cerveau suivant les individus et les races», Bulletin Société d’Anthropologie, Paris, 2.<br /> • Cervulle Maxime, 2013, <em>Dans le blanc des yeux. Diversité, racisme et médias</em>, Paris : Editions Amsterdam.<br /> • Dyer Richard, 1988, <em>White</em>, Screen, vol. 29, no 4, p. 44-64.<br /> • Guillaumin Colette, 1992, <em>Sexe, race et pratique de pouvoir. L’idée de Nature</em>, Paris, Côté-Femmes<br /> • Hall Stuart, 2007 (1995), "Le blanc de leurs yeux : idéologies racistes et médias». In Identités et Culture. Politique des Cultural Studies. Paris : Editions Amsterdam, pp. 195-200.<br /> • hooks bell (ndlr : nous respectons l’écriture de ce nom avec des minuscules), 1990, <em>Yearning : race, gender and cultural politics</em>, Boston, South End Press.<br /> • Lobe Max, « Non mon ourson brun ne deviendra pas blanc ! », Le Courrier, 5 novembre 2014, → en ligne. Consulté le 18 décembre 2014.<br /> • Minder Patrick, 2011, La Suisse coloniale. <em>Les représentations de l’Afrique et des Africains en Suisse au temps des colonies (1880-1939)</em>, Bern, Peter Lang SA.<br /> • Ware Vron, 1992, <em>Beyond the pale : white women, racism and history</em>, Londres, New York, Verso<br /><br /></p>
<p><strong><img src="images/ici/cegr_f.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Une marque de lessive vante les vertus de la blancheur. Rien de plus normal ? Sauf qu’elle reprend la logique des publicités racistes du siècle passé. Ou quand un «impensé» idéologique sous-tend notre vision du monde. l'Emilie reproduit ici l'article de Viviane Cretton, docteure en anthropologie, professeure à la Haute Ecole de Travail Social//HES-SO Valais, paru le 22 décembre 214 dans REISO, Revue d'information en social et santé (<a href="http://www.reiso.org/">www.reiso.org</a>).</strong></p>
<p><br />Depuis novembre 2014, les protestations raciales grondent aux Etats-Unis, à Ferguson, Cleveland, New York et Phoenix, suite à la multiplication des bavures policières blanches à l’encontre de Noirs américains. Au même moment dans l’espace public romand, une publicité pour lessive qui semble s’être inspirée de vieilles techniques racistes de représentation de la propreté, passe quasiment inaperçue. La publicité en question montre un ours en peluche brun dont le bas du corps immergé devient tout blanc grâce au produit de lessive Total, marque phare de la plus grande entreprise de distribution de Suisse, Migros.<br />Eclairage sur un impensé, idéologique et silencieux, qui façonne les rapports sociaux et sous-tend notre façon de voir le monde : la blanchité [1].</p>
<p><strong> </strong></p>
<p><strong>« Non, mon ours brun ne deviendra pas blanc »</strong><br /> [2] Fin octobre 2014, un groupe de citoyen.ne.s (plus de 90 personnes) a demandé à Migros de retirer de l’espace public les affiches associant explicitement «couleur brune» à «saleté» et «propreté» à «blancheur». Le refus du «géant orange» s’est voulu professionnel :</p>
<p>«L’objectif de notre campagne est de démontrer le pouvoir nettoyant des produits de lessive de notre marque Total, et ce à l’aide de divers sujets qui, sur une affiche, illustrent de manière percutante le processus de transformation grâce au nettoyage. Il s’agit à chaque fois d’un animal en peluche qui est tellement sali qu’on le prend pour un autre animal. En annexe, vous trouverez les trois sujets de notre campagne. »<br /><em>Lettre de la Fédération des Coopératives Migros, 30 octobre 2014</em></p>
<p>Les trois animaux en peluche choisis pour la campagne sont un scarabée noir qui après lavage redevient coccinelle, une panthère noire qui après nettoyage retrouve son apparence de tigre et un ours brun qui redevient ours blanc en sortant de la machine à laver. Les deux premiers sujets de la campagne suivent une même logique de sens qui consiste à passer d’un animal (sale) à un autre (propre) pour mieux montrer l’efficacité du produit de lessive. Mais le troisième sujet s’en écarte en ceci que l’animal choisi reste le même : un ours brun qui demeure ours, mais devient blanc.</p>
<p>Ce processus qui associe le brun au sale a été particulièrement mis en scène par la publicité dite coloniale, au début du XXe siècle. Il révèle une idéologie de la race, qui est l’une des idéologies existantes les plus profondément naturalisées par les médias (Hall, 1995).</p>
<p><strong style="font-size: 10px;">L’esprit du blanc colonial et l’échelle des races</strong></p>
<p><span style="font-size: 10px;">Au début du XXe siècle, les publicités pour Javel S.D.C se vantaient, visuel à l’appui, de «blanchir un nègre». Celle pour le savon La Perdrix assurait qu’elle «blanchit tout», par exemple un Africain. La publicité pour le savon Dirtoff elle aussi promettait de tout nettoyer, dont les mains d’un Noir s’exclamant «Le savon Dirtoff me blanchit !»</span></p>
<p><img src="images/ici/Dirtoff_Perdrix_Pears_Javel-SDC_c_DR-2.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /><br /><br /><em>Les savons Dirtoff, La Perdrix, Pears et l’eau de Javel SDC © DR</em><br /><br />De telles affiches sont bien connues des historiens du colonialisme et des médias. Certaines d’entre elles sont recherchées aujourd’hui pour leur valeur «esthétique» et «historique». En tant que témoins de l’histoire coloniale, elles se monnaient parfois très cher. D’un point de vue anthropologique, elles sont reconnues comme de purs produits de l’idéologie raciste du XIXe siècle.</p>
<p>C’est en effet au XIXe siècle que les différents groupes humains ont été répertoriés, classés et hiérarchisés en terme de «race». Vers 1850, toute une littérature s’est attachée à démontrer «l’inégalité» des «races» humaines d’un point de vue qui se voulait scientifique. On citera notamment l’Essai sur l’inégalité des races humaines (1853-1855) du diplomate et écrivain français Arthur Gobineau, ou les théories racialistes et racistes du comte Georges Vacher de Lapouge. Ce père de l’eugénisme était convaincu de l’infériorité psychologique et physiologique des métis et de la dangerosité du métissage pour l’espèce humaine. Mais on songe aussi aux nombreux travaux de Philippe Broca, ce médecin français persuadé du lien entre le développement de l’intelligence et le volume du cerveau. Comme ses pairs, Broca était mu par une conviction : celle de «la supériorité des Européens par rapport aux Nègres d’Afrique» (Broca, 1861). Le médecin et son équipe ont mesuré des centaines et des centaines de crânes, donnant ainsi naissance à la crâniométrie.</p>
<p><strong style="font-size: 10px;">La couleur des races et la saleté</strong></p>
<p>C’est à peine plus tard que Langlebert (1885) publia son Histoire naturelle, en répertoriant quatre races associées à des couleurs : «une race blanche ou caucasique», «une race jaune ou mongolique», «une race noire ou africaine», «une race rouge ou américaine». Sur cette échelle raciale, l’Européen, blanc, chrétien et civilisé se retrouva positionné au sommet, en tant que modèle à atteindre pour toutes les sociétés du globe. A l’inverse, «la malheureuse race australienne» se retrouva «au plus bas degré de l’échelle humaine» (Broca 1861 : 153). Dans l’Histoire naturelle de Langlebert, la «race blanche» est décrite comme «remarquable par la puissance de son intelligence», tandis que les autres se résument à des caractéristiques physiques déclinées en des termes péjoratifs.</p>
<p>Dans une perspective évolutionniste, c’est non seulement l’humanité qui a été «classée» en groupes selon des critères physiques liés à la pigmentation de la peau. Les groupes de «couleurs» ont aussi été associés à un ensemble de valeurs hiérarchisées et hiérarchisantes. En haut, le blanc, représentant la civilisation, le progrès, la raison, la science. En bas, le noir, identifié à l’animalité, l’archaïsme, la superstition, la magie. Cette façon de se représenter le monde et ses habitants était communément partagée au XIXe siècle, aussi bien par les savants que par les gens dits ordinaires. Ailleurs, comme ici.</p>
<p>Bien que la Suisse n’ait pas eu de colonies formelles, ces représentations ont été largement répandues. Dans son ouvrage intitulé <em>La Suisse coloniale</em> (2010), l’historien Patrick Minder s’est intéressé aux représentations des Africains en Suisse de la fin du XIXe siècle jusqu’au début de la première guerre mondiale. Il montre qu’au début du XXe siècle, tout se passe un peu comme si les Africains incarnaient, aux yeux des missionnaires et voyageurs suisses en Afrique, un stade d’évolution proche de l’animalité. L’Africain est décrit dans leurs récits comme vivant dans la nature, subissant les aléas du climat et des cycles «naturels». Les odeurs de la «ruralité» sont rapportées comme «dérangeantes» par les voyageurs urbains. La «crasse» est associée à un défaut qui symbolise un degré de civilisation moindre. A l’opposé, le blanc se balade en brousse avec son eau de Cologne et son savon. Pour illustration, cette citation du médecin lausannois Fred Blanchot, en 1939 :</p>
<p>«Les Masaïs ne se lavent jamais, aussi les mouches qui leur dévorent le nez, la bouche et les yeux se frottent les pattes de devant, satisfaites. (…) Tous les Masaïs que je vois me donnent l’impression d’appartenir à une race qui va mourir de maladie et de crasse.»<br /><em>Blanchot, 1939, cité dans Minder 2011 : 322</em></p>
<p>De telles descriptions sont aujourd’hui considérées comme racistes, insultantes et déshumanisantes. Au début du XXe siècle, elles allaient de soi et reflétaient la vision dominante du monde, à travers «le blanc de leurs yeux».</p>
<p><strong style="font-size: 10px;">L’invisible omniprésence de la blanchité</strong></p>
<p>La blanchité (whiteness) est une notion relativement récente qui a émergé à la fin des années 80, d’abord en Grande-Bretagne, ensuite aux Etats-Unis pour désigner «l’hégémonie sociale, culturelle et politique blanche à laquelle sont confrontées les minorités ethnoraciales» (Cervulle 2013 : 15). L’idée de blanchité est issue des Critical White Studies (Dyer 1988, Hooks 1990, Ware 1992). Cette approche permet de saisir les dynamiques de reproduction du racisme et des identités ethnoraciales, notamment dans la sphère publique et les médias. Sa force est sans doute d’inverser les perspectives en proposant de renverser les normes là où on ne s’y attend pas. Ainsi, la blanchité peut se définir comme une formation hégémonique presque invisible à force d’omniprésence.</p>
<p>La plupart du temps, la blanchité sert «de support implicite à la production d’un discours constituant les «non-blancs» en tant que marqués par un trait visible et particularisant» (Cervulle 2013 : 16). En d’autres termes, la notion de blanchité a pour objectif de décrire une expérience sociale qui se caractérise par le vécu de la domination. Particulièrement naturalisée, la blanchité demeure un impensé qui structure nombre de nos représentations, jusqu’à parfois nous aveugler.</p>
<p>«Le groupe adulte, blanc, de sexe mâle, catholique, de classe bourgeoise, sain d’esprit et de mœurs, est donc cette catégorie qui ne se définit pas comme telle et fait silence sur soi-même. Elle impose aux autres cependant à travers la langue sa définition comme norme.»<br /><em>Guillaumin 1992 : 294</em></p>
<p>A divers égards, cet impensé profondément structuré et structurant qu’est la blanchité permet d’expliquer l’impossibilité dans laquelle se trouve le sens dominant de «voir» [3] du racisme dans la publicité de Migros en 2014. C’est là qu’il relève de l’idéologie, dont l’un des principes de fonctionnement consiste à naturaliser les rapports sociaux (Hall 1995) en nous faisant croire qu’ils vont de soi et ne pourraient être différents. Pourtant, comme l’ a suggéré Eric Macé (cité dans Cervulle 2013 : 88), si «la couleur» était l’étalon à partir duquel on comparait les variations de pigmentation de nos peaux, alors il faudrait considérer que les blancs sont «dépigmentés».</p>
<p>Est-il possible d’espérer que lorsque «la couleur» deviendra la norme de référence en matière de pigmentation, les ours en peluche bruns n’auront plus besoin de devenir blancs pour avoir l’air propres ?<br />______________________________________________________________</p>
<div class="notes">
<p>[<a id="nb1" class="spip_note" href="http://www.reiso.org/spip.php?article4895#nh1" title="Notes 1">1</a>] Le titre de cet article fait référence au texte de Stuart Hall (1995), <em>Le blanc de leurs yeux : idéologies racistes et médias</em>, voir références</p>
<p>[<a id="nb2" class="spip_note" href="http://www.reiso.org/spip.php?article4895#nh2" title="Notes 2">2</a>] Cet intertitre fait référence à une lettre ouverte de l’écrivain Max Lobe, publiée dans <em>Le Courrier</em> du 5 novembre 2014 et intitulée, «Non, mon ourson ne deviendra pas blanc !»</p>
<p>[<a id="nb3" class="spip_note" href="http://www.reiso.org/spip.php?article4895#nh3" title="Notes 3">3</a>] Le 10 décembre 2014, l’émission RTS la 1ère En ligne directe a ainsi abordé la question de l’affiche Migros avec un titre qui en dit long : «Les antiracistes vont-ils trop loin ?»</p>
<p>_______________________________________________________________</p>
</div>
<p> </p>
<p><strong>Références citées </strong>:<br /> • Broca Paul, 1861, «Sur le volume et la forme du cerveau suivant les individus et les races», Bulletin Société d’Anthropologie, Paris, 2.<br /> • Cervulle Maxime, 2013, <em>Dans le blanc des yeux. Diversité, racisme et médias</em>, Paris : Editions Amsterdam.<br /> • Dyer Richard, 1988, <em>White</em>, Screen, vol. 29, no 4, p. 44-64.<br /> • Guillaumin Colette, 1992, <em>Sexe, race et pratique de pouvoir. L’idée de Nature</em>, Paris, Côté-Femmes<br /> • Hall Stuart, 2007 (1995), "Le blanc de leurs yeux : idéologies racistes et médias». In Identités et Culture. Politique des Cultural Studies. Paris : Editions Amsterdam, pp. 195-200.<br /> • hooks bell (ndlr : nous respectons l’écriture de ce nom avec des minuscules), 1990, <em>Yearning : race, gender and cultural politics</em>, Boston, South End Press.<br /> • Lobe Max, « Non mon ourson brun ne deviendra pas blanc ! », Le Courrier, 5 novembre 2014, → en ligne. Consulté le 18 décembre 2014.<br /> • Minder Patrick, 2011, La Suisse coloniale. <em>Les représentations de l’Afrique et des Africains en Suisse au temps des colonies (1880-1939)</em>, Bern, Peter Lang SA.<br /> • Ware Vron, 1992, <em>Beyond the pale : white women, racism and history</em>, Londres, New York, Verso<br /><br /></p>
Ce que soulève la jupe...des garçons
2015-01-12T05:00:57+00:00
2015-01-12T05:00:57+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/669-ce-que-souleve-la-jupedes-garcons
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/Marc%20Jacobs%20kilt.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Le prix 2014/2015 de la Jupe au Masculin vient d’être décerné à la marque Hiatus. Organisé par l’association les Hommes en Jupes, ce concours vise à réconcilier les hommes occidentaux avec le port de la jupe. En tant que membre du jury, l’émiliE revient sur l’événement et sa problématique.</strong><br /><br /><br />C’est donc la petite marque Hiatus qui a été choisie cette année pour redpnner aux hommes l’envie d’enfiler ce vêtement étiqueté féminin. Les autres nominés étaient Zara qui avait proposé deux jupes masculines dans sa dernière collection, les lycéens de Nantes qui avaient porté la jupe une journée pour lutter symboliquement contre le sexisme et le couturier Sébastien Ghizzo qui a eu l’idée d’urbaniser les kilts, les sarongs et autres sarouels. Le jury composé d’une bloggeuse de mode, d’une directrice d’agence de communication, du président de l’association des Hommes en Jupes et de l’émiliE a penché pour Hiatus fondée par Jean-Guy Béal et Jennifer Marano, deux créateurs de mode nîmois. Ce prix va leur donner un petit coup de pouce supplémentaire pour promouvoir leur marque.<br /><br />On se rappelle que lors de l’événement <em>Transfashion</em> organisé l’année passée par l’émiliE, la jupe avait déjà soulevé de nombreuses questions, sachant que ce n’est pas tant ce petit bout de tissu qui est problématique mais plutôt ce que son port induit sur les corps. Sur un homme, la jupe est perçue comme un travestissement. L’homme en jupe transgresse son genre et est jugé efféminé donc dévalorisé. Selon l'historienne Christine Bard qui participait au débat de <em>Transfashion</em>, « la jupe a fabriqué le genre féminin, sur le plan collectif et individuel ». Dans le monde occidental, la jupe est associée au féminin. Et lorsque les femmes ont voulu s’émanciper, elles ont « porté la culotte » en empruntant notamment des codes vestimentaires aux hommes comme le pantalon . Pour se libérer des stéréotypes masculins, les hommes ne peuvent pas emprunter les codes féminins sous peine de perdre en virilité.<br /><br />Une fille en jupe s’assoit jambes serrées. Le vêtement exerce ici une fonction contrôlante. En effet, aucune raison biologique n’oblige les femmes à garder les jambes serrées. De même que rien ne prédispose les hommes à s’asseoir jambes écartées… Alors ces hommes en jupes, que veulent-ils vraiment ? La liberté vestimentaire qu’ils revendiquent qu’elle est-elle ? Un fantasme, une lubie ou une volonté profonde ? <br /><br /><br />______________________________________________________________</p>
<p><strong>Interview de Jérémie Lefebvre, président de HEJ,</strong></p>
<p><strong>l'émiliE: Pourquoi organiser un prix tel que celui-ci?
</strong></p>
<p><strong>Jérémie Lefebvre</strong>: C'est avant tout une façon de dire "bravo" à ceux et celles qui font de leur mieux pour que la jupe redevienne un vêtement masculin comme un autre. Nous espérons ainsi leur montrer que leur contribution n'est pas passée inaperçue et les encourager dans leurs efforts.
C'est aussi un moyen de mettre en avant leurs actions, de leur donner de la visibilité auprès de nos sympathisants, mais aussi auprès du public en général.</p>
<p>C'est en effet l'occasion d'attirer l'attention sur la jupe masculine, d'en faire parler et de sensibiliser les gens en-dehors de notre mouvement.
L'idée de de ce prix nous est venue après avoir constaté qu'un certain nombre de magazines élisaient leur propre "personnalité de l'année" : "le sportif de l'année", "l'entrepreneur de l'année", etc... Nous nous sommes dit que les hommes en jupe méritaient eux-aussi d'avoir leur personnalité de l'année.</p>
<p>
Le mouvement pour la jupe masculine a ceci d'unique qu'il est venu essentiellement de la base et est soutenu par une multitude d'initiatives individuelles : sites perso, pages Facebook, forums... Tout ceci est très désorganisé, et nous avons donc voulu mettre en place une action qui puisse être une référence au sein du mouvement, qui fédère et représente tous les hommes en jupe, pas seulement notre association. C'est une des raisons pour lesquelles le choix des candidats, puis du lauréat est confié en grande partie à des personnes extérieures à HEJ.
</p>
<p><strong>Quel est votre objectif ?</strong><br />Notre but ultime est de faire de la jupe masculine un vêtement ordinaire, pleinement accepté par la société. De ce point de vue, HEJ peut s’enorgueillir de faire bouger les choses : en plus d'être régulièrement contactés par les médias, nous avons inspiré la création de la marque Hiatus, grâce à nous la première pub pour la jupe masculine devrait bientôt passer à la télé, et nous avons aussi été invités au Sénat pour célébrer la journée de la femme en 2015...
</p>
<p><strong>Pensez-vous faire évoluer les mentalités et les codes vestimentaires?</strong> <br />Quels sont les impacts concrets de nos actions ? Je pense qu'il faut rester modeste. Même si, d'après nos partenaires commerciaux, le nombre d'hommes en jupe est en constante augmentation, c'est encore une mode émergente, mal connue du grand public. Et ne parlons pas encore de faire évoluer les codes vestimentaires. N'oublions pas que les femmes, qui ont commencé à adopter le pantalon dès le XIXème siècle, ont dû attendre les années 60 pour pouvoir le porter au travail !
Néanmoins, je pense que nous participons aussi à une évolution culturelle qui dépasse l'aspect purement fonctionnel du vêtement. Effectivement, il s'agit bien de faire évoluer les mentalités et de combattre certaines idées reçues sur l'homme. Notre combat en lui-même montre déjà que des choses comme la mode, le soucis de son apparence ou l'égalité vestimentaire ne sont pas que des affaires de femmes.<br /><br />Photo DR, <em>Marc Jacobs, un homme en jupe</em></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/Marc%20Jacobs%20kilt.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Le prix 2014/2015 de la Jupe au Masculin vient d’être décerné à la marque Hiatus. Organisé par l’association les Hommes en Jupes, ce concours vise à réconcilier les hommes occidentaux avec le port de la jupe. En tant que membre du jury, l’émiliE revient sur l’événement et sa problématique.</strong><br /><br /><br />C’est donc la petite marque Hiatus qui a été choisie cette année pour redpnner aux hommes l’envie d’enfiler ce vêtement étiqueté féminin. Les autres nominés étaient Zara qui avait proposé deux jupes masculines dans sa dernière collection, les lycéens de Nantes qui avaient porté la jupe une journée pour lutter symboliquement contre le sexisme et le couturier Sébastien Ghizzo qui a eu l’idée d’urbaniser les kilts, les sarongs et autres sarouels. Le jury composé d’une bloggeuse de mode, d’une directrice d’agence de communication, du président de l’association des Hommes en Jupes et de l’émiliE a penché pour Hiatus fondée par Jean-Guy Béal et Jennifer Marano, deux créateurs de mode nîmois. Ce prix va leur donner un petit coup de pouce supplémentaire pour promouvoir leur marque.<br /><br />On se rappelle que lors de l’événement <em>Transfashion</em> organisé l’année passée par l’émiliE, la jupe avait déjà soulevé de nombreuses questions, sachant que ce n’est pas tant ce petit bout de tissu qui est problématique mais plutôt ce que son port induit sur les corps. Sur un homme, la jupe est perçue comme un travestissement. L’homme en jupe transgresse son genre et est jugé efféminé donc dévalorisé. Selon l'historienne Christine Bard qui participait au débat de <em>Transfashion</em>, « la jupe a fabriqué le genre féminin, sur le plan collectif et individuel ». Dans le monde occidental, la jupe est associée au féminin. Et lorsque les femmes ont voulu s’émanciper, elles ont « porté la culotte » en empruntant notamment des codes vestimentaires aux hommes comme le pantalon . Pour se libérer des stéréotypes masculins, les hommes ne peuvent pas emprunter les codes féminins sous peine de perdre en virilité.<br /><br />Une fille en jupe s’assoit jambes serrées. Le vêtement exerce ici une fonction contrôlante. En effet, aucune raison biologique n’oblige les femmes à garder les jambes serrées. De même que rien ne prédispose les hommes à s’asseoir jambes écartées… Alors ces hommes en jupes, que veulent-ils vraiment ? La liberté vestimentaire qu’ils revendiquent qu’elle est-elle ? Un fantasme, une lubie ou une volonté profonde ? <br /><br /><br />______________________________________________________________</p>
<p><strong>Interview de Jérémie Lefebvre, président de HEJ,</strong></p>
<p><strong>l'émiliE: Pourquoi organiser un prix tel que celui-ci?
</strong></p>
<p><strong>Jérémie Lefebvre</strong>: C'est avant tout une façon de dire "bravo" à ceux et celles qui font de leur mieux pour que la jupe redevienne un vêtement masculin comme un autre. Nous espérons ainsi leur montrer que leur contribution n'est pas passée inaperçue et les encourager dans leurs efforts.
C'est aussi un moyen de mettre en avant leurs actions, de leur donner de la visibilité auprès de nos sympathisants, mais aussi auprès du public en général.</p>
<p>C'est en effet l'occasion d'attirer l'attention sur la jupe masculine, d'en faire parler et de sensibiliser les gens en-dehors de notre mouvement.
L'idée de de ce prix nous est venue après avoir constaté qu'un certain nombre de magazines élisaient leur propre "personnalité de l'année" : "le sportif de l'année", "l'entrepreneur de l'année", etc... Nous nous sommes dit que les hommes en jupe méritaient eux-aussi d'avoir leur personnalité de l'année.</p>
<p>
Le mouvement pour la jupe masculine a ceci d'unique qu'il est venu essentiellement de la base et est soutenu par une multitude d'initiatives individuelles : sites perso, pages Facebook, forums... Tout ceci est très désorganisé, et nous avons donc voulu mettre en place une action qui puisse être une référence au sein du mouvement, qui fédère et représente tous les hommes en jupe, pas seulement notre association. C'est une des raisons pour lesquelles le choix des candidats, puis du lauréat est confié en grande partie à des personnes extérieures à HEJ.
</p>
<p><strong>Quel est votre objectif ?</strong><br />Notre but ultime est de faire de la jupe masculine un vêtement ordinaire, pleinement accepté par la société. De ce point de vue, HEJ peut s’enorgueillir de faire bouger les choses : en plus d'être régulièrement contactés par les médias, nous avons inspiré la création de la marque Hiatus, grâce à nous la première pub pour la jupe masculine devrait bientôt passer à la télé, et nous avons aussi été invités au Sénat pour célébrer la journée de la femme en 2015...
</p>
<p><strong>Pensez-vous faire évoluer les mentalités et les codes vestimentaires?</strong> <br />Quels sont les impacts concrets de nos actions ? Je pense qu'il faut rester modeste. Même si, d'après nos partenaires commerciaux, le nombre d'hommes en jupe est en constante augmentation, c'est encore une mode émergente, mal connue du grand public. Et ne parlons pas encore de faire évoluer les codes vestimentaires. N'oublions pas que les femmes, qui ont commencé à adopter le pantalon dès le XIXème siècle, ont dû attendre les années 60 pour pouvoir le porter au travail !
Néanmoins, je pense que nous participons aussi à une évolution culturelle qui dépasse l'aspect purement fonctionnel du vêtement. Effectivement, il s'agit bien de faire évoluer les mentalités et de combattre certaines idées reçues sur l'homme. Notre combat en lui-même montre déjà que des choses comme la mode, le soucis de son apparence ou l'égalité vestimentaire ne sont pas que des affaires de femmes.<br /><br />Photo DR, <em>Marc Jacobs, un homme en jupe</em></p>
Changez la société. S'il vous plaît.
2015-01-04T05:54:19+00:00
2015-01-04T05:54:19+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/666-changez-la-societe-sil-vous-plait
REDACTION
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/selfieleelah2.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Leelah Alcorn, jeune trans’ de 17 ans s’est suicidée le 28 décembre dernier, laissant une lettre bouleversante. Ses parents qui voulaient faire d'elle un «parfait petit garçon chrétien hétérosexuel», persistent à la genrer comme garçon. Leur témoignage sur CNN a déclenché une vague de colère à travers le monde. Le Tumblr de Leelah est désormais inaccessible mais sa lettre continue de circuler. Nous la reproduisons dans son intégralité ici.</strong> <br /><br /><strong>Rentrer dans le moule</strong></p>
<p>
«Si vous lisez ceci, cela signifie que je me suis suicidée et que je n’ai donc pas pu supprimer cette publication avant sa diffusion. S’il vous plaît, ne soyez pas tristes, tout est pour le mieux. La vie que j’aurais vécue ne valait pas la peine d’être vécue… car je suis transgenre. Je pourrais raconter en détail pourquoi je vois les choses ainsi, mais cette note est probablement déjà assez longue comme ça. En quelques mots, j’ai le sentiment d’être une fille prise au piège dans un corps de garçon et je ressens cela depuis mes 4 ans. Je n’ai jamais su qu’il y avait un mot pour exprimer ce sentiment, ni qu’il était possible pour un garçon de devenir une fille, alors je ne l’ai jamais dit à qui que ce soit et j’ai simplement continué à faire ce que font traditionnellement tous les garçons pour essayer de rentrer dans le moule.</p>
<p>J’avais 14 ans quand j’ai appris ce que signifie le mot transgenre et j’ai crié de joie. Après 10 années de confusion, j’ai enfin compris qui j’étais. Je l’ai immédiatement dit à ma mère et elle a très mal réagi, me disant que ce n’était qu’une phase, que je ne serais jamais vraiment une fille, que Dieu ne fait pas d’erreur et que j’avais tort. Si vous êtes parent et que vous lisez cela, ne dites jamais rien de tel à vos enfants. Même si vous êtes chrétien.ne ou que vous êtes contre les personnes transgenres, ne dites jamais ça à personne, particulièrement à votre enfant. Cela ne fera que les pousser à se haïr. C’est exactement ce qui s’est passé pour moi.</p>
<p>Ma mère m’a emmenée chez un thérapeute, mais elle ne m’emmenait que chez des thérapeutes chrétiens (qui étaient tous biaisés) donc je n’ai jamais pu bénéficier de la thérapie qui m’aurait permis de guérir de ma dépression. Il y a juste eu de plus en plus de chrétien-ne-s me disant que j’étais égoïste et que j’avais tort et que je devais demander de l’aide à Dieu.<br />
</p>
<p><span style="font-size: 10px;">L’année de mes 16 ans, je me suis rendu compte que mes parents ne me comprendraient jamais et que je devrais attendre jusqu’à mes 18 ans pour commencer le moindre processus de transition, ce qui m’a brisé le cœur. Plus on attend, plus la transition est difficile. Je me suis sentie désespérée, j’ai eu l’impression que je ressemblerais à un homme travesti jusqu’à la fin de ma vie. Pour mon seizième anniversaire, quand mes parents ont refusé de donner leur consentement pour que je commence ma transition, j’ai pleuré jusqu’à ce que je finisse par m’endormir.</span></p>
<p><strong>Leur parfait petit garçon chrétien hétérosexuel</strong> <br />J’ai commencé à me comporter en mode “je vous emmerde” avec mes parents et je suis sortie du placard en tant que gay à l’école, en pensant que cela faciliterait peut-être mon coming-out trans’ qui représenterait un choc moindre. Même si la réaction de mes ami-e-s a été positive, mes parents étaient énervés. Ils ont eu l’impression que je m’attaquais à leur image et que je cherchais à les embarrasser. Ils voulaient que je sois leur parfait petit garçon chrétien hétérosexuel, et c’est clairement quelque chose que je ne voulais pas.</p>
<p>Alors ils ne m’ont pas permis de retourner à l’école, ils ont pris mon ordinateur portable et mon téléphone et m’ont interdit d’utiliser le moindre réseau social, ce qui m’a complètement isolée de mes ami-e-s. C’est probablement la partie de ma vie pendant laquelle j’ai été la plus déprimée et je suis surprise de ne pas m’être suicidée. J’ai été complètement seule pendant cinq mois. Pas d’ami-e-s, pas de soutien, pas d’amour. Juste la déception de mes parents et la cruauté de ma solitude.</p>
<p>Je me suis sentie encore plus seule qu’avant.
À la fin de l’année scolaire, mes parents ont finalement changé d’avis et m’ont rendu mon téléphone et m’ont permis de retourner sur les réseaux sociaux. J’étais excitée, j’allais enfin pouvoir retrouver mes ami-e-s. Tout-e-s s’extasiaient de me revoir et de me parler, mais seulement au début. Mes ami-e-s ont finalement réalisé que je ne représentais rien à leurs yeux, et je me suis sentie encore plus seule qu’avant. Les seul-e-s ami-e-s que je pensais avoir ne m’aimaient que parce qu’ils/elles me voyaient cinq fois par semaine.</p>
<p>Après un été passé à n’avoir presque aucun-e ami-e et le fardeau de devoir réfléchir à l’université, d’économiser de l’argent pour partir, d’avoir toujours de bonnes notes, d’aller à l’église chaque semaine et de me sentir comme une merde parce que tout le monde là-bas était contre tout ce pour quoi je vis, j’ai décidé que j’en avais assez. Je ne réussirai jamais à faire une transition, même une fois partie. Je ne serai jamais heureuse de mon apparence. Je n’aurai jamais assez d’ami-e-s pour me combler. Soit je vis le reste de ma vie comme un pauvre homme qui rêve d’être une femme, soit je vis ma vie comme une femme seule qui se hait. Pas possible de gagner. Pas d’échappatoire. Je suis déjà assez triste, je n’ai pas besoin que ma vie le soit plus encore. Les gens disent “ça ira mieux”, mais dans mon cas ce n’est pas vrai. Ça empire. Chaque jour, je vais de pire en pire.</p>
<p><strong>Il faut que ma mort ait un sens</strong><br />Voilà l’essentiel, voilà pourquoi j’ai envie de me suicider. Désolée si cela ne vous paraît pas être une raison valable, ça l’est pour moi. Concernant mon testament, je veux que l’intégralité de ce que je possède légalement soit vendu et que cet argent (en plus de mon argent à la banque) soit donné à des associations de défense des trans’ et à des groupes de soutien, peu m’importe lesquels. Je ne reposerai en paix que si un jour les personnes transgenres ne sont plus traitées comme je l’ai été, que si elles sont traitées comme des êtres humains, avec des sentiments reconnus et des droits humains. On doit enseigner le genre à l’école, et le plus tôt est le mieux. Il faut que ma mort ait un sens. Ma mort doit être comptée parmi les personnes transgenres qui se suicident chaque année. Je veux que quelqu’un regarde ce chiffre, se dise “putain” et change les choses. Changez la société. S’il vous plaît."<br /><br />Photo © selfie Leelah Alcorn <em>Tumblr</em></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/selfieleelah2.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Leelah Alcorn, jeune trans’ de 17 ans s’est suicidée le 28 décembre dernier, laissant une lettre bouleversante. Ses parents qui voulaient faire d'elle un «parfait petit garçon chrétien hétérosexuel», persistent à la genrer comme garçon. Leur témoignage sur CNN a déclenché une vague de colère à travers le monde. Le Tumblr de Leelah est désormais inaccessible mais sa lettre continue de circuler. Nous la reproduisons dans son intégralité ici.</strong> <br /><br /><strong>Rentrer dans le moule</strong></p>
<p>
«Si vous lisez ceci, cela signifie que je me suis suicidée et que je n’ai donc pas pu supprimer cette publication avant sa diffusion. S’il vous plaît, ne soyez pas tristes, tout est pour le mieux. La vie que j’aurais vécue ne valait pas la peine d’être vécue… car je suis transgenre. Je pourrais raconter en détail pourquoi je vois les choses ainsi, mais cette note est probablement déjà assez longue comme ça. En quelques mots, j’ai le sentiment d’être une fille prise au piège dans un corps de garçon et je ressens cela depuis mes 4 ans. Je n’ai jamais su qu’il y avait un mot pour exprimer ce sentiment, ni qu’il était possible pour un garçon de devenir une fille, alors je ne l’ai jamais dit à qui que ce soit et j’ai simplement continué à faire ce que font traditionnellement tous les garçons pour essayer de rentrer dans le moule.</p>
<p>J’avais 14 ans quand j’ai appris ce que signifie le mot transgenre et j’ai crié de joie. Après 10 années de confusion, j’ai enfin compris qui j’étais. Je l’ai immédiatement dit à ma mère et elle a très mal réagi, me disant que ce n’était qu’une phase, que je ne serais jamais vraiment une fille, que Dieu ne fait pas d’erreur et que j’avais tort. Si vous êtes parent et que vous lisez cela, ne dites jamais rien de tel à vos enfants. Même si vous êtes chrétien.ne ou que vous êtes contre les personnes transgenres, ne dites jamais ça à personne, particulièrement à votre enfant. Cela ne fera que les pousser à se haïr. C’est exactement ce qui s’est passé pour moi.</p>
<p>Ma mère m’a emmenée chez un thérapeute, mais elle ne m’emmenait que chez des thérapeutes chrétiens (qui étaient tous biaisés) donc je n’ai jamais pu bénéficier de la thérapie qui m’aurait permis de guérir de ma dépression. Il y a juste eu de plus en plus de chrétien-ne-s me disant que j’étais égoïste et que j’avais tort et que je devais demander de l’aide à Dieu.<br />
</p>
<p><span style="font-size: 10px;">L’année de mes 16 ans, je me suis rendu compte que mes parents ne me comprendraient jamais et que je devrais attendre jusqu’à mes 18 ans pour commencer le moindre processus de transition, ce qui m’a brisé le cœur. Plus on attend, plus la transition est difficile. Je me suis sentie désespérée, j’ai eu l’impression que je ressemblerais à un homme travesti jusqu’à la fin de ma vie. Pour mon seizième anniversaire, quand mes parents ont refusé de donner leur consentement pour que je commence ma transition, j’ai pleuré jusqu’à ce que je finisse par m’endormir.</span></p>
<p><strong>Leur parfait petit garçon chrétien hétérosexuel</strong> <br />J’ai commencé à me comporter en mode “je vous emmerde” avec mes parents et je suis sortie du placard en tant que gay à l’école, en pensant que cela faciliterait peut-être mon coming-out trans’ qui représenterait un choc moindre. Même si la réaction de mes ami-e-s a été positive, mes parents étaient énervés. Ils ont eu l’impression que je m’attaquais à leur image et que je cherchais à les embarrasser. Ils voulaient que je sois leur parfait petit garçon chrétien hétérosexuel, et c’est clairement quelque chose que je ne voulais pas.</p>
<p>Alors ils ne m’ont pas permis de retourner à l’école, ils ont pris mon ordinateur portable et mon téléphone et m’ont interdit d’utiliser le moindre réseau social, ce qui m’a complètement isolée de mes ami-e-s. C’est probablement la partie de ma vie pendant laquelle j’ai été la plus déprimée et je suis surprise de ne pas m’être suicidée. J’ai été complètement seule pendant cinq mois. Pas d’ami-e-s, pas de soutien, pas d’amour. Juste la déception de mes parents et la cruauté de ma solitude.</p>
<p>Je me suis sentie encore plus seule qu’avant.
À la fin de l’année scolaire, mes parents ont finalement changé d’avis et m’ont rendu mon téléphone et m’ont permis de retourner sur les réseaux sociaux. J’étais excitée, j’allais enfin pouvoir retrouver mes ami-e-s. Tout-e-s s’extasiaient de me revoir et de me parler, mais seulement au début. Mes ami-e-s ont finalement réalisé que je ne représentais rien à leurs yeux, et je me suis sentie encore plus seule qu’avant. Les seul-e-s ami-e-s que je pensais avoir ne m’aimaient que parce qu’ils/elles me voyaient cinq fois par semaine.</p>
<p>Après un été passé à n’avoir presque aucun-e ami-e et le fardeau de devoir réfléchir à l’université, d’économiser de l’argent pour partir, d’avoir toujours de bonnes notes, d’aller à l’église chaque semaine et de me sentir comme une merde parce que tout le monde là-bas était contre tout ce pour quoi je vis, j’ai décidé que j’en avais assez. Je ne réussirai jamais à faire une transition, même une fois partie. Je ne serai jamais heureuse de mon apparence. Je n’aurai jamais assez d’ami-e-s pour me combler. Soit je vis le reste de ma vie comme un pauvre homme qui rêve d’être une femme, soit je vis ma vie comme une femme seule qui se hait. Pas possible de gagner. Pas d’échappatoire. Je suis déjà assez triste, je n’ai pas besoin que ma vie le soit plus encore. Les gens disent “ça ira mieux”, mais dans mon cas ce n’est pas vrai. Ça empire. Chaque jour, je vais de pire en pire.</p>
<p><strong>Il faut que ma mort ait un sens</strong><br />Voilà l’essentiel, voilà pourquoi j’ai envie de me suicider. Désolée si cela ne vous paraît pas être une raison valable, ça l’est pour moi. Concernant mon testament, je veux que l’intégralité de ce que je possède légalement soit vendu et que cet argent (en plus de mon argent à la banque) soit donné à des associations de défense des trans’ et à des groupes de soutien, peu m’importe lesquels. Je ne reposerai en paix que si un jour les personnes transgenres ne sont plus traitées comme je l’ai été, que si elles sont traitées comme des êtres humains, avec des sentiments reconnus et des droits humains. On doit enseigner le genre à l’école, et le plus tôt est le mieux. Il faut que ma mort ait un sens. Ma mort doit être comptée parmi les personnes transgenres qui se suicident chaque année. Je veux que quelqu’un regarde ce chiffre, se dise “putain” et change les choses. Changez la société. S’il vous plaît."<br /><br />Photo © selfie Leelah Alcorn <em>Tumblr</em></p>
Les computer girls
2014-12-12T05:52:25+00:00
2014-12-12T05:52:25+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/662-les-computer-girls
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/Two_women_operating_ENIAC-300x197.gif" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Une idée largement répandue voudrait qu’avec l’entrée massive des femmes sur le marché du travail à la fin des années 70, de nombreux métiers se féminisent et qu’à part l’exception notable de la profession d’infirmier, la masculinisation de domaines traditionnellement réservés aux femmes semble extrêmement rare. Des recherches récentes révèlent que les hommes ont investi des secteurs comme, par exemple, la programmation informatique, apanage exclusif des femmes jusque dans les années 70.</strong><br /><br />La ségrégation genrée horizontale qui répartit femmes et hommes respectivement autour d’emplois dits “féminins” et “masculins” reste la règle dans le monde du travail. Ainsi en Suisse, 80% des femmes sont employées dans huit familles de métiers, essentiellement le care (aide à la personne) et l’éducation. La raison de cette répartition genrée tient au fait que les métiers «féminins» sont associés à des qualités dites “féminines”, à savoir l’écoute, le soin donné à autrui, l’expression d’émotions, alors que les domaines professionnels dits “masculins” se réfèrent plutôt à des qualités dites “masculines” telles que l’affirmation de soi, la technique, la rationalité ou la force, nettement plus valorisées et valorisantes. L’argument naturaliste prévaut encore largement dans le choix du métier selon qu’on est un homme ou une femme. De fait, la ségrégation est manifeste.</p>
<p><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/cosmo-girls.png" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p><br />Si les femmes ont investi certains domaines, féminisant ainsi des métiers comme celui d’avocat-e, de journaliste ou d’enseignant-e, les hommes sont également entrés sur de rares territoires jusqu’alors occupés par des femmes telle que la programmation informatique. L’historien Nathan Ensmenger explique que les femmes étaient recrutées pour coder en raison de leurs aptitudes naturelles. Un article de <em>Cosmopolitan</em> paru en 1967 intitulé <em>The computer girls</em> vante les avantages de la programmation pour les femmes qui s’apparente à «préparer un dîner. Vous avez à prévoir à l’avance, à tout organiser de manière à ce que tout soit prêt lorsque vous en aurez besoin… Les femmes ont un talent naturel pour ça». Nathan Ensmenger précise que dès le début des années 40, les femmes ont été pionnières dans la programmation. L’université de Pennsylvanie avait engagé six femmes pour travailler sur l’ENIAC, l'un des tous premiers ordinateurs électroniques. Et pas pour passer le chiffon mais bien pour coder.<br /><br />Pour les responsables du projet, la programmation était assimilée à de la dactylographie ou du standard téléphonique, bref à du secrétariat, rien de très reluisant pour un homme. Ainsi cantonnées durant des années au software c’est-à-dire aux logiciels, les femmes laissaient leurs collègues masculins au hardware (le matériel). Ce faisant, elles ont développé un certain nombre d’avancées technologiques aujourd’hui passées sous silence. Par exemple, c’est Betty Holbertson qui est à l’origine de l’instruction «stop» pour toute erreur humaine dans n'importe quel ligne de code.<br /><br />Comprenant la complexité qu’il y a à coder, les entreprises ont alors commencé à former des hommes qui allaient remplacer progressivement les computer girls priées de retourner à leurs fourneaux. Associant tout à coup programmation aux mathématiques et aux échecs, les nouveaux geeks ont commencé à jouer de leur prestige et à décourager les femmes de choisir cette carrière. En effet, des tests de recrutement se sont focalisés exclusivement sur les mathématiques contrairement à ce qui était pratiqué jusqu’alors barrant l’accès aux femmes qui ne se spécialisaient pas dans ce domaine scientifique durant leur parcours scolaire. La stratégie a bien fonctionné puisqu’aujourd’hui personne n’imagine que ce sont les femmes qui furent les premières programmeuses de l’histoire. Et qui sait encore que c’est une femme de génie, Margaret Hamilton, qui a conçu le logiciel de guidage nécessaire à la mission Apollo. Sans elle, personne n’aurait marché sur la lune…<br /><br />Photo DR, <em>deux femmes programmant l'ENIAC</em></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/Two_women_operating_ENIAC-300x197.gif" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Une idée largement répandue voudrait qu’avec l’entrée massive des femmes sur le marché du travail à la fin des années 70, de nombreux métiers se féminisent et qu’à part l’exception notable de la profession d’infirmier, la masculinisation de domaines traditionnellement réservés aux femmes semble extrêmement rare. Des recherches récentes révèlent que les hommes ont investi des secteurs comme, par exemple, la programmation informatique, apanage exclusif des femmes jusque dans les années 70.</strong><br /><br />La ségrégation genrée horizontale qui répartit femmes et hommes respectivement autour d’emplois dits “féminins” et “masculins” reste la règle dans le monde du travail. Ainsi en Suisse, 80% des femmes sont employées dans huit familles de métiers, essentiellement le care (aide à la personne) et l’éducation. La raison de cette répartition genrée tient au fait que les métiers «féminins» sont associés à des qualités dites “féminines”, à savoir l’écoute, le soin donné à autrui, l’expression d’émotions, alors que les domaines professionnels dits “masculins” se réfèrent plutôt à des qualités dites “masculines” telles que l’affirmation de soi, la technique, la rationalité ou la force, nettement plus valorisées et valorisantes. L’argument naturaliste prévaut encore largement dans le choix du métier selon qu’on est un homme ou une femme. De fait, la ségrégation est manifeste.</p>
<p><img src="images/genresfeminismes/cosmo-girls.png" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p><br />Si les femmes ont investi certains domaines, féminisant ainsi des métiers comme celui d’avocat-e, de journaliste ou d’enseignant-e, les hommes sont également entrés sur de rares territoires jusqu’alors occupés par des femmes telle que la programmation informatique. L’historien Nathan Ensmenger explique que les femmes étaient recrutées pour coder en raison de leurs aptitudes naturelles. Un article de <em>Cosmopolitan</em> paru en 1967 intitulé <em>The computer girls</em> vante les avantages de la programmation pour les femmes qui s’apparente à «préparer un dîner. Vous avez à prévoir à l’avance, à tout organiser de manière à ce que tout soit prêt lorsque vous en aurez besoin… Les femmes ont un talent naturel pour ça». Nathan Ensmenger précise que dès le début des années 40, les femmes ont été pionnières dans la programmation. L’université de Pennsylvanie avait engagé six femmes pour travailler sur l’ENIAC, l'un des tous premiers ordinateurs électroniques. Et pas pour passer le chiffon mais bien pour coder.<br /><br />Pour les responsables du projet, la programmation était assimilée à de la dactylographie ou du standard téléphonique, bref à du secrétariat, rien de très reluisant pour un homme. Ainsi cantonnées durant des années au software c’est-à-dire aux logiciels, les femmes laissaient leurs collègues masculins au hardware (le matériel). Ce faisant, elles ont développé un certain nombre d’avancées technologiques aujourd’hui passées sous silence. Par exemple, c’est Betty Holbertson qui est à l’origine de l’instruction «stop» pour toute erreur humaine dans n'importe quel ligne de code.<br /><br />Comprenant la complexité qu’il y a à coder, les entreprises ont alors commencé à former des hommes qui allaient remplacer progressivement les computer girls priées de retourner à leurs fourneaux. Associant tout à coup programmation aux mathématiques et aux échecs, les nouveaux geeks ont commencé à jouer de leur prestige et à décourager les femmes de choisir cette carrière. En effet, des tests de recrutement se sont focalisés exclusivement sur les mathématiques contrairement à ce qui était pratiqué jusqu’alors barrant l’accès aux femmes qui ne se spécialisaient pas dans ce domaine scientifique durant leur parcours scolaire. La stratégie a bien fonctionné puisqu’aujourd’hui personne n’imagine que ce sont les femmes qui furent les premières programmeuses de l’histoire. Et qui sait encore que c’est une femme de génie, Margaret Hamilton, qui a conçu le logiciel de guidage nécessaire à la mission Apollo. Sans elle, personne n’aurait marché sur la lune…<br /><br />Photo DR, <em>deux femmes programmant l'ENIAC</em></p>
La mésalliance féminisme/ nationalisme
2014-12-08T10:01:08+00:00
2014-12-08T10:01:08+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/660-le-feminisme-nationaliste-
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/Ca%20la%20Dona%208-12.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Féminismes et nationalismes ne devraient jamais se rencontrer autrement que pour croiser le fer. Pourtant des alliances opportunistes se créent ça et là en Europe sur le dos d’autres femmes. L’exemple catalan est à cet égard très parlant. Et la langue justement est au cœur du sujet (de discorde).</strong> <br /><br />Ce n’est pas nouveau, nombre de politiques instrumentalisent les féministes pour justifier leurs discours et leurs actions. Au nom de l’égalité hommes/femmes, des guerres sont menées, des discours sont construits : alors même que la situation des Afghanes est loin d’être sécurisée, les troupes de la coalition occidentale se sont retirées. En Europe, les «étrangers» seraient coupables de toutes les violences envers les femmes, incapables d’assimiler les valeurs égalitaires des démocraties… Selon ces politiques, le sexisme serait le fait de cultures «sous-développées» superstitieuses et religieuses, par opposition à la civilisation occidentale riche de sa tolérance, de sa laïcité… et de son féminisme. Bref, détourner les féministes voire en retourner certaines pour faire valoir une supériorité de l’Occident et gagner des avantages tant politiques qu’économiques fait partie de l’arsenal stratégique des partis nationalistes qui tendent à prospérer ces temps.<br /><br />Alors ces féministes retournées, alliées involontaires d’un post-colonialisme ou nationalistes convaincues ? Les effets de la mondialisation ont conduit à des replis identitaires assez caractéristiques d’une peur diffuse, celle de la disparition annoncée du monde «d’avant» si rassurant. En Europe, les nationalismes ont fleuri sur ce terreau et les gauches radicales via les altermondialistes ont activement participé au mouvement délaissant les luttes contre le capital, le patriarcat et le racisme. En France, on retrouve des féministes au barrage de Sivens mais pas à Créteil pour protester conte l’agression antisémite doublée d’un viol. Un des exemples les plus frappants de ce nationalisme civique auquel adhèrent certaines féministes est le séparatisme catalan. En l’occurrence, la plupart des associations féministes de Catalogne ont pris fait et cause pour l’indépendance sans se poser plus de questions.<br /><br />A moins de faire partie du peuple catalan, vous avez peu de chance d’être inclus-e. L’entre-soi règne en maître et les féministes se font le relais inconditionnel des discours et pratiques nationalistes excluantes du gouvernement d’Artur Mas, ultraconservateur pur jus. Seule langue utilisée : le catalan, ce qui laisse peu de chances aux femmes migrantes qui viennent principalement d’Amérique latine de participer, d’autant moins qu’elles parlent l’espagnol, la langue de l’ennemi. Quant à celles qui ont franchi la Méditerranée, ce n’est même pas la peine d’y penser. On est loin des communications multilingues de la Marche Mondiale des Femmes qui cherchent à intégrer au maximum. Non, ici c’est la Catalogne aux Catalan-e-s.<br /><br />En s’enfermant de la sorte, on mobilise en petit comité. Dernier fait marquant le 22 octobre dernier, la Vaga de totes : autrement dit, la grève de toutes qui, comme son slogan le suggérait, se voulait massive. Si le mot d’ordre de la manifestation était louable (Lutte contre la précarité, les inégalités, la corruption etc) pourquoi ne pas y associer toutes les femmes ? La langue est un vecteur d’inclusion comme d’exclusion sociale. Alors à part occuper quelques minutes quatre rues à Barcelone, investir une station de métro et rassembler moins de 500 pelé-e-s Plaça Catalunya, de sorte que personne ne vous remarque, où est l’intérêt ? On est loin de l’image d’une ville bloquée dont les féministes auraient pris le contrôle comme l’ont rapporté certain-e-s en toute mauvaise foi sur Twitter. <br /><br />Avec plus d’un million d’étranger-e-s vivant sur son sol, cela vaudrait la peine pour la Catalogne en général et pour les féministes du cru en particulier de s’ouvrir à ce niveau : échanger dans différentes langues et les accepter sans discrimination pourrait être un bon point de départ. Se comprendre n’est-ce pas la base du débat ? Les grandes mobilisations contre le projet de loi contre l’avortement avaient largement rassemblé dans la société parce que les organisateurs-trices s’étaient adressé-e-s à toute la population et pas seulement à d’heureux-euses élu-e-s capables de comprendre la langue régionale. Contrer l’instrumentalisation par les politiques nationalistes est une priorité. Le plus délicat reste la question de l’indépendance (de parole et d’action cette fois) : quand on est subventionné par la Generalitat (exécutif catalan), peut-on s’exprimer autrement qu’en catalan ? Peut-on échapper aux discours et obligations nationalistes ? Les associations féministes catalanes devraient s’interroger sur ce qui les anime au fond et sur les valeurs qu’elles défendent. <br /><br />Photo © l'émiliE, <em>une vitrine d'association féministe à Barcelone avec un message contre le sexisme sur un poster indépendantiste</em></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/Ca%20la%20Dona%208-12.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Féminismes et nationalismes ne devraient jamais se rencontrer autrement que pour croiser le fer. Pourtant des alliances opportunistes se créent ça et là en Europe sur le dos d’autres femmes. L’exemple catalan est à cet égard très parlant. Et la langue justement est au cœur du sujet (de discorde).</strong> <br /><br />Ce n’est pas nouveau, nombre de politiques instrumentalisent les féministes pour justifier leurs discours et leurs actions. Au nom de l’égalité hommes/femmes, des guerres sont menées, des discours sont construits : alors même que la situation des Afghanes est loin d’être sécurisée, les troupes de la coalition occidentale se sont retirées. En Europe, les «étrangers» seraient coupables de toutes les violences envers les femmes, incapables d’assimiler les valeurs égalitaires des démocraties… Selon ces politiques, le sexisme serait le fait de cultures «sous-développées» superstitieuses et religieuses, par opposition à la civilisation occidentale riche de sa tolérance, de sa laïcité… et de son féminisme. Bref, détourner les féministes voire en retourner certaines pour faire valoir une supériorité de l’Occident et gagner des avantages tant politiques qu’économiques fait partie de l’arsenal stratégique des partis nationalistes qui tendent à prospérer ces temps.<br /><br />Alors ces féministes retournées, alliées involontaires d’un post-colonialisme ou nationalistes convaincues ? Les effets de la mondialisation ont conduit à des replis identitaires assez caractéristiques d’une peur diffuse, celle de la disparition annoncée du monde «d’avant» si rassurant. En Europe, les nationalismes ont fleuri sur ce terreau et les gauches radicales via les altermondialistes ont activement participé au mouvement délaissant les luttes contre le capital, le patriarcat et le racisme. En France, on retrouve des féministes au barrage de Sivens mais pas à Créteil pour protester conte l’agression antisémite doublée d’un viol. Un des exemples les plus frappants de ce nationalisme civique auquel adhèrent certaines féministes est le séparatisme catalan. En l’occurrence, la plupart des associations féministes de Catalogne ont pris fait et cause pour l’indépendance sans se poser plus de questions.<br /><br />A moins de faire partie du peuple catalan, vous avez peu de chance d’être inclus-e. L’entre-soi règne en maître et les féministes se font le relais inconditionnel des discours et pratiques nationalistes excluantes du gouvernement d’Artur Mas, ultraconservateur pur jus. Seule langue utilisée : le catalan, ce qui laisse peu de chances aux femmes migrantes qui viennent principalement d’Amérique latine de participer, d’autant moins qu’elles parlent l’espagnol, la langue de l’ennemi. Quant à celles qui ont franchi la Méditerranée, ce n’est même pas la peine d’y penser. On est loin des communications multilingues de la Marche Mondiale des Femmes qui cherchent à intégrer au maximum. Non, ici c’est la Catalogne aux Catalan-e-s.<br /><br />En s’enfermant de la sorte, on mobilise en petit comité. Dernier fait marquant le 22 octobre dernier, la Vaga de totes : autrement dit, la grève de toutes qui, comme son slogan le suggérait, se voulait massive. Si le mot d’ordre de la manifestation était louable (Lutte contre la précarité, les inégalités, la corruption etc) pourquoi ne pas y associer toutes les femmes ? La langue est un vecteur d’inclusion comme d’exclusion sociale. Alors à part occuper quelques minutes quatre rues à Barcelone, investir une station de métro et rassembler moins de 500 pelé-e-s Plaça Catalunya, de sorte que personne ne vous remarque, où est l’intérêt ? On est loin de l’image d’une ville bloquée dont les féministes auraient pris le contrôle comme l’ont rapporté certain-e-s en toute mauvaise foi sur Twitter. <br /><br />Avec plus d’un million d’étranger-e-s vivant sur son sol, cela vaudrait la peine pour la Catalogne en général et pour les féministes du cru en particulier de s’ouvrir à ce niveau : échanger dans différentes langues et les accepter sans discrimination pourrait être un bon point de départ. Se comprendre n’est-ce pas la base du débat ? Les grandes mobilisations contre le projet de loi contre l’avortement avaient largement rassemblé dans la société parce que les organisateurs-trices s’étaient adressé-e-s à toute la population et pas seulement à d’heureux-euses élu-e-s capables de comprendre la langue régionale. Contrer l’instrumentalisation par les politiques nationalistes est une priorité. Le plus délicat reste la question de l’indépendance (de parole et d’action cette fois) : quand on est subventionné par la Generalitat (exécutif catalan), peut-on s’exprimer autrement qu’en catalan ? Peut-on échapper aux discours et obligations nationalistes ? Les associations féministes catalanes devraient s’interroger sur ce qui les anime au fond et sur les valeurs qu’elles défendent. <br /><br />Photo © l'émiliE, <em>une vitrine d'association féministe à Barcelone avec un message contre le sexisme sur un poster indépendantiste</em></p>
Où sont les jeunes ?
2014-11-24T13:51:23+00:00
2014-11-24T13:51:23+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/655-ou-sont-les-jeunes-
Lucie Canal
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/onu.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Les nouvelles générations au sein des ONG féministes internationales. </strong><br /><br /><strong>Du 3 au 5 novembre dernier s’est tenu à Genève le NGO Forum – Beijing+20. Trois jours durant, les représentant-e-s de la société civile issue de 56 pays se sont regroupé-e-s afin de passer en revue le statut des femmes dans la région de la Commission Économique pour l’Europe (CEE-ONU). Problème : en fait de représentation, les jeunes étaient singulièrement absent-e-s.</strong></p>
<p>Ces trois journées de travail et d’échanges fructueux ont conduit à la rédaction de recommandations incluses dans le rapport final de la Commission Économique pour l’Europe. L’événement était par conséquent de taille et semblait constituer le point de rendez-vous obligatoire pour tout-e féministe de la région, quel que soit son âge. Aussi quelle ne fut pas ma surprise lorsque, scrutant la salle de réunion onusienne remplie à craquer, je notai l’absence, à mes yeux alarmante, de jeunes gens. Je ne pouvais bien évidemment pas être la seule participante en dessous de 25 ans : cela n’avait aucun sens ! Et pourtant… Alors que le NGO Forum de Genève est parvenu à réunir plus de 600 acteurs-trices impliqué-e-s dans les droits des femmes, seule une poignée de jeunes femmes était présente. Rassemblées par notre âge et notre faible représentation, nous avons décidé de nous regrouper régulièrement tout au long du forum afin de partager remarques et ressenti. Les discussions n’ont cependant cessé de revenir vers une seule et même question : qu’en est-il de notre génération ? Aussi fantastique qu’ait été l’expérience d’un forum international sur les droits des femmes, nous autres jeunes, ne nous sentions pas à notre place. Bien que la vision d’un si grand nombre d’individus engagés avec passion dans la cause féministe ne puisse qu’être une véritable source d’inspiration, nous autres jeunes, n’avions pas l’impression de disposer d’une voix. <br /><br /><strong>Sujets plutôt qu’actrices</strong><br />Des organisations internationales aux ONG, en passant par les initiatives gouvernementales : chacun se targue d’accorder une importance sans cesse croissante à la jeunesse. Mais combien peuvent se vanter d’inclure de jeunes individus au sein des processus de prise de décision? C’est là que le bât blesse. Les nouvelles générations font en effet l’objet d’un nombre grandissant de programmes. Ainsi, les organisations luttant pour les droits des femmes développent des actions telles que l’établissement d’opportunités éducatives similaires pour les garçons et les filles, ou un accès sûr à la santé reproductive. Cette évolution est louable, et l’apport de ces diverses initiatives indéniable. Cependant, les jeunes – en l’occurrence les jeunes femmes – constituent l’objet, la cible d’une action spécifique : ils sont rarement intégrés en tant qu’acteurs clé dans le fonctionnement d’une organisation. <br /><br /><strong>Le poids de l’expérience</strong><br />Il semblerait malheureusement que le monde des ONG féministes ne fasse exception à la loi régissant nos sociétés contemporaines : l’expérience prévaut. Loin de moi l’idée de dénigrer le poids de l’expérience. Nous ne pouvons que reconnaître l’importance de cette dernière dans le monde de l’activisme : les féministes expérimentées que j’ai pu observer et admirer lors du Forum de Genève connaissent sur le bout des doigts le système dans lequel la lutte pour l’égalité entre les sexes doit évoluer. Leur savoir est précieux. Néanmoins, cette expérience ne devrait pas mener à déprécier la valeur d’autres qualités, dont la jeunesse peut plus aisément se vanter. Chercher à souligner les apports de la participation des jeunes générations ne signifie pas renier le combat de nos prédécesseurs. J’ai ainsi pleinement conscience de devoir la présence du mouvement pour les droits des femmes sur la scène internationale aux activistes féministes des générations précédentes. De même, nous n’avons que respect pour les femmes et les hommes qui ont lutté avec courage et ont permis d’améliorer la condition féminine. Notre volonté de reconnaissance et d’inclusion dérive précisément du travail fourni avant nous : nous avons des opinions et souhaitons apporter une active contribution. <br /> <br /><strong>Et le harcèlement de rue ?</strong> <br />Certes, en-deçà d’un certain âge, notre expérience reste limitée. Il n’en va pas de même pour notre vécu. En tant que jeunes femmes, nous souffrons de certaines formes d’inégalité et de discrimination auxquelles les féministes plus âgées ne font pas nécessairement face. Ainsi, le harcèlement de rue, si répandu qu’il est aujourd’hui vécu comme une priorité par nombre de jeunes femmes à travers le monde, n’a pas été mentionné lors du Forum de Genève. Notre voix a de l’importance car si maintes discriminations dépassent la frontière de l’âge et unissent les femmes dans leur expérience du monde, certains problèmes touchent spécifiquement les nouvelles générations. De même, notre voix a de la valeur car notre vécu ainsi que notre jeunesse font que nous avons à offrir de nouvelles perspectives d’analyse et avons le potentiel de développer de nouvelles solutions. <br /><br /><strong>Pour une ouverture institutionnelle</strong><br />L’activisme féministe, à travers les organisations non gouvernementales, cherche à obtenir une égalité de droit et de fait entre les genres ; il travaille pour la construction d’une société plus juste. En cela, il est important qu’il se démarque par la reconnaissance de la valeur de chaque individu en tant qu’agent décisionnaire, quel que soit son âge ou son expérience. L’inclusion active des jeunes générations devrait être perçue comme une richesse à développer, non pas comme une menace ou un détail inutile. Le mouvement pour les droits des femmes, dans sa grande diversité, y gagnerait indubitablement. En effet, une ouverture institutionnelle serait en mesure d’attirer un plus grand nombre de jeunes activistes et pourrait ainsi amplifier la portée et l’impact du mouvement. Nous représentons le futur et construisons la prochaine génération de dirigeants : nos opinions et nos préoccupations comptent. <br /> <br /><strong>Une première victoire</strong><br />Les discussions menées entre jeunes lors du Forum de Genève ont conduit à la suggestion de recommandations spécifiques à notre génération. Il est essentiel de noter que ces recommandations ont reçu un accueil particulièrement chaleureux et un vif soutien de la part de l’assemblée toute entière. Ainsi, de nombreux points concernant la nécessité de renforcer la participation des jeunes femmes en tant qu’agent-e-s décisionnaires ont été intégré-e-s aux recommandations finales présentées lors de la réunion régionale. Cela est significatif pour deux raisons : d’une part, cette inclusion constitue une première victoire pour les jeunes présents lors du Forum et confirme que notre voix a bel et bien été entendue. D’autre part, cela démontre que le monde du féminisme institutionnel, et plus précisément celui des ONG internationales, n’est pas consciemment fermé aux jeunes générations – bien au contraire. Il devient cependant crucial de prendre en compte la nécessité d’ouverture et d’évolution : les organisations féministes doivent faire en sorte de respecter les recommandations qu’elles ont elles-mêmes soutenues en se tournant vers les jeunes générations. <br /><br /><br /></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/onu.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Les nouvelles générations au sein des ONG féministes internationales. </strong><br /><br /><strong>Du 3 au 5 novembre dernier s’est tenu à Genève le NGO Forum – Beijing+20. Trois jours durant, les représentant-e-s de la société civile issue de 56 pays se sont regroupé-e-s afin de passer en revue le statut des femmes dans la région de la Commission Économique pour l’Europe (CEE-ONU). Problème : en fait de représentation, les jeunes étaient singulièrement absent-e-s.</strong></p>
<p>Ces trois journées de travail et d’échanges fructueux ont conduit à la rédaction de recommandations incluses dans le rapport final de la Commission Économique pour l’Europe. L’événement était par conséquent de taille et semblait constituer le point de rendez-vous obligatoire pour tout-e féministe de la région, quel que soit son âge. Aussi quelle ne fut pas ma surprise lorsque, scrutant la salle de réunion onusienne remplie à craquer, je notai l’absence, à mes yeux alarmante, de jeunes gens. Je ne pouvais bien évidemment pas être la seule participante en dessous de 25 ans : cela n’avait aucun sens ! Et pourtant… Alors que le NGO Forum de Genève est parvenu à réunir plus de 600 acteurs-trices impliqué-e-s dans les droits des femmes, seule une poignée de jeunes femmes était présente. Rassemblées par notre âge et notre faible représentation, nous avons décidé de nous regrouper régulièrement tout au long du forum afin de partager remarques et ressenti. Les discussions n’ont cependant cessé de revenir vers une seule et même question : qu’en est-il de notre génération ? Aussi fantastique qu’ait été l’expérience d’un forum international sur les droits des femmes, nous autres jeunes, ne nous sentions pas à notre place. Bien que la vision d’un si grand nombre d’individus engagés avec passion dans la cause féministe ne puisse qu’être une véritable source d’inspiration, nous autres jeunes, n’avions pas l’impression de disposer d’une voix. <br /><br /><strong>Sujets plutôt qu’actrices</strong><br />Des organisations internationales aux ONG, en passant par les initiatives gouvernementales : chacun se targue d’accorder une importance sans cesse croissante à la jeunesse. Mais combien peuvent se vanter d’inclure de jeunes individus au sein des processus de prise de décision? C’est là que le bât blesse. Les nouvelles générations font en effet l’objet d’un nombre grandissant de programmes. Ainsi, les organisations luttant pour les droits des femmes développent des actions telles que l’établissement d’opportunités éducatives similaires pour les garçons et les filles, ou un accès sûr à la santé reproductive. Cette évolution est louable, et l’apport de ces diverses initiatives indéniable. Cependant, les jeunes – en l’occurrence les jeunes femmes – constituent l’objet, la cible d’une action spécifique : ils sont rarement intégrés en tant qu’acteurs clé dans le fonctionnement d’une organisation. <br /><br /><strong>Le poids de l’expérience</strong><br />Il semblerait malheureusement que le monde des ONG féministes ne fasse exception à la loi régissant nos sociétés contemporaines : l’expérience prévaut. Loin de moi l’idée de dénigrer le poids de l’expérience. Nous ne pouvons que reconnaître l’importance de cette dernière dans le monde de l’activisme : les féministes expérimentées que j’ai pu observer et admirer lors du Forum de Genève connaissent sur le bout des doigts le système dans lequel la lutte pour l’égalité entre les sexes doit évoluer. Leur savoir est précieux. Néanmoins, cette expérience ne devrait pas mener à déprécier la valeur d’autres qualités, dont la jeunesse peut plus aisément se vanter. Chercher à souligner les apports de la participation des jeunes générations ne signifie pas renier le combat de nos prédécesseurs. J’ai ainsi pleinement conscience de devoir la présence du mouvement pour les droits des femmes sur la scène internationale aux activistes féministes des générations précédentes. De même, nous n’avons que respect pour les femmes et les hommes qui ont lutté avec courage et ont permis d’améliorer la condition féminine. Notre volonté de reconnaissance et d’inclusion dérive précisément du travail fourni avant nous : nous avons des opinions et souhaitons apporter une active contribution. <br /> <br /><strong>Et le harcèlement de rue ?</strong> <br />Certes, en-deçà d’un certain âge, notre expérience reste limitée. Il n’en va pas de même pour notre vécu. En tant que jeunes femmes, nous souffrons de certaines formes d’inégalité et de discrimination auxquelles les féministes plus âgées ne font pas nécessairement face. Ainsi, le harcèlement de rue, si répandu qu’il est aujourd’hui vécu comme une priorité par nombre de jeunes femmes à travers le monde, n’a pas été mentionné lors du Forum de Genève. Notre voix a de l’importance car si maintes discriminations dépassent la frontière de l’âge et unissent les femmes dans leur expérience du monde, certains problèmes touchent spécifiquement les nouvelles générations. De même, notre voix a de la valeur car notre vécu ainsi que notre jeunesse font que nous avons à offrir de nouvelles perspectives d’analyse et avons le potentiel de développer de nouvelles solutions. <br /><br /><strong>Pour une ouverture institutionnelle</strong><br />L’activisme féministe, à travers les organisations non gouvernementales, cherche à obtenir une égalité de droit et de fait entre les genres ; il travaille pour la construction d’une société plus juste. En cela, il est important qu’il se démarque par la reconnaissance de la valeur de chaque individu en tant qu’agent décisionnaire, quel que soit son âge ou son expérience. L’inclusion active des jeunes générations devrait être perçue comme une richesse à développer, non pas comme une menace ou un détail inutile. Le mouvement pour les droits des femmes, dans sa grande diversité, y gagnerait indubitablement. En effet, une ouverture institutionnelle serait en mesure d’attirer un plus grand nombre de jeunes activistes et pourrait ainsi amplifier la portée et l’impact du mouvement. Nous représentons le futur et construisons la prochaine génération de dirigeants : nos opinions et nos préoccupations comptent. <br /> <br /><strong>Une première victoire</strong><br />Les discussions menées entre jeunes lors du Forum de Genève ont conduit à la suggestion de recommandations spécifiques à notre génération. Il est essentiel de noter que ces recommandations ont reçu un accueil particulièrement chaleureux et un vif soutien de la part de l’assemblée toute entière. Ainsi, de nombreux points concernant la nécessité de renforcer la participation des jeunes femmes en tant qu’agent-e-s décisionnaires ont été intégré-e-s aux recommandations finales présentées lors de la réunion régionale. Cela est significatif pour deux raisons : d’une part, cette inclusion constitue une première victoire pour les jeunes présents lors du Forum et confirme que notre voix a bel et bien été entendue. D’autre part, cela démontre que le monde du féminisme institutionnel, et plus précisément celui des ONG internationales, n’est pas consciemment fermé aux jeunes générations – bien au contraire. Il devient cependant crucial de prendre en compte la nécessité d’ouverture et d’évolution : les organisations féministes doivent faire en sorte de respecter les recommandations qu’elles ont elles-mêmes soutenues en se tournant vers les jeunes générations. <br /><br /><br /></p>
Barbie geek
2014-11-21T05:41:02+00:00
2014-11-21T05:41:02+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/653-barbie-geek
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/barbie.png" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Avant Noël, une Barbie geek vient d’être mise sur la marché avec le petit manuel destiné à guider les enfants dans leurs jeux. Sauf que la pauvre y est présentée comme une gourdasse face à un ordinateur. Les réseaux sociaux ont immédiatement réagi.</strong><br /><br />Le fabricant Mattel qui pensait clouer le bec une bonne fois pour toutes aux féministes en faisant sortir Barbie de son rôle traditionnel de princesse avec le lancement d’une poupée ingénieure s’est retrouvé avec le sien (de bec) dans l’eau. Dans le guide du déroulement de la journée de la célèbre poupée en plastique intitulé <em>Barbie, I can be a computer engineer</em>, on la voit évoluer dans des rôles subalternes : elle avoue être web-designer tandis que les garçons codent. On découvre ensuite qu’elle infecte son ordinateur de façon malencontreuse, mais ses potes Brian et Steven vont la sauver. Bref, une princesse comme d’hab.<br /><br />Du coup, les codeuses, en chair et en os celles-là, ont réagi en détournant le petit livre de Mattel à l’instar de Casey Fieseler qui le met en ligne sous le titre de <span style="text-decoration: underline;"><a href="http://caseyfiesler.com/2014/11/18/barbie-remixed-i-really-can-be-a-computer-engineer/"><em>Barbie, remixed : I (really !) can be a computer engineer</em></a>.</span> Au passage, la doctorante en profite pour rappeler la réalité des femmes qui travaillent dans le domaine des nouvelles technologies. Le hashtag <span style="text-decoration: underline;"><a href="https://twitter.com/hashtag/FeministHackerBarbie?src=hash">#FeministHackerBarbie</a> </span>donne une idée de la profusion et de la créativité de ces ingénieures. La plupart de ces productions sont visibles sur les sites de The Verge et<span style="text-decoration: underline;"> I<a href="http://mic.com/articles/104602/the-internet-has-a-perfect-response-to-the-barbie-programming-book-sexism">dentities.Mics</a></span>.<br /><br />Depuis sa création, Barbie a la norme et le sexisme chevillés au corps et les caricatures et autres détournements l’accompagnent depuis des années. L’artiste et chercheur Nickolay Lamm propose une Barbie/ Lammy aux mensurations moyennes d’une Etasunienne de 19 ans avec l’acné, la cellulite et les vergetures en prime. Pour l’artiste, «c’est normal d’en avoir et il n’y a pas à en avoir honte». Pour lui, le monde est riche de diversité et dans la vie, il y a autre chose que Barbie.</p>
<p>Illustration Casey Fieseler</p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/barbie.png" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Avant Noël, une Barbie geek vient d’être mise sur la marché avec le petit manuel destiné à guider les enfants dans leurs jeux. Sauf que la pauvre y est présentée comme une gourdasse face à un ordinateur. Les réseaux sociaux ont immédiatement réagi.</strong><br /><br />Le fabricant Mattel qui pensait clouer le bec une bonne fois pour toutes aux féministes en faisant sortir Barbie de son rôle traditionnel de princesse avec le lancement d’une poupée ingénieure s’est retrouvé avec le sien (de bec) dans l’eau. Dans le guide du déroulement de la journée de la célèbre poupée en plastique intitulé <em>Barbie, I can be a computer engineer</em>, on la voit évoluer dans des rôles subalternes : elle avoue être web-designer tandis que les garçons codent. On découvre ensuite qu’elle infecte son ordinateur de façon malencontreuse, mais ses potes Brian et Steven vont la sauver. Bref, une princesse comme d’hab.<br /><br />Du coup, les codeuses, en chair et en os celles-là, ont réagi en détournant le petit livre de Mattel à l’instar de Casey Fieseler qui le met en ligne sous le titre de <span style="text-decoration: underline;"><a href="http://caseyfiesler.com/2014/11/18/barbie-remixed-i-really-can-be-a-computer-engineer/"><em>Barbie, remixed : I (really !) can be a computer engineer</em></a>.</span> Au passage, la doctorante en profite pour rappeler la réalité des femmes qui travaillent dans le domaine des nouvelles technologies. Le hashtag <span style="text-decoration: underline;"><a href="https://twitter.com/hashtag/FeministHackerBarbie?src=hash">#FeministHackerBarbie</a> </span>donne une idée de la profusion et de la créativité de ces ingénieures. La plupart de ces productions sont visibles sur les sites de The Verge et<span style="text-decoration: underline;"> I<a href="http://mic.com/articles/104602/the-internet-has-a-perfect-response-to-the-barbie-programming-book-sexism">dentities.Mics</a></span>.<br /><br />Depuis sa création, Barbie a la norme et le sexisme chevillés au corps et les caricatures et autres détournements l’accompagnent depuis des années. L’artiste et chercheur Nickolay Lamm propose une Barbie/ Lammy aux mensurations moyennes d’une Etasunienne de 19 ans avec l’acné, la cellulite et les vergetures en prime. Pour l’artiste, «c’est normal d’en avoir et il n’y a pas à en avoir honte». Pour lui, le monde est riche de diversité et dans la vie, il y a autre chose que Barbie.</p>
<p>Illustration Casey Fieseler</p>
L'échappée et l'autodéfense féministe
2014-11-18T05:05:29+00:00
2014-11-18T05:05:29+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/650-lechappee-et-lautodefense-feministe-
Hélène Blanchard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/profils-autodefense.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Former de nouvelles monitrices d'autodéfense féministes, tel est le nouveau projet de l’Échappée, l'association genevoise qui soutient les initiatives collectives de femmes, à travers sa nouvelle campagne d'appel à dons. Après les chantiers-écoles non-mixtes, les féministes de l'</strong><strong><strong>Échappée</strong> entendent ouvrir aux femmes de nouvelles perspectives en leur proposant toujours plus d'outils pour leur émancipation.</strong><br /><br />Elles partent d'un constat simple : les demandes en stages d'auto-défense, que ce soit des particulières ou des institutions, se sont démultipliées en zone francophone européenne (Suisse, France et Belgique) ces dernières années, et l'offre ne suit pas, faute de suffisamment de monitrices. Ce qui laisse le champ libre à des pratiques tel le self-defense ou le krav-maga qui fleurissent un peu partout alors qu'elles ne sont pas adaptées aux réalités sociales et quotidiennes des femmes. En effet, de nombreux cours leur sont proposés par des hommes qui ne mesurent pas forcément leurs attentes : ces enseignements sont très souvent orientés vers les arts martiaux, dont la pratique s'inscrit dans un contexte hiérarchique et traditionnel alors que les femmes qui suivent des cours d'autodéfense le font pour prendre le contrôle de leur vie et la rendre plus sûre. L’autodéfense est un outil de prévention qui a pour objectif d’empêcher que la violence n’ait lieu.<br /><br /><span class="texte_article"><span class="texte_article">Les cours d’autodéfense féministe insistent sur les méthodes qui permettent de mettre un terme à la violence le plus tôt possible, avant que l'agression physique ne se produise. D'où l'importance des stratégies verbales et du travail sur la confiance en soi. La force physique ne fait pas tout. </span></span>Il y a donc un vrai enjeu à soutenir des méthodes d'autodéfense clairement féministes qui partent des situations de violence faites aux femmes et participent à briser la spirale de la violence en apprenant aux femmes à se protéger et à protéger leur entourage (enfants, amies, etc). Les informations fournies sur les aspects juridiques entourant les violences conjugales et la légitime défense peuvent permettre aux bénéficiaires de s'orienter plus facilement vers d'autres structures déjà existantes. Ainsi les femmes deviennent actrices de prévention sur les violences qui leur sont faites, ainsi qu'animatrices de prévention relais auprès de leur entourage.</p>
<p>C'est pourquoi l'association l’Échappée, qui récolte des fonds pour des projets féministes et collectifs, a décidé de lancer une campagne d'appel à dons pour lancer une nouvelle formation de monitrices. Il s'agit de réunir 22 000 CHF sur un budget total de 68 000 CHF, pour une formation qui devrait débuter à la fin de l'année 2015 et se poursuivre en 2016.<br /><br />Si vous voulez soutenir l'association, vous pouvez envoyer votre contribution sur le CCP 12-852744-9 ou par virement bancaire : Banque Postale IBAN CH93 0900 0000 1285 2744 9. Tout don quel qu’en soit le montant, est le bienvenu.<br />Pour recevoir les informations sur les prochaines soirées de présentation écrivez à [email protected] ou à l’Échappée, c/o Lestime, rue de l'Industrie 5, 1201 Genève.</p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/profils-autodefense.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Former de nouvelles monitrices d'autodéfense féministes, tel est le nouveau projet de l’Échappée, l'association genevoise qui soutient les initiatives collectives de femmes, à travers sa nouvelle campagne d'appel à dons. Après les chantiers-écoles non-mixtes, les féministes de l'</strong><strong><strong>Échappée</strong> entendent ouvrir aux femmes de nouvelles perspectives en leur proposant toujours plus d'outils pour leur émancipation.</strong><br /><br />Elles partent d'un constat simple : les demandes en stages d'auto-défense, que ce soit des particulières ou des institutions, se sont démultipliées en zone francophone européenne (Suisse, France et Belgique) ces dernières années, et l'offre ne suit pas, faute de suffisamment de monitrices. Ce qui laisse le champ libre à des pratiques tel le self-defense ou le krav-maga qui fleurissent un peu partout alors qu'elles ne sont pas adaptées aux réalités sociales et quotidiennes des femmes. En effet, de nombreux cours leur sont proposés par des hommes qui ne mesurent pas forcément leurs attentes : ces enseignements sont très souvent orientés vers les arts martiaux, dont la pratique s'inscrit dans un contexte hiérarchique et traditionnel alors que les femmes qui suivent des cours d'autodéfense le font pour prendre le contrôle de leur vie et la rendre plus sûre. L’autodéfense est un outil de prévention qui a pour objectif d’empêcher que la violence n’ait lieu.<br /><br /><span class="texte_article"><span class="texte_article">Les cours d’autodéfense féministe insistent sur les méthodes qui permettent de mettre un terme à la violence le plus tôt possible, avant que l'agression physique ne se produise. D'où l'importance des stratégies verbales et du travail sur la confiance en soi. La force physique ne fait pas tout. </span></span>Il y a donc un vrai enjeu à soutenir des méthodes d'autodéfense clairement féministes qui partent des situations de violence faites aux femmes et participent à briser la spirale de la violence en apprenant aux femmes à se protéger et à protéger leur entourage (enfants, amies, etc). Les informations fournies sur les aspects juridiques entourant les violences conjugales et la légitime défense peuvent permettre aux bénéficiaires de s'orienter plus facilement vers d'autres structures déjà existantes. Ainsi les femmes deviennent actrices de prévention sur les violences qui leur sont faites, ainsi qu'animatrices de prévention relais auprès de leur entourage.</p>
<p>C'est pourquoi l'association l’Échappée, qui récolte des fonds pour des projets féministes et collectifs, a décidé de lancer une campagne d'appel à dons pour lancer une nouvelle formation de monitrices. Il s'agit de réunir 22 000 CHF sur un budget total de 68 000 CHF, pour une formation qui devrait débuter à la fin de l'année 2015 et se poursuivre en 2016.<br /><br />Si vous voulez soutenir l'association, vous pouvez envoyer votre contribution sur le CCP 12-852744-9 ou par virement bancaire : Banque Postale IBAN CH93 0900 0000 1285 2744 9. Tout don quel qu’en soit le montant, est le bienvenu.<br />Pour recevoir les informations sur les prochaines soirées de présentation écrivez à [email protected] ou à l’Échappée, c/o Lestime, rue de l'Industrie 5, 1201 Genève.</p>
L'éducation des garçons à revoir
2014-11-13T03:38:01+00:00
2014-11-13T03:38:01+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/648-leducation-des-garcons-a-revoir
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/recre.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>En cette quinzaine de l’égalité genevoise et cette conférence sur la virilité annoncée à grand renfort de trompettes par l’Etat, il est intéressant de constater qu’en dépit des efforts déployés, le pays tout entier a tendance à régresser si l’on en croit les statistiques : l’égalité perd du terrain. Que faire ? Peut-être déjà résoudre un paradoxe fondamental et revoir toute l’éducation des garçons et pas seulement à l’école.</strong><br /><br />Les sociétés occidentales prônent le principe d’égalité hommes-femmes en l’inscrivant dans la loi, en instaurant des quotas pour rééquilibrer la représentation et corriger les rapports de force, en éduquant les enfants dans cette perspective juste, en s’essayant aux politiques d’équité. Sauf que la réalité est tout autre : les inégalités structurent le système social dans son entier. Il ne suffit peut-être pas seulement d’initier très tôt les petits à ce beau principe d’égalité. Peut-être faudrait-il repérer là où ça coince : école, famille, travail, société. En regardant plus précisément comment les adultes projettent leurs ambitions, leurs frustrations, leurs rêves, leurs cauchemars sur leur progéniture. Quels impacts ont ensuite ces projections sur la construction des identités des enfants ? Simone de Beauvoir avait déjà eu l’intuition que ça ne serait pas du tout cuit pour les filles : la route est très longue, semée d’embûches et de paradoxes pour devenir une femme, une vraie. Mais c’est un peu le même topo pour les garçons : il faudra se conformer, se soumettre, correspondre à son genre pour être en règle avec les attentes de toute une société. Il s’agira de réprimer ses émotions, ses envies, de s’éloigner de qui on est, de rester à bonne distance des autres. <br /><br />La fabrique des garçons évoquée par Sylvie Ayral, professeure agrégée, docteure en sciences de l'éducation, décrit ces processus qui vont peu à peu modeler, formater l’individu de sexe masculin pour le faire entrer dans la catégorie «homme». Elle montre comment les garçons sont pris entre deux systèmes normatifs avec pour conséquence une injonction paradoxale. Le premier, à l’école, transmet «les valeurs de calme, de sagesse, de travail, d’obéissance, de discrétion, vertus traditionnellement associées à la féminité». Le second, selon Sylvie Ayral, est «relayé par la communauté des pairs et la société civile et valorise les comportements virils et encourage les garçons à tout le contraire : enfreindre les règles, se montrer insolents, jouer les fumistes, monopoliser l’attention, l’espace, faire usage de leur force physique, s’afficher comme sexuellement dominants». Il s’agit ici de se démarquer de tout ce qui est assimilé au «féminin» y compris à l’intérieur de la catégorie «garçons». <br /><br />Cette masculinité hégémonique, productrice de sexisme et d’homophobie, constitue un frein pour ne pas dire un obstacle majeur à l’égalité réelle. Quels que soient les espaces (sport, culture, loisirs), les garçons occupent le terrain. Ces activités en dehors de l’école favorisent elles aussi la construction d’identités sexuées stéréotypées. Quant à la famille, c’est le foyer des inégalités de genre par excellence. Les parents vont adopter des comportements et des attentes différents en fonction du genre de leur enfant, consciemment ou non. La force d'inertie des structures sociales est telle que là encore, cet espace ne peut hélas reproduire que des modèles sexistes. L’école ne fera à la suite que légitimer ces inégalités.<br /><br />Dès lors, comment arriver à une plus grande fluidité des rôles de genre entre filles et garçons ? Agir au niveau de l’école seule ne suffit pas. C’est la société dans son entier qui est concernée et qui doit revoir l’éducation des garçons dans tous les espaces, privés et publics. Ce qui suppose questionner la valorisation systématique d’une virilité fantasmée et impossible à atteindre pour la plupart des hommes en devenir. Cela passe par un réajustement des représentations masculines dans les médias et la publicité pour que les modèles proposés aux plus jeunes véhiculent des normes moins contraignantes, plus variées, moins genrées. Quant aux réseaux sociaux, en particulier ceux fréquentés par les jeunes, il est temps que les Snapchat, Whatsapp, Ask.fm, Line mettent en place des outils pour éliminer les contenus sexistes et LGBTphobes de leurs plateformes. L’idée est bien d’investir tous les espaces pour influer la construction identitaire masculine. Et d’arrêter de faire porter les efforts sur les filles uniquement. <br /><br /><br />Photo DR<br /><br />Simone de Beauvoir, <em>Le Deuxième Sexe</em>, tome II, éd. Gallimard, 1949, rééd. Folio essais, 1976, 654 p.<br /><br />Sylvie Ayral, <em>La fabrique des garçons : sanctions et genre au collège</em>, 2011, Presses Universitaires de France, 204 p.</p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/recre.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>En cette quinzaine de l’égalité genevoise et cette conférence sur la virilité annoncée à grand renfort de trompettes par l’Etat, il est intéressant de constater qu’en dépit des efforts déployés, le pays tout entier a tendance à régresser si l’on en croit les statistiques : l’égalité perd du terrain. Que faire ? Peut-être déjà résoudre un paradoxe fondamental et revoir toute l’éducation des garçons et pas seulement à l’école.</strong><br /><br />Les sociétés occidentales prônent le principe d’égalité hommes-femmes en l’inscrivant dans la loi, en instaurant des quotas pour rééquilibrer la représentation et corriger les rapports de force, en éduquant les enfants dans cette perspective juste, en s’essayant aux politiques d’équité. Sauf que la réalité est tout autre : les inégalités structurent le système social dans son entier. Il ne suffit peut-être pas seulement d’initier très tôt les petits à ce beau principe d’égalité. Peut-être faudrait-il repérer là où ça coince : école, famille, travail, société. En regardant plus précisément comment les adultes projettent leurs ambitions, leurs frustrations, leurs rêves, leurs cauchemars sur leur progéniture. Quels impacts ont ensuite ces projections sur la construction des identités des enfants ? Simone de Beauvoir avait déjà eu l’intuition que ça ne serait pas du tout cuit pour les filles : la route est très longue, semée d’embûches et de paradoxes pour devenir une femme, une vraie. Mais c’est un peu le même topo pour les garçons : il faudra se conformer, se soumettre, correspondre à son genre pour être en règle avec les attentes de toute une société. Il s’agira de réprimer ses émotions, ses envies, de s’éloigner de qui on est, de rester à bonne distance des autres. <br /><br />La fabrique des garçons évoquée par Sylvie Ayral, professeure agrégée, docteure en sciences de l'éducation, décrit ces processus qui vont peu à peu modeler, formater l’individu de sexe masculin pour le faire entrer dans la catégorie «homme». Elle montre comment les garçons sont pris entre deux systèmes normatifs avec pour conséquence une injonction paradoxale. Le premier, à l’école, transmet «les valeurs de calme, de sagesse, de travail, d’obéissance, de discrétion, vertus traditionnellement associées à la féminité». Le second, selon Sylvie Ayral, est «relayé par la communauté des pairs et la société civile et valorise les comportements virils et encourage les garçons à tout le contraire : enfreindre les règles, se montrer insolents, jouer les fumistes, monopoliser l’attention, l’espace, faire usage de leur force physique, s’afficher comme sexuellement dominants». Il s’agit ici de se démarquer de tout ce qui est assimilé au «féminin» y compris à l’intérieur de la catégorie «garçons». <br /><br />Cette masculinité hégémonique, productrice de sexisme et d’homophobie, constitue un frein pour ne pas dire un obstacle majeur à l’égalité réelle. Quels que soient les espaces (sport, culture, loisirs), les garçons occupent le terrain. Ces activités en dehors de l’école favorisent elles aussi la construction d’identités sexuées stéréotypées. Quant à la famille, c’est le foyer des inégalités de genre par excellence. Les parents vont adopter des comportements et des attentes différents en fonction du genre de leur enfant, consciemment ou non. La force d'inertie des structures sociales est telle que là encore, cet espace ne peut hélas reproduire que des modèles sexistes. L’école ne fera à la suite que légitimer ces inégalités.<br /><br />Dès lors, comment arriver à une plus grande fluidité des rôles de genre entre filles et garçons ? Agir au niveau de l’école seule ne suffit pas. C’est la société dans son entier qui est concernée et qui doit revoir l’éducation des garçons dans tous les espaces, privés et publics. Ce qui suppose questionner la valorisation systématique d’une virilité fantasmée et impossible à atteindre pour la plupart des hommes en devenir. Cela passe par un réajustement des représentations masculines dans les médias et la publicité pour que les modèles proposés aux plus jeunes véhiculent des normes moins contraignantes, plus variées, moins genrées. Quant aux réseaux sociaux, en particulier ceux fréquentés par les jeunes, il est temps que les Snapchat, Whatsapp, Ask.fm, Line mettent en place des outils pour éliminer les contenus sexistes et LGBTphobes de leurs plateformes. L’idée est bien d’investir tous les espaces pour influer la construction identitaire masculine. Et d’arrêter de faire porter les efforts sur les filles uniquement. <br /><br /><br />Photo DR<br /><br />Simone de Beauvoir, <em>Le Deuxième Sexe</em>, tome II, éd. Gallimard, 1949, rééd. Folio essais, 1976, 654 p.<br /><br />Sylvie Ayral, <em>La fabrique des garçons : sanctions et genre au collège</em>, 2011, Presses Universitaires de France, 204 p.</p>
Taxe rose sur les prix
2014-11-04T05:21:31+00:00
2014-11-04T05:21:31+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/643-taxe-rose-sur-les-prix
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/rasoir.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Les inégalités hommes-femmes se nichent partout y compris dans les prix de </strong><strong><strong>services et </strong>produits de consommation. C’est ce que relève le collectif féministe Georgette Sand qui a effectué une enquête auprès d’une grande enseigne et dans différents commerces. La taxe rose ou woman tax pénalise les femmes déjà moins payées que les hommes. En France, le ministère de l’économie réagit et en Suisse ?</strong><br /><br />C’est un fait, quand vous allez chez le coiffeur, les écarts de prix sont frappants : Comptez 80 francs pour une coupe femme contre 45 francs pour un homme. Lorsqu’on les interroge, les coiffeurs vous expliquent qu’une coupe courte pour femme est plus complexe à réaliser, certains poussent le bouchon en disant que les cheveux féminins ont une texture particulière qui demande plus d’attention (sic)… On constate les mêmes pratiques dans les teintureries : faire nettoyer une chemise d’homme vous coûtera 6 francs contre 8 francs pour votre blouse. Il en va de même pour les produits de consommation courante. Le collectif Georgette Sand a repéré quantité de cas dans la chaîne Monoprix (qui porte mal son nom) et cite entre autres le paquet de rasoirs jetables que les femmes paient 8 centimes de plus que les hommes et pour seulement 5 rasoirs, alors que le paquet pour hommes en contient 10. Au total, l’écart est de pratiquement 1 euro. Une différence certes réduite mais qui finit ajoutée aux autres, selon le collectif, par «former une injustice injustifiable». Aux Etats-Unis, des études estiment à environ 1.400 dollars par an la surtaxe payée par les femmes sur différents services et produits.<br /><br />L’effet des produits segmentés par genre est souvent défavorable aux femmes en termes de prix. La valeur ajoutée de ces gammes spécifiques pour les femmes est difficilement justifiable par les marques. Parfois, seule la couleur rose constitue «l’innovation». On se souvient du «Bic for her» vendu plus cher alors qu’il ne s’agissait que d’un stylo bille classique… mais dans les tons pastels. C’est en général la même chose pour les cosmétiques et les produits de soin en général. Les marques surfent toujours sur le postulat essentialiste de la différence des sexes : les hommes et les femmes seraient «naturellement» différents et consommeraient donc différemment. Le communiqué de Monoprix va dans ce sens : «la composition du modèle femme induit un surcoût de fabrication». Pourtant, à bien y regarder, les deux rasoirs se ressemblent étrangement.<br /><br />Une pétition initiée par le collectif féministe rassemble déjà 20'000 signatures et demande à Monoprix d’homogénéiser ses prix. La secrétaire d’Etat pour les Droits des Femmes, Pascale Boistard, a pris le relais en informant le ministre de l’Economie Emmanuel Macron qui vient de lancer une enquête pour «faire une évaluation de relevés des prix sur les catégories citées par ce collectif» et «à mesurer la réalité des écarts». En Suisse aussi, il est temps d’agir sur ces pratiques inacceptables et les consommatrices devraient faire pression sur les marques et les commerces pour gommer ces inégalités. Rendez-vous sur les réseaux sociaux !<br /><br /><br />Photo DR<br /><br /></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/rasoir.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Les inégalités hommes-femmes se nichent partout y compris dans les prix de </strong><strong><strong>services et </strong>produits de consommation. C’est ce que relève le collectif féministe Georgette Sand qui a effectué une enquête auprès d’une grande enseigne et dans différents commerces. La taxe rose ou woman tax pénalise les femmes déjà moins payées que les hommes. En France, le ministère de l’économie réagit et en Suisse ?</strong><br /><br />C’est un fait, quand vous allez chez le coiffeur, les écarts de prix sont frappants : Comptez 80 francs pour une coupe femme contre 45 francs pour un homme. Lorsqu’on les interroge, les coiffeurs vous expliquent qu’une coupe courte pour femme est plus complexe à réaliser, certains poussent le bouchon en disant que les cheveux féminins ont une texture particulière qui demande plus d’attention (sic)… On constate les mêmes pratiques dans les teintureries : faire nettoyer une chemise d’homme vous coûtera 6 francs contre 8 francs pour votre blouse. Il en va de même pour les produits de consommation courante. Le collectif Georgette Sand a repéré quantité de cas dans la chaîne Monoprix (qui porte mal son nom) et cite entre autres le paquet de rasoirs jetables que les femmes paient 8 centimes de plus que les hommes et pour seulement 5 rasoirs, alors que le paquet pour hommes en contient 10. Au total, l’écart est de pratiquement 1 euro. Une différence certes réduite mais qui finit ajoutée aux autres, selon le collectif, par «former une injustice injustifiable». Aux Etats-Unis, des études estiment à environ 1.400 dollars par an la surtaxe payée par les femmes sur différents services et produits.<br /><br />L’effet des produits segmentés par genre est souvent défavorable aux femmes en termes de prix. La valeur ajoutée de ces gammes spécifiques pour les femmes est difficilement justifiable par les marques. Parfois, seule la couleur rose constitue «l’innovation». On se souvient du «Bic for her» vendu plus cher alors qu’il ne s’agissait que d’un stylo bille classique… mais dans les tons pastels. C’est en général la même chose pour les cosmétiques et les produits de soin en général. Les marques surfent toujours sur le postulat essentialiste de la différence des sexes : les hommes et les femmes seraient «naturellement» différents et consommeraient donc différemment. Le communiqué de Monoprix va dans ce sens : «la composition du modèle femme induit un surcoût de fabrication». Pourtant, à bien y regarder, les deux rasoirs se ressemblent étrangement.<br /><br />Une pétition initiée par le collectif féministe rassemble déjà 20'000 signatures et demande à Monoprix d’homogénéiser ses prix. La secrétaire d’Etat pour les Droits des Femmes, Pascale Boistard, a pris le relais en informant le ministre de l’Economie Emmanuel Macron qui vient de lancer une enquête pour «faire une évaluation de relevés des prix sur les catégories citées par ce collectif» et «à mesurer la réalité des écarts». En Suisse aussi, il est temps d’agir sur ces pratiques inacceptables et les consommatrices devraient faire pression sur les marques et les commerces pour gommer ces inégalités. Rendez-vous sur les réseaux sociaux !<br /><br /><br />Photo DR<br /><br /></p>
Le masculin ne l'emporte pas sur le féminin
2014-10-27T06:16:44+00:00
2014-10-27T06:16:44+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/637-le-masculin-ne-lemporte-pas-sur-le-feminin
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/non-le-masculin-ne-l-emporte-pas-sur-le-feminin-petite-histoire-des-resistances-de-la-langue-francaise-9791090062207_0.gif" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Le livre d’Eliane Viennot, sélectionné pour le prix Médicis, s'inscrit dans une polémique récurrente et actuelle : le sexisme véhiculé par la langue française. Dans son ouvrage, l’auteure met à jour les origines et les mécanismes d’un système qui font que des générations d'écolièr-e-s répètent inlassablement que "le masculin l'emporte sur le féminin". Son remarquable travail d'historienne décrit le long effort des grammairiens pour masculiniser le français. L'entreprise, entamée au XVIIe siècle, n'a réussi à s'imposer qu'à la fin du XIXe avec l'instruction obligatoire. Depuis, les «experts» nous expliquent que ce masculin universel est une expression du neutre…</strong><br /><br /><br />La dernière controverse sur le sujet est l’affaire du député français Julien Aubert refusant d’appeler Sandrine Mazetier «Madame la présidente» comme le stipule le règlement de l’Assemblée nationale qui aura mobilisé la fine fleur masculiniste et même l’Académie française. Cette dernière s’est en effet fendue d’une mise au point rendue publique le 10 octobre dernier. Il s’agissait ici de réaffirmer des dogmes plus que d’exposer des fondements scientifiques. Car, rappelons-le, la respectable Académie française ne compte ni linguiste, ni agrégé-e de grammaire, encore moins d’historien-ne de la langue. Comme le précise Eliane Viennot, la mission de cette assemblée pourrait tout à fait «être remplie, à moindres frais, par n’importe quelle commission d’universitaires spécialisé-e-s et habillé-e-s normalement». Mais c’est une autre histoire.<br /><br /><br /><strong>Pour l’auteure, le sexisme du français ne vient pas de la langue elle-même</strong>, mais bien des interventions effectuées sur elle depuis le XVIIe siècle par des intellectuels et des institutions qui s’opposaient à l’égalité des sexes. La domination masculine à l’œuvre dans les règles et l’usage des mots montre à quel point tous les espaces sont passés sous contrôle. Ainsi, l’argument du neutre «masculin» remonte à Vaugelas en 1647 qui affirmait dans son traité intitulé <em>Remarques sur la langue françoise</em> que «le genre masculin, étant le plus noble, doit prédominer toutes les fois que le masculin et le féminin se trouvent ensemble».<br /><br /><strong>Pourtant, sous l’Ancien Régime</strong>, des mots féminins comme <em>poétesse</em> ou <em>avocate</em> étaient déjà courants, alors que l’Académie française s’enorgueillit d’avoir inscrit ce dernier au dictionnaire… en 1935. Eliane Viennot rappelle encore que les mots dérivent d’une racine et non d’une forme masculine à laquelle il faudrait couper ou ajouter quelque chose. A partir de n’importe quelle racine, le français est apte à faire des substantifs des deux genres, des formes verbales, des adjectifs, des adverbes. Le masculin n’est que le masculin. Avant l’intervention des masculinistes, la règle qui date de 1607 énoncée par Charles Maupas disait ceci : «Tout nom concernant office d’homme est de genre masculin, et tout nom concernant la femme est féminin.» (<em>Grammaire françoise, contenant reigles très certaines</em>). Antoine Oudin la précise en 1632 dans sa <em>Grammaire françoise</em> rapportée au langage du temps: «Tous les noms de dignités et d’offices appartenants à l’homme sont masculins : pape, évêque, empereur, roi, comte, conseiller, avocat, procureur, licencié, marchand...» De même, sont féminins les noms «d’offices et conditions appartenantes aux femmes : reine, comtesse, duchesse, abbesse, nonne, conseillère, barbière». On notera que les participes présents s'accordaient eux aussi à l'époque...<br /><br />Les masculinistes peuvent toujours s’offusquer des changements que veulent introduire les féministes dans les règles de grammaire française au nom du principe d’égalité, ils oublient qu’eux-mêmes ont préféré rompre avec les usages du passé pour mieux s’imposer jusque dans les mots. Et lorsqu’ils dénoncent la féminisation, il faut d’abord y voir leur peur de perdre du terrain et du pouvoir. En fin de compte, et comme le conclut Eliane Viennot, s’agit-il de «féminiser la langue ? Non, mettre un terme à sa masculinisation».<br /><br /><strong>Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! Petite histoire des résistances de la langue française</strong>, Eliane Viennot, éditions IXE, 128 p.</p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/non-le-masculin-ne-l-emporte-pas-sur-le-feminin-petite-histoire-des-resistances-de-la-langue-francaise-9791090062207_0.gif" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Le livre d’Eliane Viennot, sélectionné pour le prix Médicis, s'inscrit dans une polémique récurrente et actuelle : le sexisme véhiculé par la langue française. Dans son ouvrage, l’auteure met à jour les origines et les mécanismes d’un système qui font que des générations d'écolièr-e-s répètent inlassablement que "le masculin l'emporte sur le féminin". Son remarquable travail d'historienne décrit le long effort des grammairiens pour masculiniser le français. L'entreprise, entamée au XVIIe siècle, n'a réussi à s'imposer qu'à la fin du XIXe avec l'instruction obligatoire. Depuis, les «experts» nous expliquent que ce masculin universel est une expression du neutre…</strong><br /><br /><br />La dernière controverse sur le sujet est l’affaire du député français Julien Aubert refusant d’appeler Sandrine Mazetier «Madame la présidente» comme le stipule le règlement de l’Assemblée nationale qui aura mobilisé la fine fleur masculiniste et même l’Académie française. Cette dernière s’est en effet fendue d’une mise au point rendue publique le 10 octobre dernier. Il s’agissait ici de réaffirmer des dogmes plus que d’exposer des fondements scientifiques. Car, rappelons-le, la respectable Académie française ne compte ni linguiste, ni agrégé-e de grammaire, encore moins d’historien-ne de la langue. Comme le précise Eliane Viennot, la mission de cette assemblée pourrait tout à fait «être remplie, à moindres frais, par n’importe quelle commission d’universitaires spécialisé-e-s et habillé-e-s normalement». Mais c’est une autre histoire.<br /><br /><br /><strong>Pour l’auteure, le sexisme du français ne vient pas de la langue elle-même</strong>, mais bien des interventions effectuées sur elle depuis le XVIIe siècle par des intellectuels et des institutions qui s’opposaient à l’égalité des sexes. La domination masculine à l’œuvre dans les règles et l’usage des mots montre à quel point tous les espaces sont passés sous contrôle. Ainsi, l’argument du neutre «masculin» remonte à Vaugelas en 1647 qui affirmait dans son traité intitulé <em>Remarques sur la langue françoise</em> que «le genre masculin, étant le plus noble, doit prédominer toutes les fois que le masculin et le féminin se trouvent ensemble».<br /><br /><strong>Pourtant, sous l’Ancien Régime</strong>, des mots féminins comme <em>poétesse</em> ou <em>avocate</em> étaient déjà courants, alors que l’Académie française s’enorgueillit d’avoir inscrit ce dernier au dictionnaire… en 1935. Eliane Viennot rappelle encore que les mots dérivent d’une racine et non d’une forme masculine à laquelle il faudrait couper ou ajouter quelque chose. A partir de n’importe quelle racine, le français est apte à faire des substantifs des deux genres, des formes verbales, des adjectifs, des adverbes. Le masculin n’est que le masculin. Avant l’intervention des masculinistes, la règle qui date de 1607 énoncée par Charles Maupas disait ceci : «Tout nom concernant office d’homme est de genre masculin, et tout nom concernant la femme est féminin.» (<em>Grammaire françoise, contenant reigles très certaines</em>). Antoine Oudin la précise en 1632 dans sa <em>Grammaire françoise</em> rapportée au langage du temps: «Tous les noms de dignités et d’offices appartenants à l’homme sont masculins : pape, évêque, empereur, roi, comte, conseiller, avocat, procureur, licencié, marchand...» De même, sont féminins les noms «d’offices et conditions appartenantes aux femmes : reine, comtesse, duchesse, abbesse, nonne, conseillère, barbière». On notera que les participes présents s'accordaient eux aussi à l'époque...<br /><br />Les masculinistes peuvent toujours s’offusquer des changements que veulent introduire les féministes dans les règles de grammaire française au nom du principe d’égalité, ils oublient qu’eux-mêmes ont préféré rompre avec les usages du passé pour mieux s’imposer jusque dans les mots. Et lorsqu’ils dénoncent la féminisation, il faut d’abord y voir leur peur de perdre du terrain et du pouvoir. En fin de compte, et comme le conclut Eliane Viennot, s’agit-il de «féminiser la langue ? Non, mettre un terme à sa masculinisation».<br /><br /><strong>Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! Petite histoire des résistances de la langue française</strong>, Eliane Viennot, éditions IXE, 128 p.</p>
"Je ne voyais que des peaux pâles"
2014-10-21T03:41:43+00:00
2014-10-21T03:41:43+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/634-je-ne-voyais-que-des-peaux-pales
Manon Legrand
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/ILLU%20main_web.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Notre épiderme protège notre corps, mais il raconte également notre histoire, notre âge, notre identité. De couleur et de grain différents chez chacun-e d'entre nous, la peau est aussi la première surface où s’exercent des discriminations à l’intersection du racisme, du sexisme et du capitalisme. </strong><strong>Un sujet d'<a href="http://axellemag.be/"><span style="text-decoration: underline;">Axelle magazine</span></a>.</strong><br /><br /><br />Matonge, quartier de Bruxelles qui concentre la population congolaise. Les boubous colorés des femmes, les effluves de poulet et le bruit des klaxons produisent un cocktail singulier. Matonge, c’est aussi des salons de coiffure et de beauté où les femmes aiment se faire bichonner en échangeant des confidences. Mais quand il s'agit de parler du blanchiment de la peau, appelé aussi dépigmentation volontaire, c'est le silence. Pourtant, cette pratique, qui consiste à s'éclaircir le teint, est courante. <br /><br />En 2009, une enquête réalisée dans le quartier par le SPF Santé publique et l'association Ethnic Cosmethic, qui vise à sensibiliser aux dangers du blanchiment, constatait que sur 103 personnes interrogées parmi les habitants de Matonge, une soixantaine, majoritairement des femmes, y avaient recours. Avec des conséquences graves sur la santé : les crèmes blanchissantes contiennent des produits chimiques très puissants, notamment des corticoïdes, de l'hydroquinone ou du mercure, responsables de taches, de brûlures ou de vergetures sur la peau, et même de tumeurs et de cancers, de diabète ou d'hypertension. La peau est un organe qui a une fonction vitale, et si cette barrière de protection est abîmée, c'est tout notre corps qui peut en pâtir. "En Belgique, les produits blanchissants sont interdits", explique Didier Etile, cosmétologue et administrateur d'Ethnic Cosmethic. Et pourtant, "on peut les trouver très facilement, les contrôles ne sont pas assez réguliers." L'enjeu n'est-il pas suffisamment important ?<br /><br /> <br /><strong>Blanchir c’est réussir</strong><br /><br />Le plus souvent, les femmes sont incitées par la pression sociale à utiliser ces crèmes pour "enlever des taches" qu'elles auraient sur la peau. "Les femmes, en tout cas dans la communauté noire, ne disent jamais ouvertement qu'elles utilisent des produits blanchissants", nous confie l’une d’elles. Le sujet est sensible car il soulève une histoire douloureuse, celle de l’esclavagisme et de la colonisation occidentale. "L’anthropologie a longtemps fondé la beauté sur la race en établissant une classification universelle. Première marque corporelle à retenir l’attention, la couleur a été utilisée pour classer l’espèce humaine en fonction de races distinctes censées être aisément reconnaissables : le "noir" était primitif, le "jaune" et le "brun" arriérés, et le "blanc", civilisé. Pour des raisons culturelles et sociales, de nombreuses sociétés considèrent la peau foncée comme un signe négatif", explique l’anthropobiologiste Gilles Boëtsch, auteur de plusieurs ouvrages sur le corps. Cette classification était de vigueur durant l’époque coloniale. Pour "réussir", la stratégie était de ressembler aux dominants, jusqu'à tenter de changer sa couleur de peau. "Cette idée persiste, s’indigne Didier Etile, "on se moque encore aujourd'hui de quelqu'un qui est trop "foncé" ! Dans l'imaginaire collectif, les femmes noires modernes devraient avoir les cheveux lisses et une peau claire..."<br /><br />La problématique n'est pas spécifique aux femmes africaines ou d'origine africaine. On l'observe également en Amérique du Sud ainsi qu’en Inde, où les héros de Bollywood à la peau claire sont considérés comme supérieurs. Aux États-Unis, le débat, fruit d'une longue histoire d'esclavagisme, est particulièrement fort. La discrimination sur la couleur de peau – spécifiquement envers les peaux noires foncées – porte même un nom : le "colourism", un terme créé au début des années 80 par l'écrivaine et militante féministe Alice Walker. <br /><br /> <br /><strong>Hâlée à tout prix</strong><br /><br />Non loin de Matonge, la chic avenue de la Toison d'or est bordée de boutiques. Les devantures affichent des images de femmes minces et hâlées, chapeau de paille sur la tête. Impossible de ne pas se sentir prise au piège : pour l'été, il faut des jambes dorées et un visage abricot. Pourtant, jusqu’au 19e siècle, la peau blanche était un symbole de réussite sociale, comme l’explique Bernard Andrieu, philosophe du corps. Le teint de porcelaine est alors l’apanage des femmes aisées tandis qu’une peau burinée par le soleil caractérise les paysannes. <br /><br />Dans les années 60, "le look bronzé devient une obligation sociale pour être intégré sans se faire remarquer tant le marketing solaire définit le bronzage comme une hygiène de l’activité corporelle". Une peau hâlée révélerait ainsi la réussite sociale, les loisirs et les vacances tandis que la blancheur renverrait à "la mauvaise santé, l’enfermement et la dépression". Pas étonnant donc que certains n'hésitent pas à s'exposer des heures au soleil (naturel ou artificiel), faisant fi des conseils de prévention sur le danger des ultraviolets : l'exposition aux rayons du soleil ou aux radiations des cabines de bronzage est la principale cause de cancer de la peau chez les femmes à peau "claire". <br /><br />Par ailleurs, le bronzage est aussi au cur d’une rhétorique raciste. La peau "bronzée" "érotise le désir par son exotisme et par sa chaleur colorée", écrit Bernard Andrieu ; quant à la peau "noire", elle évoque la mythologie raciste de la femme ou de l’homme noir "dont la sexualité serait ensauvagée et coloniale". En réalité, "personne ne veut devenir noir, seulement noir de soleil, comme si le racisme maintenait la peau blanche dans une métamorphose colorée indéfinie." Bronzer, c’est bien vu, mais il ne donc faut pas l’être trop, sinon la peau risque de se confondre avec celle de l’immigré-e, qualifié-e, dans les discours racistes, de "bronzé-e". <br /><br /> <br /><strong>Le business de la peau</strong><br /><br />Outre ces racines historiques et sociales profondes, le blanchiment est aussi directement ou indirectement encouragé par l'industrie cosmétique. Car, lorsque la "valeur" des femmes est mesurée à l'aune de leur apparence physique, les tubes de crème rapportent beaucoup d'argent Et la peau est en première ligne. "La publicité, en mettant toujours en avant des peaux claires, place les consommateurs sous pression", explique Didier Etile. Et les consommatrices en particulier. "L'industrie de la beauté, et son concept de "beauté universelle", a encouragé les peaux claires... Si bien que même les égéries "non-blanches" sont souvent des femmes métisses comme Beyoncé ou Rihanna, qui peuvent être identifiées tant du côté noir que blanc." <br /><br />Heureusement, des femmes décident d’aller à l’encontre de ces définitions étriquées et occidentalisées de la beauté. En témoigne notamment cette récente déclaration de l’actrice mexicano-kenyane Lupita Nyong’o. Propulsée à Hollywood pour son rôle dans le film <em>Twelve Years a Slave</em>, elle a confié publiquement lors de la septième cérémonie des Femmes Noires d’Hollywood, qui récompense des comédiennes afro-américaines, avoir "prié petite pour avoir une peau claire" tant on se moquait d’elle avec sa peau "couleur de nuit". Aujourd’hui, elle appelle à plus de diversité sur les écrans et dans les magazines : "Je me souviens de l’époque où moi aussi, je ne me sentais pas belle. J’allumais la télévision et je ne voyais que des peaux pâles." Ce discours, parce qu’inédit et engagé, fut relayé et applaudi par de nombreuses associations et médias étasuniens. Et contribue à sortir de l’ombre les femmes "couleur de nuit". <br /><br /> <br /><strong>Illustration © Julie Joseph</strong><br /> </p>
<hr />
<p><strong>A lire</strong><br /><br /><em>De quelle couleur sont les Blancs ?</em><br /><br />À première vue étonnante, cette question qui sert de titre au livre est en réalité profondément provocatrice. Si on attribue une couleur aux "minorités visibles", la couleur blanche serait plutôt une classe sociale qu’une catégorie raciale. En réaction aux manipulations que représente le concept de "racisme anti-Blancs", les contributeurs proposent de multiples analyses et explorations autour d’un système de domination inscrit dans l’histoire et déterminant dans la perpétuation des inégalités. <br /><br />Sous la direction de Sylvie Laurent et Thierry Leclère, La Découverte 2013. <br /><br /> </p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/ILLU%20main_web.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Notre épiderme protège notre corps, mais il raconte également notre histoire, notre âge, notre identité. De couleur et de grain différents chez chacun-e d'entre nous, la peau est aussi la première surface où s’exercent des discriminations à l’intersection du racisme, du sexisme et du capitalisme. </strong><strong>Un sujet d'<a href="http://axellemag.be/"><span style="text-decoration: underline;">Axelle magazine</span></a>.</strong><br /><br /><br />Matonge, quartier de Bruxelles qui concentre la population congolaise. Les boubous colorés des femmes, les effluves de poulet et le bruit des klaxons produisent un cocktail singulier. Matonge, c’est aussi des salons de coiffure et de beauté où les femmes aiment se faire bichonner en échangeant des confidences. Mais quand il s'agit de parler du blanchiment de la peau, appelé aussi dépigmentation volontaire, c'est le silence. Pourtant, cette pratique, qui consiste à s'éclaircir le teint, est courante. <br /><br />En 2009, une enquête réalisée dans le quartier par le SPF Santé publique et l'association Ethnic Cosmethic, qui vise à sensibiliser aux dangers du blanchiment, constatait que sur 103 personnes interrogées parmi les habitants de Matonge, une soixantaine, majoritairement des femmes, y avaient recours. Avec des conséquences graves sur la santé : les crèmes blanchissantes contiennent des produits chimiques très puissants, notamment des corticoïdes, de l'hydroquinone ou du mercure, responsables de taches, de brûlures ou de vergetures sur la peau, et même de tumeurs et de cancers, de diabète ou d'hypertension. La peau est un organe qui a une fonction vitale, et si cette barrière de protection est abîmée, c'est tout notre corps qui peut en pâtir. "En Belgique, les produits blanchissants sont interdits", explique Didier Etile, cosmétologue et administrateur d'Ethnic Cosmethic. Et pourtant, "on peut les trouver très facilement, les contrôles ne sont pas assez réguliers." L'enjeu n'est-il pas suffisamment important ?<br /><br /> <br /><strong>Blanchir c’est réussir</strong><br /><br />Le plus souvent, les femmes sont incitées par la pression sociale à utiliser ces crèmes pour "enlever des taches" qu'elles auraient sur la peau. "Les femmes, en tout cas dans la communauté noire, ne disent jamais ouvertement qu'elles utilisent des produits blanchissants", nous confie l’une d’elles. Le sujet est sensible car il soulève une histoire douloureuse, celle de l’esclavagisme et de la colonisation occidentale. "L’anthropologie a longtemps fondé la beauté sur la race en établissant une classification universelle. Première marque corporelle à retenir l’attention, la couleur a été utilisée pour classer l’espèce humaine en fonction de races distinctes censées être aisément reconnaissables : le "noir" était primitif, le "jaune" et le "brun" arriérés, et le "blanc", civilisé. Pour des raisons culturelles et sociales, de nombreuses sociétés considèrent la peau foncée comme un signe négatif", explique l’anthropobiologiste Gilles Boëtsch, auteur de plusieurs ouvrages sur le corps. Cette classification était de vigueur durant l’époque coloniale. Pour "réussir", la stratégie était de ressembler aux dominants, jusqu'à tenter de changer sa couleur de peau. "Cette idée persiste, s’indigne Didier Etile, "on se moque encore aujourd'hui de quelqu'un qui est trop "foncé" ! Dans l'imaginaire collectif, les femmes noires modernes devraient avoir les cheveux lisses et une peau claire..."<br /><br />La problématique n'est pas spécifique aux femmes africaines ou d'origine africaine. On l'observe également en Amérique du Sud ainsi qu’en Inde, où les héros de Bollywood à la peau claire sont considérés comme supérieurs. Aux États-Unis, le débat, fruit d'une longue histoire d'esclavagisme, est particulièrement fort. La discrimination sur la couleur de peau – spécifiquement envers les peaux noires foncées – porte même un nom : le "colourism", un terme créé au début des années 80 par l'écrivaine et militante féministe Alice Walker. <br /><br /> <br /><strong>Hâlée à tout prix</strong><br /><br />Non loin de Matonge, la chic avenue de la Toison d'or est bordée de boutiques. Les devantures affichent des images de femmes minces et hâlées, chapeau de paille sur la tête. Impossible de ne pas se sentir prise au piège : pour l'été, il faut des jambes dorées et un visage abricot. Pourtant, jusqu’au 19e siècle, la peau blanche était un symbole de réussite sociale, comme l’explique Bernard Andrieu, philosophe du corps. Le teint de porcelaine est alors l’apanage des femmes aisées tandis qu’une peau burinée par le soleil caractérise les paysannes. <br /><br />Dans les années 60, "le look bronzé devient une obligation sociale pour être intégré sans se faire remarquer tant le marketing solaire définit le bronzage comme une hygiène de l’activité corporelle". Une peau hâlée révélerait ainsi la réussite sociale, les loisirs et les vacances tandis que la blancheur renverrait à "la mauvaise santé, l’enfermement et la dépression". Pas étonnant donc que certains n'hésitent pas à s'exposer des heures au soleil (naturel ou artificiel), faisant fi des conseils de prévention sur le danger des ultraviolets : l'exposition aux rayons du soleil ou aux radiations des cabines de bronzage est la principale cause de cancer de la peau chez les femmes à peau "claire". <br /><br />Par ailleurs, le bronzage est aussi au cur d’une rhétorique raciste. La peau "bronzée" "érotise le désir par son exotisme et par sa chaleur colorée", écrit Bernard Andrieu ; quant à la peau "noire", elle évoque la mythologie raciste de la femme ou de l’homme noir "dont la sexualité serait ensauvagée et coloniale". En réalité, "personne ne veut devenir noir, seulement noir de soleil, comme si le racisme maintenait la peau blanche dans une métamorphose colorée indéfinie." Bronzer, c’est bien vu, mais il ne donc faut pas l’être trop, sinon la peau risque de se confondre avec celle de l’immigré-e, qualifié-e, dans les discours racistes, de "bronzé-e". <br /><br /> <br /><strong>Le business de la peau</strong><br /><br />Outre ces racines historiques et sociales profondes, le blanchiment est aussi directement ou indirectement encouragé par l'industrie cosmétique. Car, lorsque la "valeur" des femmes est mesurée à l'aune de leur apparence physique, les tubes de crème rapportent beaucoup d'argent Et la peau est en première ligne. "La publicité, en mettant toujours en avant des peaux claires, place les consommateurs sous pression", explique Didier Etile. Et les consommatrices en particulier. "L'industrie de la beauté, et son concept de "beauté universelle", a encouragé les peaux claires... Si bien que même les égéries "non-blanches" sont souvent des femmes métisses comme Beyoncé ou Rihanna, qui peuvent être identifiées tant du côté noir que blanc." <br /><br />Heureusement, des femmes décident d’aller à l’encontre de ces définitions étriquées et occidentalisées de la beauté. En témoigne notamment cette récente déclaration de l’actrice mexicano-kenyane Lupita Nyong’o. Propulsée à Hollywood pour son rôle dans le film <em>Twelve Years a Slave</em>, elle a confié publiquement lors de la septième cérémonie des Femmes Noires d’Hollywood, qui récompense des comédiennes afro-américaines, avoir "prié petite pour avoir une peau claire" tant on se moquait d’elle avec sa peau "couleur de nuit". Aujourd’hui, elle appelle à plus de diversité sur les écrans et dans les magazines : "Je me souviens de l’époque où moi aussi, je ne me sentais pas belle. J’allumais la télévision et je ne voyais que des peaux pâles." Ce discours, parce qu’inédit et engagé, fut relayé et applaudi par de nombreuses associations et médias étasuniens. Et contribue à sortir de l’ombre les femmes "couleur de nuit". <br /><br /> <br /><strong>Illustration © Julie Joseph</strong><br /> </p>
<hr />
<p><strong>A lire</strong><br /><br /><em>De quelle couleur sont les Blancs ?</em><br /><br />À première vue étonnante, cette question qui sert de titre au livre est en réalité profondément provocatrice. Si on attribue une couleur aux "minorités visibles", la couleur blanche serait plutôt une classe sociale qu’une catégorie raciale. En réaction aux manipulations que représente le concept de "racisme anti-Blancs", les contributeurs proposent de multiples analyses et explorations autour d’un système de domination inscrit dans l’histoire et déterminant dans la perpétuation des inégalités. <br /><br />Sous la direction de Sylvie Laurent et Thierry Leclère, La Découverte 2013. <br /><br /> </p>
Sous les casseroles, le sexisme
2014-10-13T02:16:47+00:00
2014-10-13T02:16:47+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/628-sous-les-casseroles-le-sexisme-
Perrine Pigeon
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/Cuisine.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /><br /><br /><strong>La cuisine n’est pas épargnée par le sexisme. Du contenu de nos assiettes à la répartition inégale des tâches culinaires, des stéréotypes sexistes jusqu’aux rôles différenciés dans les métiers de bouche, les fourneaux méritent un bon coup de torchon ! La cuisine est souvent une histoire de traditions : le lapin à la bière de Mamie, la crème anglaise de l’oncle Georges, le riz au poisson de la cousine Khady... On l’aime, on la déteste, on la délègue ; elle est un passe-temps ou une corvée. Une chose est sûre : elle est aussi une affaire de rôles et de liens sociaux. Par conséquent, truffée d’inégalités. <a href="http://www.axellemag.be/fr/"><span style="text-decoration: underline;">axelle magazine</span> </a></strong><strong>a mis les pieds dans le plat.</strong><br /><br /><strong>Décortiquer la mère nourricière</strong> <br />Au quotidien, nombreuses sont les femmes à porter sur leurs épaules le poids des représentations sexistes. Parce qu’elles sont femmes, elles posséderaient le sens inné du service aux autres et de la cuisine altruiste. Aussi actives soient-elles sur les plans privé et professionnel, les femmes passent toujours deux fois plus de temps aux fourneaux que les hommes : six heures par semaine, contre deux heures trente pour les messieurs. La cuisine serait-elle toujours un grand livre de recettes au goût patriarcal ?</p>
<p>Selon Patricia Mélotte, doctorante en psychologie sociale et spécialiste de la question du genre (ULB), "d’une part, la société assigne aux femmes les tâches ménagères et les soins des enfants. Elles sont élevées dans ce sens. D’autre part, on attend d’elles qu’elles y montrent plus d’intérêt que les hommes. Le tout est intériorisé, de l’ordre de l’implicite."</p>
<p>D’après Dominique, 55 ans, "il y a une différence entre cuisiner et nourrir. Cuisiner avec un grand "C", c’est du plaisir, du bonheur. Nourrir avec un petit "n", c’est de l’ordre des obligations." Sabine, 42 ans, confie : "J’adore cuisiner mais à un moment, j’en ai eu assez d’entendre tous les jours, aux mêmes heures, le "Maman, on mange quoi ?", le "Chérie, tu as acheté quoi pour le souper ?" Je travaille à temps plein, je m’occupe seule des enfants et en plus, je suis responsable du bien-être de l’estomac de chacun. Je n’ai pas le droit d’être fatiguée. Un jour, j’ai explosé et j’ai décidé d’aller voir une psychologue pour m’aider. Je culpabilisais énormément d’avoir cette remise en question. J’avais l’impression d’être une mauvaise épouse, une méchante mère." Les rappels à l’ordre, directement énoncés ou sous-jacents, culpabilisent les femmes lorsqu’elles sortent des rôles imposés par la société. En cuisine et ailleurs. <br /><br /><strong>Réduire le super-héros</strong><br />La réalité n’est pas aussi acide pour toutes les femmes. Des couples mettent en place des stratégies pour réduire le poids des tâches quotidiennes. "Mon conjoint cuisine et moi, je m’occupe de la maison. Ça s’est fait un peu naturellement en fonction des goûts et des capacités de chacun", explique Marie, 30 ans. Mais dans les faits, le partage égalitaire ne serait pas si équitable car la charge du travail invisible, c’est-à-dire l’organisation mentale du foyer, est souvent assumée par un seul membre du couple, majoritairement la femme. "Elsa cuisine car elle aime ça et personnellement, j’en suis incapable. Elle me fait même des boîtes Tupperware pour les jours où elle finit tard. Mais la gestion quotidienne, c’est pour moi : la liste des courses, l’organisation du lave-vaisselle, le paiement des factures, aller conduire et rechercher notre fils à la crèche…", confie Stéphanie, 33 ans.</p>
<p>Caricaturons un peu : lorsque dans un couple, Monsieur cuisine, il se voit attribuer toutes les caractéristiques du super-héros. Il a confectionné une tarte aux oignons ? On l’applaudit. Une purée de carottes pour les enfants ? On l’acclame. Et aux reines de l’organisation vont les miettes de sa gloire… Ainsi que l’explique Patricia Mélotte, "quand les hommes se mettent à la tâche, ils sont souvent perçus comme des héros des temps modernes. Ils sont généralement davantage récompensés car ils sortent, au regard de la société, de ce qu’ils savent faire : investir la sphère publique et ramener de l’argent au sein du foyer." La chercheuse tient à préciser : "Les hommes qui s’investissent dans les tâches quotidiennes éprouvent aussi une forme de pression de la société. Ils culpabilisent à l’idée d’abandonner leurs prescrits d’hommes. On attend d’eux qu’ils soient plus investis professionnellement que les femmes." Comment dépasser les vieux clichés qui s’accrochent à notre épluche-légumes ? "On y arriverait vraiment en éduquant les enfants différemment pour que leur processus d’identification se fasse en voyant un papa et une maman se partager les tâches", plaide Patricia Mélotte. Le partage des tâches, et la gestion mentale du foyer… <br /><br /><strong>Ficeler la notion de prestige</strong> <br />Inégalités aux fourneaux, sexisme dans les petits plats ! Au cours de l’édition française 2014 de l’émission Top Chef, les membres du jury – une femme pour quatre hommes – ne peuvent parfois pas s’empêcher de souligner le caractère "féminin" des assiettes de certaines candidates, un adjectif qui définirait plutôt les crudités que la charcuterie. En réalité, ce qui se cache derrière la soi-disant "féminité" d’un plat ne dépend pas du sexe de la cuisinière, mais de rôles sexués : aux femmes, la cuisine domestique, pragmatique, à l’abri du foyer ; aux hommes, le prestige de la gastronomie, de la technique culinaire, de la visibilité publique. "C’est vrai que mon homme a davantage tendance à sortir le grand jeu et à cuisiner quand on a des invités. On a l’impression que c’est Noël", ironise Christelle, 29 ans. "Les hommes ont investi l’univers de la gastronomie parce que c’était en dehors de la sphère domestique, donc non féminin, plus prestigieux", explique Patricia Mélotte.</p>
<p>S’il existe des cheffes reconnues, la bataille, pour elles, commence souvent dès l’école. "Pendant mes études, on avait tendance à considérer que les filles étaient plus fragiles, qu’elles géraient moins bien le stress en cuisine et qu’elles étaient, par nature, incapables de porter des casseroles lourdes. D’ailleurs, elles sont nombreuses à avoir choisi la salle et non la cuisine comme finalité", confie Olivier, 41 ans, professionnel dans la restauration. Les femmes cantonnées à leur rôle de serveuses, celles qui prennent soin des autres ? Aurore (nom d’emprunt), commise de cuisine dans un grand restaurant : "Je crois que la réalité est bien plus complexe. Ce serait réducteur de penser que toutes les femmes sont en salle. Dans certains établissements de standing, c’est même plutôt l’inverse. On a tendance à faire davantage confiance aux hommes pour le contact avec la clientèle. Une seule femme pourrait s’occuper des clients : celle du patron." <br /><br /><strong>Caraméliser le postulat du physique parfait</strong> <br />Une autre réalité colle au secteur de la restauration : les femmes seraient un outil marketing. Ingrid (nom d’emprunt), serveuse dans un bar, le confirme : "J’ai été recrutée sur la base de mon physique. D’ailleurs, mon employeur ne sélectionne que des femmes pour le service. Notre physique met de l’argent dans les caisses." Et les femmes instrumentalisées pour appâter le client ont plutôt intérêt à rentrer dans le corset de la taille 38 !</p>
<p>"La cuisine pour moi, ce sont mes éternels problèmes de poids", témoigne Caro, 35 ans. Anorexie, boulimie, grossophobie : la société dicte aux femmes ce qu’elles doivent mettre dans leur assiette (attention aux calories !), en quelle quantité (peu, surtout pas entre les repas) et avec quelles manières (le dos droit et la cuillère légère).</p>
<p>Résumons : les femmes ont encore aujourd’hui la responsabilité des estomacs familiaux. Mais quand elles veulent enfiler la toque de cheffe, on les retoque. Par ailleurs, leurs corps sont jugés, pesés et auscultés, ce qui les culpabilise d’aimer la bonne chère. Et puis quoi encore ? <br /><br /><strong>Évider le sacrifice et les interdits</strong><br />Quand la précarité nous tenaille, quand on a sous-estimé les quantités achetées ou que surgit une petite voix intérieure nous susurrant que nos proches n’ont pas eu assez, on se sacrifie. La fourchette pique, le couteau tranche, le bras se tend vers l’assiette de l’autre, l’enfant, l’invité. Comme si la capacité à partager ses protéines ne se conjuguait qu’au féminin ! L’anthropologue française Françoise Héritier l’explique clairement. Dès la Préhistoire, les femmes furent soumises à "un modèle archaïque dominant de pensée". Parce que leur corps était différent, les femmes furent catégorisées, confinées au sein de la sphère domestique, au service de la procréation et de la pérennité du groupe. Nourrir le clan par le fruit de leur cueillette, oui. Chasser, non : l’activité est technique, extérieure, virile, masculine (et lorsqu’on trouve des preuves de la participation des femmes à la chasse, on les passe facilement au presse-purée de l’Histoire).</p>
<p>En termes d’alimentation, Françoise Héritier le souligne : les femmes ont toujours été sujettes à des interdits. "Notamment dans les périodes où elles auraient eu besoin d'avoir un surplus de protéines, car enceintes ou allaitantes – je pense à l'Inde, à des sociétés africaines ou amérindiennes. Elles [les femmes] puisent donc énormément dans leur organisme sans que cela soit compensé par une nourriture convenable ; les produits "bons", la viande, le gras, etc., étant réservés prioritairement aux hommes. Ce n'est pas tant éloigné que cela de nos manières hexagonales : dans les années 40, dans ma famille paysanne auvergnate, les femmes ne s'asseyaient pas à table, mais elles servaient les hommes et mangeaient ce qui restait. Cette "pression de sélection" qui dure vraisemblablement depuis l'apparition de Néandertal, il y a 750 000 ans, a entraîné des transformations physiques. A découlé de cela le fait de privilégier les hommes grands et les femmes petites pour arriver à ces écarts de taille et de corpulence, entre hommes et femmes." Au royaume de la nourriture différenciée, l’assiette des femmes ne compterait donc que trop peu de protéines et de calcium…</p>
<p>Cette inégalité dans l’accès aux nutriments est intégrée culturellement et symboliquement : on attend d’une femme qu’elle grignote gentiment les carottes crues que requiert l’entretien de sa taille menue, et non pas qu’elle dévore à pleines dents un rôti-mayonnaise arrosé d’un demi-litre de bière (en particulier si elle est jugée "grosse", auquel cas elle est supposée faire régime). Tout cela laisse le goût amer d’une société encore trop peu égalitaire !</p>
<p>Illustration © Aline Rolis pour axelle magazine</p>
<p><img src="images/genresfeminismes/Cuisine.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /><br /><br /><strong>La cuisine n’est pas épargnée par le sexisme. Du contenu de nos assiettes à la répartition inégale des tâches culinaires, des stéréotypes sexistes jusqu’aux rôles différenciés dans les métiers de bouche, les fourneaux méritent un bon coup de torchon ! La cuisine est souvent une histoire de traditions : le lapin à la bière de Mamie, la crème anglaise de l’oncle Georges, le riz au poisson de la cousine Khady... On l’aime, on la déteste, on la délègue ; elle est un passe-temps ou une corvée. Une chose est sûre : elle est aussi une affaire de rôles et de liens sociaux. Par conséquent, truffée d’inégalités. <a href="http://www.axellemag.be/fr/"><span style="text-decoration: underline;">axelle magazine</span> </a></strong><strong>a mis les pieds dans le plat.</strong><br /><br /><strong>Décortiquer la mère nourricière</strong> <br />Au quotidien, nombreuses sont les femmes à porter sur leurs épaules le poids des représentations sexistes. Parce qu’elles sont femmes, elles posséderaient le sens inné du service aux autres et de la cuisine altruiste. Aussi actives soient-elles sur les plans privé et professionnel, les femmes passent toujours deux fois plus de temps aux fourneaux que les hommes : six heures par semaine, contre deux heures trente pour les messieurs. La cuisine serait-elle toujours un grand livre de recettes au goût patriarcal ?</p>
<p>Selon Patricia Mélotte, doctorante en psychologie sociale et spécialiste de la question du genre (ULB), "d’une part, la société assigne aux femmes les tâches ménagères et les soins des enfants. Elles sont élevées dans ce sens. D’autre part, on attend d’elles qu’elles y montrent plus d’intérêt que les hommes. Le tout est intériorisé, de l’ordre de l’implicite."</p>
<p>D’après Dominique, 55 ans, "il y a une différence entre cuisiner et nourrir. Cuisiner avec un grand "C", c’est du plaisir, du bonheur. Nourrir avec un petit "n", c’est de l’ordre des obligations." Sabine, 42 ans, confie : "J’adore cuisiner mais à un moment, j’en ai eu assez d’entendre tous les jours, aux mêmes heures, le "Maman, on mange quoi ?", le "Chérie, tu as acheté quoi pour le souper ?" Je travaille à temps plein, je m’occupe seule des enfants et en plus, je suis responsable du bien-être de l’estomac de chacun. Je n’ai pas le droit d’être fatiguée. Un jour, j’ai explosé et j’ai décidé d’aller voir une psychologue pour m’aider. Je culpabilisais énormément d’avoir cette remise en question. J’avais l’impression d’être une mauvaise épouse, une méchante mère." Les rappels à l’ordre, directement énoncés ou sous-jacents, culpabilisent les femmes lorsqu’elles sortent des rôles imposés par la société. En cuisine et ailleurs. <br /><br /><strong>Réduire le super-héros</strong><br />La réalité n’est pas aussi acide pour toutes les femmes. Des couples mettent en place des stratégies pour réduire le poids des tâches quotidiennes. "Mon conjoint cuisine et moi, je m’occupe de la maison. Ça s’est fait un peu naturellement en fonction des goûts et des capacités de chacun", explique Marie, 30 ans. Mais dans les faits, le partage égalitaire ne serait pas si équitable car la charge du travail invisible, c’est-à-dire l’organisation mentale du foyer, est souvent assumée par un seul membre du couple, majoritairement la femme. "Elsa cuisine car elle aime ça et personnellement, j’en suis incapable. Elle me fait même des boîtes Tupperware pour les jours où elle finit tard. Mais la gestion quotidienne, c’est pour moi : la liste des courses, l’organisation du lave-vaisselle, le paiement des factures, aller conduire et rechercher notre fils à la crèche…", confie Stéphanie, 33 ans.</p>
<p>Caricaturons un peu : lorsque dans un couple, Monsieur cuisine, il se voit attribuer toutes les caractéristiques du super-héros. Il a confectionné une tarte aux oignons ? On l’applaudit. Une purée de carottes pour les enfants ? On l’acclame. Et aux reines de l’organisation vont les miettes de sa gloire… Ainsi que l’explique Patricia Mélotte, "quand les hommes se mettent à la tâche, ils sont souvent perçus comme des héros des temps modernes. Ils sont généralement davantage récompensés car ils sortent, au regard de la société, de ce qu’ils savent faire : investir la sphère publique et ramener de l’argent au sein du foyer." La chercheuse tient à préciser : "Les hommes qui s’investissent dans les tâches quotidiennes éprouvent aussi une forme de pression de la société. Ils culpabilisent à l’idée d’abandonner leurs prescrits d’hommes. On attend d’eux qu’ils soient plus investis professionnellement que les femmes." Comment dépasser les vieux clichés qui s’accrochent à notre épluche-légumes ? "On y arriverait vraiment en éduquant les enfants différemment pour que leur processus d’identification se fasse en voyant un papa et une maman se partager les tâches", plaide Patricia Mélotte. Le partage des tâches, et la gestion mentale du foyer… <br /><br /><strong>Ficeler la notion de prestige</strong> <br />Inégalités aux fourneaux, sexisme dans les petits plats ! Au cours de l’édition française 2014 de l’émission Top Chef, les membres du jury – une femme pour quatre hommes – ne peuvent parfois pas s’empêcher de souligner le caractère "féminin" des assiettes de certaines candidates, un adjectif qui définirait plutôt les crudités que la charcuterie. En réalité, ce qui se cache derrière la soi-disant "féminité" d’un plat ne dépend pas du sexe de la cuisinière, mais de rôles sexués : aux femmes, la cuisine domestique, pragmatique, à l’abri du foyer ; aux hommes, le prestige de la gastronomie, de la technique culinaire, de la visibilité publique. "C’est vrai que mon homme a davantage tendance à sortir le grand jeu et à cuisiner quand on a des invités. On a l’impression que c’est Noël", ironise Christelle, 29 ans. "Les hommes ont investi l’univers de la gastronomie parce que c’était en dehors de la sphère domestique, donc non féminin, plus prestigieux", explique Patricia Mélotte.</p>
<p>S’il existe des cheffes reconnues, la bataille, pour elles, commence souvent dès l’école. "Pendant mes études, on avait tendance à considérer que les filles étaient plus fragiles, qu’elles géraient moins bien le stress en cuisine et qu’elles étaient, par nature, incapables de porter des casseroles lourdes. D’ailleurs, elles sont nombreuses à avoir choisi la salle et non la cuisine comme finalité", confie Olivier, 41 ans, professionnel dans la restauration. Les femmes cantonnées à leur rôle de serveuses, celles qui prennent soin des autres ? Aurore (nom d’emprunt), commise de cuisine dans un grand restaurant : "Je crois que la réalité est bien plus complexe. Ce serait réducteur de penser que toutes les femmes sont en salle. Dans certains établissements de standing, c’est même plutôt l’inverse. On a tendance à faire davantage confiance aux hommes pour le contact avec la clientèle. Une seule femme pourrait s’occuper des clients : celle du patron." <br /><br /><strong>Caraméliser le postulat du physique parfait</strong> <br />Une autre réalité colle au secteur de la restauration : les femmes seraient un outil marketing. Ingrid (nom d’emprunt), serveuse dans un bar, le confirme : "J’ai été recrutée sur la base de mon physique. D’ailleurs, mon employeur ne sélectionne que des femmes pour le service. Notre physique met de l’argent dans les caisses." Et les femmes instrumentalisées pour appâter le client ont plutôt intérêt à rentrer dans le corset de la taille 38 !</p>
<p>"La cuisine pour moi, ce sont mes éternels problèmes de poids", témoigne Caro, 35 ans. Anorexie, boulimie, grossophobie : la société dicte aux femmes ce qu’elles doivent mettre dans leur assiette (attention aux calories !), en quelle quantité (peu, surtout pas entre les repas) et avec quelles manières (le dos droit et la cuillère légère).</p>
<p>Résumons : les femmes ont encore aujourd’hui la responsabilité des estomacs familiaux. Mais quand elles veulent enfiler la toque de cheffe, on les retoque. Par ailleurs, leurs corps sont jugés, pesés et auscultés, ce qui les culpabilise d’aimer la bonne chère. Et puis quoi encore ? <br /><br /><strong>Évider le sacrifice et les interdits</strong><br />Quand la précarité nous tenaille, quand on a sous-estimé les quantités achetées ou que surgit une petite voix intérieure nous susurrant que nos proches n’ont pas eu assez, on se sacrifie. La fourchette pique, le couteau tranche, le bras se tend vers l’assiette de l’autre, l’enfant, l’invité. Comme si la capacité à partager ses protéines ne se conjuguait qu’au féminin ! L’anthropologue française Françoise Héritier l’explique clairement. Dès la Préhistoire, les femmes furent soumises à "un modèle archaïque dominant de pensée". Parce que leur corps était différent, les femmes furent catégorisées, confinées au sein de la sphère domestique, au service de la procréation et de la pérennité du groupe. Nourrir le clan par le fruit de leur cueillette, oui. Chasser, non : l’activité est technique, extérieure, virile, masculine (et lorsqu’on trouve des preuves de la participation des femmes à la chasse, on les passe facilement au presse-purée de l’Histoire).</p>
<p>En termes d’alimentation, Françoise Héritier le souligne : les femmes ont toujours été sujettes à des interdits. "Notamment dans les périodes où elles auraient eu besoin d'avoir un surplus de protéines, car enceintes ou allaitantes – je pense à l'Inde, à des sociétés africaines ou amérindiennes. Elles [les femmes] puisent donc énormément dans leur organisme sans que cela soit compensé par une nourriture convenable ; les produits "bons", la viande, le gras, etc., étant réservés prioritairement aux hommes. Ce n'est pas tant éloigné que cela de nos manières hexagonales : dans les années 40, dans ma famille paysanne auvergnate, les femmes ne s'asseyaient pas à table, mais elles servaient les hommes et mangeaient ce qui restait. Cette "pression de sélection" qui dure vraisemblablement depuis l'apparition de Néandertal, il y a 750 000 ans, a entraîné des transformations physiques. A découlé de cela le fait de privilégier les hommes grands et les femmes petites pour arriver à ces écarts de taille et de corpulence, entre hommes et femmes." Au royaume de la nourriture différenciée, l’assiette des femmes ne compterait donc que trop peu de protéines et de calcium…</p>
<p>Cette inégalité dans l’accès aux nutriments est intégrée culturellement et symboliquement : on attend d’une femme qu’elle grignote gentiment les carottes crues que requiert l’entretien de sa taille menue, et non pas qu’elle dévore à pleines dents un rôti-mayonnaise arrosé d’un demi-litre de bière (en particulier si elle est jugée "grosse", auquel cas elle est supposée faire régime). Tout cela laisse le goût amer d’une société encore trop peu égalitaire !</p>
<p>Illustration © Aline Rolis pour axelle magazine</p>
Prix de l'égalité 2014 pour TGNS
2014-10-06T02:31:14+00:00
2014-10-06T02:31:14+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/625-prix-de-legalite-2014-pour-tgns
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/TGNS.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Transgender Network Switzerland s’est vu décerner le prix de l’égalité de la Ville de Zurich. C’est en particulier le travail du service juridique de l’association, assuré bénévolement et gratuitement pour soutenir les personnes trans’ qui est ici récompensé. Pourtant si des progrès ont pu être mesurés en matière de droits humains, beaucoup reste à faire comme le révèle un rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI). </strong></p>
<p><br /><strong>Un service unique en Suisse</strong></p>
<p>Le service juridique de TGNS est l’unique permanence spécialisée dans les droits des personnes trans' en Suisse. Que ce soit sur des questions de papiers d’identité, d’assurance-maladie ou toutes demandes qui touchent à d’autres domaines du droit, le service donne des réponses. Les changements de prénom et/ou de la mention du sexe représentent la moitié des demandes, les refus de prise en charge par les assurances maladie un quart d’entre elles. Il est également ouvert aux proches de personnes trans’, comme les employeurs-euses, les autorités, les prestataires du monde médical et les avocat-e-s.</p>
<p>Alecs Recher, juriste et responsable du service juridique, explique que «nous conseillons les personnes individuellement, mais nous cherchons également le dialogue avec les autorités pour clarifier certaines situations et trouver une solution acceptable pour toutes les parties, ainsi que pour éviter que les mêmes problèmes se répètent». Il précise que «beaucoup des demandeurs-euses ont peu de moyens financiers et se retrouvent devant des questions juridiques complexes, qui demandent des connaissances spécialisées. Le fait que notre service juridique soit accessible, gratuit et personnalisé permet à ces personnes d’avoir les mêmes chances d’intégration socio-professionnelle.»</p>
<p>La présidente de l’association, Henry Hohmann, s’est déclarée quant à elle «heureuse de recevoir ce prix de l’égalité et nous remercions la Ville de Zurich pour son engagement. Ce prix représente une reconnaissance de notre but, à savoir la pleine égalité des droits et le respect de l’autodétermination des personnes trans’ en Suisse». Cette distinction participe à une meilleure visibilité des personnes trans’ et à la diversité de genre, dans un système juridique qui ne reconnaît actuellement que deux possibilités, femme ou homme.</p>
<p><strong> </strong></p>
<p><strong style="font-size: 10px;">La Suisse doit combler des lacunes</strong></p>
<p>Au moment où la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) publie un rapport sur les droits humains en Suisse qui dénonce encore de nombreuses lacunes, notamment dans le domaine des droits des personnes LGBT, TGNS a toute sa raison d’être et a encore du pain sur la planche. Il n’existe en effet aucune législation complète et efficace pour lutter contre le racisme, l’homophobie et la transphobie. L’urgence, aujourd’hui, est d’inscrire les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre dans l’article 261bis du Code pénal.</p>
<p>Le rapport critique notamment les points suivants :<br /> • Les droits restreints du partenariat enregistré par rapport au mariage civil, notamment en matière d’adoption ou si un ou une des deux partenaires est étranger-ère.<br /> • Les mesures médicales obligatoires – allant jusqu’à la stérilisation – pour les transexuel-le-s afin de pouvoir changer de nom ou d’état civil.<br /> • La jurisprudence ambiguë sur l’égalité de traitement dans le milieu professionnel. Ainsi, le Bureau fédéral pour l’égalité entre femmes et hommes (BFEG) n’a pas explicitement comme mission de traiter des personnes LGBT.<br /> • Les discriminations des jeunes lesbiennes, gays et transexuel-le-s dans le cadre de l’école et de la formation. De plus importantes dispositions devraient être prises. La réduction du risque de suicide, nettement plus élevé pour ces jeunes, devrait en elle-même faire l’objet de mesures spécifiques.<br /> <br /><br /></p>
<p> </p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/TGNS.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Transgender Network Switzerland s’est vu décerner le prix de l’égalité de la Ville de Zurich. C’est en particulier le travail du service juridique de l’association, assuré bénévolement et gratuitement pour soutenir les personnes trans’ qui est ici récompensé. Pourtant si des progrès ont pu être mesurés en matière de droits humains, beaucoup reste à faire comme le révèle un rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI). </strong></p>
<p><br /><strong>Un service unique en Suisse</strong></p>
<p>Le service juridique de TGNS est l’unique permanence spécialisée dans les droits des personnes trans' en Suisse. Que ce soit sur des questions de papiers d’identité, d’assurance-maladie ou toutes demandes qui touchent à d’autres domaines du droit, le service donne des réponses. Les changements de prénom et/ou de la mention du sexe représentent la moitié des demandes, les refus de prise en charge par les assurances maladie un quart d’entre elles. Il est également ouvert aux proches de personnes trans’, comme les employeurs-euses, les autorités, les prestataires du monde médical et les avocat-e-s.</p>
<p>Alecs Recher, juriste et responsable du service juridique, explique que «nous conseillons les personnes individuellement, mais nous cherchons également le dialogue avec les autorités pour clarifier certaines situations et trouver une solution acceptable pour toutes les parties, ainsi que pour éviter que les mêmes problèmes se répètent». Il précise que «beaucoup des demandeurs-euses ont peu de moyens financiers et se retrouvent devant des questions juridiques complexes, qui demandent des connaissances spécialisées. Le fait que notre service juridique soit accessible, gratuit et personnalisé permet à ces personnes d’avoir les mêmes chances d’intégration socio-professionnelle.»</p>
<p>La présidente de l’association, Henry Hohmann, s’est déclarée quant à elle «heureuse de recevoir ce prix de l’égalité et nous remercions la Ville de Zurich pour son engagement. Ce prix représente une reconnaissance de notre but, à savoir la pleine égalité des droits et le respect de l’autodétermination des personnes trans’ en Suisse». Cette distinction participe à une meilleure visibilité des personnes trans’ et à la diversité de genre, dans un système juridique qui ne reconnaît actuellement que deux possibilités, femme ou homme.</p>
<p><strong> </strong></p>
<p><strong style="font-size: 10px;">La Suisse doit combler des lacunes</strong></p>
<p>Au moment où la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) publie un rapport sur les droits humains en Suisse qui dénonce encore de nombreuses lacunes, notamment dans le domaine des droits des personnes LGBT, TGNS a toute sa raison d’être et a encore du pain sur la planche. Il n’existe en effet aucune législation complète et efficace pour lutter contre le racisme, l’homophobie et la transphobie. L’urgence, aujourd’hui, est d’inscrire les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre dans l’article 261bis du Code pénal.</p>
<p>Le rapport critique notamment les points suivants :<br /> • Les droits restreints du partenariat enregistré par rapport au mariage civil, notamment en matière d’adoption ou si un ou une des deux partenaires est étranger-ère.<br /> • Les mesures médicales obligatoires – allant jusqu’à la stérilisation – pour les transexuel-le-s afin de pouvoir changer de nom ou d’état civil.<br /> • La jurisprudence ambiguë sur l’égalité de traitement dans le milieu professionnel. Ainsi, le Bureau fédéral pour l’égalité entre femmes et hommes (BFEG) n’a pas explicitement comme mission de traiter des personnes LGBT.<br /> • Les discriminations des jeunes lesbiennes, gays et transexuel-le-s dans le cadre de l’école et de la formation. De plus importantes dispositions devraient être prises. La réduction du risque de suicide, nettement plus élevé pour ces jeunes, devrait en elle-même faire l’objet de mesures spécifiques.<br /> <br /><br /></p>
<p> </p>
Début des conférences à l'unige
2014-10-03T03:51:52+00:00
2014-10-03T03:51:52+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/624-debut-des-conferences-a-lunige
REDACTION
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/unige.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Comme chaque année, l'Université de Genève organise un cycle de conférences publiques qui débute au mois d'octobre. La qualité des intervenant-e-s donne à ces exposés un relief particulier. Les sujets sont riches et variés. On notera la présence de Pinar Selek et de Brigitte Studer. Des rendez-vous à noter dans son agenda et à surtout ne pas manquer.</strong> <br /> </p>
<p> • Lundi 27 octobre 2014 en salle S130 <br />Quarante ans après la Révolution des Œillets : retour sur l’histoire du féminisme au Portugal.<br />Anne Cova, historienne, chercheure à l’Institute of Social Sciences, Université de Lisbonne.<br /><br /> • Lundi 17 novembre 2014 en salle S130 <br />Margarete Buber-Neumann (1901–1989) : l’expérience des totalitarismes.<br />Brigitte Studer, professeure d’histoire contemporaine, Historisches Institut, Université de Berne<br /><br /> • Lundi 8 décembre 2014 en salle S130 <br />Femmes aliénées : la psychiatrie et le ‘sexe faible’ en Grande-Bretagne et en France (1850-1950).<br />Aude Fauvel, MER, Institut Romand d’histoire de la médecine et de la santé, Lausanne.<br /><br /> • Lundi 9 mars 2015 en salle R060 <br /> Le mariage en Suisse, entre sexe et race.<br />Anne Lavanchy, anthropologue, professeure et chercheure, HETS Genève.<br /><br /> • Lundi 20 avril 2015 en salle R060 <br />Les possibilités d’inventer la politique malgré la violence extrême: Les mobilisations féministes et LGBT, en Turquie.<br />Pinar Selek, sociologue, docteure en sciences politique, chercheure à l'Ecole Normale Supérieure de Lyon.<br /><br /> • Lundi 11 Mai 2015 en salle R060 <br />Maestro/ Maestra : la direction d'orchestre au prisme du genre.<br />Hyacinthe Ravet, sociologue et musicologue, Maîtresse de conférences habilitée à diriger des recherches, Université Paris-Sorbonne. </p>
<p><strong>Les lundis, entrée libre, 18h15 -20h
Uni Mail, 40 bd du Point d'Arve, Genève.</strong><br /> </p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/unige.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Comme chaque année, l'Université de Genève organise un cycle de conférences publiques qui débute au mois d'octobre. La qualité des intervenant-e-s donne à ces exposés un relief particulier. Les sujets sont riches et variés. On notera la présence de Pinar Selek et de Brigitte Studer. Des rendez-vous à noter dans son agenda et à surtout ne pas manquer.</strong> <br /> </p>
<p> • Lundi 27 octobre 2014 en salle S130 <br />Quarante ans après la Révolution des Œillets : retour sur l’histoire du féminisme au Portugal.<br />Anne Cova, historienne, chercheure à l’Institute of Social Sciences, Université de Lisbonne.<br /><br /> • Lundi 17 novembre 2014 en salle S130 <br />Margarete Buber-Neumann (1901–1989) : l’expérience des totalitarismes.<br />Brigitte Studer, professeure d’histoire contemporaine, Historisches Institut, Université de Berne<br /><br /> • Lundi 8 décembre 2014 en salle S130 <br />Femmes aliénées : la psychiatrie et le ‘sexe faible’ en Grande-Bretagne et en France (1850-1950).<br />Aude Fauvel, MER, Institut Romand d’histoire de la médecine et de la santé, Lausanne.<br /><br /> • Lundi 9 mars 2015 en salle R060 <br /> Le mariage en Suisse, entre sexe et race.<br />Anne Lavanchy, anthropologue, professeure et chercheure, HETS Genève.<br /><br /> • Lundi 20 avril 2015 en salle R060 <br />Les possibilités d’inventer la politique malgré la violence extrême: Les mobilisations féministes et LGBT, en Turquie.<br />Pinar Selek, sociologue, docteure en sciences politique, chercheure à l'Ecole Normale Supérieure de Lyon.<br /><br /> • Lundi 11 Mai 2015 en salle R060 <br />Maestro/ Maestra : la direction d'orchestre au prisme du genre.<br />Hyacinthe Ravet, sociologue et musicologue, Maîtresse de conférences habilitée à diriger des recherches, Université Paris-Sorbonne. </p>
<p><strong>Les lundis, entrée libre, 18h15 -20h
Uni Mail, 40 bd du Point d'Arve, Genève.</strong><br /> </p>
Polyamour et jalousie constructive
2014-09-16T04:09:48+00:00
2014-09-16T04:09:48+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/618-polyamour-et-jalousie-constructive
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/hiroshimafotograma.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p><strong>Une femme qui connaît des situations d’adultère, de libertinage puis de polyamour au cours de sa vie affective et sexuelle permet l’étude des modes de communication qui la lient à ses différents partenaires, notamment à son mari. C’est ce qu’analyse le socio-anthropologue Philippe Combessie dans un article qui vient de paraître dans la revue <em>Hermès</em> du CNRS. Le chercheur observe un double mouvement : une articulation de dettes et de contre-dettes au sein du couple, «qui permet d’envisager la jalousie de façon constructive», et un tri social des amant-e-s potentiel-le-s de chacun des conjoints par lequel ces derniers contrôlent les risques de mésalliance.</strong></p>
<p>Philippe Combessie étudie tout d’abord la mécanique de la jalousie affective. Une personne qui trompe son conjoint a meilleur temps de le cacher. S’il est découvert, il devra se justifier et trouver un moyen de se faire pardonner. Dans ce cas, la personne trahie dispose alors d’un atout dans ce jeu de pouvoir : il/elle m’a trompé-e, je le/la trompe à mon tour. Et ainsi s’enclenche le système de dette/contre-dette. Serait-ce œil pour œil, dent pour dent ? Le socio-anthropologue explique que l’injonction d’exclusivité sexuelle imposée aux femmes, valable en particulier pour les jeunes mariées, établit un rapport de pouvoir en leur défaveur. «Dans ce contexte déséquilibré, avec un handicap de départ qui affecte les femmes, la «trahison» que peut ressentir une jeune mariée confrontée à «l’adultère» peut devenir pour elle ultérieurement un argument de négociation lui permettant d’envisager des relations sentimentales hors du huis clos conjugal dans le cadre d’une articulation de dettes et contre-dettes».</p>
<p>Pour exemplifier sa démonstration, Philippe Combessie prend le cas d’Anne-Sophie et des «hommes de sa vie». Durant cinq ans, son mari la trompe jusqu’à ce qu’il rompe avec sa maîtresse et tente de reconstruire son couple sur de nouvelles bases : communication et ouverture. Ce qui signifie clubs échangistes ensemble, puis polyamour en se disant tout. Pour se faire pardonner, le mari pousse sa femme aux relations extra-conjugales… tout en choisissant ses amants… Jusqu’au jour où Anne-Sophie trouve un «amant de cœur» et où le mari commence à en souffrir. Le rapport de force s’est inversé. Les compteurs sont-ils pour autant remis à zéro ? Pas vraiment, puisque pour compenser, le mari veut reprendre la relation qu’il entretenait avec sa première maîtresse. La balle repasse dans le camp d’Anne-Sophie. Mari et femme doivent désormais gérer leur jalousie.</p>
<p>L’idée reçue que le polyamour offre une infinie liberté et ouvre les espaces relationnels est toutefois tempérée par le fait que, selon le chercheur, les amant-e-s sont choisis dans le même milieu socio-économique et culturel. Les mélanges restent limités sur ce point. Surtout la gestion en termes de communication et de relation devient extrêmement complexe. Quant aux dettes impossibles à inscrire dans cette logique d’échange, elles risquent de déstabiliser tout l’édifice. Dans ces conditions, tout contrôler devient difficile. Le dernier chapitre de l’article intitulé «du «feu liquide» et des risques de l’amour» fait le lien entre ce type de relation amoureuse et sa difficulté à s’inscrire dans un schéma connu et rassurant, la liquidité de la relation étant au cœur du système.</p>
<p>Les femmes hétérosexuelles sont ici sujets d'analyse. Pour changer, a-t-on envie de dire. Quid des hommes, des autres ? L'étude est-elle universelle ? L'autre remarque est l'emploi des termes financiers pour décrire les relations humaines : la société de consommation est partout et la loi du marché y règne semble-t-il...</p>
<p><br />
<strong style="font-size: 10px;"><em>Amours plurielles et communication. Dettes, contre-dettes et jalousie constructive</em>, de Philippe Combessie, numéro 69 d’Hermès, La Revue, Sexualités.</strong></p>
<p><br />Photo DR, <em>image tirée du film Hiroshima mon amour, d'Alain Resnais</em></p>
<p><img src="images/genresfeminismes/hiroshimafotograma.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p><strong>Une femme qui connaît des situations d’adultère, de libertinage puis de polyamour au cours de sa vie affective et sexuelle permet l’étude des modes de communication qui la lient à ses différents partenaires, notamment à son mari. C’est ce qu’analyse le socio-anthropologue Philippe Combessie dans un article qui vient de paraître dans la revue <em>Hermès</em> du CNRS. Le chercheur observe un double mouvement : une articulation de dettes et de contre-dettes au sein du couple, «qui permet d’envisager la jalousie de façon constructive», et un tri social des amant-e-s potentiel-le-s de chacun des conjoints par lequel ces derniers contrôlent les risques de mésalliance.</strong></p>
<p>Philippe Combessie étudie tout d’abord la mécanique de la jalousie affective. Une personne qui trompe son conjoint a meilleur temps de le cacher. S’il est découvert, il devra se justifier et trouver un moyen de se faire pardonner. Dans ce cas, la personne trahie dispose alors d’un atout dans ce jeu de pouvoir : il/elle m’a trompé-e, je le/la trompe à mon tour. Et ainsi s’enclenche le système de dette/contre-dette. Serait-ce œil pour œil, dent pour dent ? Le socio-anthropologue explique que l’injonction d’exclusivité sexuelle imposée aux femmes, valable en particulier pour les jeunes mariées, établit un rapport de pouvoir en leur défaveur. «Dans ce contexte déséquilibré, avec un handicap de départ qui affecte les femmes, la «trahison» que peut ressentir une jeune mariée confrontée à «l’adultère» peut devenir pour elle ultérieurement un argument de négociation lui permettant d’envisager des relations sentimentales hors du huis clos conjugal dans le cadre d’une articulation de dettes et contre-dettes».</p>
<p>Pour exemplifier sa démonstration, Philippe Combessie prend le cas d’Anne-Sophie et des «hommes de sa vie». Durant cinq ans, son mari la trompe jusqu’à ce qu’il rompe avec sa maîtresse et tente de reconstruire son couple sur de nouvelles bases : communication et ouverture. Ce qui signifie clubs échangistes ensemble, puis polyamour en se disant tout. Pour se faire pardonner, le mari pousse sa femme aux relations extra-conjugales… tout en choisissant ses amants… Jusqu’au jour où Anne-Sophie trouve un «amant de cœur» et où le mari commence à en souffrir. Le rapport de force s’est inversé. Les compteurs sont-ils pour autant remis à zéro ? Pas vraiment, puisque pour compenser, le mari veut reprendre la relation qu’il entretenait avec sa première maîtresse. La balle repasse dans le camp d’Anne-Sophie. Mari et femme doivent désormais gérer leur jalousie.</p>
<p>L’idée reçue que le polyamour offre une infinie liberté et ouvre les espaces relationnels est toutefois tempérée par le fait que, selon le chercheur, les amant-e-s sont choisis dans le même milieu socio-économique et culturel. Les mélanges restent limités sur ce point. Surtout la gestion en termes de communication et de relation devient extrêmement complexe. Quant aux dettes impossibles à inscrire dans cette logique d’échange, elles risquent de déstabiliser tout l’édifice. Dans ces conditions, tout contrôler devient difficile. Le dernier chapitre de l’article intitulé «du «feu liquide» et des risques de l’amour» fait le lien entre ce type de relation amoureuse et sa difficulté à s’inscrire dans un schéma connu et rassurant, la liquidité de la relation étant au cœur du système.</p>
<p>Les femmes hétérosexuelles sont ici sujets d'analyse. Pour changer, a-t-on envie de dire. Quid des hommes, des autres ? L'étude est-elle universelle ? L'autre remarque est l'emploi des termes financiers pour décrire les relations humaines : la société de consommation est partout et la loi du marché y règne semble-t-il...</p>
<p><br />
<strong style="font-size: 10px;"><em>Amours plurielles et communication. Dettes, contre-dettes et jalousie constructive</em>, de Philippe Combessie, numéro 69 d’Hermès, La Revue, Sexualités.</strong></p>
<p><br />Photo DR, <em>image tirée du film Hiroshima mon amour, d'Alain Resnais</em></p>
Assignée garçon
2014-09-04T03:35:11+00:00
2014-09-04T03:35:11+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/614-assignee-garcon
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/Sophie%20Labelle.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Sophie Labelle est une blogueuse, bédéiste, militante féministe, trans, écologiste et indépendantiste québécoise. Auteure des livres <em>Une Fille comme les autres</em> et <em>Le Comité infernal des ordres ténébreux</em>, du blog <a href="http://lesbebespigeons.com/">www.lesbebespigeons.com</a>, de la BD en ligne <a href="http://assigneegarcon.tumblr.com"><span style="text-decoration: underline;">assigneegarcon.tumblr.com</span></a> et coordonnatrice du Camp des Six Couleurs (un camp de vacances pour enfants intersexes, transgenres et non-conformes dans le genre), elle nous parle de ses engagements sans détour. Interview.</strong><br /><br /><br /><strong>l'émiliE: Pourriez-vous nous dire quelques mots de votre parcours?</strong> <br /><strong>Sophie Labelle</strong>: J’ai étudié en littérature avant de m’intéresser à l’éducation, après un long voyage au Yukon (<span class="st">territoire fédéral du Nord du Canada, <em>ndlr</em>) </span>où je travaillais dans une école primaire. C’est là que j’ai pris conscience du manque flagrant de ressources et de soutien pour les élèves transgenres, intersexes ou non-conformes dans le genre, et c’est ce qui m’a poussée à m’engager et à publier plusieurs livres s’adressant (surtout) à ces enfants. Ayant été assignée garçon à la naissance et ayant vécu plusieurs préjudices et discriminations sur la base de cette assignation, particulièrement en contexte scolaire, la visibilité et l’inclusion des enfants trans, intersexes et non-conformes dans le genre m’apparaît cruciale, de même que l’adoption d’un discours positif envers les différents parcours, expériences et corps de ces enfants.</p>
<p>Mon expérience de mésassignation s’inscrit dans mon militantisme féministe, la perte des privilèges associés à mon genre ayant catalysé en moi une indignation profonde envers le sexisme institutionnel. Avant cela, j’ai également milité pour l’indépendance du Québec et pour l’écologie, deux causes qui me tiennent encore à coeur et qui sont intrinsèquement reliées à mon engagement féministe. <br /><span style="font-size: 10.0pt; font-family: Times-Roman;"> </span><br /><strong>Comment vous est venue l’idée de votre webcomic Assignée garçon ?</strong><br />C’est partie d’une nécessité, celle de créer, en français, une histoire qui ne soit ni pathologisante ni oppressante à propos d’un personnage trans. Le média utilisé (la BD en ligne) a été choisi en fonction de la diffusion qu’il permet, en plus de générer un intérêt non-éphémère et réparti dans le temps. <br /><br />Les ressources et l’information relatives aux enjeux trans étant d’une grande rareté en français, il m’importait de faire quelque chose qui soit concis et accessible. L’expérience de mon blog sur le genre et l’éducation («Les Bébés pigeons») m’a fait voir la nécessité de produire un contenu plus léger. <br /><br />Aussi, le désir de retourner à mon média de prédilection, soit la bande dessinée, après une incursion dans le roman jeunesse avec <em>Le comité infernal des ordres ténébreux</em>, est ce qui a influencé ce choix en particulier.<br /><br /><strong>Pourquoi ce titre Assignée garçon ?</strong><br />C’est une question très pertinente ! Présentement, au Québec, d’importantes discussions ont cours dans plusieurs communautés trans en ce qui a trait au vocabulaire et à la terminologie qui traduiraient de la manière la plus inclusive et positive possible les expérience et les identités des personnes trans. Le choix de ce titre n’est pas étranger à ces discussions. <br /><br />La définition la plus largement acceptée de «personne trans» est la suivante : «individu s’identifiant à un genre autre que celui assigné à la naissance». Suivant cette définition qui semble faire consensus, les personnes identifiées comme trans ne sont pas nécessairement «trans» de manière intrinsèque et innée, puisqu’à l’origine de cette expérience, il y a la mésassignation de genre - le fait d’avoir été assigné du «mauvais genre». Ce que cela signifie concrètement, dans le discours social sur les personnes trans, c’est qu’il faut changer de paradigme et cesser de problématiser, à travers les pratiques discursives et éducatives, le corps des personnes trans pour plutôt problématiser le regard et les pratiques coercitives qui forcent les enfants à se conformer aux attentes sociales envers leur genre assigné à la naissance.<br /><br />Dans cette optique, il m’apparaissait important de problématiser d’abord le fait que Stéphie ait été assignée garçon à la naissance, plutôt que de chercher à décrire le personnage comme vivant une expérience trans.<br /><br /><strong>Stéphie, l’enfant trans*, s’exprime comme un adulte et d’ailleurs dans une des planches, sa mère vérifie son âge. C’est voulu?</strong><br />Absolument ! À travers mon engagement avec les enfants transgenres, j’ai été à même de constater à quel point celles-ci et ceux-ci vivent une multitude de micro-agressions quotidiennes, en plus de subir les affres d’un discours social très négatif envers leur corps : «né-e dans un corps de fille ou de garçon», «né-e dans le mauvais corps», «prisonnier d’un corps de fille ou de garçon»… Si on y ajoute la pression immense qu’on fait peser sur les enfants pour qu’ils se conforment aux stéréotypes de genre, il me fallait une championne de la rhétorique pour mettre à jour ce discours !<br /><br /><strong>Vous remettez en cause la croyance pour les personnes trans* d’être nées dans le mauvais corps ?</strong><br />Premièrement, dans tous les cas, je ne crois pas qu’il puisse vraiment s’agir d’une «croyance» à proprement parler, puisque les personnes trans qui utilisent cette expression pour décrire leur expérience l’utilisent comme une métaphore d’un sentiment légitime, et il ne s’agit donc pas d’une croyance au sens où l’on pourrait débattre de la véracité de ce sentiment.<br /><br />Deuxièmement, il faut comprendre qu’il s’agit d’une expression chargée de négation envers le corps des personnes trans, en plus de nier l’identité propre de la personne. Car si on concède, par exemple, que les hommes trans (assignés filles à la naissance) sont effectivement des hommes et que leur corps leur appartient, eh bien ce corps sera subséquemment un corps d’homme, pas un corps de femme ! Cette question touche précisément l’effet de désincarnation qu’induit une telle expression, ainsi qu’un des enjeux majeurs des luttes pour les droits des personnes trans et intersexes : la réappropriation de leur corps.<br /><br />Enfin, bien que je m’oppose fermement à l’utilisation de formules de ce genre pour décrire «l’expérience trans» en général, je peux aisément concevoir qu’un individu, pour une raison ou une autre, considère que cette image lui convient pour décrire ce qu’il vit. Toutefois, l’imposer à toutes les communautés trans indistinctement m’apparaît très maladroit. <br /><br /><strong>Dans votre blog, l’éducation occupe une place centrale. Tout se joue au berceau ?</strong><br />Je dirais plutôt qu’au berceau, tout est déjà joué ! Sans blague, l’idée n’est pas de jouer à la biologiste ou à la sociologue (ou au psychologue s’improvisant l’un des deux) ici, mais bien d’énoncer la simple existence d’enfants transgenres, intersexes et non-conformes dans le genre. De là le titre : vous avez sûrement déjà vu un pigeon ? Eh bien, avez-vous déjà vu un bébé pigeon ? Non ? Pourtant, ils existent, et comme ces enfants, ils sont simplement invisibles si on ne les cherche pas. <br /><br />Comme ces enfants sont rendus invisibles (je parle beaucoup du processus «d’invisibilisation» dans mon blog [et au Québec, nous aimons inventer des mots, en témoigne la graphie de «blogue» qu’impose l’Office de la langue québécoise !]) la première et la plus urgente tâche, tant en éducation que dans la société, n’est pas tant de déterminer si leur existence découle d’une donnée biologique ou d’un construit social, mais bien de reconnaître leur présence et de leur donner la place qui leur convient, ce qui est loin d’être acquis, tant en France qu’au Québec.<br /><br />Étant du milieu de l’éducation (je travaille et étudie au département des Sciences de l’éducation de l’Université de Montréal), je peux témoigner à quel point de simples pratiques de gestion de classe peuvent rendre invisibles et illégitimes les identités, les corps et les expériences de plusieurs enfants, ce qui constitue en soi une agression.<br /><br /><strong>Vous dénoncez l’autrisme en tant que catégorie, pourquoi ? Et pourquoi pas les catégories LGBTQI ?<br /></strong>L’autrisme n’est pas une catégorie, mais bien un processus social qui rend les groupes minoritaires (ou dominés) illégitimes ou invalidés. Le fait de «rendre autre» est ce qui classifie, qui crée des catégories distinctes afin de mieux gérer ces groupes minoritaires. Ainsi, les minorités de genre ou d’orientation sexuelle ou les groupes racisés se voient constitués en des entités d’une classe à part, ce qui permet de les tenir à distance du pouvoir et des privilèges de la majorité ou des groupes dominants.<br /><br />Quant aux communautés LGBTQI, je me figure mal comment elles pourraient soudainement obtenir suffisamment de privilèges au détriment de la majorité hétérosexuelle, blanche, cisnormative et non-intersexe pour réussir à la rendre «autre»!</p>
<p><strong>Quelles solutions préconisez-vous alors pour visibiliser les groupes minoritaires?<br /></strong>Le premier pas, selon moi, consiste en l’adoption d’un discours inclusif et positif envers eux. Le fait de dire que les filles naissent avec une vulve et les garçons avec un pénis est éminemment invisibilisant pour les enfants trans et d’autant plus douloureux pour les enfants intersexués. Inclure les enfants qui ne s’identifient pas nécessairement comme fille ou comme garçon ou encore les enfants en questionnement passe par la simple reconnaissance, au jour le jour, du fait qu’il n’existe pas que des filles ou des garçons dans la société.<br /><br />On me passe souvent la remarque, dans le milieu de l’éducation, que malgré le fait qu’on soit ouvert, s’il n’y a pas d’enfants trans, intersexe ou non-conforme dans le genre dans la classe, nul besoin d’adapter notre pratique pour elles et eux. C’est faux ! Comme je le mentionnais, ces enfants sont invisibles. Ce n’est que lorsqu’on leur fait une place d’emblée qu’elles et ils la prennent.<br /><br />J’ai été témoin d’une scène parlante à ce sujet. Un collègue avait demandé de faire deux rangs en prévision d’un déplacement : un rang de fille et un rang de garçon. J’ai saisi l’occasion pour ajouter qu’il y avait un troisième rang, «pour tous les autres». Eh bien deux enfants ont décidé d’intégrer le troisième rang. C’est ça, selon moi, «rendre visible» !<br /><br /><strong>Vous évoquez la transpanic des médias canadiens. Qu’est-ce que c’est?</strong><br />La <em>transpanic</em> [panique trans, à défaut d’une expression plus appropriée] définit une réaction déraisonnée d’un individu, d’un groupe d’individus ou, dans ce cas-ci, des médias devant des personnes trans ou des enjeux spécifiques aux communautés trans. Le mot est calqué du terme anglais <em>homosexual panic</em>, qui sert à légitimer certains actes autrement répréhensibles sous le prétexte d’une panique pathologique envers les personnes homosexuelles ou trans.</p>
<p><span style="font-size: 10px;">Lorsqu’on parle de transpanic des médias, on évoque la couverture médiatique disproportionnée et irréfléchie de certains évènements. Je pense, par exemple, à la couverture de l’expulsion d’une jeune fille trans néo-écossaise de son école secondaire parce qu’elle désirait utiliser les toilettes des filles, ou à celle de ces parents ontariens qui ont décidé de ne pas assigner de genre à un de leur enfant...<br /></span></p>
<p><span style="font-size: 10px;"><strong>Vous vous opposez aux lieux ségrégués. Vous militez pour la mixité absolue?</strong><br /></span>Lieux ségrégués n’est pas synonyme de non-mixité : il y a, dans la ségrégation, un pouvoir coercitif qui oblige des individus à fréquenter tel ou tel lieu, tandis que dans la non-mixité, il y a une notion de réappropriation du lieu par le groupe, ce qui peut s’avérer nécessaire dans certains cas.<br /><br />Lorsque je parle de lieux ségrégués, c’est toujours par rapport aux écoles, mais ça pourrait évidemment s’appliquer à d’autres sphères de la vie publique. Le fait est que les lieux ségrégués le sont souvent en fonction du genre assigné à la naissance (et non du «sexe», comme on voudrait bien le croire : sinon, on verrait des toilettes pour les personnes intersexes depuis longtemps...). Ainsi, ces lieux sont potentiellement très dangereux ou non-sécuritaires pour les enfants trans ou non-conformes dans le genre, alors qu’il suffirait d’un tout petit effort pour rendre ces lieux plus inclusifs. J’offre plusieurs exemples d’initiatives sur mon blog.<br /><br /><strong>Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste le Camp des Six Couleurs?</strong><br />Il s’agit d’une colonie de vacances pour les enfants transgenres, intersexes et non-conformes dans le genre, dont la première édition a eu lieu en août dernier au Québec. La création d’un espace sécuritaire et inclusif pour ces enfants s’avère essentiel à leur socialisation ; aussi, c’est une occasion unique pour elles et eux de rencontrer d’autres jeunes vivant des expériences similaires à la leur. Les colonies de vacances «traditionnelles» étant des lieux qui peuvent s’avérer très anxiogènes pour ces enfants, le Camp des Six Couleurs vient pallier un manque flagrant!</p>
<p>Photo © Valérie Lessard</p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/Sophie%20Labelle.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Sophie Labelle est une blogueuse, bédéiste, militante féministe, trans, écologiste et indépendantiste québécoise. Auteure des livres <em>Une Fille comme les autres</em> et <em>Le Comité infernal des ordres ténébreux</em>, du blog <a href="http://lesbebespigeons.com/">www.lesbebespigeons.com</a>, de la BD en ligne <a href="http://assigneegarcon.tumblr.com"><span style="text-decoration: underline;">assigneegarcon.tumblr.com</span></a> et coordonnatrice du Camp des Six Couleurs (un camp de vacances pour enfants intersexes, transgenres et non-conformes dans le genre), elle nous parle de ses engagements sans détour. Interview.</strong><br /><br /><br /><strong>l'émiliE: Pourriez-vous nous dire quelques mots de votre parcours?</strong> <br /><strong>Sophie Labelle</strong>: J’ai étudié en littérature avant de m’intéresser à l’éducation, après un long voyage au Yukon (<span class="st">territoire fédéral du Nord du Canada, <em>ndlr</em>) </span>où je travaillais dans une école primaire. C’est là que j’ai pris conscience du manque flagrant de ressources et de soutien pour les élèves transgenres, intersexes ou non-conformes dans le genre, et c’est ce qui m’a poussée à m’engager et à publier plusieurs livres s’adressant (surtout) à ces enfants. Ayant été assignée garçon à la naissance et ayant vécu plusieurs préjudices et discriminations sur la base de cette assignation, particulièrement en contexte scolaire, la visibilité et l’inclusion des enfants trans, intersexes et non-conformes dans le genre m’apparaît cruciale, de même que l’adoption d’un discours positif envers les différents parcours, expériences et corps de ces enfants.</p>
<p>Mon expérience de mésassignation s’inscrit dans mon militantisme féministe, la perte des privilèges associés à mon genre ayant catalysé en moi une indignation profonde envers le sexisme institutionnel. Avant cela, j’ai également milité pour l’indépendance du Québec et pour l’écologie, deux causes qui me tiennent encore à coeur et qui sont intrinsèquement reliées à mon engagement féministe. <br /><span style="font-size: 10.0pt; font-family: Times-Roman;"> </span><br /><strong>Comment vous est venue l’idée de votre webcomic Assignée garçon ?</strong><br />C’est partie d’une nécessité, celle de créer, en français, une histoire qui ne soit ni pathologisante ni oppressante à propos d’un personnage trans. Le média utilisé (la BD en ligne) a été choisi en fonction de la diffusion qu’il permet, en plus de générer un intérêt non-éphémère et réparti dans le temps. <br /><br />Les ressources et l’information relatives aux enjeux trans étant d’une grande rareté en français, il m’importait de faire quelque chose qui soit concis et accessible. L’expérience de mon blog sur le genre et l’éducation («Les Bébés pigeons») m’a fait voir la nécessité de produire un contenu plus léger. <br /><br />Aussi, le désir de retourner à mon média de prédilection, soit la bande dessinée, après une incursion dans le roman jeunesse avec <em>Le comité infernal des ordres ténébreux</em>, est ce qui a influencé ce choix en particulier.<br /><br /><strong>Pourquoi ce titre Assignée garçon ?</strong><br />C’est une question très pertinente ! Présentement, au Québec, d’importantes discussions ont cours dans plusieurs communautés trans en ce qui a trait au vocabulaire et à la terminologie qui traduiraient de la manière la plus inclusive et positive possible les expérience et les identités des personnes trans. Le choix de ce titre n’est pas étranger à ces discussions. <br /><br />La définition la plus largement acceptée de «personne trans» est la suivante : «individu s’identifiant à un genre autre que celui assigné à la naissance». Suivant cette définition qui semble faire consensus, les personnes identifiées comme trans ne sont pas nécessairement «trans» de manière intrinsèque et innée, puisqu’à l’origine de cette expérience, il y a la mésassignation de genre - le fait d’avoir été assigné du «mauvais genre». Ce que cela signifie concrètement, dans le discours social sur les personnes trans, c’est qu’il faut changer de paradigme et cesser de problématiser, à travers les pratiques discursives et éducatives, le corps des personnes trans pour plutôt problématiser le regard et les pratiques coercitives qui forcent les enfants à se conformer aux attentes sociales envers leur genre assigné à la naissance.<br /><br />Dans cette optique, il m’apparaissait important de problématiser d’abord le fait que Stéphie ait été assignée garçon à la naissance, plutôt que de chercher à décrire le personnage comme vivant une expérience trans.<br /><br /><strong>Stéphie, l’enfant trans*, s’exprime comme un adulte et d’ailleurs dans une des planches, sa mère vérifie son âge. C’est voulu?</strong><br />Absolument ! À travers mon engagement avec les enfants transgenres, j’ai été à même de constater à quel point celles-ci et ceux-ci vivent une multitude de micro-agressions quotidiennes, en plus de subir les affres d’un discours social très négatif envers leur corps : «né-e dans un corps de fille ou de garçon», «né-e dans le mauvais corps», «prisonnier d’un corps de fille ou de garçon»… Si on y ajoute la pression immense qu’on fait peser sur les enfants pour qu’ils se conforment aux stéréotypes de genre, il me fallait une championne de la rhétorique pour mettre à jour ce discours !<br /><br /><strong>Vous remettez en cause la croyance pour les personnes trans* d’être nées dans le mauvais corps ?</strong><br />Premièrement, dans tous les cas, je ne crois pas qu’il puisse vraiment s’agir d’une «croyance» à proprement parler, puisque les personnes trans qui utilisent cette expression pour décrire leur expérience l’utilisent comme une métaphore d’un sentiment légitime, et il ne s’agit donc pas d’une croyance au sens où l’on pourrait débattre de la véracité de ce sentiment.<br /><br />Deuxièmement, il faut comprendre qu’il s’agit d’une expression chargée de négation envers le corps des personnes trans, en plus de nier l’identité propre de la personne. Car si on concède, par exemple, que les hommes trans (assignés filles à la naissance) sont effectivement des hommes et que leur corps leur appartient, eh bien ce corps sera subséquemment un corps d’homme, pas un corps de femme ! Cette question touche précisément l’effet de désincarnation qu’induit une telle expression, ainsi qu’un des enjeux majeurs des luttes pour les droits des personnes trans et intersexes : la réappropriation de leur corps.<br /><br />Enfin, bien que je m’oppose fermement à l’utilisation de formules de ce genre pour décrire «l’expérience trans» en général, je peux aisément concevoir qu’un individu, pour une raison ou une autre, considère que cette image lui convient pour décrire ce qu’il vit. Toutefois, l’imposer à toutes les communautés trans indistinctement m’apparaît très maladroit. <br /><br /><strong>Dans votre blog, l’éducation occupe une place centrale. Tout se joue au berceau ?</strong><br />Je dirais plutôt qu’au berceau, tout est déjà joué ! Sans blague, l’idée n’est pas de jouer à la biologiste ou à la sociologue (ou au psychologue s’improvisant l’un des deux) ici, mais bien d’énoncer la simple existence d’enfants transgenres, intersexes et non-conformes dans le genre. De là le titre : vous avez sûrement déjà vu un pigeon ? Eh bien, avez-vous déjà vu un bébé pigeon ? Non ? Pourtant, ils existent, et comme ces enfants, ils sont simplement invisibles si on ne les cherche pas. <br /><br />Comme ces enfants sont rendus invisibles (je parle beaucoup du processus «d’invisibilisation» dans mon blog [et au Québec, nous aimons inventer des mots, en témoigne la graphie de «blogue» qu’impose l’Office de la langue québécoise !]) la première et la plus urgente tâche, tant en éducation que dans la société, n’est pas tant de déterminer si leur existence découle d’une donnée biologique ou d’un construit social, mais bien de reconnaître leur présence et de leur donner la place qui leur convient, ce qui est loin d’être acquis, tant en France qu’au Québec.<br /><br />Étant du milieu de l’éducation (je travaille et étudie au département des Sciences de l’éducation de l’Université de Montréal), je peux témoigner à quel point de simples pratiques de gestion de classe peuvent rendre invisibles et illégitimes les identités, les corps et les expériences de plusieurs enfants, ce qui constitue en soi une agression.<br /><br /><strong>Vous dénoncez l’autrisme en tant que catégorie, pourquoi ? Et pourquoi pas les catégories LGBTQI ?<br /></strong>L’autrisme n’est pas une catégorie, mais bien un processus social qui rend les groupes minoritaires (ou dominés) illégitimes ou invalidés. Le fait de «rendre autre» est ce qui classifie, qui crée des catégories distinctes afin de mieux gérer ces groupes minoritaires. Ainsi, les minorités de genre ou d’orientation sexuelle ou les groupes racisés se voient constitués en des entités d’une classe à part, ce qui permet de les tenir à distance du pouvoir et des privilèges de la majorité ou des groupes dominants.<br /><br />Quant aux communautés LGBTQI, je me figure mal comment elles pourraient soudainement obtenir suffisamment de privilèges au détriment de la majorité hétérosexuelle, blanche, cisnormative et non-intersexe pour réussir à la rendre «autre»!</p>
<p><strong>Quelles solutions préconisez-vous alors pour visibiliser les groupes minoritaires?<br /></strong>Le premier pas, selon moi, consiste en l’adoption d’un discours inclusif et positif envers eux. Le fait de dire que les filles naissent avec une vulve et les garçons avec un pénis est éminemment invisibilisant pour les enfants trans et d’autant plus douloureux pour les enfants intersexués. Inclure les enfants qui ne s’identifient pas nécessairement comme fille ou comme garçon ou encore les enfants en questionnement passe par la simple reconnaissance, au jour le jour, du fait qu’il n’existe pas que des filles ou des garçons dans la société.<br /><br />On me passe souvent la remarque, dans le milieu de l’éducation, que malgré le fait qu’on soit ouvert, s’il n’y a pas d’enfants trans, intersexe ou non-conforme dans le genre dans la classe, nul besoin d’adapter notre pratique pour elles et eux. C’est faux ! Comme je le mentionnais, ces enfants sont invisibles. Ce n’est que lorsqu’on leur fait une place d’emblée qu’elles et ils la prennent.<br /><br />J’ai été témoin d’une scène parlante à ce sujet. Un collègue avait demandé de faire deux rangs en prévision d’un déplacement : un rang de fille et un rang de garçon. J’ai saisi l’occasion pour ajouter qu’il y avait un troisième rang, «pour tous les autres». Eh bien deux enfants ont décidé d’intégrer le troisième rang. C’est ça, selon moi, «rendre visible» !<br /><br /><strong>Vous évoquez la transpanic des médias canadiens. Qu’est-ce que c’est?</strong><br />La <em>transpanic</em> [panique trans, à défaut d’une expression plus appropriée] définit une réaction déraisonnée d’un individu, d’un groupe d’individus ou, dans ce cas-ci, des médias devant des personnes trans ou des enjeux spécifiques aux communautés trans. Le mot est calqué du terme anglais <em>homosexual panic</em>, qui sert à légitimer certains actes autrement répréhensibles sous le prétexte d’une panique pathologique envers les personnes homosexuelles ou trans.</p>
<p><span style="font-size: 10px;">Lorsqu’on parle de transpanic des médias, on évoque la couverture médiatique disproportionnée et irréfléchie de certains évènements. Je pense, par exemple, à la couverture de l’expulsion d’une jeune fille trans néo-écossaise de son école secondaire parce qu’elle désirait utiliser les toilettes des filles, ou à celle de ces parents ontariens qui ont décidé de ne pas assigner de genre à un de leur enfant...<br /></span></p>
<p><span style="font-size: 10px;"><strong>Vous vous opposez aux lieux ségrégués. Vous militez pour la mixité absolue?</strong><br /></span>Lieux ségrégués n’est pas synonyme de non-mixité : il y a, dans la ségrégation, un pouvoir coercitif qui oblige des individus à fréquenter tel ou tel lieu, tandis que dans la non-mixité, il y a une notion de réappropriation du lieu par le groupe, ce qui peut s’avérer nécessaire dans certains cas.<br /><br />Lorsque je parle de lieux ségrégués, c’est toujours par rapport aux écoles, mais ça pourrait évidemment s’appliquer à d’autres sphères de la vie publique. Le fait est que les lieux ségrégués le sont souvent en fonction du genre assigné à la naissance (et non du «sexe», comme on voudrait bien le croire : sinon, on verrait des toilettes pour les personnes intersexes depuis longtemps...). Ainsi, ces lieux sont potentiellement très dangereux ou non-sécuritaires pour les enfants trans ou non-conformes dans le genre, alors qu’il suffirait d’un tout petit effort pour rendre ces lieux plus inclusifs. J’offre plusieurs exemples d’initiatives sur mon blog.<br /><br /><strong>Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste le Camp des Six Couleurs?</strong><br />Il s’agit d’une colonie de vacances pour les enfants transgenres, intersexes et non-conformes dans le genre, dont la première édition a eu lieu en août dernier au Québec. La création d’un espace sécuritaire et inclusif pour ces enfants s’avère essentiel à leur socialisation ; aussi, c’est une occasion unique pour elles et eux de rencontrer d’autres jeunes vivant des expériences similaires à la leur. Les colonies de vacances «traditionnelles» étant des lieux qui peuvent s’avérer très anxiogènes pour ces enfants, le Camp des Six Couleurs vient pallier un manque flagrant!</p>
<p>Photo © Valérie Lessard</p>
C'est l'amour à la plage
2014-08-12T03:31:42+00:00
2014-08-12T03:31:42+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/604-cest-lamour-a-la-plage
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/book.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Le sea, sex and sun est le refrain préféré des magazines féminins pendant la période estivale qui multiplient les tests coquins et autres sexo-quiz à destination des lectrices qui pourront enfin se situer par rapport à la norme en lisant les résultats. Des sociologues, flairant le bon filon, ont eux aussi choisi de sortir ceux de leurs recherches sur le sujet de l’été : le couple et l’amour.</strong><br /><br />Parce que la saison est propice aux tenues légères, aux apéros qui durent et aux (d)ébats qui s’ensuivent, la presse féminine consacre chaque été, une place importante à l’amour dans tous les sens, relations de couple et sexe compris. On n’y coupe pas. Rien de bien transcendant, c’est un peu toujours la même rengaine avec son lot d’injonctions : Le faites-vous assez ? Combien d’orgasmes avez-vous ? Votre partenaire est-il satisfait ? Et de vous donner quelques conseils mine de rien pour devenir en deux temps trois mouvements la reine de la fellation ou pour bien "vous détendre avant la sodomie" (sic). Cette année pourtant, Cosmo remporte la palme en proposant un kamasutra lesbien en 28 positions (illustrées pour celles qui ne savent pas lire entre les lignes, parce que bon c’est complexe). A y regarder de près, on se dit que le/la graphiste a juste remplacé le corps de l’homme par celui d’une femme sur les positions destinées aux couples hétéros et qu’il lui a rajouté un gode-ceinture pour faire plus vrai. Cela n’a d’ailleurs pas échappé aux réseaux sociaux qui se sont enflammés aussi sec en incendiant le magazine qui s’est réfugié, piteux, derrière sa bonne foi. Pas facile de se mettre dans la sexualité des autres. Ah oui vraiment ? <br /><br /><strong>Sociologues en tête de gondole</strong><br />Bref, on n’apprend rien dans ces journaux à ce niveau et on comprend qu’il s’agit surtout de business facile pour les groupes de presse. Au point que les éditeurs de certains sociologues se sont dit que sortir des travaux sur le sujet en été pouvaient s’avérer payant pour eux aussi. C’est le cas de Flammarion et Stock qui mettent en tête de gondole, respectivement, Claude Habib, professeure à l’université Sorbonne-Nouvelle et Marcela Iacub, directrice de recherche au CNRS, pour leurs études sur le couple. Certes les universitaires aboutissent à des conclusions opposées : Claude Habib, autoproclamée «conjugaliste», prône l’ennui comme garant de l’amour éternel et s’attaque aux valeurs actuelles de la société, à la consommation, l’individualisme et l’égalitarisme. Pour Marcela Iacub au contraire, l’égalité est un passage obligé pour l’accomplissement de chacun-e. Quant au couple, elle estime que c’est «un tombeau», principalement pour les femmes. Elle prône de nouveaux modes relationnels plus égalitaires, plus collectifs, type phalantères de Fourier, pour enfin rompre avec la structure du couple bourgeois héritée du XIXe siècle. Deux conceptions radicales donc… Et c’est pour leurs idées tranchées que les éditeurs les sortent du lot dans l’espoir que les vacanciers enfin déconnectés fassent le point sur leur couple et choisissent leur auteure pour les mener à la vérité. <br /><br />Pour les lecteurs-trices qui cherchent des réponses tangibles à leurs questions existentielles, rien n’est gagné et du coup, mieux vaut encore s’en tenir aux chiffres façon <a href="http://www.liberation.fr/chroniques/2014/08/01/la-statistique-plus-forte-que-l-amour_1074212"><span style="text-decoration: underline;">Beatriz Preciado</span></a> (suivant, à l’instar de ses collègues, la tendance de l’été) qui observe le début de la fin de ses amours à l’aide de statistiques. C’est tout autant radical mais plus fiable. A vous de voir.<br /><br /><em><strong>Œdipe reine</strong></em>, Marcela Iacub, Stock, 144 pages<br /><em><strong>Le Goût de la vie commune</strong></em>, Claude Habib, Flammarion, 175 pages
<br /><br />Photo DR<br /><br /><br /></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/book.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Le sea, sex and sun est le refrain préféré des magazines féminins pendant la période estivale qui multiplient les tests coquins et autres sexo-quiz à destination des lectrices qui pourront enfin se situer par rapport à la norme en lisant les résultats. Des sociologues, flairant le bon filon, ont eux aussi choisi de sortir ceux de leurs recherches sur le sujet de l’été : le couple et l’amour.</strong><br /><br />Parce que la saison est propice aux tenues légères, aux apéros qui durent et aux (d)ébats qui s’ensuivent, la presse féminine consacre chaque été, une place importante à l’amour dans tous les sens, relations de couple et sexe compris. On n’y coupe pas. Rien de bien transcendant, c’est un peu toujours la même rengaine avec son lot d’injonctions : Le faites-vous assez ? Combien d’orgasmes avez-vous ? Votre partenaire est-il satisfait ? Et de vous donner quelques conseils mine de rien pour devenir en deux temps trois mouvements la reine de la fellation ou pour bien "vous détendre avant la sodomie" (sic). Cette année pourtant, Cosmo remporte la palme en proposant un kamasutra lesbien en 28 positions (illustrées pour celles qui ne savent pas lire entre les lignes, parce que bon c’est complexe). A y regarder de près, on se dit que le/la graphiste a juste remplacé le corps de l’homme par celui d’une femme sur les positions destinées aux couples hétéros et qu’il lui a rajouté un gode-ceinture pour faire plus vrai. Cela n’a d’ailleurs pas échappé aux réseaux sociaux qui se sont enflammés aussi sec en incendiant le magazine qui s’est réfugié, piteux, derrière sa bonne foi. Pas facile de se mettre dans la sexualité des autres. Ah oui vraiment ? <br /><br /><strong>Sociologues en tête de gondole</strong><br />Bref, on n’apprend rien dans ces journaux à ce niveau et on comprend qu’il s’agit surtout de business facile pour les groupes de presse. Au point que les éditeurs de certains sociologues se sont dit que sortir des travaux sur le sujet en été pouvaient s’avérer payant pour eux aussi. C’est le cas de Flammarion et Stock qui mettent en tête de gondole, respectivement, Claude Habib, professeure à l’université Sorbonne-Nouvelle et Marcela Iacub, directrice de recherche au CNRS, pour leurs études sur le couple. Certes les universitaires aboutissent à des conclusions opposées : Claude Habib, autoproclamée «conjugaliste», prône l’ennui comme garant de l’amour éternel et s’attaque aux valeurs actuelles de la société, à la consommation, l’individualisme et l’égalitarisme. Pour Marcela Iacub au contraire, l’égalité est un passage obligé pour l’accomplissement de chacun-e. Quant au couple, elle estime que c’est «un tombeau», principalement pour les femmes. Elle prône de nouveaux modes relationnels plus égalitaires, plus collectifs, type phalantères de Fourier, pour enfin rompre avec la structure du couple bourgeois héritée du XIXe siècle. Deux conceptions radicales donc… Et c’est pour leurs idées tranchées que les éditeurs les sortent du lot dans l’espoir que les vacanciers enfin déconnectés fassent le point sur leur couple et choisissent leur auteure pour les mener à la vérité. <br /><br />Pour les lecteurs-trices qui cherchent des réponses tangibles à leurs questions existentielles, rien n’est gagné et du coup, mieux vaut encore s’en tenir aux chiffres façon <a href="http://www.liberation.fr/chroniques/2014/08/01/la-statistique-plus-forte-que-l-amour_1074212"><span style="text-decoration: underline;">Beatriz Preciado</span></a> (suivant, à l’instar de ses collègues, la tendance de l’été) qui observe le début de la fin de ses amours à l’aide de statistiques. C’est tout autant radical mais plus fiable. A vous de voir.<br /><br /><em><strong>Œdipe reine</strong></em>, Marcela Iacub, Stock, 144 pages<br /><em><strong>Le Goût de la vie commune</strong></em>, Claude Habib, Flammarion, 175 pages
<br /><br />Photo DR<br /><br /><br /></p>
Plages: cachez ces seins...
2014-08-04T03:40:23+00:00
2014-08-04T03:40:23+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/600-plages-cachez-ces-seins
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/thumb-le-maillot-de-bain---de-1850-a-nos-jours-5142.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Le sujet titille. Pour preuve, le magazine féminin <em>Elle</em> vient d'y consacrer une enquête et s'interroge : est-ce la fin du topless ? Du coup, toute la presse européenne en fait une question existentielle : assiste-t-on à un retour de la morale, à la fin des féministes, au triomphe des tartuffes ? Dans une société hypersexualisée, le corps des femmes fait encore et toujours débat.</strong><br /><br />Tandis que les Allemands pratiquaient le naturisme depuis des lustres, les premières Françaises à enlever le haut ont attendu les années 60. Après mai 68 et la "libération sexuelle", l'Europe entière a bronzé torse nu, signe que l'égalité des corps était en marche. Au départ, le signal est effectivement donné par les féministes qui, non contentes d'avoir brûlé leur soutien-gorge à la ville, assument leur revendication de femmes libérées en adoptant le monokini à la plage. Une révolution à l'époque. Sauf que de nos jours, les corps dénudés s'étalent à longueur d'écrans, de pages et d'affiches ringardisant le symbole féministe : les seins nus ne choquent plus.<br /><br />Si, selon le magazine <em>Elle</em>, 35% des Françaises jugent désormais impensable de pratiquer le topless à la plage, plusieurs raisons sont invoquées. Les jeunes générations adeptes des réseaux sociaux ne veulent pas finir en pâture les seins à l'air sur Facebook ou Instagram ni subir un harcèlement de plage comme celui qu'elles connaissent d'ordinaire dans la rue. Question de génération donc? Il semblerait en effet que les femmes au-dessus de 50 ans se sentent libres de s'exposer ou non. L'aspect des méfaits du soleil et le risque de cancer n'est quant à lui pas vraiment abordé dans l'article alors que certaines femmes l'évoquent volontiers pour justifier le fait de se couvrir la poitrine.<br /><br />Pourtant dès que les Françaises franchissent la frontière espagnole, leur pudeur s'envole. De même lorsqu'elles passent leurs vacances en Croatie. Dans ces pays, elles font comme tout le monde ou tout du moins, elles font comme bon leur semble. Et en Suisse ? Sur les bords des lacs, un costume de bain complet est de rigueur, à de rares exceptions près. Le Vengeron, l'Arve, Epesses, Chabrey, la Grande Cariçaie ou dans le canton de Berne la Schwarzwasser et la Singine accueillent naturistes et femmes libérées. Pas toujours faciles d'accès, cachés du grand public, ces lieux restent des havres de paix et d'harmonie.<br /><br />Les Femen qui recourent aux seins nus pour attirer l'attention des médias sur leurs combats ou le mouvement "Free the Nipple" qui encourage les femmes à se promener la poitrine à l'air pour en finir avec la stigmatisation du corps féminin relancent la symbolique féministe de la première heure. Pourtant quel que soit le pays d'Europe, force est de constater qu'on croise peu de femmes topless dans les rues, voire pas du tout. La norme imposée par les industries de la mode et de la pornographie dicte sa loi aux jeunes femmes : celles dont les seins ne correspondent pas aux standards exigés peuvent se rhabiller et complexer à loisir. Et l'histoire se répète...</p>
<p>Photo DR</p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/thumb-le-maillot-de-bain---de-1850-a-nos-jours-5142.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Le sujet titille. Pour preuve, le magazine féminin <em>Elle</em> vient d'y consacrer une enquête et s'interroge : est-ce la fin du topless ? Du coup, toute la presse européenne en fait une question existentielle : assiste-t-on à un retour de la morale, à la fin des féministes, au triomphe des tartuffes ? Dans une société hypersexualisée, le corps des femmes fait encore et toujours débat.</strong><br /><br />Tandis que les Allemands pratiquaient le naturisme depuis des lustres, les premières Françaises à enlever le haut ont attendu les années 60. Après mai 68 et la "libération sexuelle", l'Europe entière a bronzé torse nu, signe que l'égalité des corps était en marche. Au départ, le signal est effectivement donné par les féministes qui, non contentes d'avoir brûlé leur soutien-gorge à la ville, assument leur revendication de femmes libérées en adoptant le monokini à la plage. Une révolution à l'époque. Sauf que de nos jours, les corps dénudés s'étalent à longueur d'écrans, de pages et d'affiches ringardisant le symbole féministe : les seins nus ne choquent plus.<br /><br />Si, selon le magazine <em>Elle</em>, 35% des Françaises jugent désormais impensable de pratiquer le topless à la plage, plusieurs raisons sont invoquées. Les jeunes générations adeptes des réseaux sociaux ne veulent pas finir en pâture les seins à l'air sur Facebook ou Instagram ni subir un harcèlement de plage comme celui qu'elles connaissent d'ordinaire dans la rue. Question de génération donc? Il semblerait en effet que les femmes au-dessus de 50 ans se sentent libres de s'exposer ou non. L'aspect des méfaits du soleil et le risque de cancer n'est quant à lui pas vraiment abordé dans l'article alors que certaines femmes l'évoquent volontiers pour justifier le fait de se couvrir la poitrine.<br /><br />Pourtant dès que les Françaises franchissent la frontière espagnole, leur pudeur s'envole. De même lorsqu'elles passent leurs vacances en Croatie. Dans ces pays, elles font comme tout le monde ou tout du moins, elles font comme bon leur semble. Et en Suisse ? Sur les bords des lacs, un costume de bain complet est de rigueur, à de rares exceptions près. Le Vengeron, l'Arve, Epesses, Chabrey, la Grande Cariçaie ou dans le canton de Berne la Schwarzwasser et la Singine accueillent naturistes et femmes libérées. Pas toujours faciles d'accès, cachés du grand public, ces lieux restent des havres de paix et d'harmonie.<br /><br />Les Femen qui recourent aux seins nus pour attirer l'attention des médias sur leurs combats ou le mouvement "Free the Nipple" qui encourage les femmes à se promener la poitrine à l'air pour en finir avec la stigmatisation du corps féminin relancent la symbolique féministe de la première heure. Pourtant quel que soit le pays d'Europe, force est de constater qu'on croise peu de femmes topless dans les rues, voire pas du tout. La norme imposée par les industries de la mode et de la pornographie dicte sa loi aux jeunes femmes : celles dont les seins ne correspondent pas aux standards exigés peuvent se rhabiller et complexer à loisir. Et l'histoire se répète...</p>
<p>Photo DR</p>
Le sexisme pour les nul-le-s
2014-06-24T02:52:50+00:00
2014-06-24T02:52:50+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/598-le-sexisme-pour-les-nul-le-s
Manon Legrand
[email protected]
<p> </p>
<p><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/0.jpg" border="0" alt="" /></p>
<p><br />Il est bon parfois de lorgner vers le Québec, qui regorge d’initiatives inspirantes en faveur de l’égalité femmes-hommes. L’une des dernières en date vient de l'association féministe "Y des femmes" de Montréal qui a décidé de s'attaquer au sexisme de manière pédagogique. Quatre capsules vidéo réalisées par Ève Lamont (à qui l'on doit le documentaire <em>L'imposture sur la prostitution</em>) sont nourries de témoignages d'enfants et de parents. Leurs paroles sont mises en perspective avec les explications de sociologues et de sexologues qui interrogent la construction des rôles sociaux féminins et masculins dès le plus jeune âge et la sexualisation de la société, notamment à travers les réseaux sociaux, les médias ou la publicité. Ne se contentant pas de faire le constat du sexisme et de l'hypersexualisation des jeunes et en particulier des filles, une vidéo livre aussi des pistes pour changer les mentalités. Des outils indispensables pour les parents, les enseignants et toute personne soucieuse de former des adultes de demain libres de leurs choix, bien dans leurs baskets ou leurs sandalettes. <br />Toutes les capsules sont disponibles gratuitement <a href="http://capsule.dev.ydesfemmesmtl.org/"><span style="text-decoration: underline;">ici</span></a> . La capsule n°1 est visible sur le site de l'émiliE en page d'accueil.<br /><br />Image: capture d'écran de la capsule 1 <em>Qu'est-ce que la socialisation sexiste?</em></p>
<p> </p>
<p><img src="images/genresfeminismes/0.jpg" border="0" alt="" /></p>
<p><br />Il est bon parfois de lorgner vers le Québec, qui regorge d’initiatives inspirantes en faveur de l’égalité femmes-hommes. L’une des dernières en date vient de l'association féministe "Y des femmes" de Montréal qui a décidé de s'attaquer au sexisme de manière pédagogique. Quatre capsules vidéo réalisées par Ève Lamont (à qui l'on doit le documentaire <em>L'imposture sur la prostitution</em>) sont nourries de témoignages d'enfants et de parents. Leurs paroles sont mises en perspective avec les explications de sociologues et de sexologues qui interrogent la construction des rôles sociaux féminins et masculins dès le plus jeune âge et la sexualisation de la société, notamment à travers les réseaux sociaux, les médias ou la publicité. Ne se contentant pas de faire le constat du sexisme et de l'hypersexualisation des jeunes et en particulier des filles, une vidéo livre aussi des pistes pour changer les mentalités. Des outils indispensables pour les parents, les enseignants et toute personne soucieuse de former des adultes de demain libres de leurs choix, bien dans leurs baskets ou leurs sandalettes. <br />Toutes les capsules sont disponibles gratuitement <a href="http://capsule.dev.ydesfemmesmtl.org/"><span style="text-decoration: underline;">ici</span></a> . La capsule n°1 est visible sur le site de l'émiliE en page d'accueil.<br /><br />Image: capture d'écran de la capsule 1 <em>Qu'est-ce que la socialisation sexiste?</em></p>
Un esprit sain dans un corps libéré
2014-06-19T03:16:43+00:00
2014-06-19T03:16:43+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/596-un-esprit-sain-dans-un-corps-libere
Manon Legrand
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/FP3%20fin.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Alors que l’obésité semble de plus en plus préoccuper les autorités publiques et médicales, des mouvements émergent pour lutter contre les discriminations qui frappent les gros-se-s et décloisonner les normes dominantes du "corps valide". C’est l’objectif du "militantisme gros" qui a, depuis septembre 2012, son groupe en Belgique : <span style="text-decoration: underline;"><a href="https://www.facebook.com/fatpositivitybelgium?fref=ts">Fat Positivity Belgium</a></span>.</strong><br /><br />Leurs fesses ont tout juste trouvé leur place sur la chaise du restaurant où nous nous rencontrons. Elles le racontent sans honte. Catherine Wallemacq et Charline Herbin sont grosses, l’assument et le revendiquent. Elles font partie des membres de Fat Positivity Belgium, un groupe de parole et de réflexion qui lutte contre la stigmatisation de la grosseur. Des discriminations dont elles sont victimes au quotidien, à travers notamment le manque d’accessibilité des lieux publics, l’offre limitée de vêtements à leur taille dans les magasins ou encore les clichés ressassés dans les médias et l’invisibilité des personnes grosses dans la culture…</p>
<p><br />Fat Positivity Belgium, né en septembre 2012, s’inscrit dans la mouvance du "fat activism", que l’on peut traduire par "militantisme gros". Ce courant est né aux États-Unis dans les années 70, une période marquée par l’émergence des mouvements émancipateurs féministes et antiracistes. À l’instar des Afro-Américains qui se réclament "blacks" ("noirs") comme dans le slogan "Black is Beautiful", les militantes revendiquent l’utilisation de l’adjectif "gros" : "On se réapproprie ce mot qui a été stigmatisé et on le politise. Selon nous, le mot "rondes" est un euphémisme qui implique l’idée que "grosses", c’est offensant. Gros, comme grand ou petit, est un descripteur neutre", expliquent Catherine Wallemacq et Charline Herbin.<br /><br /><strong>Se libérer du discours médical</strong><br />Le constat des "fat activistes" est simple : les gros et les grosses sont aujourd’hui stigmatisés. Pire, le discours "grossophobe", c’est-à-dire anti-gros, se généralise et s’installe insidieusement dans les esprits. Un gros qui fait du sport ? Impossible. Ou qui mange des légumes ? Peu probable… Ces idées sont tenaces dans l’imaginaire collectif. Chez Fat Positivity, le surpoids et l’obésité sont des mots totalement rejetés. "Ils renvoient au monde médical, avec qui nous avons une histoire compliquée, justifie Catherine. La médecine exerce un pouvoir sur les corps, et particulièrement sur le corps des femmes. La science n’est jamais neutre." Et les gros sont spécifiquement ciblés dans les discours médicaux : hors normes, ils sont forcément malades.</p>
<p><br />À travers la lutte contre l’obésité et les études alarmistes qui remplissent souvent les pages des journaux, une oppression sournoise s’exerce sur les personnes grosses. "Les études qui sortent dans la presse présentent des biais problématiques. Les chercheurs peuvent avoir des connexions avec le monde du régime, explique Charline, qui rejette les raccourcis établis par le monde médical. Dans la tête des médecins comme dans l’imaginaire collectif, la grosseur est automatiquement reliée à une mauvaise santé. Or, il y a d’autres facteurs dont il faut tenir compte : le stress, la discrimination envers les gros ont aussi un impact sur la santé." Et de dénoncer la pression permanente qui pèse sur eux : "On nous répète à longueur de journée : "Ça ne dépend que de toi !" Notre grosseur est considérée comme un état forcément transitoire. L’idée demeure qu’on peut s’accepter mais que, quand même, on doit faire régime." Face à la culpabilisation et à la moralisation constantes qu’elles subissent de la part du monde médical ou de ceux qui s’improvisent experts en santé, les fat activistes insistent : "On n’a pas à se défendre. Il n’y a pas de mauvais corps. Et même si on est en mauvaise santé, personne n’a le droit de nous discriminer ou d’exercer un pouvoir sur notre corps."<br /><br /><strong>Déjouer les standards</strong><br />Parce qu’il met en lumière les diktats de beauté pesant sur les femmes, le fat activisme présente une filiation évidente avec le féminisme. "La peur de grossir touche toutes les femmes qui sont victimes de l’industrie du régime mais aussi du regard masculin sur leur corps et sur leur beauté. On fait toutes les frais de la grossophobie", explique Catherine. Dans ce sens, le genre est en lien avec l’oppression de la grosseur. "L’idée préside dans nos sociétés que les femmes doivent occuper le moins de place possible, cela se manifeste par exemple dans la façon dont elles doivent s’asseoir. Être grosse, occuper de l'espace, peut donc être vu comme un acte de rébellion, avance Catherine. La beauté reste construite en fonction du regard des hommes. Les personnes très minces d’ailleurs endurent aussi des remarques ou sont considérées comme n’étant pas de "vraies" femmes."<br />Dans une optique de diversité, le fat activisme veut faire sauter les verrous qui enferment tous les corps. C’est pourquoi il est aussi connecté aux militantismes "trans" et "handi" (qui dénoncent les discriminations subies par les personnes transsexuelles pour le premier et handicapées pour le second). "Tous ces mouvements questionnent les normes du corps et remettent en cause l’obligation d’avoir un corps "valide", "normal", tel que défini par la société", poursuit Catherine. Il n’est donc pas étonnant que les fat activistes apprécient le "new burlesque". Ce mouvement artistique et féministe né aux États-Unis dans les années 90 propose des performances scéniques de strip-tease aux contours très politiques. En mettant à nu tous les corps quels qu’ils soient – transgenres, handicapé-e-s, gros-ses –, il vise à dénoncer les diktats de la beauté qui étouffent les personnes hors normes. "Contrairement au "burlesque" à la mode aujourd’hui – qui remet au goût du jour les femmes traditionnelles pulpeuses des années 50 –, le "new burlesque" apporte une vraie subversion des standards", se réjouit Catherine Wallemacq. <br /><br /><strong>Sortir de l’invisibilité</strong><br />Au-delà de ces expériences singulières, la diversité peine à percer aujourd’hui et les grosses demeurent cachées. Mais depuis quelques années, certaines sortent du bois. Sur le web notamment, elles revendiquent une place, détricotent les clichés et montrent tout simplement qu’elles aiment leur corps. Il peut s’agir de blogs recensant des conseils mode et partageant des bons filons pour trouver des vêtements adaptés, mais aussi de sites qui compilent des photos ou publient des témoignages relatifs au "fatshaming" (littéralement "rendre les gros honteux"). Ces espaces de partage, qu’ils soient virtuels ou bien concrets comme chez Fat Positivity, permettent aux femmes de se rendre visibles, existantes et puissantes aux yeux de la société qui est, elle, bien trop étriquée.</p>
<p>Illustration © Aline Rolis</p>
<p><strong>Cet article a été publié à l'origine dans le mensuel féministe belge <em>axelle</em> de juin 2014. Plus d'infos sur le site <a href="http://www.axellemag.be/fr/">http://www.axellemag.be/fr/</a></strong></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/FP3%20fin.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Alors que l’obésité semble de plus en plus préoccuper les autorités publiques et médicales, des mouvements émergent pour lutter contre les discriminations qui frappent les gros-se-s et décloisonner les normes dominantes du "corps valide". C’est l’objectif du "militantisme gros" qui a, depuis septembre 2012, son groupe en Belgique : <span style="text-decoration: underline;"><a href="https://www.facebook.com/fatpositivitybelgium?fref=ts">Fat Positivity Belgium</a></span>.</strong><br /><br />Leurs fesses ont tout juste trouvé leur place sur la chaise du restaurant où nous nous rencontrons. Elles le racontent sans honte. Catherine Wallemacq et Charline Herbin sont grosses, l’assument et le revendiquent. Elles font partie des membres de Fat Positivity Belgium, un groupe de parole et de réflexion qui lutte contre la stigmatisation de la grosseur. Des discriminations dont elles sont victimes au quotidien, à travers notamment le manque d’accessibilité des lieux publics, l’offre limitée de vêtements à leur taille dans les magasins ou encore les clichés ressassés dans les médias et l’invisibilité des personnes grosses dans la culture…</p>
<p><br />Fat Positivity Belgium, né en septembre 2012, s’inscrit dans la mouvance du "fat activism", que l’on peut traduire par "militantisme gros". Ce courant est né aux États-Unis dans les années 70, une période marquée par l’émergence des mouvements émancipateurs féministes et antiracistes. À l’instar des Afro-Américains qui se réclament "blacks" ("noirs") comme dans le slogan "Black is Beautiful", les militantes revendiquent l’utilisation de l’adjectif "gros" : "On se réapproprie ce mot qui a été stigmatisé et on le politise. Selon nous, le mot "rondes" est un euphémisme qui implique l’idée que "grosses", c’est offensant. Gros, comme grand ou petit, est un descripteur neutre", expliquent Catherine Wallemacq et Charline Herbin.<br /><br /><strong>Se libérer du discours médical</strong><br />Le constat des "fat activistes" est simple : les gros et les grosses sont aujourd’hui stigmatisés. Pire, le discours "grossophobe", c’est-à-dire anti-gros, se généralise et s’installe insidieusement dans les esprits. Un gros qui fait du sport ? Impossible. Ou qui mange des légumes ? Peu probable… Ces idées sont tenaces dans l’imaginaire collectif. Chez Fat Positivity, le surpoids et l’obésité sont des mots totalement rejetés. "Ils renvoient au monde médical, avec qui nous avons une histoire compliquée, justifie Catherine. La médecine exerce un pouvoir sur les corps, et particulièrement sur le corps des femmes. La science n’est jamais neutre." Et les gros sont spécifiquement ciblés dans les discours médicaux : hors normes, ils sont forcément malades.</p>
<p><br />À travers la lutte contre l’obésité et les études alarmistes qui remplissent souvent les pages des journaux, une oppression sournoise s’exerce sur les personnes grosses. "Les études qui sortent dans la presse présentent des biais problématiques. Les chercheurs peuvent avoir des connexions avec le monde du régime, explique Charline, qui rejette les raccourcis établis par le monde médical. Dans la tête des médecins comme dans l’imaginaire collectif, la grosseur est automatiquement reliée à une mauvaise santé. Or, il y a d’autres facteurs dont il faut tenir compte : le stress, la discrimination envers les gros ont aussi un impact sur la santé." Et de dénoncer la pression permanente qui pèse sur eux : "On nous répète à longueur de journée : "Ça ne dépend que de toi !" Notre grosseur est considérée comme un état forcément transitoire. L’idée demeure qu’on peut s’accepter mais que, quand même, on doit faire régime." Face à la culpabilisation et à la moralisation constantes qu’elles subissent de la part du monde médical ou de ceux qui s’improvisent experts en santé, les fat activistes insistent : "On n’a pas à se défendre. Il n’y a pas de mauvais corps. Et même si on est en mauvaise santé, personne n’a le droit de nous discriminer ou d’exercer un pouvoir sur notre corps."<br /><br /><strong>Déjouer les standards</strong><br />Parce qu’il met en lumière les diktats de beauté pesant sur les femmes, le fat activisme présente une filiation évidente avec le féminisme. "La peur de grossir touche toutes les femmes qui sont victimes de l’industrie du régime mais aussi du regard masculin sur leur corps et sur leur beauté. On fait toutes les frais de la grossophobie", explique Catherine. Dans ce sens, le genre est en lien avec l’oppression de la grosseur. "L’idée préside dans nos sociétés que les femmes doivent occuper le moins de place possible, cela se manifeste par exemple dans la façon dont elles doivent s’asseoir. Être grosse, occuper de l'espace, peut donc être vu comme un acte de rébellion, avance Catherine. La beauté reste construite en fonction du regard des hommes. Les personnes très minces d’ailleurs endurent aussi des remarques ou sont considérées comme n’étant pas de "vraies" femmes."<br />Dans une optique de diversité, le fat activisme veut faire sauter les verrous qui enferment tous les corps. C’est pourquoi il est aussi connecté aux militantismes "trans" et "handi" (qui dénoncent les discriminations subies par les personnes transsexuelles pour le premier et handicapées pour le second). "Tous ces mouvements questionnent les normes du corps et remettent en cause l’obligation d’avoir un corps "valide", "normal", tel que défini par la société", poursuit Catherine. Il n’est donc pas étonnant que les fat activistes apprécient le "new burlesque". Ce mouvement artistique et féministe né aux États-Unis dans les années 90 propose des performances scéniques de strip-tease aux contours très politiques. En mettant à nu tous les corps quels qu’ils soient – transgenres, handicapé-e-s, gros-ses –, il vise à dénoncer les diktats de la beauté qui étouffent les personnes hors normes. "Contrairement au "burlesque" à la mode aujourd’hui – qui remet au goût du jour les femmes traditionnelles pulpeuses des années 50 –, le "new burlesque" apporte une vraie subversion des standards", se réjouit Catherine Wallemacq. <br /><br /><strong>Sortir de l’invisibilité</strong><br />Au-delà de ces expériences singulières, la diversité peine à percer aujourd’hui et les grosses demeurent cachées. Mais depuis quelques années, certaines sortent du bois. Sur le web notamment, elles revendiquent une place, détricotent les clichés et montrent tout simplement qu’elles aiment leur corps. Il peut s’agir de blogs recensant des conseils mode et partageant des bons filons pour trouver des vêtements adaptés, mais aussi de sites qui compilent des photos ou publient des témoignages relatifs au "fatshaming" (littéralement "rendre les gros honteux"). Ces espaces de partage, qu’ils soient virtuels ou bien concrets comme chez Fat Positivity, permettent aux femmes de se rendre visibles, existantes et puissantes aux yeux de la société qui est, elle, bien trop étriquée.</p>
<p>Illustration © Aline Rolis</p>
<p><strong>Cet article a été publié à l'origine dans le mensuel féministe belge <em>axelle</em> de juin 2014. Plus d'infos sur le site <a href="http://www.axellemag.be/fr/">http://www.axellemag.be/fr/</a></strong></p>
Transfashion, tout se transforme
2014-05-15T11:54:57+00:00
2014-05-15T11:54:57+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/589-transfashion-tout-se-transforme
Nathalie Brochard
[email protected]
<p> </p>
<p><strong> </strong></p>
<p><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/transfashion.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /><br /><strong>l’émiliE a relevé le défi d’organiser un défilé transféministe. Des artistes se sont mobilisé-e-s pour concevoir des collections pas comme les autres. Un exercice de style avec des contraintes précises visant à interroger le genre et à créer dans une perspective durable. Une performance artistique critique. Un moment rare.</strong></p>
<p><br />Les modes sont de toutes sortes, intellectuelles ou matérielles. Elles concernent aussi bien les objets que la culture et procèdent d’une même logique sociale : marquage social, construction identitaire, différenciation, imitation, intégration, domination. LA mode, celle des vêtements, est devenue un phénomène d’une ampleur sans précédent depuis une vingtaine d’années au point que les centres de nos villes se sont transformés en friperies plus ou moins haut-de-gamme : à chaque artère, sa ribambelle d’enseignes de fringues. Avec pour point de départ, le podium, véritable piste d’envol des créations orchestrées par une industrie florissante qui génère tous les ans quelque 500 milliards de dollars et qui fascine en particulier les jeunes générations. A chaque saison, ces fashion weeks à Londres, Paris, New-York, Milan pour l’Occident, à Jakarta pour l’Orient mettent en scène une cohorte de mannequins ultra-normés qui défilent selon des codes stricts pour présenter des collections binaires homme/femme.</p>
<p><br />l’émiliE s’est demandé à quoi ressemblerait un défilé transféministe. Transféministe déjà, d’où ça sort ? Certain-e-s y voient un mouvement universel qui traverserait les probématiques féministes dans leur globalité s’éloignant du féminisme essentialiste d’origine. Pour d’autres, c’est l’alliance du mouvement trans et du post-féminisme. l’émiliE y voit la réponse politique face aux inégalités et aux violences de genre. Le transféminisme est une réponse globale, pas juste celle du groupe des femmes mais aussi celle des minorités, y compris celle des hommes n’adoptant pas le profil dominant. Et des intersexes. C’est une réponse à toutes les dominations et colonisations. On ne peut pas adopter une posture d’entre-soi essentialiste productrice d’exclusions. Entre humains, post-humains et transhumains, l’égalité reste à faire parce que les normes patriarcales archaïques toujours à l’oeuvre continuent de façonner la société. L’heure est à l’hybridation et le transféminisme est un outil de transformation sociale.</p>
<p><br />Et si les corps hormonés, les corps greffés, les corps appareillés (prothèses, implants, bracelets électroniques, puces, objets nomades type téléphone, lunette, GPS, casque MP3), les corps virtuels, les corps genrés, les corps métissés deviennent chaque jour plus nombreux, se pose alors la question de savoir si les hybrides sont en train de devenir la norme dominante ? N’est-ce pas le paradoxe de l’hybridation qui suit un processus de normativité sans cesse réinventé ?</p>
<p>Quel écho prendraient toutes ces interrogations dans un défilé de mode ? Au-delà de la déconstruction des codes et des injonctions que produit l’univers de la mode, que donnerait-il à voir ? D’autres corps, des collections en rupture avec la bicatégorisation homme/femme, d’autres matériaux, d’autres démarches sans logique financière ? Quelles valeurs transmettrait un tel événement ? Quelle fonction aurait-il ? Quel impact ?</p>
<p><br />C’est peut-être par là qu’il faut commencer, l’impact. Quand Annia Diviani, jeune étudiante à la Haute Ecole d’Art et de Design (HEAD) de Genève, est venue proposer à l’émliE son projet de défilé, nous avons d’abord pensé aux conséquences : pourquoi produire plus ? Transformons à partir de ce qui a déjà été produit. Et le cahier des charges s’est ainsi rempli petit à petit : les créateurs-trices qui participent s’engagent à utiliser des matériaux recyclés ou de seconde main. Autre impact humain, cette bicatégorisation archaïque autour du vêtement : aux designers participant-e-s sinon de la faire exploser du moins de la questionner en profondeur. Le vêtement n’est jamais neutre : il est socialement construit et genré. Sa signification contenue et apportée évolue selon les époques et les sociétés. Les exemples du pantalon et de la jupe sont à cet égard très révélateurs : tous les deux peuvent être symboles d’émancipation ou d’oppression.</p>
<p><br />Parce qu’au cœur du sujet, il y a le corps, celui des femmes qu’il faut contrôler, celui des personnes trans qu’il faut cacher. Comme le rappelle l’historienne Christine Bard, «rien n’est moins naturel que le corps de mode». Serait-il artifice ? Tout est bon pour vendre et la subversion fait partie des stratégies marketing des maisons de couture : on se souvient du scandale provoqué par le modèle transsexuel Léa T. posant nue, jambes écartées, pour le <em>Vogue</em> français. En 2011, Jean-Paul Gaultier fait défiler une mannequin pour sa collection femme qui marque les annales: il s’agit d’Andrej Pejic, un jeune Australien, qui a également posé pour de la lingerie féminine. De son côté, l’agence Ford a engagé Casey Legler, première femme à présenter les collections de mode masculine sur les podiums. Citons encore la revue espagnole <em>Candy</em> qui se définit comme the first transversal style magazine et qui transforme les personnalités qui posent pour ses photographes : après Tilda Swinton, Chloë Sevigny, James Franco, c’est au tour de Jared Leto d’apparaître jambes, bras, aisselles, sourcils épilés. Dédié aux cultures transgenres, <em>Candy</em> ouvre véritablement la voie à la diversité. Il ne s’agit plus juste d’ambiguïté mais de cross-gender et la Transfashion résistance étudiera cette réalité sous toutes ses coutures bien sûr. Pourquoi les performances et transgressions de genre qui traversent les cultures deviennent-elles des outils dans l’industrie de la mode ? <br /><br /></p>
<p>Photo Marianne Villere</p>
<p> </p>
<p> </p>
<p><strong> </strong></p>
<p><img src="images/genresfeminismes/transfashion.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /><br /><strong>l’émiliE a relevé le défi d’organiser un défilé transféministe. Des artistes se sont mobilisé-e-s pour concevoir des collections pas comme les autres. Un exercice de style avec des contraintes précises visant à interroger le genre et à créer dans une perspective durable. Une performance artistique critique. Un moment rare.</strong></p>
<p><br />Les modes sont de toutes sortes, intellectuelles ou matérielles. Elles concernent aussi bien les objets que la culture et procèdent d’une même logique sociale : marquage social, construction identitaire, différenciation, imitation, intégration, domination. LA mode, celle des vêtements, est devenue un phénomène d’une ampleur sans précédent depuis une vingtaine d’années au point que les centres de nos villes se sont transformés en friperies plus ou moins haut-de-gamme : à chaque artère, sa ribambelle d’enseignes de fringues. Avec pour point de départ, le podium, véritable piste d’envol des créations orchestrées par une industrie florissante qui génère tous les ans quelque 500 milliards de dollars et qui fascine en particulier les jeunes générations. A chaque saison, ces fashion weeks à Londres, Paris, New-York, Milan pour l’Occident, à Jakarta pour l’Orient mettent en scène une cohorte de mannequins ultra-normés qui défilent selon des codes stricts pour présenter des collections binaires homme/femme.</p>
<p><br />l’émiliE s’est demandé à quoi ressemblerait un défilé transféministe. Transféministe déjà, d’où ça sort ? Certain-e-s y voient un mouvement universel qui traverserait les probématiques féministes dans leur globalité s’éloignant du féminisme essentialiste d’origine. Pour d’autres, c’est l’alliance du mouvement trans et du post-féminisme. l’émiliE y voit la réponse politique face aux inégalités et aux violences de genre. Le transféminisme est une réponse globale, pas juste celle du groupe des femmes mais aussi celle des minorités, y compris celle des hommes n’adoptant pas le profil dominant. Et des intersexes. C’est une réponse à toutes les dominations et colonisations. On ne peut pas adopter une posture d’entre-soi essentialiste productrice d’exclusions. Entre humains, post-humains et transhumains, l’égalité reste à faire parce que les normes patriarcales archaïques toujours à l’oeuvre continuent de façonner la société. L’heure est à l’hybridation et le transféminisme est un outil de transformation sociale.</p>
<p><br />Et si les corps hormonés, les corps greffés, les corps appareillés (prothèses, implants, bracelets électroniques, puces, objets nomades type téléphone, lunette, GPS, casque MP3), les corps virtuels, les corps genrés, les corps métissés deviennent chaque jour plus nombreux, se pose alors la question de savoir si les hybrides sont en train de devenir la norme dominante ? N’est-ce pas le paradoxe de l’hybridation qui suit un processus de normativité sans cesse réinventé ?</p>
<p>Quel écho prendraient toutes ces interrogations dans un défilé de mode ? Au-delà de la déconstruction des codes et des injonctions que produit l’univers de la mode, que donnerait-il à voir ? D’autres corps, des collections en rupture avec la bicatégorisation homme/femme, d’autres matériaux, d’autres démarches sans logique financière ? Quelles valeurs transmettrait un tel événement ? Quelle fonction aurait-il ? Quel impact ?</p>
<p><br />C’est peut-être par là qu’il faut commencer, l’impact. Quand Annia Diviani, jeune étudiante à la Haute Ecole d’Art et de Design (HEAD) de Genève, est venue proposer à l’émliE son projet de défilé, nous avons d’abord pensé aux conséquences : pourquoi produire plus ? Transformons à partir de ce qui a déjà été produit. Et le cahier des charges s’est ainsi rempli petit à petit : les créateurs-trices qui participent s’engagent à utiliser des matériaux recyclés ou de seconde main. Autre impact humain, cette bicatégorisation archaïque autour du vêtement : aux designers participant-e-s sinon de la faire exploser du moins de la questionner en profondeur. Le vêtement n’est jamais neutre : il est socialement construit et genré. Sa signification contenue et apportée évolue selon les époques et les sociétés. Les exemples du pantalon et de la jupe sont à cet égard très révélateurs : tous les deux peuvent être symboles d’émancipation ou d’oppression.</p>
<p><br />Parce qu’au cœur du sujet, il y a le corps, celui des femmes qu’il faut contrôler, celui des personnes trans qu’il faut cacher. Comme le rappelle l’historienne Christine Bard, «rien n’est moins naturel que le corps de mode». Serait-il artifice ? Tout est bon pour vendre et la subversion fait partie des stratégies marketing des maisons de couture : on se souvient du scandale provoqué par le modèle transsexuel Léa T. posant nue, jambes écartées, pour le <em>Vogue</em> français. En 2011, Jean-Paul Gaultier fait défiler une mannequin pour sa collection femme qui marque les annales: il s’agit d’Andrej Pejic, un jeune Australien, qui a également posé pour de la lingerie féminine. De son côté, l’agence Ford a engagé Casey Legler, première femme à présenter les collections de mode masculine sur les podiums. Citons encore la revue espagnole <em>Candy</em> qui se définit comme the first transversal style magazine et qui transforme les personnalités qui posent pour ses photographes : après Tilda Swinton, Chloë Sevigny, James Franco, c’est au tour de Jared Leto d’apparaître jambes, bras, aisselles, sourcils épilés. Dédié aux cultures transgenres, <em>Candy</em> ouvre véritablement la voie à la diversité. Il ne s’agit plus juste d’ambiguïté mais de cross-gender et la Transfashion résistance étudiera cette réalité sous toutes ses coutures bien sûr. Pourquoi les performances et transgressions de genre qui traversent les cultures deviennent-elles des outils dans l’industrie de la mode ? <br /><br /></p>
<p>Photo Marianne Villere</p>
<p> </p>
Coloriages pour adultes, un art sexué
2014-05-02T04:04:41+00:00
2014-05-02T04:04:41+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/582-coloriages-pour-adultes-un-art-sexue
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/crayons.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Vendus comme solution anti-stress, les coloriages pour adultes ou art-therapy font un tabac auprès des femmes. Après le très hype tricot, voici venu le temps des crayons de couleur. Mais pourquoi cette activité un brin régressive est-elle genrée?</strong><br /><br />Depuis quelques années déjà, fleurissent sur les réseaux sociaux les oeuvres fièrement exposées par des artistes d'un genre nouveau. Rosaces, mandalas, tatouages, coloriés avec application s'affichent sur la toile avec ostentation. Tous portent la mention "c'est moi qui l'ai fait", un minimum dans notre monde où sommeille en chacun-e de nous un créateur-trice de génie. La créativité de ces coloristes réside dans l'art de ne pas dépasser (le trait du modèle). L'intérêt? Déconnecter. "Cette activité qui implique calme et concentration séduit de plus en plus. On est tellement stressés, sollicités en permanence par nos téléphones portables, internet, les réseaux sociaux, happés par un zapping permanent... Les gens ont besoin de déconnecter", explique à l'AFP Anne Le Meur, éditrice chez Hachette Pratique, "on crée de ses mains, sans compétence particulière, ça décomplexe."<br /><br />L'éditrice précise que les adeptes sont "essentiellement des femmes, de tous âges, des jeunes filles aux très vieilles dames…". Les hommes ne sont-ils pas stressés eux aussi ? Cette activité ne serait-elle pas assez virile ? "Cette activité implique calme et concentration" explique Anne Le Meur qualités traditionnellement associées aux femmes. Cela nous renvoie aux travaux d'aiguilles qui confinaient nos ancêtres chez elles, entre elles. Ce type d'activité mollement créative ne serait-elle pas assez valorisante pour les hommes ? Crayonner, rester dans la limite d'un trait et suivre un modèle donné serait-ce trop passif ? Les stéréotypes des hommes en action et des femmes bien sages seraient-ils ici validés ? Les coloristes affirment de leur côté que cette activité leur permet de ne pas réfléchir, de décompresser et d'avoir au final un résultat agréable à l'oeil qui les satisfait. Hachette dit vouloir élargir sa cible en proposant aux garçons des modèles spécifiques comme celui de street art intitulé "Graff' L’art de la rue à colorier". Ah bon et pourquoi pas les rosaces pour eux aussi? C'est à cause de la fameuse différence des sexes encore et toujours... Décidément le gender marketing persiste et signe.<br /><br /><br /></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/crayons.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Vendus comme solution anti-stress, les coloriages pour adultes ou art-therapy font un tabac auprès des femmes. Après le très hype tricot, voici venu le temps des crayons de couleur. Mais pourquoi cette activité un brin régressive est-elle genrée?</strong><br /><br />Depuis quelques années déjà, fleurissent sur les réseaux sociaux les oeuvres fièrement exposées par des artistes d'un genre nouveau. Rosaces, mandalas, tatouages, coloriés avec application s'affichent sur la toile avec ostentation. Tous portent la mention "c'est moi qui l'ai fait", un minimum dans notre monde où sommeille en chacun-e de nous un créateur-trice de génie. La créativité de ces coloristes réside dans l'art de ne pas dépasser (le trait du modèle). L'intérêt? Déconnecter. "Cette activité qui implique calme et concentration séduit de plus en plus. On est tellement stressés, sollicités en permanence par nos téléphones portables, internet, les réseaux sociaux, happés par un zapping permanent... Les gens ont besoin de déconnecter", explique à l'AFP Anne Le Meur, éditrice chez Hachette Pratique, "on crée de ses mains, sans compétence particulière, ça décomplexe."<br /><br />L'éditrice précise que les adeptes sont "essentiellement des femmes, de tous âges, des jeunes filles aux très vieilles dames…". Les hommes ne sont-ils pas stressés eux aussi ? Cette activité ne serait-elle pas assez virile ? "Cette activité implique calme et concentration" explique Anne Le Meur qualités traditionnellement associées aux femmes. Cela nous renvoie aux travaux d'aiguilles qui confinaient nos ancêtres chez elles, entre elles. Ce type d'activité mollement créative ne serait-elle pas assez valorisante pour les hommes ? Crayonner, rester dans la limite d'un trait et suivre un modèle donné serait-ce trop passif ? Les stéréotypes des hommes en action et des femmes bien sages seraient-ils ici validés ? Les coloristes affirment de leur côté que cette activité leur permet de ne pas réfléchir, de décompresser et d'avoir au final un résultat agréable à l'oeil qui les satisfait. Hachette dit vouloir élargir sa cible en proposant aux garçons des modèles spécifiques comme celui de street art intitulé "Graff' L’art de la rue à colorier". Ah bon et pourquoi pas les rosaces pour eux aussi? C'est à cause de la fameuse différence des sexes encore et toujours... Décidément le gender marketing persiste et signe.<br /><br /><br /></p>
La socialisation des garçons en cause
2014-04-21T09:30:49+00:00
2014-04-21T09:30:49+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/578-la-socialisation-des-garcons-en-cause
Nathalie Brochard
[email protected]
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/dessin-enfants-bagarre.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"> </p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"> <strong><span style="font-family: Helvetica;">Deux procès pour viol et assassinat et une même demande de la part des familles de victimes: la prise de conscience que la socialisation de genre est à l'origine de la violence des hommes envers les femmes. Les proches de ces femmes mortes sous les coups d'hommes "normaux" veulent briser la domination du silence et dénoncent la complicité de la société toute entière.<br /></span></strong></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Helvetica;">«Ce sont les hommes qui violent et qui tuent en majorité, alors qu’il y a autant de femmes qui ont été maltraitées enfants». Ce sont ces mots que la mère de Gala Mulard, enlevée, séquestrée, violée puis assassinée à l’âge de 19 ans a opposés à la défense du meurtrier, Alain Delannoy, un père de famille dont l’enfance a été marquée par l’alcoolisme et la violence de ses parents. Dans le texte que cette femme a lu devant les jurés de la cour d’assises de Haute-Loire (France), elle pointe du doigt l’éducation des garçons qui se fait «dans la virilité et la violence».</span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Helvetica;"> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Helvetica;">Pratiquement le même jour, en Australie, Tom Meagher publie sur le site de la <a href="http://whiteribbonblog.com/2014/04/17/the-danger-of-the-monster-myth/"><strong><span style="text-decoration: underline;">White Ribbon Campaign</span></strong></a> un long plaidoyer sur la violence des hommes envers les femmes. Son épouse Jill a été violée et tuée par Adrian Bayley alors qu’elle rentrait d’une soirée entre collègues.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>Au fil des audiences, il se dit perturbé par un fait auquel il ne s’attend pas : il découvre que le meurtrier n’est pas un monstre mais un homme « normal ». Ce pourrait être un collègue, un ami, quelqu’un de la famille... A l’instar de l’avocat de l’assassin de Gala Mulard, Marcel Schott, qui a déclaré que son client était « tout sauf un monstre », Tom Meagher déconstruit le mythe du monstre. Mais pour arriver à quelles conclusions ?</span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Helvetica;"> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Helvetica;">Pour Tom Meagher, le terme même de violences faites aux femmes renvoie à un concept abstrait qui s’inscrit dans l’ordre des choses, dans la nature. Personne ne dit « les violences des hommes faites aux femmes » alors même que c’est une réalité. Dans la même logique, selon lui, on utilise la forme passive en conjugaison « a été battue/violée/assassinée » pour éviter de désigner l’auteur des faits : un homme. Au-delà des discours, il note que les circonstances atténuantes invoquées par la défense du criminel sont systématiquement l’alcool, la drogue, les violences subies dans l’enfance, les problèmes économiques et jamais la socialisation de genre. Les familles de victimes commencent pourtant à dire que quelque chose cloche dans tout ça.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Helvetica;"> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Helvetica;">Et si tout était à revoir à commencer par l’éducation (école et famille) ? Dans nos sociétés, les enfants apprennent très tôt ce que signifie être un garçon ou une fille par le clivage des activités, les encouragements différenciés, les comportements observés. La socialisation de genre amène ainsi les garçons à se conformer à des normes dites masculines et à développer des qualités en conformité avec leur genre. Ils seraient ainsi gratifiés s’ils adoptent certaines valeurs (compétition, leadership, etc) et punis s’ils adhèrent à d’autres(soin de soi, intimité, etc). Selon les travaux des sociologues, la socialisation de genre qui prescrit aux hommes des rôles sociaux de sexe axés sur leur domination, permet d’expliquer plusieurs comportements masculins liés au rôle d’oppresseur. Tandis que le sexe social prescrit aux femmes le rôle de victime.</span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-family: Helvetica;"> </span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-family: Helvetica;">La violence faite aux femmes a donc pour origine la socialisation des garçons qui les pousse à être agressifs, les valeurs sociales sexistes et patriarcales qui encouragent la domination des hommes sur les femmes et le maintien de ces valeurs dans les institutions sociales comme la famille, l’école et les médias. Pour déconstruire la violence masculine, une prise de conscience générale est nécessaire. Faut-il attendre d’être concerné-e-s pour s’interroger et réagir ? Les seul-e-s féministes auront beau s’époumoner, rien n’évoluera si la société continue à penser que c’est bien triste mais c’est comme ça. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-family: Helvetica;"> </span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-family: Helvetica;">A la lumière de son drame personnel, Tom Meagher pense que la responsabilité des hommes violents allié au silence des hommes non-violents ne doit pas être une fatalité. Néanmoins, lorsque sur les pages de soutien à sa femme qui se sont multipliées sur Facebook, il a lu que les gens souhaitaient que le meurtrier soit violé en prison, il a pris conscience du chemin qui resteait à parcourir. Le viol comme punition et instrument de domination ne fait que renforcer les rapports de force et ne résout en rien le problème selon lui. C’est au contraire valider le système de pensée du meurtrier de sa femme. Socialiser garçons et filles dans une perspective d’équité est un vaste chantier qui n’en est hélas qu’à ses débuts. </span></p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Helvetica;"> </span></p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Helvetica;"> </span></p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Helvetica;"> </span></p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-family: Helvetica;"> </span></p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-family: Helvetica;"> </span></p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-family: Helvetica;"> </span></p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal"> </p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><img src="images/genresfeminismes/dessin-enfants-bagarre.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"> </p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"> <strong><span style="font-family: Helvetica;">Deux procès pour viol et assassinat et une même demande de la part des familles de victimes: la prise de conscience que la socialisation de genre est à l'origine de la violence des hommes envers les femmes. Les proches de ces femmes mortes sous les coups d'hommes "normaux" veulent briser la domination du silence et dénoncent la complicité de la société toute entière.<br /></span></strong></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Helvetica;">«Ce sont les hommes qui violent et qui tuent en majorité, alors qu’il y a autant de femmes qui ont été maltraitées enfants». Ce sont ces mots que la mère de Gala Mulard, enlevée, séquestrée, violée puis assassinée à l’âge de 19 ans a opposés à la défense du meurtrier, Alain Delannoy, un père de famille dont l’enfance a été marquée par l’alcoolisme et la violence de ses parents. Dans le texte que cette femme a lu devant les jurés de la cour d’assises de Haute-Loire (France), elle pointe du doigt l’éducation des garçons qui se fait «dans la virilité et la violence».</span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Helvetica;"> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Helvetica;">Pratiquement le même jour, en Australie, Tom Meagher publie sur le site de la <a href="http://whiteribbonblog.com/2014/04/17/the-danger-of-the-monster-myth/"><strong><span style="text-decoration: underline;">White Ribbon Campaign</span></strong></a> un long plaidoyer sur la violence des hommes envers les femmes. Son épouse Jill a été violée et tuée par Adrian Bayley alors qu’elle rentrait d’une soirée entre collègues.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>Au fil des audiences, il se dit perturbé par un fait auquel il ne s’attend pas : il découvre que le meurtrier n’est pas un monstre mais un homme « normal ». Ce pourrait être un collègue, un ami, quelqu’un de la famille... A l’instar de l’avocat de l’assassin de Gala Mulard, Marcel Schott, qui a déclaré que son client était « tout sauf un monstre », Tom Meagher déconstruit le mythe du monstre. Mais pour arriver à quelles conclusions ?</span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Helvetica;"> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Helvetica;">Pour Tom Meagher, le terme même de violences faites aux femmes renvoie à un concept abstrait qui s’inscrit dans l’ordre des choses, dans la nature. Personne ne dit « les violences des hommes faites aux femmes » alors même que c’est une réalité. Dans la même logique, selon lui, on utilise la forme passive en conjugaison « a été battue/violée/assassinée » pour éviter de désigner l’auteur des faits : un homme. Au-delà des discours, il note que les circonstances atténuantes invoquées par la défense du criminel sont systématiquement l’alcool, la drogue, les violences subies dans l’enfance, les problèmes économiques et jamais la socialisation de genre. Les familles de victimes commencent pourtant à dire que quelque chose cloche dans tout ça.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Helvetica;"> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Helvetica;">Et si tout était à revoir à commencer par l’éducation (école et famille) ? Dans nos sociétés, les enfants apprennent très tôt ce que signifie être un garçon ou une fille par le clivage des activités, les encouragements différenciés, les comportements observés. La socialisation de genre amène ainsi les garçons à se conformer à des normes dites masculines et à développer des qualités en conformité avec leur genre. Ils seraient ainsi gratifiés s’ils adoptent certaines valeurs (compétition, leadership, etc) et punis s’ils adhèrent à d’autres(soin de soi, intimité, etc). Selon les travaux des sociologues, la socialisation de genre qui prescrit aux hommes des rôles sociaux de sexe axés sur leur domination, permet d’expliquer plusieurs comportements masculins liés au rôle d’oppresseur. Tandis que le sexe social prescrit aux femmes le rôle de victime.</span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-family: Helvetica;"> </span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-family: Helvetica;">La violence faite aux femmes a donc pour origine la socialisation des garçons qui les pousse à être agressifs, les valeurs sociales sexistes et patriarcales qui encouragent la domination des hommes sur les femmes et le maintien de ces valeurs dans les institutions sociales comme la famille, l’école et les médias. Pour déconstruire la violence masculine, une prise de conscience générale est nécessaire. Faut-il attendre d’être concerné-e-s pour s’interroger et réagir ? Les seul-e-s féministes auront beau s’époumoner, rien n’évoluera si la société continue à penser que c’est bien triste mais c’est comme ça. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-family: Helvetica;"> </span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-family: Helvetica;">A la lumière de son drame personnel, Tom Meagher pense que la responsabilité des hommes violents allié au silence des hommes non-violents ne doit pas être une fatalité. Néanmoins, lorsque sur les pages de soutien à sa femme qui se sont multipliées sur Facebook, il a lu que les gens souhaitaient que le meurtrier soit violé en prison, il a pris conscience du chemin qui resteait à parcourir. Le viol comme punition et instrument de domination ne fait que renforcer les rapports de force et ne résout en rien le problème selon lui. C’est au contraire valider le système de pensée du meurtrier de sa femme. Socialiser garçons et filles dans une perspective d’équité est un vaste chantier qui n’en est hélas qu’à ses débuts. </span></p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Helvetica;"> </span></p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Helvetica;"> </span></p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Helvetica;"> </span></p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-family: Helvetica;"> </span></p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-family: Helvetica;"> </span></p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-family: Helvetica;"> </span></p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal"> </p>
<p> </p>
La croissance est une croyance!
2014-04-14T11:38:10+00:00
2014-04-14T11:38:10+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/575-la-croissance-2
Nina Sirilma
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/meda2.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p> </p>
<p><strong>En cette période préélectorale se succèdent des déclarations rassurantes prophétisant le retour de la croissance. Or nous, qui vivons au quotidien le détricotage de nos droits sociaux et économiques dû aux plans d’austérité sévissant partout en Europe, nous ne sommes pas dupes… D’autant plus que nos constats des dégâts de la "croissance à tout prix" sont bien plus explicites que n’importe quelle déclaration d’expert. Et puis, de quel progrès nous parle-t-on, et à quelles conditions pour les femmes ? Une rencontre avec la sociologue française Dominique Méda autour de son dernier ouvrage, "La mystique de la croissance", nous offre matière à réflexion pour revendiquer un changement de cap. </strong><br /><br /><br />La violence de la crise économique a fait passer sous silence les dégâts environnementaux et sociaux provoqués par une poignée, mais ô combien puissante, d’institutions politiques et financières qui ont fait de la croissance à tout prix une religion. Et même si "l’on prend conscience que les rythmes de la croissance mondiale que nous connaissons depuis cinquante ans sont incompatibles avec la prise en compte de notre environnement", dénonce Dominique Méda, "un grand nombre d’économistes et hommes d’affaires ne jurent encore que par la croissance en affirmant paradoxalement que plus nous aurons de la croissance, plus nous pourrons consacrer des moyens à lutter contre les dégâts qu’elle entraîne". <br /><br /><strong>Deux nouveaux indicateurs</strong><br />Face à cette situation intenable pour l’humain et pour l’environnement, la sociologue nous rappelle l’urgence de changer de perspective et d’indicateurs pour calculer la qualité de la vie. En premier lieu, elle conseille d’arrêter de s’appuyer sur le PIB (Produit Intérieur Brut), incapable de mesurer la qualité des objets produits et encore moins la justice des conditions de travail de celles et ceux qui les produisent. "Il faut pouvoir suivre les évolutions des réalités qui comptent pour l’inscription de nos sociétés dans la durée, c'est-à-dire le patrimoine naturel et la cohésion sociale car, finalement, de quoi a besoin une société pour subsister ? De ne pas détruire le morceau de planète sur lequel elle est installée et de rester bien liée. C’est pour cette raison que ces deux indicateurs seraient déjà très utiles, rappelle Dominique Méda : l’un qui permettrait de suivre les transformations apportées au patrimoine naturel – émissions de gaz à effet de serre et pollutions de toute nature – et l’autre, un indicateur de santé sociale permettant de rendre compte des inégalités d’accès aux revenus, à l’emploi, aux conditions de travail, au logement."<br />Cet état d’urgence écologique et sociale, qui n’est pas nouveau, nous permet d’interroger le modèle politique dominant, la concentration du capital dans les mains d’une minorité, l'emprisonnement dans une épuisante poursuite de la croissance économique. "On peut mettre la résolution de la crise écologique au service d’une sortie par le haut de la situation dans laquelle se trouvent nos sociétés, caractérisées notamment par une très grave crise de l’emploi et un fort malaise au travail. Prendre la crise écologique au sérieux suppose d’engager une véritable reconversion écologique, de développer certains secteurs d’activité et d’en faire diminuer d’autres, sans doute aussi de désintensifier le travail – de travailler autrement – et de répartir l’emploi sur un plus grand nombre de personnes."<br /><br /><strong>Travailler moins et travailler tou-te-s</strong><br />Le thème de la réduction des temps de travail apparaît central dans ce changement d'attitude, en dépit de la tourmente que les 35 heures ont provoquée en France. "Je pense que nous devons tirer un bilan serein de la réduction du temps de travail. Cette réforme a entraîné des changements positifs dans beaucoup de domaines et les défauts dont on la pare souvent – comme le fait qu’elle aurait dégradé la valeur travail… – sont une production idéologique. Certes, elle avait des limites, mais il faut remettre cette question de la répartition du volume de travail sur la table. Comment substituer au partage actuel, arbitraire, sauvage, un partage raisonné, civilisé ?" Comment y arriver, alors que nous sommes captifs d’une économie globalisée, que quelques-uns conditionnent le choix du plus grand nombre, que trop de femmes restent encore aux marges de l’emploi… et que les politiques d’austérité patriarcales auxquelles les Européen-ne-s sont confrontés renforcent ces mécanismes ?<br /><br />Pour Dominique Méda, les pouvoirs publics ont un rôle important à jouer afin de corriger les mécanismes de répartition des biens et des ressources qui sont encore aujourd’hui à l’origine de beaucoup d’inégalités. "Il y a des exemples pratiques très puissants, je pense par exemple aux <a href="http://villesentransition.net/">Villes en transition</a>, un projet né en Grande-Bretagne en 2006 : les populations locales sont invitées à créer un avenir meilleur et moins vulnérable devant les crises écologiques, énergétiques et économiques qui les menacent afin de reconstruire une économie locale vigoureuse, solidaire et soutenable. Ces expériences montrent que d’autres solutions sont possibles pour éviter la casse sociale et environnementale et arrivent à conditionner l’octroi d’aides publiques à l’atteinte d’objectifs écologiques et sociaux. Même au niveau européen, il faut bien que des États puissent faire entendre qu’il existe une autre voie que celle de la réduction des protections sociales et de la flexibilité, de la modération salariale et de la compétition. Il faut rappeler que si on veut une Europe forte, alors il faut des travailleurs et des travailleuses bien qualifiés et bien payés."<br /><br /><strong>Impliquer les milieux populaires et les femmes</strong> <br />Quelle est la place des milieux populaires dans un combat qui est vu encore trop souvent comme une lutte de "bobos" ? Et comment éviter que ce changement de perspective ne devienne un nouveau piège pour ces femmes ? En effet, on sait que le temps libéré du travail productif ne mène pas forcément à un partage équitable des tâches domestiques et des soins aux enfants, encore et toujours "naturellement" dévolus aux femmes<sup>1</sup>. Pour Dominique Méda, on est d’abord clairement face à un enjeu qui concerne tout le monde : "Les milieux populaires sont les premiers à savoir que leurs conditions de vie sont dégradées. Les plus pauvres, au Sud et au Nord, supportent les plus grosses pressions sur leurs conditions de vie. Quant aux femmes, je pense qu’elles ont tout à gagner d’un partage du travail qui s’organise autour d’une norme de temps de travail plus courte qu’à l’heure actuelle, mais plus longue que les actuels temps travaillés de beaucoup d’entre elles… Je pense par exemple aux temps partiels, trop souvent imposés à des femmes qui n’ont pas d’autre choix." L'enjeu : récupérer "un mieux-vivre" qui profite réellement à toutes les femmes, quel que soit leur positionnement sur l'échelle socio-économique. Affaire à suivre !</p>
<p>__________________</p>
<p>1 À ce propos, Dominique Méda reconnaît que malgré une amélioration de la qualité de vie des femmes ayant vécu une RTT [réduction du temps de travail, ndlr] d’au moins un an, les situations varient en fonction de la qualification, du revenu des femmes et de la présence d’enfants en bas âge. Parmi ces femmes, "93 % déclarent continuer à prendre en charge la plus grande partie de la lessive, 86 % la plus grande part du repassage, environ 75 % la plus grande part de la préparation des repas, du ménage et du rangement de la maison, 73 % la plus grande part des courses alimentaires"… Voir Dominique Méda et Renaud Orain, "Transformation du travail et du hors travail : le jugement des salariés sur la réduction du temps de travail", dans Travail et Emploi, n° 90, avril 2002, p. 30. <br /><br /></p>
<p>Photo Philippe Matsas © Flammarion</p>
<p><strong>Cet article a été publié à l'origine dans le mensuel féministe belge <em>axelle</em> d'avril 2014. Plus d'infos sur le site <a href="http://www.axellemag.be/fr/">http://www.axellemag.be/fr/</a></strong></p>
<p> </p>
<p><img src="images/genresfeminismes/meda2.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p> </p>
<p><strong>En cette période préélectorale se succèdent des déclarations rassurantes prophétisant le retour de la croissance. Or nous, qui vivons au quotidien le détricotage de nos droits sociaux et économiques dû aux plans d’austérité sévissant partout en Europe, nous ne sommes pas dupes… D’autant plus que nos constats des dégâts de la "croissance à tout prix" sont bien plus explicites que n’importe quelle déclaration d’expert. Et puis, de quel progrès nous parle-t-on, et à quelles conditions pour les femmes ? Une rencontre avec la sociologue française Dominique Méda autour de son dernier ouvrage, "La mystique de la croissance", nous offre matière à réflexion pour revendiquer un changement de cap. </strong><br /><br /><br />La violence de la crise économique a fait passer sous silence les dégâts environnementaux et sociaux provoqués par une poignée, mais ô combien puissante, d’institutions politiques et financières qui ont fait de la croissance à tout prix une religion. Et même si "l’on prend conscience que les rythmes de la croissance mondiale que nous connaissons depuis cinquante ans sont incompatibles avec la prise en compte de notre environnement", dénonce Dominique Méda, "un grand nombre d’économistes et hommes d’affaires ne jurent encore que par la croissance en affirmant paradoxalement que plus nous aurons de la croissance, plus nous pourrons consacrer des moyens à lutter contre les dégâts qu’elle entraîne". <br /><br /><strong>Deux nouveaux indicateurs</strong><br />Face à cette situation intenable pour l’humain et pour l’environnement, la sociologue nous rappelle l’urgence de changer de perspective et d’indicateurs pour calculer la qualité de la vie. En premier lieu, elle conseille d’arrêter de s’appuyer sur le PIB (Produit Intérieur Brut), incapable de mesurer la qualité des objets produits et encore moins la justice des conditions de travail de celles et ceux qui les produisent. "Il faut pouvoir suivre les évolutions des réalités qui comptent pour l’inscription de nos sociétés dans la durée, c'est-à-dire le patrimoine naturel et la cohésion sociale car, finalement, de quoi a besoin une société pour subsister ? De ne pas détruire le morceau de planète sur lequel elle est installée et de rester bien liée. C’est pour cette raison que ces deux indicateurs seraient déjà très utiles, rappelle Dominique Méda : l’un qui permettrait de suivre les transformations apportées au patrimoine naturel – émissions de gaz à effet de serre et pollutions de toute nature – et l’autre, un indicateur de santé sociale permettant de rendre compte des inégalités d’accès aux revenus, à l’emploi, aux conditions de travail, au logement."<br />Cet état d’urgence écologique et sociale, qui n’est pas nouveau, nous permet d’interroger le modèle politique dominant, la concentration du capital dans les mains d’une minorité, l'emprisonnement dans une épuisante poursuite de la croissance économique. "On peut mettre la résolution de la crise écologique au service d’une sortie par le haut de la situation dans laquelle se trouvent nos sociétés, caractérisées notamment par une très grave crise de l’emploi et un fort malaise au travail. Prendre la crise écologique au sérieux suppose d’engager une véritable reconversion écologique, de développer certains secteurs d’activité et d’en faire diminuer d’autres, sans doute aussi de désintensifier le travail – de travailler autrement – et de répartir l’emploi sur un plus grand nombre de personnes."<br /><br /><strong>Travailler moins et travailler tou-te-s</strong><br />Le thème de la réduction des temps de travail apparaît central dans ce changement d'attitude, en dépit de la tourmente que les 35 heures ont provoquée en France. "Je pense que nous devons tirer un bilan serein de la réduction du temps de travail. Cette réforme a entraîné des changements positifs dans beaucoup de domaines et les défauts dont on la pare souvent – comme le fait qu’elle aurait dégradé la valeur travail… – sont une production idéologique. Certes, elle avait des limites, mais il faut remettre cette question de la répartition du volume de travail sur la table. Comment substituer au partage actuel, arbitraire, sauvage, un partage raisonné, civilisé ?" Comment y arriver, alors que nous sommes captifs d’une économie globalisée, que quelques-uns conditionnent le choix du plus grand nombre, que trop de femmes restent encore aux marges de l’emploi… et que les politiques d’austérité patriarcales auxquelles les Européen-ne-s sont confrontés renforcent ces mécanismes ?<br /><br />Pour Dominique Méda, les pouvoirs publics ont un rôle important à jouer afin de corriger les mécanismes de répartition des biens et des ressources qui sont encore aujourd’hui à l’origine de beaucoup d’inégalités. "Il y a des exemples pratiques très puissants, je pense par exemple aux <a href="http://villesentransition.net/">Villes en transition</a>, un projet né en Grande-Bretagne en 2006 : les populations locales sont invitées à créer un avenir meilleur et moins vulnérable devant les crises écologiques, énergétiques et économiques qui les menacent afin de reconstruire une économie locale vigoureuse, solidaire et soutenable. Ces expériences montrent que d’autres solutions sont possibles pour éviter la casse sociale et environnementale et arrivent à conditionner l’octroi d’aides publiques à l’atteinte d’objectifs écologiques et sociaux. Même au niveau européen, il faut bien que des États puissent faire entendre qu’il existe une autre voie que celle de la réduction des protections sociales et de la flexibilité, de la modération salariale et de la compétition. Il faut rappeler que si on veut une Europe forte, alors il faut des travailleurs et des travailleuses bien qualifiés et bien payés."<br /><br /><strong>Impliquer les milieux populaires et les femmes</strong> <br />Quelle est la place des milieux populaires dans un combat qui est vu encore trop souvent comme une lutte de "bobos" ? Et comment éviter que ce changement de perspective ne devienne un nouveau piège pour ces femmes ? En effet, on sait que le temps libéré du travail productif ne mène pas forcément à un partage équitable des tâches domestiques et des soins aux enfants, encore et toujours "naturellement" dévolus aux femmes<sup>1</sup>. Pour Dominique Méda, on est d’abord clairement face à un enjeu qui concerne tout le monde : "Les milieux populaires sont les premiers à savoir que leurs conditions de vie sont dégradées. Les plus pauvres, au Sud et au Nord, supportent les plus grosses pressions sur leurs conditions de vie. Quant aux femmes, je pense qu’elles ont tout à gagner d’un partage du travail qui s’organise autour d’une norme de temps de travail plus courte qu’à l’heure actuelle, mais plus longue que les actuels temps travaillés de beaucoup d’entre elles… Je pense par exemple aux temps partiels, trop souvent imposés à des femmes qui n’ont pas d’autre choix." L'enjeu : récupérer "un mieux-vivre" qui profite réellement à toutes les femmes, quel que soit leur positionnement sur l'échelle socio-économique. Affaire à suivre !</p>
<p>__________________</p>
<p>1 À ce propos, Dominique Méda reconnaît que malgré une amélioration de la qualité de vie des femmes ayant vécu une RTT [réduction du temps de travail, ndlr] d’au moins un an, les situations varient en fonction de la qualification, du revenu des femmes et de la présence d’enfants en bas âge. Parmi ces femmes, "93 % déclarent continuer à prendre en charge la plus grande partie de la lessive, 86 % la plus grande part du repassage, environ 75 % la plus grande part de la préparation des repas, du ménage et du rangement de la maison, 73 % la plus grande part des courses alimentaires"… Voir Dominique Méda et Renaud Orain, "Transformation du travail et du hors travail : le jugement des salariés sur la réduction du temps de travail", dans Travail et Emploi, n° 90, avril 2002, p. 30. <br /><br /></p>
<p>Photo Philippe Matsas © Flammarion</p>
<p><strong>Cet article a été publié à l'origine dans le mensuel féministe belge <em>axelle</em> d'avril 2014. Plus d'infos sur le site <a href="http://www.axellemag.be/fr/">http://www.axellemag.be/fr/</a></strong></p>
<p> </p>
Emilie Jouvet livre The book
2014-04-01T03:42:06+00:00
2014-04-01T03:42:06+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/570-emilie-jouvet-livre-the-book
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/emilie-jouvet-the-book.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Photographe et réalisatrice, Emilie Jouvet propose à travers <em>The book</em> une oeuvre intime et puissante qui s'inscrit dans la lignée d'une Catherine Opie. Son lien particulier avec ses modèles renforce le côté charnel qui émane de ses portraits. Et la subtilité avec laquelle elle déconstruit et recompose les représentations du corps dans l'art témoigne d'une exigence absolue. Pour l'émiliE, elle revient sur certains aspects de son travail. Interview. <br /></strong></p>
<p><strong>l'émiliE: Quel est le fil rouge de ton livre ?</strong><br /><strong>Emilie Jouvet</strong>: Les regards, la peau, le désir, l'identité.<br /><br /><strong style="font-size: 10px;">Comment as-tu sélectionné les images?</strong><br />il y avait des images «emblématiques», que j’affectionne particulièrement, datant toutes d’époques différentes, qui étaient d’office dans la sélection. Pour choisir les autres images, j’ai parcouru des milliers de photographies que j’ai accumulées au fil des années. Ensuite je les ai mises au mur (l’appart en était recouvert du sol au plafond). En vivant au milieu de toutes ces images tout les jours, j’ai fini par discerner celles qui continuaient a attirer mon regard, et celles qui au contraire semblaient plus anecdotiques. Je les ai assemblées par paires, et ensuite l'une après l’autre, dans une continuité, qui est devenue le sens de lecture du livre.<br /><br /><strong>Tes modèles ont souvent l’air de poser, pourtant tu ne travailles pas en studio. Tu recherches cet effet décalé?</strong><br />En effet, la personne est toujours consciente que je la photographie, et cela est visible dans l’image. Je ne prends jamais de "photos volées". <br />Je ne prends pas non plus de photo où la personne fait semblant de ne pas avoir vu l'appareil photo, comme on en voit beaucoup (exemple : la personne se promène le nez au vent, l'air d'être seule et rêveuse, alors que dans la réalité le photographe est à un mètre de son visage, l'objectif pointé sous son nez). <br />Au début la personne attend souvent que je la dirige, ou prend des poses "convenues". Mais ce n'est pas ce que j'attends.<br />J'attends qu'elle prenne le pouvoir, le contrôle de son image, qu'elle se positionne en tant qu'individu.<br />Les personnes que je photographie se mettent elles-mêmes en scène dans un jeu complice avec moi.</p>
<p><strong style="font-size: 10px;">Le décor des toilettes récurrent, le côté trash, c’est un parti pris ? Tu n’aimes pas photographier les lesbiennes et les trans dans des lieux chics et glamour ?</strong><br />Non merci, la pub <em>mainstream</em> s’en charge déjà.<br />Il y a en effet quelques images prises dans ou devant des toilettes, car lorsque je prends des photos dans une soirée, c'est l'un des seuls lieux où on peux retrouver une certaine intimité, loin de la foule et du bruit.<br />Ce mot <em>trash,</em> je n'ai jamais compris ce que ça voulait dire, à part "poubelle" qui est la traduction littérale.<br />On est tellement habitué-e-s a voir des images trafiquées, des décors luxueux loués pour l'occasion, des lumières rajoutées dans tous les coins, du photoshop sur les corps, des vêtements coûteux, que quand une photographie est prise dans un lieu réel : une vraie chambre, un bar, un mur dans la ville, ça perturbe, car ça rompt avec les codes attendus de la photographie qui voudraient que tout soit magnifié, chic, lissé, aseptisé.<br />Personnellement, il me semble que le chic et glamour construisent une illusion... les drapés, le lyrisme, je trouve ça ringard.<br />Ca me fait penser à ces femmes qui achètent des tailleurs beiges et de faux sacs Vuitton pour "faire chic".<br />Je prends les gens en photo là ou ils se trouvent, là ou je me trouve.<br />Et je ne vis pas dans une poubelle, eux non plus. Je suis dans la vie réelle des gens, souvent de classe moyenne, pas dans une pub. Ce qui n’empêche pas le glamour, mais avec un éclat bien plus réaliste.<br />Pour moi le <em>trash</em> c’est les images de gens qui se font assassiner en direct aux infos à la tv, c’est les vidéos de torture d’animaux et de gays sur Facebook, c’est les propos sexistes, racistes et homophobes dans les médias, etc. <br /><br /><strong style="font-size: 10px;">Ton approche est à la fois frontale et bienveillante. Qu’est-ce que ça raconte ?</strong><br />Je prends en photo des personnes que j'aime ou que j’apprécie. Avec la complicité qui en découle, elles et ils peuvent se mettre en scène selon leurs propres désirs. C'est donc un regard que j'espère bienveillant.</p>
<p><strong style="font-size: 10px;">Certains portraits en plan serré renvoient à Catherine Opie. Revendiques-tu des filiations artistiques ?</strong><br />Une filiation pas vraiment, car j'ai découvert cette artiste bien après avoir commencé la photographie.<br />Mais je me sens faire partie d'un même mouvement, d'une même volonté de faire sujet nos identités passées sous silence, y compris et surtout dans le monde de l'art.<br /><br /><strong style="font-size: 10px;">Le désir que tu photographies est-il toujours politique?</strong><br />Le désir échappe aux normes. Mais la représentation du désir (des femmes, des minorités) est politique, dans le sens ou certains désirs sont sous-representés, censurés, cachés, déformés, mal-traités. <br /><br /><strong style="font-size: 10px;">Exposer ces corps rend-il pour autant les individus auxquels ils se rattachent plus visibles ?</strong><br />Oui.<br /><br /><strong style="font-size: 10px;">N’y a-t-il pas un risque à ce que ton sujet soit systématiquement enfermé dans la case communautaire ?</strong><br />Oui bien sûr, et c'est déjà le cas. Cela vient des deux côtés : les institutions qui considèrent que tous les sujets ont valeur d'Art, sauf celui-ci. Mais aussi d'une certaine forme d'homophobie interiorisée des lgbt, qui pensent encore que les oeuvres ou les artistes issus de leur communauté ont moins de valeur que les autres. De plus, les personnes que je filme ou photographie ne sont pas systématiquement des personnes lgbt, c'est assez varié. Du moment qu'il y a une série avec quelques photos de lesbiennes ou de gays plus ou moins identifiables, la tendance est de penser que les autres personnes sur les photos le sont aussi. Or je fais, la plupart du temps, des portraits, rarement des photos de couples. Il est impossible de déterminer sur un portrait l'orientation sexuelle ou le genre de la personne. En réalité, ce ne sont que de pures suppositions. Dans l'art contemporain institutionnel, sous couvert d'universalisme, on rejette souvent les œuvres non hétéronormatives dans une case «communautaire». Comme s'il y avait l’Art, le vrai, et des sous-catégories d'art mineur qui, à cause de leur sujet, ne seraient pas vraiment de l'art. L'art peut être source d'émancipation et de réflexion. La censure et le contrôle de l'image aident à maintenir une hiérarchie entre ce qui a de la valeur et ce qui n'en aurait pas, ou moins.<br /><br />Les personnes qui parlent de communautarisme sont souvent celles qui appartiennent a la classe dominante. Souvent cela cache une impossibilité à remettre en cause ses propres privilèges. Renvoyer les personnes opprimées qui se révoltent ou qui réclament un droit à la visibilité au communautarisme, c’est refuser de reconnaitre l’existence de leur oppression. <br /><br /><strong style="font-size: 10px;">En tant que Fem, dirais-tu que les gouines ont évolué par rapport aux différentes représentations de la féminité?</strong><span style="font-size: 10px;"> </span><br />Oui, ça évolue. Cependant, malgré tous les efforts d'explications, je crois que peu de gens comprennent encore aujourd'hui ce que veut dire Fem et Butch.<br />Dans l'esprit des gens c'est bien souvent perçu comme : cheveux courts vs talons aiguilles. <br />Alors que ce sont des identités politiques, et souvent féministes, qui n'ont pas seulement à voir avec les fringues ou les signes extérieurs de la féminité. Je suis fem et je porte des bottes en cuir, jamais de talons aiguilles. Et je connais des butchs et des trans ftm qui mettent du rouge à lèvre ou du mascara. Selon moi ce sont surtout les lipsticks qui bénéficient d'une meilleure acceptation, pas les Fems. <br /><br /><br /><br /></p>
<p> </p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/emilie-jouvet-the-book.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Photographe et réalisatrice, Emilie Jouvet propose à travers <em>The book</em> une oeuvre intime et puissante qui s'inscrit dans la lignée d'une Catherine Opie. Son lien particulier avec ses modèles renforce le côté charnel qui émane de ses portraits. Et la subtilité avec laquelle elle déconstruit et recompose les représentations du corps dans l'art témoigne d'une exigence absolue. Pour l'émiliE, elle revient sur certains aspects de son travail. Interview. <br /></strong></p>
<p><strong>l'émiliE: Quel est le fil rouge de ton livre ?</strong><br /><strong>Emilie Jouvet</strong>: Les regards, la peau, le désir, l'identité.<br /><br /><strong style="font-size: 10px;">Comment as-tu sélectionné les images?</strong><br />il y avait des images «emblématiques», que j’affectionne particulièrement, datant toutes d’époques différentes, qui étaient d’office dans la sélection. Pour choisir les autres images, j’ai parcouru des milliers de photographies que j’ai accumulées au fil des années. Ensuite je les ai mises au mur (l’appart en était recouvert du sol au plafond). En vivant au milieu de toutes ces images tout les jours, j’ai fini par discerner celles qui continuaient a attirer mon regard, et celles qui au contraire semblaient plus anecdotiques. Je les ai assemblées par paires, et ensuite l'une après l’autre, dans une continuité, qui est devenue le sens de lecture du livre.<br /><br /><strong>Tes modèles ont souvent l’air de poser, pourtant tu ne travailles pas en studio. Tu recherches cet effet décalé?</strong><br />En effet, la personne est toujours consciente que je la photographie, et cela est visible dans l’image. Je ne prends jamais de "photos volées". <br />Je ne prends pas non plus de photo où la personne fait semblant de ne pas avoir vu l'appareil photo, comme on en voit beaucoup (exemple : la personne se promène le nez au vent, l'air d'être seule et rêveuse, alors que dans la réalité le photographe est à un mètre de son visage, l'objectif pointé sous son nez). <br />Au début la personne attend souvent que je la dirige, ou prend des poses "convenues". Mais ce n'est pas ce que j'attends.<br />J'attends qu'elle prenne le pouvoir, le contrôle de son image, qu'elle se positionne en tant qu'individu.<br />Les personnes que je photographie se mettent elles-mêmes en scène dans un jeu complice avec moi.</p>
<p><strong style="font-size: 10px;">Le décor des toilettes récurrent, le côté trash, c’est un parti pris ? Tu n’aimes pas photographier les lesbiennes et les trans dans des lieux chics et glamour ?</strong><br />Non merci, la pub <em>mainstream</em> s’en charge déjà.<br />Il y a en effet quelques images prises dans ou devant des toilettes, car lorsque je prends des photos dans une soirée, c'est l'un des seuls lieux où on peux retrouver une certaine intimité, loin de la foule et du bruit.<br />Ce mot <em>trash,</em> je n'ai jamais compris ce que ça voulait dire, à part "poubelle" qui est la traduction littérale.<br />On est tellement habitué-e-s a voir des images trafiquées, des décors luxueux loués pour l'occasion, des lumières rajoutées dans tous les coins, du photoshop sur les corps, des vêtements coûteux, que quand une photographie est prise dans un lieu réel : une vraie chambre, un bar, un mur dans la ville, ça perturbe, car ça rompt avec les codes attendus de la photographie qui voudraient que tout soit magnifié, chic, lissé, aseptisé.<br />Personnellement, il me semble que le chic et glamour construisent une illusion... les drapés, le lyrisme, je trouve ça ringard.<br />Ca me fait penser à ces femmes qui achètent des tailleurs beiges et de faux sacs Vuitton pour "faire chic".<br />Je prends les gens en photo là ou ils se trouvent, là ou je me trouve.<br />Et je ne vis pas dans une poubelle, eux non plus. Je suis dans la vie réelle des gens, souvent de classe moyenne, pas dans une pub. Ce qui n’empêche pas le glamour, mais avec un éclat bien plus réaliste.<br />Pour moi le <em>trash</em> c’est les images de gens qui se font assassiner en direct aux infos à la tv, c’est les vidéos de torture d’animaux et de gays sur Facebook, c’est les propos sexistes, racistes et homophobes dans les médias, etc. <br /><br /><strong style="font-size: 10px;">Ton approche est à la fois frontale et bienveillante. Qu’est-ce que ça raconte ?</strong><br />Je prends en photo des personnes que j'aime ou que j’apprécie. Avec la complicité qui en découle, elles et ils peuvent se mettre en scène selon leurs propres désirs. C'est donc un regard que j'espère bienveillant.</p>
<p><strong style="font-size: 10px;">Certains portraits en plan serré renvoient à Catherine Opie. Revendiques-tu des filiations artistiques ?</strong><br />Une filiation pas vraiment, car j'ai découvert cette artiste bien après avoir commencé la photographie.<br />Mais je me sens faire partie d'un même mouvement, d'une même volonté de faire sujet nos identités passées sous silence, y compris et surtout dans le monde de l'art.<br /><br /><strong style="font-size: 10px;">Le désir que tu photographies est-il toujours politique?</strong><br />Le désir échappe aux normes. Mais la représentation du désir (des femmes, des minorités) est politique, dans le sens ou certains désirs sont sous-representés, censurés, cachés, déformés, mal-traités. <br /><br /><strong style="font-size: 10px;">Exposer ces corps rend-il pour autant les individus auxquels ils se rattachent plus visibles ?</strong><br />Oui.<br /><br /><strong style="font-size: 10px;">N’y a-t-il pas un risque à ce que ton sujet soit systématiquement enfermé dans la case communautaire ?</strong><br />Oui bien sûr, et c'est déjà le cas. Cela vient des deux côtés : les institutions qui considèrent que tous les sujets ont valeur d'Art, sauf celui-ci. Mais aussi d'une certaine forme d'homophobie interiorisée des lgbt, qui pensent encore que les oeuvres ou les artistes issus de leur communauté ont moins de valeur que les autres. De plus, les personnes que je filme ou photographie ne sont pas systématiquement des personnes lgbt, c'est assez varié. Du moment qu'il y a une série avec quelques photos de lesbiennes ou de gays plus ou moins identifiables, la tendance est de penser que les autres personnes sur les photos le sont aussi. Or je fais, la plupart du temps, des portraits, rarement des photos de couples. Il est impossible de déterminer sur un portrait l'orientation sexuelle ou le genre de la personne. En réalité, ce ne sont que de pures suppositions. Dans l'art contemporain institutionnel, sous couvert d'universalisme, on rejette souvent les œuvres non hétéronormatives dans une case «communautaire». Comme s'il y avait l’Art, le vrai, et des sous-catégories d'art mineur qui, à cause de leur sujet, ne seraient pas vraiment de l'art. L'art peut être source d'émancipation et de réflexion. La censure et le contrôle de l'image aident à maintenir une hiérarchie entre ce qui a de la valeur et ce qui n'en aurait pas, ou moins.<br /><br />Les personnes qui parlent de communautarisme sont souvent celles qui appartiennent a la classe dominante. Souvent cela cache une impossibilité à remettre en cause ses propres privilèges. Renvoyer les personnes opprimées qui se révoltent ou qui réclament un droit à la visibilité au communautarisme, c’est refuser de reconnaitre l’existence de leur oppression. <br /><br /><strong style="font-size: 10px;">En tant que Fem, dirais-tu que les gouines ont évolué par rapport aux différentes représentations de la féminité?</strong><span style="font-size: 10px;"> </span><br />Oui, ça évolue. Cependant, malgré tous les efforts d'explications, je crois que peu de gens comprennent encore aujourd'hui ce que veut dire Fem et Butch.<br />Dans l'esprit des gens c'est bien souvent perçu comme : cheveux courts vs talons aiguilles. <br />Alors que ce sont des identités politiques, et souvent féministes, qui n'ont pas seulement à voir avec les fringues ou les signes extérieurs de la féminité. Je suis fem et je porte des bottes en cuir, jamais de talons aiguilles. Et je connais des butchs et des trans ftm qui mettent du rouge à lèvre ou du mascara. Selon moi ce sont surtout les lipsticks qui bénéficient d'une meilleure acceptation, pas les Fems. <br /><br /><br /><br /></p>
<p> </p>
Lever le voile... ou pas.
2014-03-18T05:34:12+00:00
2014-03-18T05:34:12+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/564-lever-le-voile-ou-pas
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/voile.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Le voile, au coeur des polémiques depuis des années en Occident, fait l'objet d'une étude particulière. Bruno-Nassim Aboudrar, professeur d’esthétique à l’Université Paris-III, questionne le paradoxe d'un bout de tissu devenu symbole de l'islam, une religion qui interdit pourtant toute représentation. Son livre explique pourquoi l'Occident en fait un motif de crispation. Pour l'émiliE, il revient sur ce qui concerne les femmes.</strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p><strong>l'émiliE: Surexposition des corps des Occidentales, voiles des musulmanes: depuis quand ces deux systèmes s'affrontent-ils et comment ? </strong></p>
<p><strong>Bruno-Nassim Aboudrar: </strong>Pendant des siècles, ils ne se sont pas affrontés. Les Occidentaux paraissent même amusés et séduits les rares fois qu'ils rencontrent les usages vestimentaire des musulmans. A Constantinople au début du XVIIIe siècle, Lady Montagu juge le voile très commode pour se promener incognito et rencontrer des amants ; à la génération suivante, le peintre suisse Jean-Etienne Liotard adopte l'habit turc. Plus sérieusement, je crois qu'il faut replacer la question de l'exposition des corps féminins dans un contexte beaucoup plus large qui est celui de la place faite au visible, à ce que l'on montre, à ce qu'on laisse voir dans une culture donnée. Le corps féminin est, sans doute, "surexposé" en Occident, mais c'est sur un fond qui, d'une manière générale, fait prévaloir l'ostentation, la transparence, l'image, le spectacle, etc. Bref, dans une civilisation où la vue est investie d'un prestige majeur. Les cultures musulmanes, au contraire, se méfient du regard et valorisent l'opacité, la dissimulation, le respect de l'intimité, etc. Aujourd'hui, en apparaissant voilées, les musulmanes à la fois se soumettent au système visuel de l'Occident - elles se font voir -, tentent de le subvertir - elles font voir qu'elles sont cachées -, et sont tout de même récupérées par ce système - elles sont certes cachées, mais surtout elles sont visibles. </p>
<p><strong style="font-size: 10px;">Pourquoi la femme, et plus précisément son corps, est-elle au coeur de cette lutte?</strong></p>
<p>Les corps, pas seulement féminins, sont, en général, au coeur des luttes. Les normes vestimentaires masculines d'un islam idéalisé (et, à vrai dire, normé par l'Arabie au détriment de l'Afrique du Nord) reviennent également en force : barbes, kamiz, etc. En ce qui concerne les femmes, ce qui est nouveau pour l'islam c'est qu'elles jouent un rôle actif dans le processus d'affirmation visuelle de celui-ci. Depuis la fin du Moyen-âge, elles étaient recluses et privées de tout moyen d'expression publique.</p>
<p><strong style="font-size: 10px;">Vous dites que le voile est devenu l'image de l'islam, n'est-ce pas un paradoxe ?
</strong></p>
<p>Si c'est un paradoxe, car l'islam refuse les images. Non seulement la fabrication d'images matérielles (par la peinture ou la sculpture) était pratiquement prohibée, mais il y a, dans la culture musulmane classique, le refus constant de faire image. Pas de monnaie à l'effigie du souverain, pas de fenêtres qui cadrent un paysage. Le voile des femmes servait à rendre celles-ci invisibles lors de leurs rares sorties. En aucun cas à symboliser une religion qui refuse tout symbole iconique. Or, en effet, aujourd'hui, l'image que l'on a de l'islam se confond avec celles qu'offrent les femmes voilées qui s'en réclament. <br /> </p>
<p><strong style="font-size: 10px;">Historiquement, le voile est d'abord un symbole de soumission de la femme chrétienne, le Coran en parle à peine. Pourquoi devient-il un point de fixation entre le monde musulman et l'Occident ?</strong></p>
<p>Vous avez raison. Le voile reçoit cette fonction symbolique, inconnue jusqu'alors dans le monde antique de Saint Paul. Dans la Première épître aux Corinthiens il exige des femmes qu'elles soient voilées pendant le culte pour respecter symboliquement l'ordre de la création qui les place au dernier rang. Plus tard, des Pères de l'Eglise développent la signification symbolique du voile chrétien : il est le témoignage de la soumission des femmes. Le Coran évoque très peu le voile, et ne le recommande aux musulmanes qu'une seule fois et pour un motif civil, ni religieux ni symbolique : se faire connaître et se faire respecter. Ensuite, la chrétienté et le monde islamique - le dar el-islam - se combattent parfois, mais ne s'opposent jamais sur le voile - d'autant que les très nombreuses nonnes catholiques sont voilées et recluses. Il faut attendre la colonisation de l'Algérie par la France (1830) pour que le voile deviennent progressivement un objet de conflit. Les colons reconnaissent dans le voilement des autochtones à la fois un défi à leur pouvoir et une source d'excitation libidinale. Ils multiplient les images, d'abord picturales, puis photographiques, où des musulmanes sont contraintes d'exhiber leur corps nu, dévoilé. Dans un second temps, au cours du XXe siècle, la volonté d'une partie du monde musulman d'accéder à la modernité passe par sa conformation aux normes visuelles occidentales. Il y a donc des campagnes politiques de dévoilement, autoritaires dans la Turquie d'Atatürk, violentes dans l'Iran de Reza Shah, beaucoup plus libérales en Egypte ou en Tunisie. Mais la fin du siècle dernier est marquée par la ré-islamisation du monde musulman, qui s'accompagne d'un retour du voile, devenu le symbole d'une critique des valeurs occidentales.</p>
<p><strong style="font-size: 10px;">Aujourd’hui, les femmes musulmanes qui revendiquent le port du voile comme affirmation identitaire, ne sont-elles pas justement l'instrument de la domination masculine ?
</strong></p>
<p>C'est sans doute beaucoup plus compliqué que ça. D'abord, historiquement, la violence de certains dévoilements imposés aux femmes au XXe siècle, en Iran par exemple, mais aussi en Algérie pour les nécessités de la guérilla, est aussi grande que celle de certains revoilements plus récents. Ensuite, en Occident notamment, beaucoup de femmes choisissent de se voiler pour affirmer leur obédience religieuse, leurs affinités culturelles et éventuellement leur désapprobation des us ou des moeurs de leurs congénères non-musulmanes. Ce choix est libre (pour autant qu'un choix vestimentaire soit vraiment libre, suis-je vraiment libre de porter des pantalons ?), normalement réfléchi (ce qui ne veut pas dire intelligent), et je trouve dégradant à leur égard de décider à leur place qu'elles sont aliénées à la phallocratie. En revanche, elles opèrent un clivage entre les sens symboliques qu'elles attribuent au voile - représenter l'islam et les valeurs qu'elles identifient en leur religion -, sens qu'il n'avait jamais eu auparavant, et la fonction coercitive, purement instrumentale, qui est la sienne pour les femmes qui le subissent. Nous vivons tous avec des clivages comparables : quand on porte un t-shirt parce qu'il est joli avec un slogan "sympa" écrit dessus, nous n'assumons pas, en même temps, la souffrance des ouvriers asiatiques qui l'ont fabriqué ni la pollution qu'a occasionnée son transport, alors que par ailleurs nous réprouvons celles-ci.</p>
<p><strong style="font-size: 10px;">Etre visible, n'est-ce pas une aspiration individualiste qui tend à se répandre surtout avec les réseaux sociaux ?</strong></p>
<p>
Oui et non : être visible, c'est nécessairement l'être pour autrui. C'est donc une aspiration à la fois individualiste et altruiste. En plus, les réseaux sociaux qui, comme leur nom l'indiquent supposent des sociétés, font de cet individualisme une attitude essentiellement collective. Donc de nos jours, c'est être invisible qui est vraiment individualiste - et c'est beaucoup plus difficile.</p>
<p><strong style="font-size: 10px;">Les hijab tutorials (en anglais) qui pullulent sur Youtube inscrivent-ils le voile dans une normalité voire une banalité ?</strong></p>
<p>
Sans aucun doute. Une originalité banale, au même titre que les piercings, les tatouages et les lunettes de soleil. </p>
<p><strong><span style="font-size: xx-small;">Les codes de ces </span>tutus<span style="font-size: xx-small;"> qu'ils s'adressent à des jeunes filles voilées ou non, se ressemblent. Les systèmes de représentations se rejoignent-ils ?
</span></strong></p>
<p>Je ne le dirais pas comme ça. Les hijab tutorials relèvent, quant à leur système de représentation, exclusivement d'un seul ordre, normé dans la Silicon Valley. Il n'y a donc pas de jonction entre systèmes de représentation. A l'intérieur de cet ordre pour l'instant assez fixe, il importe au fond peu que l'on présente des hijab, des tatouages océaniens ou le savoir-faire des carmélites en gaufrage de cornettes. Ce qui serait subversif, ce serait la contestation sur Internet de la notion même de tutorial et des formes de (re)présentation qui la véhiculent, mais à ma connaissance, les charmantes E-plieuses de foulard ne l'ont pas encore inventée.</p>
<p><strong>Bruno-Nassim Aboudrar, <em>Comment le voile est devenu musulman, </em>Flammarion, 250p.</strong></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/voile.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Le voile, au coeur des polémiques depuis des années en Occident, fait l'objet d'une étude particulière. Bruno-Nassim Aboudrar, professeur d’esthétique à l’Université Paris-III, questionne le paradoxe d'un bout de tissu devenu symbole de l'islam, une religion qui interdit pourtant toute représentation. Son livre explique pourquoi l'Occident en fait un motif de crispation. Pour l'émiliE, il revient sur ce qui concerne les femmes.</strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p><strong>l'émiliE: Surexposition des corps des Occidentales, voiles des musulmanes: depuis quand ces deux systèmes s'affrontent-ils et comment ? </strong></p>
<p><strong>Bruno-Nassim Aboudrar: </strong>Pendant des siècles, ils ne se sont pas affrontés. Les Occidentaux paraissent même amusés et séduits les rares fois qu'ils rencontrent les usages vestimentaire des musulmans. A Constantinople au début du XVIIIe siècle, Lady Montagu juge le voile très commode pour se promener incognito et rencontrer des amants ; à la génération suivante, le peintre suisse Jean-Etienne Liotard adopte l'habit turc. Plus sérieusement, je crois qu'il faut replacer la question de l'exposition des corps féminins dans un contexte beaucoup plus large qui est celui de la place faite au visible, à ce que l'on montre, à ce qu'on laisse voir dans une culture donnée. Le corps féminin est, sans doute, "surexposé" en Occident, mais c'est sur un fond qui, d'une manière générale, fait prévaloir l'ostentation, la transparence, l'image, le spectacle, etc. Bref, dans une civilisation où la vue est investie d'un prestige majeur. Les cultures musulmanes, au contraire, se méfient du regard et valorisent l'opacité, la dissimulation, le respect de l'intimité, etc. Aujourd'hui, en apparaissant voilées, les musulmanes à la fois se soumettent au système visuel de l'Occident - elles se font voir -, tentent de le subvertir - elles font voir qu'elles sont cachées -, et sont tout de même récupérées par ce système - elles sont certes cachées, mais surtout elles sont visibles. </p>
<p><strong style="font-size: 10px;">Pourquoi la femme, et plus précisément son corps, est-elle au coeur de cette lutte?</strong></p>
<p>Les corps, pas seulement féminins, sont, en général, au coeur des luttes. Les normes vestimentaires masculines d'un islam idéalisé (et, à vrai dire, normé par l'Arabie au détriment de l'Afrique du Nord) reviennent également en force : barbes, kamiz, etc. En ce qui concerne les femmes, ce qui est nouveau pour l'islam c'est qu'elles jouent un rôle actif dans le processus d'affirmation visuelle de celui-ci. Depuis la fin du Moyen-âge, elles étaient recluses et privées de tout moyen d'expression publique.</p>
<p><strong style="font-size: 10px;">Vous dites que le voile est devenu l'image de l'islam, n'est-ce pas un paradoxe ?
</strong></p>
<p>Si c'est un paradoxe, car l'islam refuse les images. Non seulement la fabrication d'images matérielles (par la peinture ou la sculpture) était pratiquement prohibée, mais il y a, dans la culture musulmane classique, le refus constant de faire image. Pas de monnaie à l'effigie du souverain, pas de fenêtres qui cadrent un paysage. Le voile des femmes servait à rendre celles-ci invisibles lors de leurs rares sorties. En aucun cas à symboliser une religion qui refuse tout symbole iconique. Or, en effet, aujourd'hui, l'image que l'on a de l'islam se confond avec celles qu'offrent les femmes voilées qui s'en réclament. <br /> </p>
<p><strong style="font-size: 10px;">Historiquement, le voile est d'abord un symbole de soumission de la femme chrétienne, le Coran en parle à peine. Pourquoi devient-il un point de fixation entre le monde musulman et l'Occident ?</strong></p>
<p>Vous avez raison. Le voile reçoit cette fonction symbolique, inconnue jusqu'alors dans le monde antique de Saint Paul. Dans la Première épître aux Corinthiens il exige des femmes qu'elles soient voilées pendant le culte pour respecter symboliquement l'ordre de la création qui les place au dernier rang. Plus tard, des Pères de l'Eglise développent la signification symbolique du voile chrétien : il est le témoignage de la soumission des femmes. Le Coran évoque très peu le voile, et ne le recommande aux musulmanes qu'une seule fois et pour un motif civil, ni religieux ni symbolique : se faire connaître et se faire respecter. Ensuite, la chrétienté et le monde islamique - le dar el-islam - se combattent parfois, mais ne s'opposent jamais sur le voile - d'autant que les très nombreuses nonnes catholiques sont voilées et recluses. Il faut attendre la colonisation de l'Algérie par la France (1830) pour que le voile deviennent progressivement un objet de conflit. Les colons reconnaissent dans le voilement des autochtones à la fois un défi à leur pouvoir et une source d'excitation libidinale. Ils multiplient les images, d'abord picturales, puis photographiques, où des musulmanes sont contraintes d'exhiber leur corps nu, dévoilé. Dans un second temps, au cours du XXe siècle, la volonté d'une partie du monde musulman d'accéder à la modernité passe par sa conformation aux normes visuelles occidentales. Il y a donc des campagnes politiques de dévoilement, autoritaires dans la Turquie d'Atatürk, violentes dans l'Iran de Reza Shah, beaucoup plus libérales en Egypte ou en Tunisie. Mais la fin du siècle dernier est marquée par la ré-islamisation du monde musulman, qui s'accompagne d'un retour du voile, devenu le symbole d'une critique des valeurs occidentales.</p>
<p><strong style="font-size: 10px;">Aujourd’hui, les femmes musulmanes qui revendiquent le port du voile comme affirmation identitaire, ne sont-elles pas justement l'instrument de la domination masculine ?
</strong></p>
<p>C'est sans doute beaucoup plus compliqué que ça. D'abord, historiquement, la violence de certains dévoilements imposés aux femmes au XXe siècle, en Iran par exemple, mais aussi en Algérie pour les nécessités de la guérilla, est aussi grande que celle de certains revoilements plus récents. Ensuite, en Occident notamment, beaucoup de femmes choisissent de se voiler pour affirmer leur obédience religieuse, leurs affinités culturelles et éventuellement leur désapprobation des us ou des moeurs de leurs congénères non-musulmanes. Ce choix est libre (pour autant qu'un choix vestimentaire soit vraiment libre, suis-je vraiment libre de porter des pantalons ?), normalement réfléchi (ce qui ne veut pas dire intelligent), et je trouve dégradant à leur égard de décider à leur place qu'elles sont aliénées à la phallocratie. En revanche, elles opèrent un clivage entre les sens symboliques qu'elles attribuent au voile - représenter l'islam et les valeurs qu'elles identifient en leur religion -, sens qu'il n'avait jamais eu auparavant, et la fonction coercitive, purement instrumentale, qui est la sienne pour les femmes qui le subissent. Nous vivons tous avec des clivages comparables : quand on porte un t-shirt parce qu'il est joli avec un slogan "sympa" écrit dessus, nous n'assumons pas, en même temps, la souffrance des ouvriers asiatiques qui l'ont fabriqué ni la pollution qu'a occasionnée son transport, alors que par ailleurs nous réprouvons celles-ci.</p>
<p><strong style="font-size: 10px;">Etre visible, n'est-ce pas une aspiration individualiste qui tend à se répandre surtout avec les réseaux sociaux ?</strong></p>
<p>
Oui et non : être visible, c'est nécessairement l'être pour autrui. C'est donc une aspiration à la fois individualiste et altruiste. En plus, les réseaux sociaux qui, comme leur nom l'indiquent supposent des sociétés, font de cet individualisme une attitude essentiellement collective. Donc de nos jours, c'est être invisible qui est vraiment individualiste - et c'est beaucoup plus difficile.</p>
<p><strong style="font-size: 10px;">Les hijab tutorials (en anglais) qui pullulent sur Youtube inscrivent-ils le voile dans une normalité voire une banalité ?</strong></p>
<p>
Sans aucun doute. Une originalité banale, au même titre que les piercings, les tatouages et les lunettes de soleil. </p>
<p><strong><span style="font-size: xx-small;">Les codes de ces </span>tutus<span style="font-size: xx-small;"> qu'ils s'adressent à des jeunes filles voilées ou non, se ressemblent. Les systèmes de représentations se rejoignent-ils ?
</span></strong></p>
<p>Je ne le dirais pas comme ça. Les hijab tutorials relèvent, quant à leur système de représentation, exclusivement d'un seul ordre, normé dans la Silicon Valley. Il n'y a donc pas de jonction entre systèmes de représentation. A l'intérieur de cet ordre pour l'instant assez fixe, il importe au fond peu que l'on présente des hijab, des tatouages océaniens ou le savoir-faire des carmélites en gaufrage de cornettes. Ce qui serait subversif, ce serait la contestation sur Internet de la notion même de tutorial et des formes de (re)présentation qui la véhiculent, mais à ma connaissance, les charmantes E-plieuses de foulard ne l'ont pas encore inventée.</p>
<p><strong>Bruno-Nassim Aboudrar, <em>Comment le voile est devenu musulman, </em>Flammarion, 250p.</strong></p>
La rumeur, arme de guerre
2014-03-10T05:13:40+00:00
2014-03-10T05:13:40+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/560-la-rumeur-arme-de-guerre
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/16007444-abstrait-arriere-plan-technologique--caracteres-bleus-sur-ecran-d-39-ordinateur-codage.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Les réseaux sociaux constituent de nouveaux territoires de lutte où s'affrontent sexistes et féministes. Les militant-e-s de tous bords ont très bien compris les effets démultiplicateurs qu'ils pouvaient tirer de ces nouvelles tribunes qu'offrent les plateformes du web. Pour les féministes, de nouvelles stratégies voient le jour, synonymes de visibilité et d'efficacité. Qu'elles soit hackeuses ou hoaxbusters, elles se livrent à une guerre sans merci derrière leurs ordinateurs et traquent les pires extrémistes de la planète. Des héroïnes en somme, mais plus nombreuses qu'on ne pense.</strong> <br /><br />Si je vous di Lisbeth Salander, vous pensez piercings, tatouages, Stockholm et Millénium. Juste, mais rappelez-vous son talent devant un écran: Lisbeth est une black hat, une hackeuse qui entre par effraction dans les systèmes et réseaux informatiques. Même si ce n'est qu'un personnage de roman, Lisbeth Salander nous avait bluffé-e-s par ses prouesses informatiques. Pourtant une femme, de chair et d'os celle-là, lui avait en quelque sorte mis la puce à l'oreille et ce, dès le XIXe siècle : Ada Lovelace, qui a trouvé le premier algorithme pour machine, ce qui en fait la première programmeuse au monde. Mais ça c'était avant. Aujourd'hui, il existe une flopée de développeuses et certaines activistes utilisent leurs compétences pour lutter contre les discours sexistes, racistes ou homophobes qui circulent sur la Toile.<br /><br />Parce qu'Internet constitue en effet un espace d'expression où certain-e-s considèrent que tout y est permis. Une aubaine pour les extrémistes qui, sans ce support, verraient leur message voué à rester confiné dans des cercles confidentiels. Aujourd'hui, ils parlent au monde entier et ne s'en privent pas. C'est le cas des groupuscules d'extrême droite ou de la Manif pour tous. Face à eux, la résistance s'organise et les féministes ne sont pas en reste. Les coups volent bas et la rumeur devient arme de guerre. Sur la toile, l'intox peut devenir info tant les médias classiques prennent pour argent comptant tout ce qui y circule. On se souvient la photo de la fameuse conférence de presse en Iran où les femmes journalistes étaient obligées de s'asseoir par terre, diffusée sur Twitter et abondamment reprise dans la presse avec les commentaires islamophobes qui allaient avec. Les sites d'extrême droite en ont fait leur gorge chaude. Sauf que des hoaxkillers (tueurs de rumeurs) ont trouvé des plans plus larges de la même conférence de presse où l'on voit clairement que d'autres femmes sont assises sur des chaises et que l'endroit étant bondé, les retardataires ont dû s'asseoir par terre, comme ça arrive ailleurs en pareille occasion.<br /><br />Le 31 janvier dernier, un courageux anonyme du forum <em>4chan</em> lance le mouvement pro-règles avec l'intention de s'attaquer aux féministes. Il l'appelle "operation #freebleeding" et reprend une idée née en 2004 sur le blog myvag.net : "Créons un truc énorme. Un truc de ouf. Portons un coup aux féministes à un endroit où ça fait mal. Ça va sûrement rendre folles ces féministes poilues de merde, parce que c’est sale et dégoutant, mais ce sera "leurs droits" et pas une oppression masculine." Le slogan : mon vagin m'appartient, mon sang est sacré. Il crée ensuite de faux profils Facebook et Twitter contenant le hashtag ≠freedbleeding incitant à lutter contre "l’oppression masculine derrière les produits d’hygiène corporels pour femmes" ou contre le tampon, un "instrument de viol inventé par les hommes". Plus le hoax est gros plus ça marche, puisque la rumeur est reprise le plus sérieusement du monde par des blogs (dont le très suivi Women digest) puis par des journaux. Entre temps des hoaxkillers féministes ont dévoilé l'intox mais la rumeur poursuit son chemin. Une de ces expertes de la traque nous explique pourquoi : "C'est difficile d'arrêter le bruit qui court. Il faut pouvoir débunker (dévoiler <em>ndl</em>r) le hoax le plus tôt possible, sinon il se diffuse de manière exponentielle et c'est dur de rattraper après". Selon elle, "certains laissent des signatures. On peut les reconnaître" et ainsi noyer dans l'oeuf l'hoax encore neuf. Le créateur du ≠freedbleeding était à l'origine du tumblr bikinibridge qui visait déjà les féministes. Il a vite été identifié.<br /><br />La hoaxkilleuse précise que "nous aussi on fréquente <em>4chan</em> et on croise les mêmes personnes que ces gars sur les réseaux". Pas si anonyme alors ? "Pas vraiment", selon elle, "surtout ils pensent que les filles, a fortiori les féministes, savent à peine ouvrir un ordinateur, alors qu'en fait, nous on peut aller dans leur ordinateur si on veut". Elle affirme que ce n'est pas si compliqué et que chaque citoyen-ne un peu curieux-ieuse est susceptible de se transformer en geek vengeur. Certes. Elle tempère ses propos en disant qu'au minimum, il peut pratiquer le baronnage : "Que font les adeptes de la Manif pour tous sur Amazon ? Du baronnage au sujet des livres à censurer du type <em>Tous à poil</em>! Ils postent les pires commentaires et notent au plus bas les livres. C'est systématique et ils floodent (innondent, ndlr). On n'a pas besoin de savoir coder pour se battre sur ce front, tout le monde peut le faire". <br /><br />Si la mission des chasseuses de hoax consiste à rester vigilant-e-s, n'ont-elles jamais la tentation de passer elles aussi à l'attaque ? "C'est vrai qu'on est plus dans la défense, mais on peut s'amuser nous aussi à lancer des fakes (fausses infos, <em>ndlr</em>)" et de citer l'exemple ougandais : le site web Abril Uno révélait le coming out de la fille du président ougandais, deux jours après la promulgation des lois homophobes. Plusieurs médias ont repris l'info, mais étant donné le site américain, comme son nom le suggère, est spécialiste du faux, la presse a vite compris la supercherie. <br /><br />Pour Carrie Rentschler, directrice de l'institut Genre, sexualité et féminisme de l'Université Mc Gil au Canada, "c'est une incroyable activité qui, ces dernières années, s'est peu à peu déployée sur les réseaux sociaux. Aujourd'hui, des féministes de plusieurs horizons ont recours à ces plateformes pour prendre position, communiquer entre elles, s'échanger des informations et organiser des rassemblements". Et les sociologues notent que les stratégies féministes s'adaptent à cette nouvelle donne. L'essentiel des luttes tend désormais à se faire sur les réseaux, les manifestations dans la rue n'étant que la pointe immergée de l'iceberg. Les féministes de la génération Y (celle des <em>digital natives</em>) se sont approprié-e-s ces nouveaux modes de communication et en ont saisi le pouvoir mobilisateur, entraînant leurs aîné-e-s dans leur sillage. Le féminisme viral a de beaux jours devant lui et semble terriblement efficace. Contrairement à ce que dit la presse généraliste annonçant régulièrement la mort du féminisme, la relève est assurée.<br /><br /><br /></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/16007444-abstrait-arriere-plan-technologique--caracteres-bleus-sur-ecran-d-39-ordinateur-codage.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Les réseaux sociaux constituent de nouveaux territoires de lutte où s'affrontent sexistes et féministes. Les militant-e-s de tous bords ont très bien compris les effets démultiplicateurs qu'ils pouvaient tirer de ces nouvelles tribunes qu'offrent les plateformes du web. Pour les féministes, de nouvelles stratégies voient le jour, synonymes de visibilité et d'efficacité. Qu'elles soit hackeuses ou hoaxbusters, elles se livrent à une guerre sans merci derrière leurs ordinateurs et traquent les pires extrémistes de la planète. Des héroïnes en somme, mais plus nombreuses qu'on ne pense.</strong> <br /><br />Si je vous di Lisbeth Salander, vous pensez piercings, tatouages, Stockholm et Millénium. Juste, mais rappelez-vous son talent devant un écran: Lisbeth est une black hat, une hackeuse qui entre par effraction dans les systèmes et réseaux informatiques. Même si ce n'est qu'un personnage de roman, Lisbeth Salander nous avait bluffé-e-s par ses prouesses informatiques. Pourtant une femme, de chair et d'os celle-là, lui avait en quelque sorte mis la puce à l'oreille et ce, dès le XIXe siècle : Ada Lovelace, qui a trouvé le premier algorithme pour machine, ce qui en fait la première programmeuse au monde. Mais ça c'était avant. Aujourd'hui, il existe une flopée de développeuses et certaines activistes utilisent leurs compétences pour lutter contre les discours sexistes, racistes ou homophobes qui circulent sur la Toile.<br /><br />Parce qu'Internet constitue en effet un espace d'expression où certain-e-s considèrent que tout y est permis. Une aubaine pour les extrémistes qui, sans ce support, verraient leur message voué à rester confiné dans des cercles confidentiels. Aujourd'hui, ils parlent au monde entier et ne s'en privent pas. C'est le cas des groupuscules d'extrême droite ou de la Manif pour tous. Face à eux, la résistance s'organise et les féministes ne sont pas en reste. Les coups volent bas et la rumeur devient arme de guerre. Sur la toile, l'intox peut devenir info tant les médias classiques prennent pour argent comptant tout ce qui y circule. On se souvient la photo de la fameuse conférence de presse en Iran où les femmes journalistes étaient obligées de s'asseoir par terre, diffusée sur Twitter et abondamment reprise dans la presse avec les commentaires islamophobes qui allaient avec. Les sites d'extrême droite en ont fait leur gorge chaude. Sauf que des hoaxkillers (tueurs de rumeurs) ont trouvé des plans plus larges de la même conférence de presse où l'on voit clairement que d'autres femmes sont assises sur des chaises et que l'endroit étant bondé, les retardataires ont dû s'asseoir par terre, comme ça arrive ailleurs en pareille occasion.<br /><br />Le 31 janvier dernier, un courageux anonyme du forum <em>4chan</em> lance le mouvement pro-règles avec l'intention de s'attaquer aux féministes. Il l'appelle "operation #freebleeding" et reprend une idée née en 2004 sur le blog myvag.net : "Créons un truc énorme. Un truc de ouf. Portons un coup aux féministes à un endroit où ça fait mal. Ça va sûrement rendre folles ces féministes poilues de merde, parce que c’est sale et dégoutant, mais ce sera "leurs droits" et pas une oppression masculine." Le slogan : mon vagin m'appartient, mon sang est sacré. Il crée ensuite de faux profils Facebook et Twitter contenant le hashtag ≠freedbleeding incitant à lutter contre "l’oppression masculine derrière les produits d’hygiène corporels pour femmes" ou contre le tampon, un "instrument de viol inventé par les hommes". Plus le hoax est gros plus ça marche, puisque la rumeur est reprise le plus sérieusement du monde par des blogs (dont le très suivi Women digest) puis par des journaux. Entre temps des hoaxkillers féministes ont dévoilé l'intox mais la rumeur poursuit son chemin. Une de ces expertes de la traque nous explique pourquoi : "C'est difficile d'arrêter le bruit qui court. Il faut pouvoir débunker (dévoiler <em>ndl</em>r) le hoax le plus tôt possible, sinon il se diffuse de manière exponentielle et c'est dur de rattraper après". Selon elle, "certains laissent des signatures. On peut les reconnaître" et ainsi noyer dans l'oeuf l'hoax encore neuf. Le créateur du ≠freedbleeding était à l'origine du tumblr bikinibridge qui visait déjà les féministes. Il a vite été identifié.<br /><br />La hoaxkilleuse précise que "nous aussi on fréquente <em>4chan</em> et on croise les mêmes personnes que ces gars sur les réseaux". Pas si anonyme alors ? "Pas vraiment", selon elle, "surtout ils pensent que les filles, a fortiori les féministes, savent à peine ouvrir un ordinateur, alors qu'en fait, nous on peut aller dans leur ordinateur si on veut". Elle affirme que ce n'est pas si compliqué et que chaque citoyen-ne un peu curieux-ieuse est susceptible de se transformer en geek vengeur. Certes. Elle tempère ses propos en disant qu'au minimum, il peut pratiquer le baronnage : "Que font les adeptes de la Manif pour tous sur Amazon ? Du baronnage au sujet des livres à censurer du type <em>Tous à poil</em>! Ils postent les pires commentaires et notent au plus bas les livres. C'est systématique et ils floodent (innondent, ndlr). On n'a pas besoin de savoir coder pour se battre sur ce front, tout le monde peut le faire". <br /><br />Si la mission des chasseuses de hoax consiste à rester vigilant-e-s, n'ont-elles jamais la tentation de passer elles aussi à l'attaque ? "C'est vrai qu'on est plus dans la défense, mais on peut s'amuser nous aussi à lancer des fakes (fausses infos, <em>ndlr</em>)" et de citer l'exemple ougandais : le site web Abril Uno révélait le coming out de la fille du président ougandais, deux jours après la promulgation des lois homophobes. Plusieurs médias ont repris l'info, mais étant donné le site américain, comme son nom le suggère, est spécialiste du faux, la presse a vite compris la supercherie. <br /><br />Pour Carrie Rentschler, directrice de l'institut Genre, sexualité et féminisme de l'Université Mc Gil au Canada, "c'est une incroyable activité qui, ces dernières années, s'est peu à peu déployée sur les réseaux sociaux. Aujourd'hui, des féministes de plusieurs horizons ont recours à ces plateformes pour prendre position, communiquer entre elles, s'échanger des informations et organiser des rassemblements". Et les sociologues notent que les stratégies féministes s'adaptent à cette nouvelle donne. L'essentiel des luttes tend désormais à se faire sur les réseaux, les manifestations dans la rue n'étant que la pointe immergée de l'iceberg. Les féministes de la génération Y (celle des <em>digital natives</em>) se sont approprié-e-s ces nouveaux modes de communication et en ont saisi le pouvoir mobilisateur, entraînant leurs aîné-e-s dans leur sillage. Le féminisme viral a de beaux jours devant lui et semble terriblement efficace. Contrairement à ce que dit la presse généraliste annonçant régulièrement la mort du féminisme, la relève est assurée.<br /><br /><br /></p>
Le genre n'est pas une théorie
2014-03-03T13:47:09+00:00
2014-03-03T13:47:09+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/559-le-genre-nest-pas-une-theorie
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/Sous_les_paves_le_genre_134.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /> </p>
<p class="MsoNormal" style="line-height: 150%; mso-pagination: none;"><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;"><strong>Alors que les réactionnaires de tous poils combattent sauvagement l'égalité et la "théorie du genre", Caroline Dayer, enseignante et chercheuse à l'Université de Genève publie un livre intitulé </strong></span><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;"><strong><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;"><strong><em>Sous les pavés, le genre. Hacker le sexisme</em> </strong></span>qui bat en brèche les mécanismes qui sous-tendent ces mouvements. Interview.</strong><br /></span></p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal" style="line-height: 150%; mso-pagination: none;"><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;"><strong>l'émiliE: Vous publiez votre ouvrage <em>Sous les pavés, le genre. Hacker le sexisme</em>, est-ce en réponse à la Manif pour tous et à d’autres frondes anti-genre en France ?</strong></span></p>
<p class="MsoNormal" style="line-height: 150%; mso-pagination: none;"><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;"><strong>Caroline Dayer</strong>: Fouler les pavés contre l’égalité… Ces récentes manifestations m’ont effectivement fait cheminer vers ce titre. Par contre, le projet de cet ouvrage est bien antérieur et s’inscrit dans la continuité de mes recherches sur les discriminations (sexisme, homophobie, racisme, etc.). Il correspond également à la demande récurrente - lors de formations, de conférences et de débats auxquels je participe - d’un tel livre sur ces questions. Il tombe donc à point nommé et le chapitre sur les (més)usages du genre permet ainsi de montrer que ce dernier n’est ni une idéologie ni une théorie, mais un concept et un domaine de recherches qui se basent sur différentes disciplines et s’ancrent dans des terrains variés. Il y a donc une méconnaissance et une instrumentalisation du genre qui créent de la confusion et alimente des polémiques infondées. La constellation de clés d’interprétation que j’ai voulue interdisciplinaire peut constituer un outil novateur dans cette urgence de comprendre (pour reprendre l’intitulé de la série dans laquelle cet ouvrage est publié) qui passe notamment par un mouvement de clarification et d’historicisation. </span></p>
<p><strong style="font-family: Helvetica; font-size: 13pt;">Justement comment expliquez-vous que le genre cristallise peurs, rancœurs et autres fantasmes dans de nombreux pays ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="line-height: 150%; mso-pagination: none;"><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;">Lorsque des pas s’effectuent vers l’égalité, il est récurrent de constater des formes de résistances, qui brandissent comme un blason la naturalisation des rapports de pouvoir. Or, les normes ne sont ni naturelles, ni divines, ni universelles, ni atemporelles. Bien au contraire, elles sont le produit de décisions sociales, culturellement et historiquement situées. La construction sociale qui catégorise et hiérarchise ce qui est considéré comme masculin ou féminin dans une époque et un contexte donnés que révèle et relève le genre est perçue comme un danger par les garants (religieux, politiques, etc.) des inégalités. En effet, la mise en débat de ces questions dans l’espace public reflète l’histoire en mouvement. Comme les normes ne sont pas gravées dans le marbre, nous pouvons donc participer à leur (ré)élaboration vers le respect des droits humains et c’est précisément contre cela que ces gens s’insurgent. Il devient de plus en plus intenable pour eux de continuer à justifier que certaines femmes ne bénéficient pas du même traitement salarial que des hommes pour un travail équivalent et à compétences égales ; qu’un homme n’est pas fait pour aller chercher son enfant à la crèche ; que tout-e citoyen-ne a les mêmes devoirs mais n’a pas les mêmes droits quand il s’agit de pouvoir choisir de se marier. Concernant ce sujet, bien des individus commencent leur argumentation par : «Je ne suis pas homophobe mais…», alors qu’il s’agit bien de continuer d’assigner les personnes concernées dans la dévalorisation et la discrimination, de reconduire la hiérarchisation non seulement entre les sexualités mais aussi entre les sexes. D’ailleurs, ce que scandent - plus ou moins en filigrane - les slogans de ces manifs anti, c’est que le destin d’une femme revient à enfanter et rester confinée dans l’espace dit privé. C’est donc la mise à jour et au jour dans l’espace public des failles et de la non-naturalité de cette matrice hétérosexiste qui effraie les personnes qui l’incarnent, accrochées à leurs stéréotypes. </span></p>
<p><strong style="font-family: Helvetica; font-size: 13pt; line-height: 150%;">Pourquoi la Suisse ne connaît-elle pas selon vous les mêmes mobilisations de masse autour du genre ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="line-height: 150%; mso-pagination: none;"><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;">N’oublions pas que le calendrier politique helvétique voit se succéder - avec des titres plus trompeurs les uns que les autres et une récurrence de la manipulation d’arguments fiscaux - une initiative voulant renvoyer les femmes au foyer, des attaques contre les avancements relatifs à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) puis à l’éducation sexuelle, ainsi qu’une votation qui inscrirait dans la Constitution suisse que le mariage est l’union durable entre un homme et une femme. La visibilisation accrue de ces questions sur la place publique est intimement liée à la définition des contours de ce qu’est aujourd’hui un couple, une famille ou une nation (et, partant, de ce qui est considéré comme étranger à cette dernière). La façon dont elles sont appréhendées, discutées, mobilisées et médiatisées varie ainsi d’un contexte à un autre, sans oublier la crise en toile de fond. Du train de l’égalité en Espagne aux jeux olympiques de Sotchi, nous assistons à une reconduction et à un déploiement de l’économie et de la cartographie des questions de sexe, de genre et de sexualité. C’est pour cette raison que j’ai problématisé ces trois notions, tout en montrant que cette triade s’inscrit dans une mosaïque plus générale.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span></span></p>
<p><strong style="font-family: Helvetica; font-size: 13pt; line-height: 150%;">Comment a émergé cette idée de hacker le sexisme ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="line-height: 150%; mso-pagination: none;"><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;">Je tenais justement à illustrer l’idée selon laquelle les facettes du sexisme ne sont pas des éléments isolés mais qu’elles se fondent sur une architecture ; qu’il ne suffit donc pas de s’attaquer aux symptômes mais aux racines qui les (re)produisent. Mon objectif consistait à proposer à la fois des pistes de décryptage et de démantèlement. J’ai ainsi traduit cette idée de loupe d’analyse et de levier d’action à travers la métaphore d’un verbe, celui de hacker, dont la définition basique renvoie au fait de comprendre le fonctionnement d’un mécanisme dans le but de le détourner, de trouver les failles d’un système pour le déjouer tout en évitant de le consolider. Cette deuxième acception me permet de mettre en évidence les écueils à éviter et qu’il ne s’agit pas uniquement d’infiltrer ou de détourner un système mais surtout de créer des propositions en dehors de ce dernier. Comme "hacker" émane du champ informatique, il permet aussi d’interroger le rôle et l’emploi des nouvelles technologies dans les mobilisations actuelles. Je dépasse rapidement son contexte d’émergence pour l’utiliser comme une analogie. Il s’agit en effet d’une action de tous les jours que chaque personne met en œuvre à sa façon, de manière individuelle comme collective, sous des formes associatives ou artistiques par exemple. Comme l’indique le titre de ma conclusion, il est donc nécessaire d’avancer sur tous les fronts. </span></p>
<p><strong style="font-family: Helvetica; font-size: 13pt;">Votre travail sur les discriminations ne s’arrête donc pas à l’étude de leurs mécanismes ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="line-height: 150%; mso-pagination: none;"><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;">Si dans un premier temps je questionne la manière dont des catégories sont créées et des frontières tracées à des fins de domination, je me penche également sur les expériences des personnes qui éprouvent ces phénomènes de stéréotypage et de stigmatisation. En quoi la construction identitaire et la socialisation s’en trouvent-elles affectées ? A qui les personnes, et de surcroît les jeunes, peuvent-elles parler et s’identifier ? Quelles ressources existent pour colmater les fissures provoquées par la crainte ou le choc répété de l’injure ? Comme cette dernière n’est que la pointe d’un spectre de violences aux couleurs plus ou moins explicites et que les réponses se déclinent en fonction des individus et des groupes, j’articule en permanence les singularités des vécus et la transversalité des mécanismes de rejet. Il s’agit donc de contrer non seulement la production des inégalités mais également l’arsenal actuel des arguments fallacieux qui tentent de les justifier. </span></p>
<p><strong style="line-height: 150%; font-family: Helvetica; font-size: 13pt;">Qu’est-ce que cela signifie aujourd’hui ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="line-height: 150%; mso-pagination: none;"><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;">Un des paradoxes saillants est le suivant : être pour l’égalité, mais contre le genre. Or, la concrétisation de l’égalité et la lutte contre les discriminations ne peuvent pas se réaliser sans un travail de fond et sans la prise en compte des questions de genre. Sinon, c’est juste une égalité cosmétique et de surface. Les enjeux ne sont pas uniquement politiques et scientifiques. La stratégie d’invasion de l’éducation et de la formation (passant par exemple du retrait de quelques enfants de certaines classes à la censure de ressources pédagogiques déconstruisant les stéréotypes - polémique autour de<em> l'ABCD de l'égalité </em>en France<em>, </em>ndlr) n’est pas anodine. Si ces sphères participent encore à la fabrique du genre, elles sont cependant censées être des espaces de réflexion et d’apprentissage, de construction de soi et d’autonomisation à travers la découverte de nouveaux horizons. Ces aspects renvoient du coup à une interrogation plus générale sur les sociétés qui se prétendent démocratiques : tendent-elles vers le maintien d’un ordre social inégalitaire ou vers la participation collective à davantage de justice sociale ? </span></p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal" style="line-height: 150%; mso-pagination: none;"><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;"><strong><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;"><strong>Caroline Dayer, </strong></span></strong></span><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;"><strong><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;"><strong><em>Sous les pavés, le genre. Hacker le sexisme</em>, éditions de l'Aube, 92p.</strong></span></strong></span></p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal" style="line-height: 150%; mso-pagination: none;"><strong style="font-family: Helvetica; font-size: 13pt; line-height: 150%;">Vernissage le 8 mars à 18h au café-librairie Livresse (rue Vignier 5, Genève)</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="line-height: 150%; mso-pagination: none;"><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;"><strong>Signature au salon du livre genevois puis en Suisse romande, à Besançon, Lille, Paris… </strong></span></p>
<p> </p>
<p><img src="images/genresfeminismes/Sous_les_paves_le_genre_134.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /> </p>
<p class="MsoNormal" style="line-height: 150%; mso-pagination: none;"><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;"><strong>Alors que les réactionnaires de tous poils combattent sauvagement l'égalité et la "théorie du genre", Caroline Dayer, enseignante et chercheuse à l'Université de Genève publie un livre intitulé </strong></span><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;"><strong><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;"><strong><em>Sous les pavés, le genre. Hacker le sexisme</em> </strong></span>qui bat en brèche les mécanismes qui sous-tendent ces mouvements. Interview.</strong><br /></span></p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal" style="line-height: 150%; mso-pagination: none;"><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;"><strong>l'émiliE: Vous publiez votre ouvrage <em>Sous les pavés, le genre. Hacker le sexisme</em>, est-ce en réponse à la Manif pour tous et à d’autres frondes anti-genre en France ?</strong></span></p>
<p class="MsoNormal" style="line-height: 150%; mso-pagination: none;"><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;"><strong>Caroline Dayer</strong>: Fouler les pavés contre l’égalité… Ces récentes manifestations m’ont effectivement fait cheminer vers ce titre. Par contre, le projet de cet ouvrage est bien antérieur et s’inscrit dans la continuité de mes recherches sur les discriminations (sexisme, homophobie, racisme, etc.). Il correspond également à la demande récurrente - lors de formations, de conférences et de débats auxquels je participe - d’un tel livre sur ces questions. Il tombe donc à point nommé et le chapitre sur les (més)usages du genre permet ainsi de montrer que ce dernier n’est ni une idéologie ni une théorie, mais un concept et un domaine de recherches qui se basent sur différentes disciplines et s’ancrent dans des terrains variés. Il y a donc une méconnaissance et une instrumentalisation du genre qui créent de la confusion et alimente des polémiques infondées. La constellation de clés d’interprétation que j’ai voulue interdisciplinaire peut constituer un outil novateur dans cette urgence de comprendre (pour reprendre l’intitulé de la série dans laquelle cet ouvrage est publié) qui passe notamment par un mouvement de clarification et d’historicisation. </span></p>
<p><strong style="font-family: Helvetica; font-size: 13pt;">Justement comment expliquez-vous que le genre cristallise peurs, rancœurs et autres fantasmes dans de nombreux pays ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="line-height: 150%; mso-pagination: none;"><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;">Lorsque des pas s’effectuent vers l’égalité, il est récurrent de constater des formes de résistances, qui brandissent comme un blason la naturalisation des rapports de pouvoir. Or, les normes ne sont ni naturelles, ni divines, ni universelles, ni atemporelles. Bien au contraire, elles sont le produit de décisions sociales, culturellement et historiquement situées. La construction sociale qui catégorise et hiérarchise ce qui est considéré comme masculin ou féminin dans une époque et un contexte donnés que révèle et relève le genre est perçue comme un danger par les garants (religieux, politiques, etc.) des inégalités. En effet, la mise en débat de ces questions dans l’espace public reflète l’histoire en mouvement. Comme les normes ne sont pas gravées dans le marbre, nous pouvons donc participer à leur (ré)élaboration vers le respect des droits humains et c’est précisément contre cela que ces gens s’insurgent. Il devient de plus en plus intenable pour eux de continuer à justifier que certaines femmes ne bénéficient pas du même traitement salarial que des hommes pour un travail équivalent et à compétences égales ; qu’un homme n’est pas fait pour aller chercher son enfant à la crèche ; que tout-e citoyen-ne a les mêmes devoirs mais n’a pas les mêmes droits quand il s’agit de pouvoir choisir de se marier. Concernant ce sujet, bien des individus commencent leur argumentation par : «Je ne suis pas homophobe mais…», alors qu’il s’agit bien de continuer d’assigner les personnes concernées dans la dévalorisation et la discrimination, de reconduire la hiérarchisation non seulement entre les sexualités mais aussi entre les sexes. D’ailleurs, ce que scandent - plus ou moins en filigrane - les slogans de ces manifs anti, c’est que le destin d’une femme revient à enfanter et rester confinée dans l’espace dit privé. C’est donc la mise à jour et au jour dans l’espace public des failles et de la non-naturalité de cette matrice hétérosexiste qui effraie les personnes qui l’incarnent, accrochées à leurs stéréotypes. </span></p>
<p><strong style="font-family: Helvetica; font-size: 13pt; line-height: 150%;">Pourquoi la Suisse ne connaît-elle pas selon vous les mêmes mobilisations de masse autour du genre ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="line-height: 150%; mso-pagination: none;"><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;">N’oublions pas que le calendrier politique helvétique voit se succéder - avec des titres plus trompeurs les uns que les autres et une récurrence de la manipulation d’arguments fiscaux - une initiative voulant renvoyer les femmes au foyer, des attaques contre les avancements relatifs à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) puis à l’éducation sexuelle, ainsi qu’une votation qui inscrirait dans la Constitution suisse que le mariage est l’union durable entre un homme et une femme. La visibilisation accrue de ces questions sur la place publique est intimement liée à la définition des contours de ce qu’est aujourd’hui un couple, une famille ou une nation (et, partant, de ce qui est considéré comme étranger à cette dernière). La façon dont elles sont appréhendées, discutées, mobilisées et médiatisées varie ainsi d’un contexte à un autre, sans oublier la crise en toile de fond. Du train de l’égalité en Espagne aux jeux olympiques de Sotchi, nous assistons à une reconduction et à un déploiement de l’économie et de la cartographie des questions de sexe, de genre et de sexualité. C’est pour cette raison que j’ai problématisé ces trois notions, tout en montrant que cette triade s’inscrit dans une mosaïque plus générale.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span></span></p>
<p><strong style="font-family: Helvetica; font-size: 13pt; line-height: 150%;">Comment a émergé cette idée de hacker le sexisme ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="line-height: 150%; mso-pagination: none;"><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;">Je tenais justement à illustrer l’idée selon laquelle les facettes du sexisme ne sont pas des éléments isolés mais qu’elles se fondent sur une architecture ; qu’il ne suffit donc pas de s’attaquer aux symptômes mais aux racines qui les (re)produisent. Mon objectif consistait à proposer à la fois des pistes de décryptage et de démantèlement. J’ai ainsi traduit cette idée de loupe d’analyse et de levier d’action à travers la métaphore d’un verbe, celui de hacker, dont la définition basique renvoie au fait de comprendre le fonctionnement d’un mécanisme dans le but de le détourner, de trouver les failles d’un système pour le déjouer tout en évitant de le consolider. Cette deuxième acception me permet de mettre en évidence les écueils à éviter et qu’il ne s’agit pas uniquement d’infiltrer ou de détourner un système mais surtout de créer des propositions en dehors de ce dernier. Comme "hacker" émane du champ informatique, il permet aussi d’interroger le rôle et l’emploi des nouvelles technologies dans les mobilisations actuelles. Je dépasse rapidement son contexte d’émergence pour l’utiliser comme une analogie. Il s’agit en effet d’une action de tous les jours que chaque personne met en œuvre à sa façon, de manière individuelle comme collective, sous des formes associatives ou artistiques par exemple. Comme l’indique le titre de ma conclusion, il est donc nécessaire d’avancer sur tous les fronts. </span></p>
<p><strong style="font-family: Helvetica; font-size: 13pt;">Votre travail sur les discriminations ne s’arrête donc pas à l’étude de leurs mécanismes ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="line-height: 150%; mso-pagination: none;"><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;">Si dans un premier temps je questionne la manière dont des catégories sont créées et des frontières tracées à des fins de domination, je me penche également sur les expériences des personnes qui éprouvent ces phénomènes de stéréotypage et de stigmatisation. En quoi la construction identitaire et la socialisation s’en trouvent-elles affectées ? A qui les personnes, et de surcroît les jeunes, peuvent-elles parler et s’identifier ? Quelles ressources existent pour colmater les fissures provoquées par la crainte ou le choc répété de l’injure ? Comme cette dernière n’est que la pointe d’un spectre de violences aux couleurs plus ou moins explicites et que les réponses se déclinent en fonction des individus et des groupes, j’articule en permanence les singularités des vécus et la transversalité des mécanismes de rejet. Il s’agit donc de contrer non seulement la production des inégalités mais également l’arsenal actuel des arguments fallacieux qui tentent de les justifier. </span></p>
<p><strong style="line-height: 150%; font-family: Helvetica; font-size: 13pt;">Qu’est-ce que cela signifie aujourd’hui ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="line-height: 150%; mso-pagination: none;"><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;">Un des paradoxes saillants est le suivant : être pour l’égalité, mais contre le genre. Or, la concrétisation de l’égalité et la lutte contre les discriminations ne peuvent pas se réaliser sans un travail de fond et sans la prise en compte des questions de genre. Sinon, c’est juste une égalité cosmétique et de surface. Les enjeux ne sont pas uniquement politiques et scientifiques. La stratégie d’invasion de l’éducation et de la formation (passant par exemple du retrait de quelques enfants de certaines classes à la censure de ressources pédagogiques déconstruisant les stéréotypes - polémique autour de<em> l'ABCD de l'égalité </em>en France<em>, </em>ndlr) n’est pas anodine. Si ces sphères participent encore à la fabrique du genre, elles sont cependant censées être des espaces de réflexion et d’apprentissage, de construction de soi et d’autonomisation à travers la découverte de nouveaux horizons. Ces aspects renvoient du coup à une interrogation plus générale sur les sociétés qui se prétendent démocratiques : tendent-elles vers le maintien d’un ordre social inégalitaire ou vers la participation collective à davantage de justice sociale ? </span></p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal" style="line-height: 150%; mso-pagination: none;"><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;"><strong><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;"><strong>Caroline Dayer, </strong></span></strong></span><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;"><strong><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;"><strong><em>Sous les pavés, le genre. Hacker le sexisme</em>, éditions de l'Aube, 92p.</strong></span></strong></span></p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal" style="line-height: 150%; mso-pagination: none;"><strong style="font-family: Helvetica; font-size: 13pt; line-height: 150%;">Vernissage le 8 mars à 18h au café-librairie Livresse (rue Vignier 5, Genève)</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="line-height: 150%; mso-pagination: none;"><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Helvetica;"><strong>Signature au salon du livre genevois puis en Suisse romande, à Besançon, Lille, Paris… </strong></span></p>
<p> </p>
Well Well Well, le mook lesbien
2014-02-17T09:49:04+00:00
2014-02-17T09:49:04+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/549-well-well-well-le-media-lesbien
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/well%20well.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Un semestriel lesbien est en préparation. Son nom : <em>Well Well Well</em>, ça vous rappelle quelque chose? Pas étonnant, le lien avec Le Tigre est direct. Les filles de <em>Well Well Well</em> sont venues à l'émiliE, du coup on s'est intéressées à elles et c'est leur rédac' chef, Marie Kirschen, qui s'y colle et nous offre un avant-goût de ce que sera ce mook (mi-magazine, mi-book).</strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p><strong style="font-size: 10px;">l'émiliE: Encore un magazine... Vous pensez que c'est utile ?</strong></p>
<p><strong>Marie Kirschen</strong>: <em>Well Well Well</em> sera une revue, plus qu’un magazine. Elle sera distribuée en librairie et sera également vendue par internet sur notre futur site. Et, pour répondre à votre question, oui c’est tout à fait utile ! <br /> <br />Nous avons lancé le projet suite à l’arrêt de trois médias lesbiens français. Je suis l’ancienne responsable de Têtue.com, le site lesbien de Têtu, qui a été abandonné après le rachat du titre, l’année dernière. Au même moment, c’est le magazine <em>La 10e Muse</em> (devenu <em>Muse & Out</em>) qui était placé en liquidation judiciaire. Un peu auparavant, <em>Lesbia</em> s’arrêtait… <br /> <br />Il fallait recréer quelque chose ! En particulier en print. J’ai eu l’idée de faire un mook (mi-magazine mi-book) car cela n’avait jamais été fait sur les thématiques lesbiennes en France et cela ne concurrençait aucun média déjà existant. J’en ai parlé à des journalistes autour de moi, qui ont toutes été enthousiastes... Car il y a clairement un manque. Nous en avons marre de l’invisibilité des lesbiennes !<br /><br /><strong><em>Well Well Well</em> prend-il le relais de <em>Têtue </em>?</strong><br />C’est un média lesbien mais ce n’est pas le même support, pas la même périodicité, pas la même ligne éditoriale… C’est autre chose. <br /><br /><strong>Pourquoi avoir choisi le titre d'une chanson du groupe Le Tigre ?</strong><br />Parce qu’on aime beaucoup le mouvement Riot Grrrl ! La chanson est vraiment bien et c’était une manière de rendre hommage à ces femmes qui se sont bougées, qui ont fait de très grandes choses et qui ne sont pas reconnues à leur juste valeur par la presse mainstream. Ça nous a fait très plaisir que le Tigre accepte que l’on utilise la chanson en question pour notre <a href="http://www.youtube.com/watch?v=AzEk3AnNSjY%20"><span style="text-decoration: underline;">vidéo de présentation</span></a>. <br /><br /><strong style="font-size: 10px;">Vous ne voulez pas d'annonceurs. Même pas en rêve ?</strong><br />Actuellement en France, les annonceurs sont toujours très frileux et ont des réticences à faire figurer leurs publicités sur des supports LGBT. La conséquence c’est que la presse homo peine à se financer… Donc évidemment, ce serait bien pour l’ensemble de la presse LGBT si les annonceurs pouvaient se décider à enfin entrer dans le XXIe siècle et se départir de leurs clichés sur les lesbiennes, les trans, les gays… <br /> <br />Ceci étant dit, être financé par la pub a aussi des effets pervers : nous n’avions pas envie de devoir faire des pages mode ou conso uniquement pour tenter de séduire les annonceurs. Nous écrivons uniquement pour nos lectrices et lecteurs. <br /> <br /><strong>Vous vous financez par crowdfunding. Cela suffit-il au démarrage du </strong><strong>projet ? Et à sa poursuite ?</strong><br />Le crowdfunding, c’est à dire le «financement par la foule», correspond bien à l’esprit du projet. Et d’ailleurs les futures lectrices et futurs lecteurs ont été au rendez-vous : nous avons récolté 10'000€ en 15 jours lors du lancement de notre page Ulule. On ne s’attendait pas à un tel succès ! Les ventes du premier numéro devraient permettre de financer le deuxième et ainsi de suite. Le crowdfunding est toujours en cours, jusqu’au 3 mars, car chaque denier compte : malheureusement l’impression d’une belle revue papier coûte très très cher ! Nous avons aussi besoin d’un peu d’argent pour financer des déplacements en reportage. Si notre projet vous plaît, vous pouvez nous aider sur <a href="http://fr.ulule.com/well-well/%20%20%20"><span style="text-decoration: underline;">notre page Ulule</span></a>. <br /><br /><strong>Votre démarche est artistique. Est-elle politique aussi ?</strong><br />Effectivement, nous voulons créer un bel objet, épais, avec beaucoup de photos… Une revue que l’on soit fière d’acheter. La démarche est aussi politique dans le sens où il s’agit de combler un manque et de visibiliser les lesbiennes. Aujourd’hui encore, on vit dans une société où les représentations des lesbiennes sont quasi inexistantes, que ce soit dans les médias, les films, les livres… Si vous êtes une jeune femme qui se découvre lesbienne dans ce contexte, vous pouvez vous sentir très seule ! Créer un nouveau média participe à la visibilisation des femmes homos.<br /> <br /><strong style="font-size: 10px;">Que pensez-vous du lâchage du gouvernement socialiste sur la PMA?</strong><br />Elle illustre les conséquences de l’invisibilité des femmes homos… Bien que promise par Hollande pendant la campagne, la PMA a tout de suite été mise de côté par Taubira lors de l’élaboration du projet de loi sur le mariage. Peu visibles, les lesbiennes ont du mal à porter leurs revendications sur le devant de la scène. Leurs problématiques sont moins bien connues. Résultat : la PMA est tout de suite utilisée comme fusible pour satisfaire les réactionnaires. <br /><br /><strong><em>Well Well Well</em> sera-t-il disponible en Suisse romande?</strong><br />On va essayer de faire en sorte que oui. Dans tous les cas, il sera possible de commander <em>Well</em> sur notre futur site internet et la revue sera directement livrée chez vous !<br /><br /><strong>L'équipe est composée de professionnelles bénévoles. Où trouvez-vous le </strong><strong>temps ? Qu'est-ce qui vous anime ?</strong><br />On rogne sur nos week-ends, nos soirées ! C’est beaucoup de boulot, mais nous sommes toutes ultra motivées par le projet et l’aspect féministe d’une telle démarche. Nous avons très envie d’écrire sur et pour les lesbiennes. C’est quand même fou qu’en 2014, alors que le débat sur la PMA fait rage, on entende aussi peu les femmes homos. C’est la même chose pour l’histoire du mouvement lesbien et féministe : les médias et maisons d’édition généralistes ne s’y intéressent que trop peu. Il y a tout un pan de l’histoire lesbienne qui est méconnu… A notre niveau, nous voulons contribuer à changer ça. <br /><br /><strong style="font-size: 10px;">La sortie du numéro1 est prévue pour quand ?</strong><br />Pour le printemps, vers le mois de mai ! Avec également une soirée de lancement ainsi qu’un grand pique-nique qu’on sera très heureuses de partager avec les lectrices et lecteurs qui nous ont soutenues.</p>
<p>Photo: <em>l'équipe de Well Well Well à Paris</em></p>
<p><br /><br /><strong>Bon à savoir sur <em>Well </em></strong>: <br /><br /><a href="http://fr.ulule.com/well-well/">http://fr.ulule.com/well-well/</a><br /><a href="https://www.facebook.com/revuewellwellwell">https://www.facebook.com/revuewellwellwell</a><br /><a href="https://twitter.com/Revue_Well">https://twitter.com/Revue_Well</a><br /><br /><br /></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/well%20well.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Un semestriel lesbien est en préparation. Son nom : <em>Well Well Well</em>, ça vous rappelle quelque chose? Pas étonnant, le lien avec Le Tigre est direct. Les filles de <em>Well Well Well</em> sont venues à l'émiliE, du coup on s'est intéressées à elles et c'est leur rédac' chef, Marie Kirschen, qui s'y colle et nous offre un avant-goût de ce que sera ce mook (mi-magazine, mi-book).</strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p><strong style="font-size: 10px;">l'émiliE: Encore un magazine... Vous pensez que c'est utile ?</strong></p>
<p><strong>Marie Kirschen</strong>: <em>Well Well Well</em> sera une revue, plus qu’un magazine. Elle sera distribuée en librairie et sera également vendue par internet sur notre futur site. Et, pour répondre à votre question, oui c’est tout à fait utile ! <br /> <br />Nous avons lancé le projet suite à l’arrêt de trois médias lesbiens français. Je suis l’ancienne responsable de Têtue.com, le site lesbien de Têtu, qui a été abandonné après le rachat du titre, l’année dernière. Au même moment, c’est le magazine <em>La 10e Muse</em> (devenu <em>Muse & Out</em>) qui était placé en liquidation judiciaire. Un peu auparavant, <em>Lesbia</em> s’arrêtait… <br /> <br />Il fallait recréer quelque chose ! En particulier en print. J’ai eu l’idée de faire un mook (mi-magazine mi-book) car cela n’avait jamais été fait sur les thématiques lesbiennes en France et cela ne concurrençait aucun média déjà existant. J’en ai parlé à des journalistes autour de moi, qui ont toutes été enthousiastes... Car il y a clairement un manque. Nous en avons marre de l’invisibilité des lesbiennes !<br /><br /><strong><em>Well Well Well</em> prend-il le relais de <em>Têtue </em>?</strong><br />C’est un média lesbien mais ce n’est pas le même support, pas la même périodicité, pas la même ligne éditoriale… C’est autre chose. <br /><br /><strong>Pourquoi avoir choisi le titre d'une chanson du groupe Le Tigre ?</strong><br />Parce qu’on aime beaucoup le mouvement Riot Grrrl ! La chanson est vraiment bien et c’était une manière de rendre hommage à ces femmes qui se sont bougées, qui ont fait de très grandes choses et qui ne sont pas reconnues à leur juste valeur par la presse mainstream. Ça nous a fait très plaisir que le Tigre accepte que l’on utilise la chanson en question pour notre <a href="http://www.youtube.com/watch?v=AzEk3AnNSjY%20"><span style="text-decoration: underline;">vidéo de présentation</span></a>. <br /><br /><strong style="font-size: 10px;">Vous ne voulez pas d'annonceurs. Même pas en rêve ?</strong><br />Actuellement en France, les annonceurs sont toujours très frileux et ont des réticences à faire figurer leurs publicités sur des supports LGBT. La conséquence c’est que la presse homo peine à se financer… Donc évidemment, ce serait bien pour l’ensemble de la presse LGBT si les annonceurs pouvaient se décider à enfin entrer dans le XXIe siècle et se départir de leurs clichés sur les lesbiennes, les trans, les gays… <br /> <br />Ceci étant dit, être financé par la pub a aussi des effets pervers : nous n’avions pas envie de devoir faire des pages mode ou conso uniquement pour tenter de séduire les annonceurs. Nous écrivons uniquement pour nos lectrices et lecteurs. <br /> <br /><strong>Vous vous financez par crowdfunding. Cela suffit-il au démarrage du </strong><strong>projet ? Et à sa poursuite ?</strong><br />Le crowdfunding, c’est à dire le «financement par la foule», correspond bien à l’esprit du projet. Et d’ailleurs les futures lectrices et futurs lecteurs ont été au rendez-vous : nous avons récolté 10'000€ en 15 jours lors du lancement de notre page Ulule. On ne s’attendait pas à un tel succès ! Les ventes du premier numéro devraient permettre de financer le deuxième et ainsi de suite. Le crowdfunding est toujours en cours, jusqu’au 3 mars, car chaque denier compte : malheureusement l’impression d’une belle revue papier coûte très très cher ! Nous avons aussi besoin d’un peu d’argent pour financer des déplacements en reportage. Si notre projet vous plaît, vous pouvez nous aider sur <a href="http://fr.ulule.com/well-well/%20%20%20"><span style="text-decoration: underline;">notre page Ulule</span></a>. <br /><br /><strong>Votre démarche est artistique. Est-elle politique aussi ?</strong><br />Effectivement, nous voulons créer un bel objet, épais, avec beaucoup de photos… Une revue que l’on soit fière d’acheter. La démarche est aussi politique dans le sens où il s’agit de combler un manque et de visibiliser les lesbiennes. Aujourd’hui encore, on vit dans une société où les représentations des lesbiennes sont quasi inexistantes, que ce soit dans les médias, les films, les livres… Si vous êtes une jeune femme qui se découvre lesbienne dans ce contexte, vous pouvez vous sentir très seule ! Créer un nouveau média participe à la visibilisation des femmes homos.<br /> <br /><strong style="font-size: 10px;">Que pensez-vous du lâchage du gouvernement socialiste sur la PMA?</strong><br />Elle illustre les conséquences de l’invisibilité des femmes homos… Bien que promise par Hollande pendant la campagne, la PMA a tout de suite été mise de côté par Taubira lors de l’élaboration du projet de loi sur le mariage. Peu visibles, les lesbiennes ont du mal à porter leurs revendications sur le devant de la scène. Leurs problématiques sont moins bien connues. Résultat : la PMA est tout de suite utilisée comme fusible pour satisfaire les réactionnaires. <br /><br /><strong><em>Well Well Well</em> sera-t-il disponible en Suisse romande?</strong><br />On va essayer de faire en sorte que oui. Dans tous les cas, il sera possible de commander <em>Well</em> sur notre futur site internet et la revue sera directement livrée chez vous !<br /><br /><strong>L'équipe est composée de professionnelles bénévoles. Où trouvez-vous le </strong><strong>temps ? Qu'est-ce qui vous anime ?</strong><br />On rogne sur nos week-ends, nos soirées ! C’est beaucoup de boulot, mais nous sommes toutes ultra motivées par le projet et l’aspect féministe d’une telle démarche. Nous avons très envie d’écrire sur et pour les lesbiennes. C’est quand même fou qu’en 2014, alors que le débat sur la PMA fait rage, on entende aussi peu les femmes homos. C’est la même chose pour l’histoire du mouvement lesbien et féministe : les médias et maisons d’édition généralistes ne s’y intéressent que trop peu. Il y a tout un pan de l’histoire lesbienne qui est méconnu… A notre niveau, nous voulons contribuer à changer ça. <br /><br /><strong style="font-size: 10px;">La sortie du numéro1 est prévue pour quand ?</strong><br />Pour le printemps, vers le mois de mai ! Avec également une soirée de lancement ainsi qu’un grand pique-nique qu’on sera très heureuses de partager avec les lectrices et lecteurs qui nous ont soutenues.</p>
<p>Photo: <em>l'équipe de Well Well Well à Paris</em></p>
<p><br /><br /><strong>Bon à savoir sur <em>Well </em></strong>: <br /><br /><a href="http://fr.ulule.com/well-well/">http://fr.ulule.com/well-well/</a><br /><a href="https://www.facebook.com/revuewellwellwell">https://www.facebook.com/revuewellwellwell</a><br /><a href="https://twitter.com/Revue_Well">https://twitter.com/Revue_Well</a><br /><br /><br /></p>
Transgenres discriminés en Europe
2014-02-05T08:54:45+00:00
2014-02-05T08:54:45+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/545-transgenres-discrimines-en-europe
REDACTION
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/thestatedecideswhoiam.img_assist_custom-150x211.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Amnesty International a publié hier un rapport intitulé <span style="text-decoration: underline;"><a href="http://www.amnesty.org/en/library/asset/EUR01/001/2014/en/13af83a1-85f5-476f-9fe9-b931f2b2a9f3/eur010012014en.pdf"><em>The state decides who I am : lack of legal recognition for transgender people in Europe</em></a></span>, qui s'intéresse aux droits fondamentaux des personnes transgenres dans différents pays d’Europe. Il en ressort que ces personnes font l'objet de discriminations et de traitements dégradants, voire inhumains. Le document décrit de manière détaillée la façon dont les personnes transgenres sont contraintes de subir des opérations chirurgicales invasives, des stérilisations, des traitements hormonaux ou des examens psychiatriques avant de pouvoir modifier leur identité au regard de la loi.
</strong></p>
<p><br />Marco Perolini, spécialiste des questions de discrimination au sein d’Amnesty International estime qu'
«il existe des personnes transgenres qui aimeraient avoir accès à certains des traitements médicaux disponibles, mais pour beaucoup d’autres, ce n’est pas le cas. Les États ne devraient pas forcer les personnes transgenres à faire tel ou tel choix en faisant dépendre le changement d’état civil d’interventions chirurgicales, de traitements hormonaux ou de stérilisation". L'Union Européenne compte environ 1,5 million de personnes transgenres qui doivent toujours selon Marco Perolini "surmonter d’énormes difficultés pour assumer leur identité, et ces problèmes sont souvent aggravés par une discrimination flagrante de la part des autorités."
</p>
<p><span style="font-size: 10px;">Dans de nombreux Etats, les conditions pour changer de genre à l’état civil sont strictes. Les personnes transgenres ne peuvent obtenir la reconnaissance juridique de leur genre qu’après avoir subi un diagnostic psychiatrique concluant à l’existence d’un trouble mental, s’être pliées à des actes médicaux tels que des traitements hormonaux et des opérations chirurgicales entraînant une stérilisation irréversible, et prouvé leur célibat. L’ensemble du processus peut prendre des années.
</span></p>
<p><span style="font-size: 10px;">Le changement d’état civil est essentiel pour que les personnes transgenres puissent jouir de leurs droits humains. Ces dernières risquent de subir des discriminations dès qu’elles doivent présenter des documents mentionnant un nom ou des informations liées au genre qui ne correspondent pas à leur identité de genre et à son expression. «Les États doivent veiller à ce que les personnes transgenres puissent obtenir un changement d’état civil par le biais d’une procédure rapide, accessible et transparente en accord avec la perception qu’elles ont de leur identité de genre, tout en préservant leur droit au respect de la vie privée et sans leur imposer des conditions qui bafouent leurs droits humains, explique Marco Perolini. Des personnes sont contraintes de prendre une décision odieuse – soit elles se laissent infliger une série d’étapes et de mesures dégradantes ordonnées par les autorités, soit elles doivent continuer à vivre avec un genre fondé sur le sexe qui leur a été attribué à la naissance – même si celui-ci va à l’encontre de leur apparence et de leur identité.» </span></p>
<p><span style="font-size: 10px;">Amnesty International s'appuie sur de nombreux cas et témoignages pour étayer son rapport à l'exemple de Victoria qui vit à Dublin en Irlande où aucune procédure n’existe encore pour permettre aux personnes de modifier leur identité de genre. Elle s'insurge : «Le changement d’état civil est important car il me permettrait, une bonne fois pour toutes, de ne pas devoir me battre avec des gens pour tout ce à quoi j’ai droit, comme les prestations sociales. Je veux qu’on me reconnaisse telle que je suis vraiment. C’est ridicule que l’État ne me reconnaisse pas telle que je suis.» </span></p>
<p><span style="font-size: 10px;">Au vu de la vague conservatrice qui s'est abattue sur l'Europe, ce rapport va-t-il permettre quelques avancées ?
</span><br />
</p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/thestatedecideswhoiam.img_assist_custom-150x211.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Amnesty International a publié hier un rapport intitulé <span style="text-decoration: underline;"><a href="http://www.amnesty.org/en/library/asset/EUR01/001/2014/en/13af83a1-85f5-476f-9fe9-b931f2b2a9f3/eur010012014en.pdf"><em>The state decides who I am : lack of legal recognition for transgender people in Europe</em></a></span>, qui s'intéresse aux droits fondamentaux des personnes transgenres dans différents pays d’Europe. Il en ressort que ces personnes font l'objet de discriminations et de traitements dégradants, voire inhumains. Le document décrit de manière détaillée la façon dont les personnes transgenres sont contraintes de subir des opérations chirurgicales invasives, des stérilisations, des traitements hormonaux ou des examens psychiatriques avant de pouvoir modifier leur identité au regard de la loi.
</strong></p>
<p><br />Marco Perolini, spécialiste des questions de discrimination au sein d’Amnesty International estime qu'
«il existe des personnes transgenres qui aimeraient avoir accès à certains des traitements médicaux disponibles, mais pour beaucoup d’autres, ce n’est pas le cas. Les États ne devraient pas forcer les personnes transgenres à faire tel ou tel choix en faisant dépendre le changement d’état civil d’interventions chirurgicales, de traitements hormonaux ou de stérilisation". L'Union Européenne compte environ 1,5 million de personnes transgenres qui doivent toujours selon Marco Perolini "surmonter d’énormes difficultés pour assumer leur identité, et ces problèmes sont souvent aggravés par une discrimination flagrante de la part des autorités."
</p>
<p><span style="font-size: 10px;">Dans de nombreux Etats, les conditions pour changer de genre à l’état civil sont strictes. Les personnes transgenres ne peuvent obtenir la reconnaissance juridique de leur genre qu’après avoir subi un diagnostic psychiatrique concluant à l’existence d’un trouble mental, s’être pliées à des actes médicaux tels que des traitements hormonaux et des opérations chirurgicales entraînant une stérilisation irréversible, et prouvé leur célibat. L’ensemble du processus peut prendre des années.
</span></p>
<p><span style="font-size: 10px;">Le changement d’état civil est essentiel pour que les personnes transgenres puissent jouir de leurs droits humains. Ces dernières risquent de subir des discriminations dès qu’elles doivent présenter des documents mentionnant un nom ou des informations liées au genre qui ne correspondent pas à leur identité de genre et à son expression. «Les États doivent veiller à ce que les personnes transgenres puissent obtenir un changement d’état civil par le biais d’une procédure rapide, accessible et transparente en accord avec la perception qu’elles ont de leur identité de genre, tout en préservant leur droit au respect de la vie privée et sans leur imposer des conditions qui bafouent leurs droits humains, explique Marco Perolini. Des personnes sont contraintes de prendre une décision odieuse – soit elles se laissent infliger une série d’étapes et de mesures dégradantes ordonnées par les autorités, soit elles doivent continuer à vivre avec un genre fondé sur le sexe qui leur a été attribué à la naissance – même si celui-ci va à l’encontre de leur apparence et de leur identité.» </span></p>
<p><span style="font-size: 10px;">Amnesty International s'appuie sur de nombreux cas et témoignages pour étayer son rapport à l'exemple de Victoria qui vit à Dublin en Irlande où aucune procédure n’existe encore pour permettre aux personnes de modifier leur identité de genre. Elle s'insurge : «Le changement d’état civil est important car il me permettrait, une bonne fois pour toutes, de ne pas devoir me battre avec des gens pour tout ce à quoi j’ai droit, comme les prestations sociales. Je veux qu’on me reconnaisse telle que je suis vraiment. C’est ridicule que l’État ne me reconnaisse pas telle que je suis.» </span></p>
<p><span style="font-size: 10px;">Au vu de la vague conservatrice qui s'est abattue sur l'Europe, ce rapport va-t-il permettre quelques avancées ?
</span><br />
</p>
A.W. Guelpa, harcelée sur le Net
2014-01-28T07:57:54+00:00
2014-01-28T07:57:54+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/543-aw-guelpa-harcelee-sur-le-net
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/guelpa.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p>Il est de ces individus qui n'ont pas inventé la poudre mais qui s'agitent dans la blogosphère dans l'espoir de faire quelques étincelles pour qu'enfin, on les remarque. Sans les nouvelles technologies, ils n'auraient jamais eu voix au chapitre en raison de leur étroitesse d'esprit et des platitudes qu'ils débitent à longueur de phrase. Minables un jour, minables toujours. Leur profil est assez banal : auto-proclamés coachs de vie, à fond dans le développement personnel, ces personnages éditent leurs ouvrages à compte d'auteur et répandent leur prose inepte sur le Net sans modération aucune. La médiocrité les caractérise et les coups bas les excitent. Et pour se faire un "nom", ils font dans le copinage et la provocation. Après tous ces efforts, ils sont éventuellement invités dans une émission de la RTS qui sombre après leur passage ou alimentent un blog d'un quotidien local qui participe à son déclin. En bref, la gloire!<br /><br />Ils font parfois des fixations : les féministes constituent un morceau de choix. La chancelière d'Etat de la République et du Canton de Genève, Madame Guelpa, a été assimilée à cette engeance féministe par le simple fait d'avoir rappelé quelques statistiques sur les votations dans la brochure qui s'y rapporte. Après avoir pointé le faible taux de participation aux dernières consultations, elle souligne que les femmes votent moins que les hommes et que leur engagement limité dans le processus électoral renvoie à leur faible représentativité politique. Appeler à une participation plus large des femmes n'est pas encore un acte de discrimination envers d'autres catégories comme le prétend un de ces fins bloggeurs. Madame Guelpa s'en tient aux chiffres et remplit parfaitement son rôle de Chancelière.<br /><br />Ledit bloggeur se pose en victime. Ce rappel statistique lui est insupportable, il y voit une attaque directe contre les hommes… Madame Guelpa serait sous influence féministe. Passons sur son analyse primaire qui veut que la Chancelière s'en prenne à une catégorie de sexe alors qu'elle pointe un mécanisme, et revenons sur son discours paternaliste condescendant : pour étayer son argumentation, ce piètre rhéteur recourt aux ficelles sexistes habituelles. Il cherche à réduire Madame Guelpa à sa condition biologique et aux caractéristiques qui s'y rapportent. Il évoque ses yeux magnifiques, son sourire, joue la séduction, se pâme sur son prénom etc etc. Lourd? Beauf? Navrant certainement. <br /><br />Madame Guelpa serait-elle illégitime à son poste? C'est ce qu'insinue le bloggeur jaloux qui voudrait lui assigner une toute autre place que celle qu'elle occupe dans l'espace public. Elle serait si bien à la maison à s'occuper de ses enfants… Pourquoi n'a-t-il pas été choisi lui pour exercer ces fonctions? Problème de compétences à l'évidence: le petit bloggeur n'a juste pas le niveau. Madame Guelpa, elle, est brillante, elle a un nom et mérite le respect. Lui a toutes les chances de rester anonyme et obscur (-antiste).</p>
<p>Photo DR</p>
<p><img src="images/genresfeminismes/guelpa.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p>Il est de ces individus qui n'ont pas inventé la poudre mais qui s'agitent dans la blogosphère dans l'espoir de faire quelques étincelles pour qu'enfin, on les remarque. Sans les nouvelles technologies, ils n'auraient jamais eu voix au chapitre en raison de leur étroitesse d'esprit et des platitudes qu'ils débitent à longueur de phrase. Minables un jour, minables toujours. Leur profil est assez banal : auto-proclamés coachs de vie, à fond dans le développement personnel, ces personnages éditent leurs ouvrages à compte d'auteur et répandent leur prose inepte sur le Net sans modération aucune. La médiocrité les caractérise et les coups bas les excitent. Et pour se faire un "nom", ils font dans le copinage et la provocation. Après tous ces efforts, ils sont éventuellement invités dans une émission de la RTS qui sombre après leur passage ou alimentent un blog d'un quotidien local qui participe à son déclin. En bref, la gloire!<br /><br />Ils font parfois des fixations : les féministes constituent un morceau de choix. La chancelière d'Etat de la République et du Canton de Genève, Madame Guelpa, a été assimilée à cette engeance féministe par le simple fait d'avoir rappelé quelques statistiques sur les votations dans la brochure qui s'y rapporte. Après avoir pointé le faible taux de participation aux dernières consultations, elle souligne que les femmes votent moins que les hommes et que leur engagement limité dans le processus électoral renvoie à leur faible représentativité politique. Appeler à une participation plus large des femmes n'est pas encore un acte de discrimination envers d'autres catégories comme le prétend un de ces fins bloggeurs. Madame Guelpa s'en tient aux chiffres et remplit parfaitement son rôle de Chancelière.<br /><br />Ledit bloggeur se pose en victime. Ce rappel statistique lui est insupportable, il y voit une attaque directe contre les hommes… Madame Guelpa serait sous influence féministe. Passons sur son analyse primaire qui veut que la Chancelière s'en prenne à une catégorie de sexe alors qu'elle pointe un mécanisme, et revenons sur son discours paternaliste condescendant : pour étayer son argumentation, ce piètre rhéteur recourt aux ficelles sexistes habituelles. Il cherche à réduire Madame Guelpa à sa condition biologique et aux caractéristiques qui s'y rapportent. Il évoque ses yeux magnifiques, son sourire, joue la séduction, se pâme sur son prénom etc etc. Lourd? Beauf? Navrant certainement. <br /><br />Madame Guelpa serait-elle illégitime à son poste? C'est ce qu'insinue le bloggeur jaloux qui voudrait lui assigner une toute autre place que celle qu'elle occupe dans l'espace public. Elle serait si bien à la maison à s'occuper de ses enfants… Pourquoi n'a-t-il pas été choisi lui pour exercer ces fonctions? Problème de compétences à l'évidence: le petit bloggeur n'a juste pas le niveau. Madame Guelpa, elle, est brillante, elle a un nom et mérite le respect. Lui a toutes les chances de rester anonyme et obscur (-antiste).</p>
<p>Photo DR</p>
Le musée fait le trottoir
2014-01-13T14:44:04+00:00
2014-01-13T14:44:04+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/538-le-musee-fait-le-trottoir
Hellen Williams
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/joan-colom-raval-barcelone.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Le Musée National d’Art de Catalogne (MNAC) présente jusqu’au 25 mai “Jo Faig El Carrer (Je fais le trottoir), Fotografies 1957- 2010”, soit plus de 500 clichés clandestins dans lesquels Joan Colom, prix National de Photographie, sur-expose les prostitué-e-s de Barcelone. Cette exposition répond à un souhait du photographe de 92 ans, décrit par le musée comme le meilleur photo-reporter espagnol de tous les temps, admiré pour sa liberté totale dans l’utilisation de l'appareil-photo. D’avis de transféministe, «Jo Faig el Carrer» révèle surtout la liberté totale avec laquelle une soi-disant élite artistique, principalement blanche et mâle, perpétue sans capote des clichés inadmissibles.</strong><br /><br />A l’origine du travail de Colom, le coup de foudre d’un comptable trentenaire, passionné de photographie, pour le Raval, ex Barrio Chino, et l’envie de décrire ce quartier chaud bouillant «avec une fidélité respectueuse». Si Joan Colom a bien été fidèle, au quartier, le respect, lui, s’est vite taillé, et pas une pipe. <br /><br />En effet, les images de cette exposition sont prises à l’insu des sujets, privés de tout libre-arbitre. Elles seront ainsi publiées, toujours sans l’accord de leur protagonistes, une première fois en 1962 dans le magazine AFAL, puis en 1964 dans le livre de Camilo José Cela <em>Izas, Rabizas y Colipoterras</em> (Catins, ribaudes et racoleuses). A une époque où la liberté sexuelle conduisait en prison, et où la prostitution achevait des femmes déjà sauvagement mises à nu par la répression franquiste, cette démarche pose problème. Le fait qu’elle ne soit pas clairement remise en question par le musée aujourd’hui, aussi. En 1962, comme en 2013, c’est la preuve du mépris et du sentiment d’impunité de la classe au pouvoir. Une femme pourtant s'est opposée à l'époque au photographe et à sa façon de faire. Elle s'est reconnue dans le livre de Cela et a menacé Colom d'un procès, ce qui mit entre parenthèses la carrière du photographe durant presque trente ans. <br /><br />Mais les clichés ont la vie dure, et Colom retourne dans le Raval dès les années 90, offrant cette fois des images en couleur, crues comme le néon. Elles composent la partie inédite de l’exposition. Les temps ont changé, la drogue et le sida injectent leurs stigmates dans une Barcelone post-olympique. Le contraste avec les années soixante est brutal, et c’est aussi là que cette exposition génère un profond malaise. A côté des images récentes, et en l’absence d’une contextualisation efficace, les bas-fonds franquistes auraient presque un côté bonhomme, avec leurs prostituées riantes et pitorresques Ou comment alzheimeriser la mémoire historique… <br /><br />«Jo Faig el Carrer» a pourtant une valeur documentaire, qui ne réside pas dans la prétendue vérité que sa clandestinité voudrait nous faire avaler, mais dans ce qu’elle raconte de l’occupation de l’espace public par les femmes et les minorités : en 1957, nous étions putes par le seul fait de «traîner» dans les rues. Aujourd’hui, nous pouvons traîner partout puisque nous ne sommes putes "que" dès que notre apparence ou notre vie sexuelle ébranlent l’autorité en place ! <br /><br />En 1957, Joan Colom manquait d’outils pour comprendre le mal-fondé de son objectif. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et tout musée qui se pose en référence culturelle devrait revoir son cadrage, et surtout promouvoir l’événement avec respect, sans réduire la prostituée à un corps sans tête, et la prostitution à une croupe offerte et anonyme. En glorifiant ces prises de vues sans en relever ni le sexisme ni le classisme, le MNAC et d’autres musées avant lui en sont complices. En les reproduisant à l’infini sur ses prospectus, sur Internet ou sur les petits carnets vendus à la boutique, le musée s’affiche maquereau.<br /><br />Un espoir cependant, lundi 17 mars (soit trois mois après le début de l’exposition...) le musée propose une table ronde autour de Joan Colom et son temps, avec, entre autres, l’excellente Beatriz Preciado. Un regard vraiment libre qui devrait redonner une à ces photographies, une lecture au-dessus de la ceinture.</p>
<p>Photo : Joan Colom en pleine action, photographié par son ami Ignasi Marroyo.<br /><br /></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/joan-colom-raval-barcelone.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Le Musée National d’Art de Catalogne (MNAC) présente jusqu’au 25 mai “Jo Faig El Carrer (Je fais le trottoir), Fotografies 1957- 2010”, soit plus de 500 clichés clandestins dans lesquels Joan Colom, prix National de Photographie, sur-expose les prostitué-e-s de Barcelone. Cette exposition répond à un souhait du photographe de 92 ans, décrit par le musée comme le meilleur photo-reporter espagnol de tous les temps, admiré pour sa liberté totale dans l’utilisation de l'appareil-photo. D’avis de transféministe, «Jo Faig el Carrer» révèle surtout la liberté totale avec laquelle une soi-disant élite artistique, principalement blanche et mâle, perpétue sans capote des clichés inadmissibles.</strong><br /><br />A l’origine du travail de Colom, le coup de foudre d’un comptable trentenaire, passionné de photographie, pour le Raval, ex Barrio Chino, et l’envie de décrire ce quartier chaud bouillant «avec une fidélité respectueuse». Si Joan Colom a bien été fidèle, au quartier, le respect, lui, s’est vite taillé, et pas une pipe. <br /><br />En effet, les images de cette exposition sont prises à l’insu des sujets, privés de tout libre-arbitre. Elles seront ainsi publiées, toujours sans l’accord de leur protagonistes, une première fois en 1962 dans le magazine AFAL, puis en 1964 dans le livre de Camilo José Cela <em>Izas, Rabizas y Colipoterras</em> (Catins, ribaudes et racoleuses). A une époque où la liberté sexuelle conduisait en prison, et où la prostitution achevait des femmes déjà sauvagement mises à nu par la répression franquiste, cette démarche pose problème. Le fait qu’elle ne soit pas clairement remise en question par le musée aujourd’hui, aussi. En 1962, comme en 2013, c’est la preuve du mépris et du sentiment d’impunité de la classe au pouvoir. Une femme pourtant s'est opposée à l'époque au photographe et à sa façon de faire. Elle s'est reconnue dans le livre de Cela et a menacé Colom d'un procès, ce qui mit entre parenthèses la carrière du photographe durant presque trente ans. <br /><br />Mais les clichés ont la vie dure, et Colom retourne dans le Raval dès les années 90, offrant cette fois des images en couleur, crues comme le néon. Elles composent la partie inédite de l’exposition. Les temps ont changé, la drogue et le sida injectent leurs stigmates dans une Barcelone post-olympique. Le contraste avec les années soixante est brutal, et c’est aussi là que cette exposition génère un profond malaise. A côté des images récentes, et en l’absence d’une contextualisation efficace, les bas-fonds franquistes auraient presque un côté bonhomme, avec leurs prostituées riantes et pitorresques Ou comment alzheimeriser la mémoire historique… <br /><br />«Jo Faig el Carrer» a pourtant une valeur documentaire, qui ne réside pas dans la prétendue vérité que sa clandestinité voudrait nous faire avaler, mais dans ce qu’elle raconte de l’occupation de l’espace public par les femmes et les minorités : en 1957, nous étions putes par le seul fait de «traîner» dans les rues. Aujourd’hui, nous pouvons traîner partout puisque nous ne sommes putes "que" dès que notre apparence ou notre vie sexuelle ébranlent l’autorité en place ! <br /><br />En 1957, Joan Colom manquait d’outils pour comprendre le mal-fondé de son objectif. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et tout musée qui se pose en référence culturelle devrait revoir son cadrage, et surtout promouvoir l’événement avec respect, sans réduire la prostituée à un corps sans tête, et la prostitution à une croupe offerte et anonyme. En glorifiant ces prises de vues sans en relever ni le sexisme ni le classisme, le MNAC et d’autres musées avant lui en sont complices. En les reproduisant à l’infini sur ses prospectus, sur Internet ou sur les petits carnets vendus à la boutique, le musée s’affiche maquereau.<br /><br />Un espoir cependant, lundi 17 mars (soit trois mois après le début de l’exposition...) le musée propose une table ronde autour de Joan Colom et son temps, avec, entre autres, l’excellente Beatriz Preciado. Un regard vraiment libre qui devrait redonner une à ces photographies, une lecture au-dessus de la ceinture.</p>
<p>Photo : Joan Colom en pleine action, photographié par son ami Ignasi Marroyo.<br /><br /></p>
Jouets, des raisons d'espérer?
2013-12-11T09:16:50+00:00
2013-12-11T09:16:50+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/528-jouets-des-raisons-desperer
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/goldieblox-commercial-new.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Après la poupée qui rit, celle qui parle, celle qui marche et celle qu'on allaite, une marque américaine propose aux filles des jeux intelligents destinés à stimuler leur créativité et leur ingéniosité. Grandir hors du cadre tout tracé qui prépare la petite fille à son futur rôle de mère ne serait donc pas une fatalité? </strong><br /><br />Si la Suède a ouvert des brèches en proposant des jouets non genrés aux enfants ou en évitant le merchandising sexué dans les rayons des magasins, a-t-elle fait des émules ? Au Royaume-Uni, le department store Harrods a supprimé les catégories filles et garçons pour les remplacer par un rangement thématique, neutre. Le marketing par affinité serait-il en train de supplanter le genre marketing ? En France, depuis plusieurs années maintenant, les magasins Super U mettent en scène dans leur catalogue de jouets des filles jouant aux petites voitures et des garçons s'occupant de leur poupée, ce qui vaut à l'enseigne de s'exposer aux foudres des extrémistes de la Manif pour tous, outrés de telles transgressions de genre. En Suisse, qu'on se rassure, le catalogue Franz Carl Weber ne prend aucun risque en la matière : on se limite à de simples pack-shots produits et quelques rares mises en scène. C'est aussi moins cher pour la marque. Et lorsque des petites filles et des petits garçons apparaissent, ils correspondent au genre attendu.<br /><br />Aux Etats-Unis, GoldieBlox, une marque de jouets dirigée par Debbie Sterling, une ingénieure diplômée de Standford, fabrique des jeux intelligents pour filles. Selon elle, une des raisons de la sous-représentation des filles dans les métiers scientifiques s'expliquerait par les jouets qui leur sont proposés. «Lors des 100 dernières années, les jouets ont poussé nos garçons à devenir des intellectuels, des constructeurs, des inventeurs», dit-elle. Elle a voulu y remédier en lançant GoldieBlox. La vidéo de promotion qui vante les mérites de ces jouets d'un nouveau genre a été vue plus de 8 millions de fois sur You Tube. Elle montre trois filles qui s'ennuient désespérément en regardant à la télé des princesses toutes de rose vêtues se dandiner. Les trois amies décident de réagir: casque de chantier, lunettes de protection et musique ! Elles créent ! Et ça marche ! Sur l'air de Girls des Beastie Boys, pas spécialement féministe à la base mais bon (d'ailleurs, la vidéo a dû être retirée à la demande du groupe), elles affirment vouloir se servir de leur neurones et jurent qu'elles ne sont pas que des princesses. Elles veulent construire des vaisseaux spatiaux, coder des applis et bien plus encore. De quoi redonner des lueurs d'espoir pour l'avenir de l'humanité. Seul petit bémol, l'univers de la marque reste malgré tout guimauve et c'est dommage de ne pas assumer jusqu'au bout le parti pris. La marque a-t-elle peur pour son image ? Va-t-on l'accuser de produire des "garçons manqués" voire de probables lesbiennes ? Du coup, un vernis supposé rassurer les parents recouvre le concept de départ : les codes couleurs sont dominés par un rose dont on peine à sortir. Encore un petit effort et on va y arriver !</p>
<p><em>Image tirée de la vidéo</em></p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/goldieblox-commercial-new.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Après la poupée qui rit, celle qui parle, celle qui marche et celle qu'on allaite, une marque américaine propose aux filles des jeux intelligents destinés à stimuler leur créativité et leur ingéniosité. Grandir hors du cadre tout tracé qui prépare la petite fille à son futur rôle de mère ne serait donc pas une fatalité? </strong><br /><br />Si la Suède a ouvert des brèches en proposant des jouets non genrés aux enfants ou en évitant le merchandising sexué dans les rayons des magasins, a-t-elle fait des émules ? Au Royaume-Uni, le department store Harrods a supprimé les catégories filles et garçons pour les remplacer par un rangement thématique, neutre. Le marketing par affinité serait-il en train de supplanter le genre marketing ? En France, depuis plusieurs années maintenant, les magasins Super U mettent en scène dans leur catalogue de jouets des filles jouant aux petites voitures et des garçons s'occupant de leur poupée, ce qui vaut à l'enseigne de s'exposer aux foudres des extrémistes de la Manif pour tous, outrés de telles transgressions de genre. En Suisse, qu'on se rassure, le catalogue Franz Carl Weber ne prend aucun risque en la matière : on se limite à de simples pack-shots produits et quelques rares mises en scène. C'est aussi moins cher pour la marque. Et lorsque des petites filles et des petits garçons apparaissent, ils correspondent au genre attendu.<br /><br />Aux Etats-Unis, GoldieBlox, une marque de jouets dirigée par Debbie Sterling, une ingénieure diplômée de Standford, fabrique des jeux intelligents pour filles. Selon elle, une des raisons de la sous-représentation des filles dans les métiers scientifiques s'expliquerait par les jouets qui leur sont proposés. «Lors des 100 dernières années, les jouets ont poussé nos garçons à devenir des intellectuels, des constructeurs, des inventeurs», dit-elle. Elle a voulu y remédier en lançant GoldieBlox. La vidéo de promotion qui vante les mérites de ces jouets d'un nouveau genre a été vue plus de 8 millions de fois sur You Tube. Elle montre trois filles qui s'ennuient désespérément en regardant à la télé des princesses toutes de rose vêtues se dandiner. Les trois amies décident de réagir: casque de chantier, lunettes de protection et musique ! Elles créent ! Et ça marche ! Sur l'air de Girls des Beastie Boys, pas spécialement féministe à la base mais bon (d'ailleurs, la vidéo a dû être retirée à la demande du groupe), elles affirment vouloir se servir de leur neurones et jurent qu'elles ne sont pas que des princesses. Elles veulent construire des vaisseaux spatiaux, coder des applis et bien plus encore. De quoi redonner des lueurs d'espoir pour l'avenir de l'humanité. Seul petit bémol, l'univers de la marque reste malgré tout guimauve et c'est dommage de ne pas assumer jusqu'au bout le parti pris. La marque a-t-elle peur pour son image ? Va-t-on l'accuser de produire des "garçons manqués" voire de probables lesbiennes ? Du coup, un vernis supposé rassurer les parents recouvre le concept de départ : les codes couleurs sont dominés par un rose dont on peine à sortir. Encore un petit effort et on va y arriver !</p>
<p><em>Image tirée de la vidéo</em></p>
Et la prostitution masculine?
2013-12-06T08:48:44+00:00
2013-12-06T08:48:44+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/526-et-la-prostitution-masculine
Yves Collaud
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/male%20prostitution.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p> </p>
<p class="MsoBodyText" style="text-align: justify;"><span lang="FR-CH">La prostitution, telle qu’elle est évoquée dans la plupart des débats actuels, c’est la relation tarifée entre un homme et une femme. Cette vision révèle tout le sexisme et l’hétérosexisme de la société. Quid de la prostitution masculine ? Elle existe pourtant depuis des lustres et les archives, notamment celles de la Commission cantonale vaudoise d’internement administratif, nous donne une idée de cette réalité. </span></p>
<p><span style="text-align: justify; font-size: 10px;">Bien qu’il soit difficile de généraliser, quelques cas de prostitution masculine ont été examinés dans le cadre de l’arrêté sur l’internement administratif d’éléments dangereux pour la société. Ces prostitués hommes étaient par ailleurs identifiés – mais ils n’étaient pas internés pour cette raison – comme des homosexuels, il faut revenir sur la pénalisation de l’homosexualité au début du XXe siècle. Comment la prostitution masculine et l’homosexualité masculine ont-elles été traitées en Suisse dans le Code pénal ? Ce dernier, entré en vigueur en 1942, dépénalise partiellement l’homosexualité tout en mettant en place une exigence d’invisibiliation ce qui est aussi le cas du Code pénal vaudois de 1932, dans l’article 186. Si l’homosexualité est partiellement dépénalisée en 1942 la prostitution des hommes, elle, est clairement condamnée.</span><span style="mso-spacerun: yes;"> </span><span style="text-align: justify; font-size: 10px;">Cette semi-dépénalisation de l’homosexualité pose certaines limites : certains actes restent condamnés par les autorités. Ainsi, les enfants et adolescents sont protégés des «actes contre-nature» par le Code pénal suisse de 1942 et le sont, auparavant, par le Code pénal vaudois de 1932 dans son article 186</span><a name="_ednref1" href="http://lemilie.org/#_edn1" title="" style="mso-endnote-id: edn1;"></a><span style="text-align: justify; font-size: 10px;">.</span></p>
<p><span style="text-align: justify; font-size: 10px;" lang="FR-CH">Le cas de Jules Nara (nom anonymisé, <em>ndlr</em></span><span style="text-align: justify; font-size: 10px;" lang="FR-CH">) est à cet égard emblématique. Selon le rapport de renseignement du 19 novembre 1939 Jules Nara, 37 ans, est «sans profession avouable» et «pédéraste notoire». Dès ses 16 ans, Jules Nara est catalogué par la police comme quelqu’un d’excentrique par son allure et les personnes qu’il fréquente. La police parle d’ailleurs de «mœurs équivoques». Son cas est d’abord considéré comme médical durant sa jeunesse puisqu’il est interné à l’asile de Cery. Il est très intéressant de lire ce que le rapport consacre au corps de Jules Nara. Ce dernier est considéré comme féminisé. Ainsi, Jules Nara porte des vêtements efféminés (ces derniers sont décrits de manière très détaillée) et fait preuve d’un soin de soi qui passe par l’épilation et un visage rasé. Ce sont des comportements qui semblent ne pas tromper. En effet, le policier assimile immédiatement ces signes aux femmes et aux «invertis»<a name="_ednref2" href="http://lemilie.org/#_edn2" title=""></a>. Ce n’est pas seulement l’homosexualité qui dérange la police. Ce sont également les clients de Jules Nara qui posent problème. Ceux-ci sont des pères de famille. En acceptant des relations rémunérées avec eux, il met en danger la structure familiale de la société. Jules Nara est dénoncé pour prostitution mais aussi pour mise en danger d’autrui et un internement de trois ans est proposé. C’est le 1er décembre 1939 que la Commission d’internement administratif examine le cas et ordonne un internement pour 18 mois. Elle abandonne cependant l’accusation de danger pour autrui au profit de l’accusation de soutien à la prostitution.</span></p>
<p><span style="text-align: justify; font-size: 10px;">L’histoire de cet homme ne se termine pas là. Les archives ont conservé un rapport du Conseil de surveillance de la colonie d’Orbe daté du 8 novembre 1940. Il y est qualifié de «colon modèle» qui ne pose aucun problèmes et qui fait son travail au mieux de ses capacités. Mieux encore, les surveillants n’ont eu aucun problème avec ses «mœurs spéciales» pour la simple raison que celui-ci reste à distance de ses camarades. Le Conseil de surveillance de la colonie écrit pour demander sa mise en liberté. Cette lettre est très intéressante puisqu’elle montre une bienveillance importante de la part des autorités de la colonie d’Orbe envers Jules Nara. Ce dernier annonce ne pas vouloir changer de comportement. Cependant, il accepte d’être, dorénavant, plus discret. Il choisit de s’invisibiliser en échange de la liberté. Ce qui est l’un des buts du Code pénal suisse de 1942. Mais le chef du Département de justice et police refuse cette libération anticipée le 19 décembre 1940. Cette histoire se termine tragiquement puisque Jules Nara meurt à 38 ans moins d’un an plus tard après sa libération.</span></p>
<p><span style="text-align: justify; font-size: 10px;">La lecture des archives de la Commission d’internement administratif montre que, dès qu’il s’agit de prostitution, les hommes comme les femmes sont jugés sur leur commerce tarifé, sur leur tenue et leur comportement. Mais, tandis que les femmes sont stigmatisées pour leur indécence, les hommes homosexuels sont critiqués pour leur féminisation. Ce qui pose problème chez l’une est son absence de pudeur tandis que chez l’autre c’est la transgression de genre et de norme sexuelle. Il y a une différence d’approche dans la condamnation de la prostitution qui est liée à la différence homme/femme à l’œuvre dans la société. Le caractère de publicité dans la rue est aussi un motif de condamnation chez les deux sexes. Ce qui compte semble être l’invisibilité d’une pratique honteuse ou d’un comportement «spécial».</span></p>
<p><span style="text-align: justify; font-size: 10px;">Même si les cas examinés dans le cadre de la commission sont rares, ils brisent un schéma : celui qui lie la prostitution exclusivement aux femmes. Cela met à jour aussi un cadre judiciaire de dépénalisation en échange d’une invisibilisation. Il y a là non seulement une incompréhension totale de l’homosexualité, mais également une conception extrêmement normée de la masculinité avec cette obligation de virilité.</span></p>
<p> </p>
<div style="mso-element: endnote-list;"><hr width="33%" size="1" />
<div id="edn1" style="mso-element: endnote;">
<p class="MsoNormal"><a name="_edn1" href="http://lemilie.org/#_ednref1" title="" style="mso-endnote-id: edn1;"></a><span class="Caractresdenotedefin"><span lang="FR-CH">Plus d’info dans les ouvrages suivants : </span></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-variant: small-caps;" lang="FR-CH">Delessert</span><span lang="FR-CH"> Thierry et <span style="font-variant: small-caps;">Vögtli</span> Michaël, <em>Homosexualités masculines en Suisse. </em></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-variant: small-caps;" lang="FR-CH">Delessert</span><span lang="FR-CH"> Thierry, <em>Les homosexuels sont un danger absolu.</em><br /></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: 12.0pt;" lang="FR-CH"> </span></p>
</div>
<div id="edn2" style="mso-element: endnote;">
<p class="MsoEndnoteText" style="margin-left: 0cm; text-indent: 0cm;"><a name="_edn2" href="http://lemilie.org/#_ednref2" title="" style="mso-endnote-id: edn2;"></a><span lang="FR-CH"> </span></p>
</div>
</div>
<p> </p>
<p><img src="images/genresfeminismes/male%20prostitution.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p> </p>
<p class="MsoBodyText" style="text-align: justify;"><span lang="FR-CH">La prostitution, telle qu’elle est évoquée dans la plupart des débats actuels, c’est la relation tarifée entre un homme et une femme. Cette vision révèle tout le sexisme et l’hétérosexisme de la société. Quid de la prostitution masculine ? Elle existe pourtant depuis des lustres et les archives, notamment celles de la Commission cantonale vaudoise d’internement administratif, nous donne une idée de cette réalité. </span></p>
<p><span style="text-align: justify; font-size: 10px;">Bien qu’il soit difficile de généraliser, quelques cas de prostitution masculine ont été examinés dans le cadre de l’arrêté sur l’internement administratif d’éléments dangereux pour la société. Ces prostitués hommes étaient par ailleurs identifiés – mais ils n’étaient pas internés pour cette raison – comme des homosexuels, il faut revenir sur la pénalisation de l’homosexualité au début du XXe siècle. Comment la prostitution masculine et l’homosexualité masculine ont-elles été traitées en Suisse dans le Code pénal ? Ce dernier, entré en vigueur en 1942, dépénalise partiellement l’homosexualité tout en mettant en place une exigence d’invisibiliation ce qui est aussi le cas du Code pénal vaudois de 1932, dans l’article 186. Si l’homosexualité est partiellement dépénalisée en 1942 la prostitution des hommes, elle, est clairement condamnée.</span><span style="mso-spacerun: yes;"> </span><span style="text-align: justify; font-size: 10px;">Cette semi-dépénalisation de l’homosexualité pose certaines limites : certains actes restent condamnés par les autorités. Ainsi, les enfants et adolescents sont protégés des «actes contre-nature» par le Code pénal suisse de 1942 et le sont, auparavant, par le Code pénal vaudois de 1932 dans son article 186</span><a name="_ednref1" href="#_edn1" title="" style="mso-endnote-id: edn1;"></a><span style="text-align: justify; font-size: 10px;">.</span></p>
<p><span style="text-align: justify; font-size: 10px;" lang="FR-CH">Le cas de Jules Nara (nom anonymisé, <em>ndlr</em></span><span style="text-align: justify; font-size: 10px;" lang="FR-CH">) est à cet égard emblématique. Selon le rapport de renseignement du 19 novembre 1939 Jules Nara, 37 ans, est «sans profession avouable» et «pédéraste notoire». Dès ses 16 ans, Jules Nara est catalogué par la police comme quelqu’un d’excentrique par son allure et les personnes qu’il fréquente. La police parle d’ailleurs de «mœurs équivoques». Son cas est d’abord considéré comme médical durant sa jeunesse puisqu’il est interné à l’asile de Cery. Il est très intéressant de lire ce que le rapport consacre au corps de Jules Nara. Ce dernier est considéré comme féminisé. Ainsi, Jules Nara porte des vêtements efféminés (ces derniers sont décrits de manière très détaillée) et fait preuve d’un soin de soi qui passe par l’épilation et un visage rasé. Ce sont des comportements qui semblent ne pas tromper. En effet, le policier assimile immédiatement ces signes aux femmes et aux «invertis»<a name="_ednref2" href="#_edn2" title=""></a>. Ce n’est pas seulement l’homosexualité qui dérange la police. Ce sont également les clients de Jules Nara qui posent problème. Ceux-ci sont des pères de famille. En acceptant des relations rémunérées avec eux, il met en danger la structure familiale de la société. Jules Nara est dénoncé pour prostitution mais aussi pour mise en danger d’autrui et un internement de trois ans est proposé. C’est le 1er décembre 1939 que la Commission d’internement administratif examine le cas et ordonne un internement pour 18 mois. Elle abandonne cependant l’accusation de danger pour autrui au profit de l’accusation de soutien à la prostitution.</span></p>
<p><span style="text-align: justify; font-size: 10px;">L’histoire de cet homme ne se termine pas là. Les archives ont conservé un rapport du Conseil de surveillance de la colonie d’Orbe daté du 8 novembre 1940. Il y est qualifié de «colon modèle» qui ne pose aucun problèmes et qui fait son travail au mieux de ses capacités. Mieux encore, les surveillants n’ont eu aucun problème avec ses «mœurs spéciales» pour la simple raison que celui-ci reste à distance de ses camarades. Le Conseil de surveillance de la colonie écrit pour demander sa mise en liberté. Cette lettre est très intéressante puisqu’elle montre une bienveillance importante de la part des autorités de la colonie d’Orbe envers Jules Nara. Ce dernier annonce ne pas vouloir changer de comportement. Cependant, il accepte d’être, dorénavant, plus discret. Il choisit de s’invisibiliser en échange de la liberté. Ce qui est l’un des buts du Code pénal suisse de 1942. Mais le chef du Département de justice et police refuse cette libération anticipée le 19 décembre 1940. Cette histoire se termine tragiquement puisque Jules Nara meurt à 38 ans moins d’un an plus tard après sa libération.</span></p>
<p><span style="text-align: justify; font-size: 10px;">La lecture des archives de la Commission d’internement administratif montre que, dès qu’il s’agit de prostitution, les hommes comme les femmes sont jugés sur leur commerce tarifé, sur leur tenue et leur comportement. Mais, tandis que les femmes sont stigmatisées pour leur indécence, les hommes homosexuels sont critiqués pour leur féminisation. Ce qui pose problème chez l’une est son absence de pudeur tandis que chez l’autre c’est la transgression de genre et de norme sexuelle. Il y a une différence d’approche dans la condamnation de la prostitution qui est liée à la différence homme/femme à l’œuvre dans la société. Le caractère de publicité dans la rue est aussi un motif de condamnation chez les deux sexes. Ce qui compte semble être l’invisibilité d’une pratique honteuse ou d’un comportement «spécial».</span></p>
<p><span style="text-align: justify; font-size: 10px;">Même si les cas examinés dans le cadre de la commission sont rares, ils brisent un schéma : celui qui lie la prostitution exclusivement aux femmes. Cela met à jour aussi un cadre judiciaire de dépénalisation en échange d’une invisibilisation. Il y a là non seulement une incompréhension totale de l’homosexualité, mais également une conception extrêmement normée de la masculinité avec cette obligation de virilité.</span></p>
<p> </p>
<div style="mso-element: endnote-list;"><hr width="33%" size="1" />
<div id="edn1" style="mso-element: endnote;">
<p class="MsoNormal"><a name="_edn1" href="#_ednref1" title="" style="mso-endnote-id: edn1;"></a><span class="Caractresdenotedefin"><span lang="FR-CH">Plus d’info dans les ouvrages suivants : </span></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-variant: small-caps;" lang="FR-CH">Delessert</span><span lang="FR-CH"> Thierry et <span style="font-variant: small-caps;">Vögtli</span> Michaël, <em>Homosexualités masculines en Suisse. </em></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-variant: small-caps;" lang="FR-CH">Delessert</span><span lang="FR-CH"> Thierry, <em>Les homosexuels sont un danger absolu.</em><br /></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size: 12.0pt;" lang="FR-CH"> </span></p>
</div>
<div id="edn2" style="mso-element: endnote;">
<p class="MsoEndnoteText" style="margin-left: 0cm; text-indent: 0cm;"><a name="_edn2" href="#_ednref2" title="" style="mso-endnote-id: edn2;"></a><span lang="FR-CH"> </span></p>
</div>
</div>
<p> </p>
Buzzons contre le sexisme, saison 3
2013-11-26T09:24:16+00:00
2013-11-26T09:24:16+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/524-buzzons-contre-le-sexisme-saison-3
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/afficheBUZZ3orangederPETITE_272572.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><strong>Pour la troisième année consécutive, teledebout.org lance son concours de vidéos féministes qui s'adresse aux 10-25 ans. Dès l'origine, la plateforme est prise d'assaut et les créations rivalisent d'originalité et d'engagement. A l'évidence, l'idée fait mouche, les jeunes se mobilisent. </strong></span></span><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><strong>Josefine Ajdelbaum et Barbara Wolman, vidéastes et coordinatrices du concours, expliquent les raisons de ce succés.</strong><br /> </span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><strong> </strong></span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><strong>l'émiliE: D’où est venue l’idée du concours “Buzzons contre le sexisme”?</strong><br /> </span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><strong>Josefine Ajdelbaum et Barbara Wolman: </strong></span></span>En 2010 nous avons lancé une téléweb féministe pédagogique <a href="http://www.teledebout.org">www.teledebout.org</a>, notre slogan était «le féminisme en images pour tous les âges» nous voulions créer un espace vidéo où toutes les générations échangeraient à travers les images. Il nous fallait alors mettre des actes à nos paroles, afin que les jeunes s’emparent aussi de cette téléweb, nous avons donc eu l’idée de créer un concours vidéo jeunesse...<br /> </span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><strong> </strong></span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><strong>Avec 650 participant-e-s, on peut parler de succès, non? Cela vous a-t-il surprises? Comment l’analysez-vous?</strong><br /> </span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;">Oui, nous avons été surprises, dés la première édition (nous en sommes à la saison 3), le concours à très bien marché. Ce sont beaucoup les profs, les animatrices-teurs et éducateurs-trices qui ont inscrit leur groupe, et quelques jeunes en autonomes. Nous sommes dans un monde où les images ont une énorme place, les jeunes sont né-e-s dans cet univers multimédias. Le concours permet de les motiver vers une "parole réfléchie créative et agissante" contre le sexisme et d’aider les équipes pédagogiques (et parents) à aborder ces questions. Les mots ont besoin d’être incarnés pour avoir un impact réel sur nos consciences et nos actes, et faire un film est un excellent moyen pour cela !</span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><strong><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12px;"> </span></span></strong></span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><strong><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12px;">Vous attirez un public suisse, paraît-il...</span></span></strong><br /> </span></span><br /><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;">Oui nous avons eu un petit groupe de filles suisses l’année dernière ! Nous adorerions que le concours deviennent plus international, précisément parce que le sexisme est un problème mondial, c’est intéressant de voir des points de vue de partout, et les différences éventuelles… DONC oui, public suisse, inscrivez-vous vite ! <br /></span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"> </span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><strong>Quel prix remportent les lauréat-e-s?</strong><br /> </span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;">Du matériel vidéo (caméra, micros…etc), des livres, des DVDs ayant à voir avec la thématique du concours bien sûr.</span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><strong> </strong></span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><strong>Votre jury compte du beau monde (Christine Bard, Geneviève Fraisse, Catherine Vidal entre autres). Sur quels critères juge-t-il les vidéos?</strong><br /> </span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;">Oui, un jury que nous remercions chaleureusement d’ailleurs, car les membres du jury prennent cela très au sérieux et c’est un gros boulot, mais elles sont toujours ravies et impressionnées des vidéos envoyées. Les principaux critères sont bien évidemment le traitement de la thématique, mettre en lumière les stéréotypes sexistes, et les violences faites aux femmes et aux filles, proposer des idées pour changer les choses et être attentives/tifs, à ne pas véhiculer des stéréotypes sexistes dans les vidéos, ce qui n’est pas toujours évident, et sur la forme, essayer de lier un discours engagé à une forme créative.</span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"> </span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><strong>Que retenez-vous de l’engagement de ces jeunes filles?</strong><br /> </span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;">Le concours est mixte, alors il est difficile d’évaluer la différence d’engagement des filles et des garçons, même si c’est une des questions que nous posons dans notre questionnaire de bilan final aux équipes. Mais il est certain que pour les filles, c’est extrêmement important de voir que les violences et les stéréotypes qu’elles subissent sont enfin pris au sérieux, que leur colère, qu’elles n’osent souvent pas exprimer, car toujours minimisée ou ridiculisée, est légitime, et que c’est justement la thématique du concours. C’est un de nos objectifs premiers : que la parole se libère et que les filles soient prises au sérieux. Le concours fait aussi du bien parmi les garçons, à ceux qui refusent le rôle stéréotypé qu’on veut leur attribuer. Et visiblement, au vue des réflexions que nous entendons lors des remises des prix, cela fait réfléchir tout le monde, y compris les parents, qui sont forcément embringués dans ce tourbillon, car faire un film ce n’est pas rien !<br /> </span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;">Pour s'inscrire, c'est<a href="http://teledebout.org/formTeledeboutInscrip.php"><span style="text-decoration: underline;"> ici</span></a><br /></span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><strong><img src="images/genresfeminismes/afficheBUZZ3orangederPETITE_272572.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><strong>Pour la troisième année consécutive, teledebout.org lance son concours de vidéos féministes qui s'adresse aux 10-25 ans. Dès l'origine, la plateforme est prise d'assaut et les créations rivalisent d'originalité et d'engagement. A l'évidence, l'idée fait mouche, les jeunes se mobilisent. </strong></span></span><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><strong>Josefine Ajdelbaum et Barbara Wolman, vidéastes et coordinatrices du concours, expliquent les raisons de ce succés.</strong><br /> </span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><strong> </strong></span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><strong>l'émiliE: D’où est venue l’idée du concours “Buzzons contre le sexisme”?</strong><br /> </span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><strong>Josefine Ajdelbaum et Barbara Wolman: </strong></span></span>En 2010 nous avons lancé une téléweb féministe pédagogique <a href="http://www.teledebout.org">www.teledebout.org</a>, notre slogan était «le féminisme en images pour tous les âges» nous voulions créer un espace vidéo où toutes les générations échangeraient à travers les images. Il nous fallait alors mettre des actes à nos paroles, afin que les jeunes s’emparent aussi de cette téléweb, nous avons donc eu l’idée de créer un concours vidéo jeunesse...<br /> </span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><strong> </strong></span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><strong>Avec 650 participant-e-s, on peut parler de succès, non? Cela vous a-t-il surprises? Comment l’analysez-vous?</strong><br /> </span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;">Oui, nous avons été surprises, dés la première édition (nous en sommes à la saison 3), le concours à très bien marché. Ce sont beaucoup les profs, les animatrices-teurs et éducateurs-trices qui ont inscrit leur groupe, et quelques jeunes en autonomes. Nous sommes dans un monde où les images ont une énorme place, les jeunes sont né-e-s dans cet univers multimédias. Le concours permet de les motiver vers une "parole réfléchie créative et agissante" contre le sexisme et d’aider les équipes pédagogiques (et parents) à aborder ces questions. Les mots ont besoin d’être incarnés pour avoir un impact réel sur nos consciences et nos actes, et faire un film est un excellent moyen pour cela !</span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><strong><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12px;"> </span></span></strong></span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><strong><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12px;">Vous attirez un public suisse, paraît-il...</span></span></strong><br /> </span></span><br /><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;">Oui nous avons eu un petit groupe de filles suisses l’année dernière ! Nous adorerions que le concours deviennent plus international, précisément parce que le sexisme est un problème mondial, c’est intéressant de voir des points de vue de partout, et les différences éventuelles… DONC oui, public suisse, inscrivez-vous vite ! <br /></span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"> </span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><strong>Quel prix remportent les lauréat-e-s?</strong><br /> </span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;">Du matériel vidéo (caméra, micros…etc), des livres, des DVDs ayant à voir avec la thématique du concours bien sûr.</span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><strong> </strong></span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><strong>Votre jury compte du beau monde (Christine Bard, Geneviève Fraisse, Catherine Vidal entre autres). Sur quels critères juge-t-il les vidéos?</strong><br /> </span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;">Oui, un jury que nous remercions chaleureusement d’ailleurs, car les membres du jury prennent cela très au sérieux et c’est un gros boulot, mais elles sont toujours ravies et impressionnées des vidéos envoyées. Les principaux critères sont bien évidemment le traitement de la thématique, mettre en lumière les stéréotypes sexistes, et les violences faites aux femmes et aux filles, proposer des idées pour changer les choses et être attentives/tifs, à ne pas véhiculer des stéréotypes sexistes dans les vidéos, ce qui n’est pas toujours évident, et sur la forme, essayer de lier un discours engagé à une forme créative.</span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"> </span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><strong>Que retenez-vous de l’engagement de ces jeunes filles?</strong><br /> </span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;">Le concours est mixte, alors il est difficile d’évaluer la différence d’engagement des filles et des garçons, même si c’est une des questions que nous posons dans notre questionnaire de bilan final aux équipes. Mais il est certain que pour les filles, c’est extrêmement important de voir que les violences et les stéréotypes qu’elles subissent sont enfin pris au sérieux, que leur colère, qu’elles n’osent souvent pas exprimer, car toujours minimisée ou ridiculisée, est légitime, et que c’est justement la thématique du concours. C’est un de nos objectifs premiers : que la parole se libère et que les filles soient prises au sérieux. Le concours fait aussi du bien parmi les garçons, à ceux qui refusent le rôle stéréotypé qu’on veut leur attribuer. Et visiblement, au vue des réflexions que nous entendons lors des remises des prix, cela fait réfléchir tout le monde, y compris les parents, qui sont forcément embringués dans ce tourbillon, car faire un film ce n’est pas rien !<br /> </span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;">Pour s'inscrire, c'est<a href="http://teledebout.org/formTeledeboutInscrip.php"><span style="text-decoration: underline;"> ici</span></a><br /></span></span></p>
Le succès de "je connais un violeur"
2013-11-11T05:13:31+00:00
2013-11-11T05:13:31+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/515-le-succes-de-je-connais-un-violeur
Léa Bages
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/viol.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /><br />
</p>
<p>« <a href="http://jeconnaisunvioleur.tumblr.com/"><span style="text-decoration: underline;">Je connais un violeur</span></a> » un titre percutant pour un Tumblr efficace. Depuis sa création le 31 août dernier, plus de 1000 témoignages ont été postés sur ce Tumblr, qui permet aux victimes de viols de s'exprimer, en faisant le portrait de leur violeur. Et les témoignages ne cessent d'affluer au fils des jours. À tel point que Pauline, militante féministe à l'origine du Tumblr, a dû demander de l'aide pour la modération et malgré cela, des centaines de messages sont en attente de traitement. Ce triste succès montre un véritable besoin de la part des victimes de s'exprimer sur le sujet. <br /><br />Pour la psychiatre Muriel Salmona, auteure du <em>Livre noir des violences sexuelles</em>, «Ce partage est en soi thérapeutique. (…) quel soulagement pour ces victimes de savoir qu'elles ne sont pas les seules à n'avoir pas pu parler, qu'elles ne sont pas les seules à être confrontées à l'incrédulité de leur entourage, à avoir tout oublié pendant des années, à avoir des doutes.» Dans un article paru sur le <span style="text-decoration: underline;"><a href="http://leplus.nouvelobs.com/contribution/942561-tumblr-je-connais-un-violeur-partager-son-vecu-de-victime-de-viol-est-therapeutique.html">Plus du nouvel Obs</a>,</span> la psychiatre souligne l'utilité de cette initiative. <br /><br />«Je voulais montrer que le violeur n'est pas le type louche qui se terre dans un parking ou au coin d'une ruelle», souligne Pauline, militante féministe à l'origine du Tumblr. Au fil des témoignages anonymes, on découvre avec effroi les différents portraits du violeur, faits par sa victime. En effet, les statistiques nous rappellent que dans 80 % des viols, l'agresseur est connu de la victime, et dans 67 % des cas, le viol a lieu au domicile de la victime ou de l'agresseur. De témoignage en témoignage, le profil de l'agresseur se dessine. Chaque année, 75'000 femmes adultes seraient victimes de viol en France, mais moins de 10 % des viols mènent à une plainte et on estime que seulement 2 % des violeurs sont condamnés. <br /> <br /><br />Photo DR<br /><br /></p>
<p><img src="images/genresfeminismes/viol.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /><br />
</p>
<p>« <a href="http://jeconnaisunvioleur.tumblr.com/"><span style="text-decoration: underline;">Je connais un violeur</span></a> » un titre percutant pour un Tumblr efficace. Depuis sa création le 31 août dernier, plus de 1000 témoignages ont été postés sur ce Tumblr, qui permet aux victimes de viols de s'exprimer, en faisant le portrait de leur violeur. Et les témoignages ne cessent d'affluer au fils des jours. À tel point que Pauline, militante féministe à l'origine du Tumblr, a dû demander de l'aide pour la modération et malgré cela, des centaines de messages sont en attente de traitement. Ce triste succès montre un véritable besoin de la part des victimes de s'exprimer sur le sujet. <br /><br />Pour la psychiatre Muriel Salmona, auteure du <em>Livre noir des violences sexuelles</em>, «Ce partage est en soi thérapeutique. (…) quel soulagement pour ces victimes de savoir qu'elles ne sont pas les seules à n'avoir pas pu parler, qu'elles ne sont pas les seules à être confrontées à l'incrédulité de leur entourage, à avoir tout oublié pendant des années, à avoir des doutes.» Dans un article paru sur le <span style="text-decoration: underline;"><a href="http://leplus.nouvelobs.com/contribution/942561-tumblr-je-connais-un-violeur-partager-son-vecu-de-victime-de-viol-est-therapeutique.html">Plus du nouvel Obs</a>,</span> la psychiatre souligne l'utilité de cette initiative. <br /><br />«Je voulais montrer que le violeur n'est pas le type louche qui se terre dans un parking ou au coin d'une ruelle», souligne Pauline, militante féministe à l'origine du Tumblr. Au fil des témoignages anonymes, on découvre avec effroi les différents portraits du violeur, faits par sa victime. En effet, les statistiques nous rappellent que dans 80 % des viols, l'agresseur est connu de la victime, et dans 67 % des cas, le viol a lieu au domicile de la victime ou de l'agresseur. De témoignage en témoignage, le profil de l'agresseur se dessine. Chaque année, 75'000 femmes adultes seraient victimes de viol en France, mais moins de 10 % des viols mènent à une plainte et on estime que seulement 2 % des violeurs sont condamnés. <br /> <br /><br />Photo DR<br /><br /></p>
Pétition contre le sexisme sur Internet
2013-11-04T05:01:35+00:00
2013-11-04T05:01:35+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/512-petition-contre-le-sexisme-sur-internet
Léa Bages
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/ecran.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Un collectif citoyen lance une pétition pour en finir avec le sexisme sur la Toile.</strong><br /><strong>À l'automne dernier, la classe politique française avait était alertée par la la montée dans les "trending topics" racistes et antisémites (c’est-à-dire les sujets les plus discutés sur le réseau social Twitter du hashtag #Unbonjuif et #Unbonnoir). Ce déferlement de tweets et retweets ouvertement antisémites a montré combien l’évolution des nouvelles technologies pouvait se montrer dangereuse. Si les tweets racistes et antisémiques choquent, les propos sexistes ne sont pas en reste sur Twitter comme ailleurs (Facebook, blog, site privé...). </strong><br /><br /><br />Fatigué du sexisme, un collectif féministe et citoyen lance une pétition pour lutter contre la misogynie et l'incitation à la haine sexiste sur Internet. Depuis septembre une pétition, appelée <em>Agir contre la misogynie et </em><span style="font-size: 10px;"><em>l'incitation à la haine sexiste sur Internet</em>, circule sur la Toile pour demander aux pouvoirs publics français de faire cesser la publication en ligne de propos incitant à la violence misogyne. A l'origine du projet, cinq blogueuses féministes qui se sont réunies pour alerter les pouvoirs publics sur le sexisme suite à la publication d'un article intitulé <em>Comment bien baiser : les 3 secrets du Hard SEX</em>, publié sur un site de coaching en "séduction" appelé Seduction By Kamal. Deux d'entre elles, Lise Bouvet et Laureen Plume, reviennent sur l'origine de cette pétition. </span></p>
<p><br /><strong>Kamal, un coach en séduction pas comme les autres</strong><br />«Il y a environ un an, certaines d'entre nous sont tombées sur l'article de Kamal, explique Laurenn Plume, militante et blogueuse féministe qui fait partie du collectif à l'origine de la pétition. Cela faisait un moment que je connaissais l'existence des coachs en séduction et j'avais remarqué que certains de leurs articles étaient très limites. Sur ces sites on peut lire pas mal de choses qui sont gênantes d'un point de vue féministe, du genre "les femmes aiment être dominées, les femmes sont passives par nature, elles cherchent le mâle alpha". Seulement, là c'était bien pire, puisque Kamal conseillait carrément au lecteur de se passer du consentement de la victime.» <br />Suite à cet article les blogueuses décident de signaler ce site auprès du gouvernement via une <a href="https://www.internet-signalement.gouv.fr/PortailWeb/planets/Accueil!input.action"><span style="text-decoration: underline;">plateforme</span></a> prévue à cet effet. Mais ce fut vain : le texte est resté en ligne. «On ne voyait pas quoi faire de plus, on s'est arrêtées là en espérant que le texte finirait par être retiré, mais il ne l'a pas été. »</p>
<p><strong style="font-size: 10px;">Le pouvoir du Web</strong></p>
<p><span style="font-size: xx-small;">C'est seulement 10 mois plus tard environ que les blogueuses reviennent à la charge. «Il semblait clair que le gouvernement ne donnait pas suite au signalement», explique Lauren Plume. «À partir de là, ça a commencé à bouger (</span>…<span style="font-size: xx-small;">) Nous avons lancé un hashtag #ToiAussiSéduisCommeKamal sur twitter pour faire le buzz, dans la foulée nous nous sommes réunies toutes les cinq en collectif pour mettre au point un texte à faire publier massivement, lancer la pétition et essayer de faire bouger les choses.» «Nous avons fait appel à toutes les blogueuses de bonne volonté pour relayer notre pétition. Ainsi le même texte a été blogué et reblogué par une trentaine de blogs en une journée, ce qui a attiré l'attention des médias explique Lise Bouvet.</span></p>
<p><strong style="font-size: 10px;">Le silence des pouvoirs publics</strong></p>
<p>Pour les féministes à l'origine de la pétition, il y a un véritable laxisme de la part du gouvernement sur la question du sexisme sur la Toile. «Je pense que ce qui nous a fortement fait réagir, c'est surtout le silence qu'il y avait autour et que nous n'avions pas réussi à briser plus tôt», explique Laurenn Plume. «C'est lié au fait qu'en France il n'y a encore aucune législation concernant le sexisme spécifiquement, au même titre que le racisme. L'impunité est totale. On est vraiment dans le pays des droits de "l'homme"», explique Lise Bouvet. «On l'a vu avec cette affaire, souligne Lauren Plume, selon les pouvoirs publics l'auteur de cet article et le rédacteur du site étaient dans leurs droits. Mais ce n'est que la partie émergée de l'iceberg. Il y a toutes sortes de propos extrêmement problématiques sur Internet qui à mon avis ne relèvent pas de la liberté d'expression, car ils ont des conséquences concrètes et dramatiques sur la vie des femmes. Des propos qui, sans encourager explicitement à violer, le font indirectement en propageant la culture du viol».<br />À l'heure actuelle, plus de 3'400 personnes ont signé la pétition. Parmi les revendications, la pétition demande aux pouvoirs publics la mise en place d'une plateforme dédiée aux signalements des sites misogynes. Pour signer la pétition, rendez-vous sur <a href="http://www.change.org/fr/p%C3%A9titions/agir-contre-la-misogynie-et-l-incitation-%C3%A0-la-haine-sexiste-sur-internet-2"><span style="text-decoration: underline;">Change.org</span> </a><br /><br />
</p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/ecran.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Un collectif citoyen lance une pétition pour en finir avec le sexisme sur la Toile.</strong><br /><strong>À l'automne dernier, la classe politique française avait était alertée par la la montée dans les "trending topics" racistes et antisémites (c’est-à-dire les sujets les plus discutés sur le réseau social Twitter du hashtag #Unbonjuif et #Unbonnoir). Ce déferlement de tweets et retweets ouvertement antisémites a montré combien l’évolution des nouvelles technologies pouvait se montrer dangereuse. Si les tweets racistes et antisémiques choquent, les propos sexistes ne sont pas en reste sur Twitter comme ailleurs (Facebook, blog, site privé...). </strong><br /><br /><br />Fatigué du sexisme, un collectif féministe et citoyen lance une pétition pour lutter contre la misogynie et l'incitation à la haine sexiste sur Internet. Depuis septembre une pétition, appelée <em>Agir contre la misogynie et </em><span style="font-size: 10px;"><em>l'incitation à la haine sexiste sur Internet</em>, circule sur la Toile pour demander aux pouvoirs publics français de faire cesser la publication en ligne de propos incitant à la violence misogyne. A l'origine du projet, cinq blogueuses féministes qui se sont réunies pour alerter les pouvoirs publics sur le sexisme suite à la publication d'un article intitulé <em>Comment bien baiser : les 3 secrets du Hard SEX</em>, publié sur un site de coaching en "séduction" appelé Seduction By Kamal. Deux d'entre elles, Lise Bouvet et Laureen Plume, reviennent sur l'origine de cette pétition. </span></p>
<p><br /><strong>Kamal, un coach en séduction pas comme les autres</strong><br />«Il y a environ un an, certaines d'entre nous sont tombées sur l'article de Kamal, explique Laurenn Plume, militante et blogueuse féministe qui fait partie du collectif à l'origine de la pétition. Cela faisait un moment que je connaissais l'existence des coachs en séduction et j'avais remarqué que certains de leurs articles étaient très limites. Sur ces sites on peut lire pas mal de choses qui sont gênantes d'un point de vue féministe, du genre "les femmes aiment être dominées, les femmes sont passives par nature, elles cherchent le mâle alpha". Seulement, là c'était bien pire, puisque Kamal conseillait carrément au lecteur de se passer du consentement de la victime.» <br />Suite à cet article les blogueuses décident de signaler ce site auprès du gouvernement via une <a href="https://www.internet-signalement.gouv.fr/PortailWeb/planets/Accueil!input.action"><span style="text-decoration: underline;">plateforme</span></a> prévue à cet effet. Mais ce fut vain : le texte est resté en ligne. «On ne voyait pas quoi faire de plus, on s'est arrêtées là en espérant que le texte finirait par être retiré, mais il ne l'a pas été. »</p>
<p><strong style="font-size: 10px;">Le pouvoir du Web</strong></p>
<p><span style="font-size: xx-small;">C'est seulement 10 mois plus tard environ que les blogueuses reviennent à la charge. «Il semblait clair que le gouvernement ne donnait pas suite au signalement», explique Lauren Plume. «À partir de là, ça a commencé à bouger (</span>…<span style="font-size: xx-small;">) Nous avons lancé un hashtag #ToiAussiSéduisCommeKamal sur twitter pour faire le buzz, dans la foulée nous nous sommes réunies toutes les cinq en collectif pour mettre au point un texte à faire publier massivement, lancer la pétition et essayer de faire bouger les choses.» «Nous avons fait appel à toutes les blogueuses de bonne volonté pour relayer notre pétition. Ainsi le même texte a été blogué et reblogué par une trentaine de blogs en une journée, ce qui a attiré l'attention des médias explique Lise Bouvet.</span></p>
<p><strong style="font-size: 10px;">Le silence des pouvoirs publics</strong></p>
<p>Pour les féministes à l'origine de la pétition, il y a un véritable laxisme de la part du gouvernement sur la question du sexisme sur la Toile. «Je pense que ce qui nous a fortement fait réagir, c'est surtout le silence qu'il y avait autour et que nous n'avions pas réussi à briser plus tôt», explique Laurenn Plume. «C'est lié au fait qu'en France il n'y a encore aucune législation concernant le sexisme spécifiquement, au même titre que le racisme. L'impunité est totale. On est vraiment dans le pays des droits de "l'homme"», explique Lise Bouvet. «On l'a vu avec cette affaire, souligne Lauren Plume, selon les pouvoirs publics l'auteur de cet article et le rédacteur du site étaient dans leurs droits. Mais ce n'est que la partie émergée de l'iceberg. Il y a toutes sortes de propos extrêmement problématiques sur Internet qui à mon avis ne relèvent pas de la liberté d'expression, car ils ont des conséquences concrètes et dramatiques sur la vie des femmes. Des propos qui, sans encourager explicitement à violer, le font indirectement en propageant la culture du viol».<br />À l'heure actuelle, plus de 3'400 personnes ont signé la pétition. Parmi les revendications, la pétition demande aux pouvoirs publics la mise en place d'une plateforme dédiée aux signalements des sites misogynes. Pour signer la pétition, rendez-vous sur <a href="http://www.change.org/fr/p%C3%A9titions/agir-contre-la-misogynie-et-l-incitation-%C3%A0-la-haine-sexiste-sur-internet-2"><span style="text-decoration: underline;">Change.org</span> </a><br /><br />
</p>
Le projet de Caroline de Haas
2013-10-21T03:13:59+00:00
2013-10-21T03:13:59+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/506-caroline-de-haas-et-le-feministnetworkproject
Léa Bages
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/caroline%20de%20haas.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Depuis quelque temps, un réseau de féministes appelé Feministnetworkproject se développe sur la toile. Son but ? Rassembler les féministes du monde entier pour créer un réseau international. Encore à l'état de construction, le réseau propose de relier les féministes du monde entier sur une google map afin de montrer l'étendue et le poids des féministes à travers les cinq continents. «On compte 2500 personnes sur la carte pour quelques choses qui n'a pas encore d'existence. En tout le projet rassemble 80 pays», souligne Caroline de Haas. Militante féministe, co-fondatrice d'<em>Osez le féminisme</em>, elle explique la naissance de ce projet qui a vu le jour lors du forum mondial de Tunis, <em>Women on waves</em>, sur les nouvelles formes de militantisme féministe. </strong> <br /><br /><strong>Pouquoi créer un réseau de féministes sur les cinq continents ?</strong><br />L'idée du feministnetworkproject m'est venue, car dans le mouvement féministe on a un problème de rassemblement et de visibilité. On n’est pas capable de faire émerger des visages importants. On manque de visibilité et c'est symptomatique. Il faut que ça change. L'idée de créer le projet part d'un constat qu'on a fait en France et que l'on peut appliquer ailleurs : il y a un véritable décalage entre la réalité des mouvements féministes sur le terrain et leur visibilité dans l'espace public. Partout dans le monde, il y a une montée de la question des droits des femmes. On l’a vu aux États-Unis avec la campagne #FBRape, en Amérique latine avec la montée des actions autour du féminicide ou encore en Inde avec la mobilisation autour du viol... Il y a partout dans le monde, de véritables problématiques qui s'invitent dans l'espace public, mais qui manquent de visibilité. Il y a une vitalité du mouvement féministe qui existe sur la question des droits des femmes, mais on a du mal à transformer cette énergie en rapport de force politique, citoyen qui pèse sur la société. Le sentiment que j'ai est qu'il manque ce transformateur, une machine qui transforme cette énergie pour imposer des changements radicaux aux gouvernements. <br /><br /><strong>Quelle forme va prendre le feminist network project ?</strong> <br />L'idée c'est de créer une plateforme qui soit un site de rassemblement, de visibilité, un outil mis à la disposition de toutes les féministes du monde. Le projet est encore en chantier, mais cette plateforme serait un outil pour permettre aux associations féministes de s'organiser (mise à disposition de mailing-lists, d'outils qui permettent de lancer de lancer des campagnes...)<br />Le but est de construire quelque chose d'adapté à tous les pays, car la réalité du monde aujourd'hui pour les féministes européennes n'est pas la même que pour les féministes africaines ou indiennes. On ne veut pas reproduire les inégalités sociales à travers cette plateforme, on veut vraiment construire un outil qui prenne en compte les données sociales et culturelles de toutes les féministes. <br />Car si j'ai les moyens de me payer un ordinateur, ce n'est pas le cas pour toutes. Ça va nous prendre un peu de temps, car on veut vraiment que le feministnetworkproject soit produit d'un collectif. C'est la solution de l'efficacité. Pour l'instant on affine le projet qui sera lancé en décembre. <br /><br /><strong>Quel est l'objectif du feministnetworkproject ?</strong> <br />L'objectif est de faire entendre les féministes plus fort. L'objectif, c'est que lorsque les gouvernements font un projet de loi, ils se disent : «Il faut que l'ont pense aux droits des femmes». Le but est de faire en sorte que le droit des femmes soit devenu un tel enjeu que ce soit incontournable pour les politiques d'intégrer les féministes dans la discussion. On veut créer un outil qui pose ce rapport de force-là. <br /><br /><strong>Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?</strong> <br />Il y a plusieurs difficultés à gérer. La première c'est la traduction, car ce n'est pas simple de trouver des gens qui peuvent faire, bénévolement la traduction, en cinq langues de tous les communiqués (français, espagnol, arabe, anglais et allemand). Ensuite, on ne fonctionne que par mail et Skype et c'est beaucoup plus difficile d'entraîner les gens et de les motiver que lorsque l'on est tous réunis autour d'une table. Internet c'est un super outil, mais ça ne reste qu'un outil, il faut qu'à un moment ou à un autre les gens se parlent, se voient en vrai. C'est ce que j'adore dans l'engagement militant, se retrouver avec des gens. Mais pour ça il faut les voir. <br /><br />Le feministnetworkproject est encore en cours de construction, si vous souhaitez participer rendez-vous sur le <a href="http://feministnetworkproject.wordpress.com/"><span style="text-decoration: underline;">site</span></a>. <br /><br />Photo DR</p>
<p><strong><img src="images/genresfeminismes/caroline%20de%20haas.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></strong></p>
<p><strong>Depuis quelque temps, un réseau de féministes appelé Feministnetworkproject se développe sur la toile. Son but ? Rassembler les féministes du monde entier pour créer un réseau international. Encore à l'état de construction, le réseau propose de relier les féministes du monde entier sur une google map afin de montrer l'étendue et le poids des féministes à travers les cinq continents. «On compte 2500 personnes sur la carte pour quelques choses qui n'a pas encore d'existence. En tout le projet rassemble 80 pays», souligne Caroline de Haas. Militante féministe, co-fondatrice d'<em>Osez le féminisme</em>, elle explique la naissance de ce projet qui a vu le jour lors du forum mondial de Tunis, <em>Women on waves</em>, sur les nouvelles formes de militantisme féministe. </strong> <br /><br /><strong>Pouquoi créer un réseau de féministes sur les cinq continents ?</strong><br />L'idée du feministnetworkproject m'est venue, car dans le mouvement féministe on a un problème de rassemblement et de visibilité. On n’est pas capable de faire émerger des visages importants. On manque de visibilité et c'est symptomatique. Il faut que ça change. L'idée de créer le projet part d'un constat qu'on a fait en France et que l'on peut appliquer ailleurs : il y a un véritable décalage entre la réalité des mouvements féministes sur le terrain et leur visibilité dans l'espace public. Partout dans le monde, il y a une montée de la question des droits des femmes. On l’a vu aux États-Unis avec la campagne #FBRape, en Amérique latine avec la montée des actions autour du féminicide ou encore en Inde avec la mobilisation autour du viol... Il y a partout dans le monde, de véritables problématiques qui s'invitent dans l'espace public, mais qui manquent de visibilité. Il y a une vitalité du mouvement féministe qui existe sur la question des droits des femmes, mais on a du mal à transformer cette énergie en rapport de force politique, citoyen qui pèse sur la société. Le sentiment que j'ai est qu'il manque ce transformateur, une machine qui transforme cette énergie pour imposer des changements radicaux aux gouvernements. <br /><br /><strong>Quelle forme va prendre le feminist network project ?</strong> <br />L'idée c'est de créer une plateforme qui soit un site de rassemblement, de visibilité, un outil mis à la disposition de toutes les féministes du monde. Le projet est encore en chantier, mais cette plateforme serait un outil pour permettre aux associations féministes de s'organiser (mise à disposition de mailing-lists, d'outils qui permettent de lancer de lancer des campagnes...)<br />Le but est de construire quelque chose d'adapté à tous les pays, car la réalité du monde aujourd'hui pour les féministes européennes n'est pas la même que pour les féministes africaines ou indiennes. On ne veut pas reproduire les inégalités sociales à travers cette plateforme, on veut vraiment construire un outil qui prenne en compte les données sociales et culturelles de toutes les féministes. <br />Car si j'ai les moyens de me payer un ordinateur, ce n'est pas le cas pour toutes. Ça va nous prendre un peu de temps, car on veut vraiment que le feministnetworkproject soit produit d'un collectif. C'est la solution de l'efficacité. Pour l'instant on affine le projet qui sera lancé en décembre. <br /><br /><strong>Quel est l'objectif du feministnetworkproject ?</strong> <br />L'objectif est de faire entendre les féministes plus fort. L'objectif, c'est que lorsque les gouvernements font un projet de loi, ils se disent : «Il faut que l'ont pense aux droits des femmes». Le but est de faire en sorte que le droit des femmes soit devenu un tel enjeu que ce soit incontournable pour les politiques d'intégrer les féministes dans la discussion. On veut créer un outil qui pose ce rapport de force-là. <br /><br /><strong>Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?</strong> <br />Il y a plusieurs difficultés à gérer. La première c'est la traduction, car ce n'est pas simple de trouver des gens qui peuvent faire, bénévolement la traduction, en cinq langues de tous les communiqués (français, espagnol, arabe, anglais et allemand). Ensuite, on ne fonctionne que par mail et Skype et c'est beaucoup plus difficile d'entraîner les gens et de les motiver que lorsque l'on est tous réunis autour d'une table. Internet c'est un super outil, mais ça ne reste qu'un outil, il faut qu'à un moment ou à un autre les gens se parlent, se voient en vrai. C'est ce que j'adore dans l'engagement militant, se retrouver avec des gens. Mais pour ça il faut les voir. <br /><br />Le feministnetworkproject est encore en cours de construction, si vous souhaitez participer rendez-vous sur le <a href="http://feministnetworkproject.wordpress.com/"><span style="text-decoration: underline;">site</span></a>. <br /><br />Photo DR</p>
Sinead O'Connor à Miley Cirus
2013-10-04T07:41:22+00:00
2013-10-04T07:41:22+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/501-la-lettre-ouverte-de-sinead-oconnor-a-miley-cirus
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/sinead.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p>"Moi à ton âge" aurait pu être en substance le début de la longue <a href="http://www.theguardian.com/music/2013/oct/03/sinead-o-connor-open-letter-miley-cyrus"><span style="text-decoration: underline;">lettre ouverte,</span></a> publiée hier sur son blog et reprise dans le <em>Guardian</em>, de l'interprète de <em>Nothing compared 2U</em> à celle de <em>Wrecking balls</em>. Le point de départ et point commun du sermon féministe est une histoire de poil: en effet, les deux protagonistes arborent fièrement ce même crâne rasé. Ensuite, une similitude des deux clips respectifs des artistes: le plan fixe serré face caméra. La plus jeune revendique d'ailleurs la filiation directe avec son aînée dans une interview accordée au magazine Rolling Stones.</p>
<p>Du coup, celle-ci se prend pour sa mère et lui donne une leçon de féminisme en lui expliquant les dangers du show-business. Elle se dit inquiète "de voir que (s)es managers réussi(ssent) à (lui) faire croire que c'est bien d'être nue et de lécher des marteaux dans (s)a vidéo". Elle lui explique qu' "en réalité, le business de la musique se fiche complètement de toi. Ils veulent te prostituer. Le jour où tu finiras en cure de désintoxication, ils seront déjà passés à autre chose, et se doreront la pilule sur leurs yachts à Antigua". Elle sait que les hommes qui règnent sur l'industrie du disque et du spectacle se feront de toute façon plus d'argent qu'elle.</p>
<p>Au sujet de son look, elle poursuit : "Ma maison de disque me dictait ce que je devait faire, raconte-t-elle. Mais j'ai préféré qu'on me juge sur mon talent plutôt que sur mon apparence". </p>
<p>En tant que modèle pour les autres jeunes filles, elle lui explique sa responsabilité: se mettre nue à la demande de sa maison de disque, c'est donner un mauvais signal aux adolescentes. Sinead O'Connor poursuit en disant que les mères ne souhaitent pas voir leurs filles sortir dénudées juste pour ressembler à leur idole.</p>
<p>Si la chanteuse irlandaise a visiblement été un modèle pour la jeune américaine, au moins pour sa coupe de cheveux, elle la met désormais en garde contre ce milieu dangereux qui ne fait que prostituer les femmes sans respect pour elles-mêmes ni égard pour leur talent. On attend la réaction de l'intéressée... ou de ses managers.</p>
<p> </p>
<p>Photo DR</p>
<p><img src="images/genresfeminismes/sinead.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p>"Moi à ton âge" aurait pu être en substance le début de la longue <a href="http://www.theguardian.com/music/2013/oct/03/sinead-o-connor-open-letter-miley-cyrus"><span style="text-decoration: underline;">lettre ouverte,</span></a> publiée hier sur son blog et reprise dans le <em>Guardian</em>, de l'interprète de <em>Nothing compared 2U</em> à celle de <em>Wrecking balls</em>. Le point de départ et point commun du sermon féministe est une histoire de poil: en effet, les deux protagonistes arborent fièrement ce même crâne rasé. Ensuite, une similitude des deux clips respectifs des artistes: le plan fixe serré face caméra. La plus jeune revendique d'ailleurs la filiation directe avec son aînée dans une interview accordée au magazine Rolling Stones.</p>
<p>Du coup, celle-ci se prend pour sa mère et lui donne une leçon de féminisme en lui expliquant les dangers du show-business. Elle se dit inquiète "de voir que (s)es managers réussi(ssent) à (lui) faire croire que c'est bien d'être nue et de lécher des marteaux dans (s)a vidéo". Elle lui explique qu' "en réalité, le business de la musique se fiche complètement de toi. Ils veulent te prostituer. Le jour où tu finiras en cure de désintoxication, ils seront déjà passés à autre chose, et se doreront la pilule sur leurs yachts à Antigua". Elle sait que les hommes qui règnent sur l'industrie du disque et du spectacle se feront de toute façon plus d'argent qu'elle.</p>
<p>Au sujet de son look, elle poursuit : "Ma maison de disque me dictait ce que je devait faire, raconte-t-elle. Mais j'ai préféré qu'on me juge sur mon talent plutôt que sur mon apparence". </p>
<p>En tant que modèle pour les autres jeunes filles, elle lui explique sa responsabilité: se mettre nue à la demande de sa maison de disque, c'est donner un mauvais signal aux adolescentes. Sinead O'Connor poursuit en disant que les mères ne souhaitent pas voir leurs filles sortir dénudées juste pour ressembler à leur idole.</p>
<p>Si la chanteuse irlandaise a visiblement été un modèle pour la jeune américaine, au moins pour sa coupe de cheveux, elle la met désormais en garde contre ce milieu dangereux qui ne fait que prostituer les femmes sans respect pour elles-mêmes ni égard pour leur talent. On attend la réaction de l'intéressée... ou de ses managers.</p>
<p> </p>
<p>Photo DR</p>
Femen: Amina quitte ses amies
2013-08-20T07:46:35+00:00
2013-08-20T07:46:35+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/489-femen-amina-quitte-ses-amies
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/amina.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p>Dans une interview accordée au HuffPost Maghreb, Amina Sboui, la jeune Tunisienne qui avait été condamnée pour avoir tagué le mot Femen sur le mur d'un cimetière, annonce qu'elle quitte le mouvement. La première raison qu'elle donne concernerait l'origine du financement des Femen. Elle dit ne pas vouloir "être dans un mouvement où il y a de l’argent douteux. Et si c’était Israël qui finançait ?". Seconde raison, l'islamophobie. Amina Sboui ne veut pas que son "nom soit associé à une organisation islamophobe". Cette critique récurrente à l'encontre des Femen s'explique selon la jeune Tunisienne par le fait que les militantes sextrêmistes, comme elles se définissent, avaient notamment brûlé le drapeau du Tawhid (représente l'unicité divine, <em>ndlr.)</em> devant la mosquée de Paris au printemps dernier par solidarité avec elle. Amina Sboui explique que "cela a touché beaucoup de musulmans et beaucoup de mes proches" et s'est depuis lors distanciée leurs actions. Les Femen s'attaquent en effet régulièrement à l'islam, comme aux autres religions, qu'elles considèrent comme l'instrument du patriarcat.</p>
<p>De nombreuses féministes en Tunisie avaient déjà pointé du doigt la méconnaissance du contexte local qu'avaient les militantes européennes. Elles n'allaient pas jusqu'à accuser publiquement les Femen d'islamophobie mais dénonçaient plutôt une démarche post-colonialiste, en particulier lorsque trois d'entre elles, Pauline Hillier, Marguerite Stern et Josephine Markmann étaient venues manifester seins nus devant le tribunal à Tunis en scandant "Free Amina". Cette action, de l'avis même d'Amina, avait "aggravé (son) cas", puisqu'un chef d'inculpation supplémentaire avait ensuite été retenu contre elle.</p>
<p>Certain-e-s mettront ce brusque revirement de la jeune Tunisienne sur le compte de l'endoctrinement subi en prison. Or, celle-ci ne renonce pas à son combat féministe, bien au contraire puisqu'elle envisage d'adhérer au mouvement <em>Feminism Attack</em> avec une ambition affichée : changer tout le système !</p>
<p><img src="images/genresfeminismes/amina.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p>Dans une interview accordée au HuffPost Maghreb, Amina Sboui, la jeune Tunisienne qui avait été condamnée pour avoir tagué le mot Femen sur le mur d'un cimetière, annonce qu'elle quitte le mouvement. La première raison qu'elle donne concernerait l'origine du financement des Femen. Elle dit ne pas vouloir "être dans un mouvement où il y a de l’argent douteux. Et si c’était Israël qui finançait ?". Seconde raison, l'islamophobie. Amina Sboui ne veut pas que son "nom soit associé à une organisation islamophobe". Cette critique récurrente à l'encontre des Femen s'explique selon la jeune Tunisienne par le fait que les militantes sextrêmistes, comme elles se définissent, avaient notamment brûlé le drapeau du Tawhid (représente l'unicité divine, <em>ndlr.)</em> devant la mosquée de Paris au printemps dernier par solidarité avec elle. Amina Sboui explique que "cela a touché beaucoup de musulmans et beaucoup de mes proches" et s'est depuis lors distanciée leurs actions. Les Femen s'attaquent en effet régulièrement à l'islam, comme aux autres religions, qu'elles considèrent comme l'instrument du patriarcat.</p>
<p>De nombreuses féministes en Tunisie avaient déjà pointé du doigt la méconnaissance du contexte local qu'avaient les militantes européennes. Elles n'allaient pas jusqu'à accuser publiquement les Femen d'islamophobie mais dénonçaient plutôt une démarche post-colonialiste, en particulier lorsque trois d'entre elles, Pauline Hillier, Marguerite Stern et Josephine Markmann étaient venues manifester seins nus devant le tribunal à Tunis en scandant "Free Amina". Cette action, de l'avis même d'Amina, avait "aggravé (son) cas", puisqu'un chef d'inculpation supplémentaire avait ensuite été retenu contre elle.</p>
<p>Certain-e-s mettront ce brusque revirement de la jeune Tunisienne sur le compte de l'endoctrinement subi en prison. Or, celle-ci ne renonce pas à son combat féministe, bien au contraire puisqu'elle envisage d'adhérer au mouvement <em>Feminism Attack</em> avec une ambition affichée : changer tout le système !</p>
Antipodes
2013-08-14T07:54:42+00:00
2013-08-14T07:54:42+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/487-antipodes
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/parcours.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p>Tandis que la Russie promulgue des lois homophobes au point que de nombreux gays et lesbiennes quittent le pays, la Californie protège les élèves transgenres en adoptant le <em><a href="http://leginfo.legislature.ca.gov/faces/billNavClient.xhtml?bill_id=201320140AB1266">bill text AB1266</a></em> qui les autorise à faire du sport soit avec les garçons soit avec les filles, à utiliser les vestiaires homme ou femme, idem pour les toilettes. Comment se fait-il qu'à l'heure d'Internet et de la mondialisation, de telles disparités entre pays subsistent?</p>
<p>La Californie qui a toujours été à l'avant-garde des combats de la communauté LGBT poursuit sa route sous la houlette du brillant gouverneur démocrate Jerry Brown qui signe une étape importante dans la lutte contre la transphobie. En donnant aux personnes transgenres le droit "de participer à des programmes, des activités et d'avoir accès à des espaces ségrégués par sexe" et de pouvoir ainsi choisir selon leur propre perception de leur identité et non pas en fonction de leur sexe civil, la loi devrait réduire les discriminations les plus criantes. Cela concerne les élèves de la maternelle au lycée avant l'entrée à l'université. Et si la Californie fait figure de précurseur en matière de droits LGBT, le Massachussets a voté le <em>transgender equal rights bill</em> qui interdit depuis le 1er juillet dernier toute discrimination à l'encontre des personnes transgenres en matière de travail, de logement, d’éducation et de prêts bancaires. Dans l'état du Colorado, la <em>Colorado Civil Rights Division</em> a fait jurisprudence en autorisant Coy Mathis, 6 ans, de sexe civil masculin, à utiliser les toilettes des filles.</p>
<p>Les Russes, pour leur part, ont encore du chemin à parcourir: jusqu'en 1993, l'homosexualité était un crime et jusqu'en 1999, elle était considérée comme une maladie mentale. Selon les résultats d'un récent sondage du centre Levada (ONG spécialisée dans l'étude de l'opinion publique), seulement 17% des Russes pensent que l'homosexualité est une orientation sexuelle naturelle. 43% pensent que c'est une "mauvaise habitude". Et selon 32% des personnes interrogées, elle résulte d'un trauma ou d'une maladie. L'immense majorité des Russes est conservatrice et le clergé orthodoxe donne le "la": après l'adoption par la France et le Royaume-Uni de lois autorisant le mariage entre personnes de même sexe, le patriarche Kirill y a vu "un symptôme apocalyptique" . Pour lui, il s'agit de combattre la "minorité" qui impose de telles lois. Celles et ceux qui ont le malheur de s'élever contre ce qui devient de l'homophobie d'Etat en paient le prix fort. Pavel Adelgueïm, prêtre et théologien orthodoxe de 75 ans, a été poignardé lundi 5 août dernier pour ses positions contre sa hiérarchie en faveur des Pussy Riot et des minorités. Le 9 mai à Volgograd, l'ancienne Stalingrad, Vladislav Tornovoï était tué à coups de pierres après avoir été torturé. Arrêtés, ses assassins ont avoué les faits parce qu'il était <em>"pidor"</em> ("pédé"). Le 30 mai au Kamtchatka, Oleg Serdiouk a été tué à coups de couteau. La liste pourrait encore s'allonger de ces crimes qui sont encouragés par le pouvoir. On comprend pourquoi les gens se cachent ou cherchent à fuir un pays criminel.</p>
<p>Les Jeux Olympiques de Sotchi sont dans la ligne de mire des associations LGBT qui voudraient contraindre le gouvernement russe à abroger ces lois homophobes. Des boycotts de vodka russe s'organisent dans de nombreux bars gays de la planète, une goutte d'eau face à la détermination de Poutine. A entendre les déclarations de responsables du CIO comme Sergeï Bubka ou du président de l'IAAF Lamine Diack, qui ne voit "aucun problème" dans la loi pénalisant la "propagande" homosexuelle, on se dit que la Russie n'est pas encore sur le point de prendre soin de ses élèves transgenres en leur laissant le choix de pratiquer le sport dans l'équipe des filles ou dans celle des garçons et que la piste ressemble plus au parcours du combattant qu'à celle d'un stade...</p>
<p>Photo DR</p>
<p><img src="images/genresfeminismes/parcours.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p>Tandis que la Russie promulgue des lois homophobes au point que de nombreux gays et lesbiennes quittent le pays, la Californie protège les élèves transgenres en adoptant le <em><a href="http://leginfo.legislature.ca.gov/faces/billNavClient.xhtml?bill_id=201320140AB1266">bill text AB1266</a></em> qui les autorise à faire du sport soit avec les garçons soit avec les filles, à utiliser les vestiaires homme ou femme, idem pour les toilettes. Comment se fait-il qu'à l'heure d'Internet et de la mondialisation, de telles disparités entre pays subsistent?</p>
<p>La Californie qui a toujours été à l'avant-garde des combats de la communauté LGBT poursuit sa route sous la houlette du brillant gouverneur démocrate Jerry Brown qui signe une étape importante dans la lutte contre la transphobie. En donnant aux personnes transgenres le droit "de participer à des programmes, des activités et d'avoir accès à des espaces ségrégués par sexe" et de pouvoir ainsi choisir selon leur propre perception de leur identité et non pas en fonction de leur sexe civil, la loi devrait réduire les discriminations les plus criantes. Cela concerne les élèves de la maternelle au lycée avant l'entrée à l'université. Et si la Californie fait figure de précurseur en matière de droits LGBT, le Massachussets a voté le <em>transgender equal rights bill</em> qui interdit depuis le 1er juillet dernier toute discrimination à l'encontre des personnes transgenres en matière de travail, de logement, d’éducation et de prêts bancaires. Dans l'état du Colorado, la <em>Colorado Civil Rights Division</em> a fait jurisprudence en autorisant Coy Mathis, 6 ans, de sexe civil masculin, à utiliser les toilettes des filles.</p>
<p>Les Russes, pour leur part, ont encore du chemin à parcourir: jusqu'en 1993, l'homosexualité était un crime et jusqu'en 1999, elle était considérée comme une maladie mentale. Selon les résultats d'un récent sondage du centre Levada (ONG spécialisée dans l'étude de l'opinion publique), seulement 17% des Russes pensent que l'homosexualité est une orientation sexuelle naturelle. 43% pensent que c'est une "mauvaise habitude". Et selon 32% des personnes interrogées, elle résulte d'un trauma ou d'une maladie. L'immense majorité des Russes est conservatrice et le clergé orthodoxe donne le "la": après l'adoption par la France et le Royaume-Uni de lois autorisant le mariage entre personnes de même sexe, le patriarche Kirill y a vu "un symptôme apocalyptique" . Pour lui, il s'agit de combattre la "minorité" qui impose de telles lois. Celles et ceux qui ont le malheur de s'élever contre ce qui devient de l'homophobie d'Etat en paient le prix fort. Pavel Adelgueïm, prêtre et théologien orthodoxe de 75 ans, a été poignardé lundi 5 août dernier pour ses positions contre sa hiérarchie en faveur des Pussy Riot et des minorités. Le 9 mai à Volgograd, l'ancienne Stalingrad, Vladislav Tornovoï était tué à coups de pierres après avoir été torturé. Arrêtés, ses assassins ont avoué les faits parce qu'il était <em>"pidor"</em> ("pédé"). Le 30 mai au Kamtchatka, Oleg Serdiouk a été tué à coups de couteau. La liste pourrait encore s'allonger de ces crimes qui sont encouragés par le pouvoir. On comprend pourquoi les gens se cachent ou cherchent à fuir un pays criminel.</p>
<p>Les Jeux Olympiques de Sotchi sont dans la ligne de mire des associations LGBT qui voudraient contraindre le gouvernement russe à abroger ces lois homophobes. Des boycotts de vodka russe s'organisent dans de nombreux bars gays de la planète, une goutte d'eau face à la détermination de Poutine. A entendre les déclarations de responsables du CIO comme Sergeï Bubka ou du président de l'IAAF Lamine Diack, qui ne voit "aucun problème" dans la loi pénalisant la "propagande" homosexuelle, on se dit que la Russie n'est pas encore sur le point de prendre soin de ses élèves transgenres en leur laissant le choix de pratiquer le sport dans l'équipe des filles ou dans celle des garçons et que la piste ressemble plus au parcours du combattant qu'à celle d'un stade...</p>
<p>Photo DR</p>
Féminisez votre bébé avec une perruque
2013-07-29T12:25:57+00:00
2013-07-29T12:25:57+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/483-feminisez-votre-bebe-avec-une-perruque
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/baby%20bangs.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p>Vous n'y aviez pas songé ? Eh bien c'est désormais possible. Les marques américaines, jamais en reste pour renforcer les normes de genre, se lancent sur le marché des perruques pour bébé. Après les cosmétiques pour moins de 10 ans, voici les toupets pour nouveau-né. L'argument de vente fait mouche auprès des parents, semble-t-il, angoissés qu'ils seraient à l'idée que des tiers attribuent à leur fille, encore toute chauve de sa naissance récente, le sexe opposé. Et ce, malgré le rose de rigueur qui la définit des pieds à la tête : sandalettes roses, jupette rose, barrette rose. On pourrait, selon les études de marché, en dépit de cette signalisation clinquante la prendre pour un garçon, quelle horreur.</p>
<p>La marque <em>Baby bangs!</em> l'explique très bien avec ce motto : <em>I'm not a boy!</em> De quoi affirmer l'appartenance au sexe et au genre qui va avec, avant même que le moutard puisse parler, et revendiquer quoi que ce soit... Ce qui compte c'est que les parents disent au monde entier "c'est une fille". La preuve, elle a des cheveux. Ah... les cheveux des filles, c'est comme le sexe, ultra-politique. Rappelez-vous lorsqu'il y a à peine quelques décennies vos aïeules ne pouvaient pas sortir "en cheveux" dans la rue et devaient obligatoirement se coiffer d'un chapeau ou d'un foulard. Depuis la révolution sexuelle, les filles sortent tête nue, cheveux au vent et au vu de tous.</p>
<p>Pour autant, le gender marketing ne fait pas toujours l'unanimité et des parents ont déjà fait entendre leur voix sur les réseaux sociaux face à ce qui est d'abord un business. Délire à suivre...</p>
<p> </p>
<p><img src="images/genresfeminismes/baby%20bangs.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p>Vous n'y aviez pas songé ? Eh bien c'est désormais possible. Les marques américaines, jamais en reste pour renforcer les normes de genre, se lancent sur le marché des perruques pour bébé. Après les cosmétiques pour moins de 10 ans, voici les toupets pour nouveau-né. L'argument de vente fait mouche auprès des parents, semble-t-il, angoissés qu'ils seraient à l'idée que des tiers attribuent à leur fille, encore toute chauve de sa naissance récente, le sexe opposé. Et ce, malgré le rose de rigueur qui la définit des pieds à la tête : sandalettes roses, jupette rose, barrette rose. On pourrait, selon les études de marché, en dépit de cette signalisation clinquante la prendre pour un garçon, quelle horreur.</p>
<p>La marque <em>Baby bangs!</em> l'explique très bien avec ce motto : <em>I'm not a boy!</em> De quoi affirmer l'appartenance au sexe et au genre qui va avec, avant même que le moutard puisse parler, et revendiquer quoi que ce soit... Ce qui compte c'est que les parents disent au monde entier "c'est une fille". La preuve, elle a des cheveux. Ah... les cheveux des filles, c'est comme le sexe, ultra-politique. Rappelez-vous lorsqu'il y a à peine quelques décennies vos aïeules ne pouvaient pas sortir "en cheveux" dans la rue et devaient obligatoirement se coiffer d'un chapeau ou d'un foulard. Depuis la révolution sexuelle, les filles sortent tête nue, cheveux au vent et au vu de tous.</p>
<p>Pour autant, le gender marketing ne fait pas toujours l'unanimité et des parents ont déjà fait entendre leur voix sur les réseaux sociaux face à ce qui est d'abord un business. Délire à suivre...</p>
<p> </p>
Femen vs féministes
2013-07-19T07:38:42+00:00
2013-07-19T07:38:42+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/482-femen-vs-feministes
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/femen-1.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p>La nouvelle polémique autour des Femen après le tweet d'Inna Schevchenko qualifiant le ramadan de "stupide" et l'islam de "moche" enflamme encore le débat qui agite les milieux féministes depuis la première vague du mouvement : le coeur du problème est cet universalisme. A l'époque, Européennes et Etatsuniennes fondaient leur féminisme sur leur propre expérience et voulaient l'étendre au monde entier, alors même que les autres femmes avaient un vécu totalement différent.</p>
<p>Le modèle d'émancipation et l'idéal vers lequel tendaient ces féministes occidentales participaient en réalité à renforcer la domination Nord-Sud. En s'appuyant sur le concept d'intersectionnalité, les féministes post-coloniales ont permis de mettre à jour la multiplicité des identités : les femmes ne se définissent pas seulement par le genre, mais aussi par la race, la nationalité, la sexualité... Les pratiques des Femen sont critiquées par certaines féministes précisément parce qu'elles semblent ignorer le contexte social, économique et culturel dans lequel elles lancent leurs actions. Ce qui s'est passé en Tunisie en fut le révélateur. Provoquer est certes médiatique, en même temps on peut s'interroger sur l'effet dans la société : non seulement Amina n'a pas été libérée, et les militantes tunisiennes n'ont pu qu'assister à l'irruption de femmes étrangères seins nus dans un contexte déjà extrêmement tendu pour les Tunisiennes. N'est-ce pas contre-productif ? N'est-ce pas condamner les efforts menés par les féministes sur place ? N'y aurait-il pas fallu privilégier le dialogue avec ces dernières pour mettre au point une action plus appropriée ?</p>
<p>De là à accuser les Femen d'islamophobie, ce serait aller un peu vite en besogne. Comme elles l'affirment, elles sont athées et "religiophobes" : elles s'attaquent en effet à toutes les religions qui, selon elles, asservissent les femmes. L'activiste tunisienne Amina a librement adhéré à leur groupe et se déclare elle-même athée. Qu'elle soit obligée de suivre le ramadan en prison a suscité la colère de ses compagnes de lutte, d'où le tweet maladroit d'Inna Schevchenko.</p>
<p>Ce débat dépasse en fait largement les féministes qui sont instrumentalisées de part et d'autre. Il sert des idéologies dont les femmes sont le cadet de leur souci. Dommage que celles qui entrent dans la polémique n'aient pas assez de recul et que le dialogue entre toutes ces voix ne permette pas de faire le choix de la diversité.</p>
<p> </p>
<p> </p>
<p><img src="images/genresfeminismes/femen-1.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p>La nouvelle polémique autour des Femen après le tweet d'Inna Schevchenko qualifiant le ramadan de "stupide" et l'islam de "moche" enflamme encore le débat qui agite les milieux féministes depuis la première vague du mouvement : le coeur du problème est cet universalisme. A l'époque, Européennes et Etatsuniennes fondaient leur féminisme sur leur propre expérience et voulaient l'étendre au monde entier, alors même que les autres femmes avaient un vécu totalement différent.</p>
<p>Le modèle d'émancipation et l'idéal vers lequel tendaient ces féministes occidentales participaient en réalité à renforcer la domination Nord-Sud. En s'appuyant sur le concept d'intersectionnalité, les féministes post-coloniales ont permis de mettre à jour la multiplicité des identités : les femmes ne se définissent pas seulement par le genre, mais aussi par la race, la nationalité, la sexualité... Les pratiques des Femen sont critiquées par certaines féministes précisément parce qu'elles semblent ignorer le contexte social, économique et culturel dans lequel elles lancent leurs actions. Ce qui s'est passé en Tunisie en fut le révélateur. Provoquer est certes médiatique, en même temps on peut s'interroger sur l'effet dans la société : non seulement Amina n'a pas été libérée, et les militantes tunisiennes n'ont pu qu'assister à l'irruption de femmes étrangères seins nus dans un contexte déjà extrêmement tendu pour les Tunisiennes. N'est-ce pas contre-productif ? N'est-ce pas condamner les efforts menés par les féministes sur place ? N'y aurait-il pas fallu privilégier le dialogue avec ces dernières pour mettre au point une action plus appropriée ?</p>
<p>De là à accuser les Femen d'islamophobie, ce serait aller un peu vite en besogne. Comme elles l'affirment, elles sont athées et "religiophobes" : elles s'attaquent en effet à toutes les religions qui, selon elles, asservissent les femmes. L'activiste tunisienne Amina a librement adhéré à leur groupe et se déclare elle-même athée. Qu'elle soit obligée de suivre le ramadan en prison a suscité la colère de ses compagnes de lutte, d'où le tweet maladroit d'Inna Schevchenko.</p>
<p>Ce débat dépasse en fait largement les féministes qui sont instrumentalisées de part et d'autre. Il sert des idéologies dont les femmes sont le cadet de leur souci. Dommage que celles qui entrent dans la polémique n'aient pas assez de recul et que le dialogue entre toutes ces voix ne permette pas de faire le choix de la diversité.</p>
<p> </p>
<p> </p>
L'alliance du voile et de la laïcité
2013-06-18T06:43:17+00:00
2013-06-18T06:43:17+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/478-lalliance-du-voile-et-de-la-laicite
Nathalie Brochard
[email protected]
<p> <img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/femmes-taksim.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p class="MsoNormal">A Istanbul, la manifestation écologiste pour sauver le parc Gezi qui a viré au soulèvement populaire contre le gouvernement Erdogan a vu se mobiliser côte-à-côte femmes voilées et femmes non voilées, chose jusqu’alors impensable dans une société turque coupée en deux, entre d’un côté, les tenant-e-s d’un l’islam politique et de l’autre, les adeptes d’une laïcité héritée d’Atatürk. On peut s’interroger sur ce qui a pu rapprocher ces femmes que tout oppose à un moment de l’Histoire et si cet épisode leur permettra de tisser un lien à défaut d’une alliance.</p>
<p>De nombreuses associations féministes ont profité de la contestation de la place Taksim pour dénoncer l’islamisation rampante de la société avec son pendant immédiat : la régression des droits des femmes. Depuis que l’AKP (Parti de la justice et du développement) est au pouvoir, le droit à l’avortement a failli disparaître et en pratique, de moins en moins d’hôpitaux proposent l’IVG, sans parler de la pilule du lendemain très difficile à obtenir. On se souvient également des récentes prises de positions du maire d’Ankara, <span class="st">Melih Gökçek, qui suggérait "le suicide pour la femme victime d'un </span><em><span style="font-style: normal;">viol</span></em><span class="st">, à la place de l'avortement". Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan s’en tient lui à encourager les femmes turques à avoir au moins trois enfants. Si on ajoute la transformation du </span>ministère de la Femme en ministère de la Famille et des Affaires sociales, on comprend aisément les craintes des féministes qui sont descendues dans la rue à plusieurs reprises pour sauvegarder le minimum d’acquis.</p>
<p><span class="st">En fin de compte, sur quoi s’accordent les féministes et les femmes voilées ? Sur la violence domestique. La plateforme <a href="http://www.kadincinayetlerinidurduracagiz.net">www.kadincinayetlerinidurduracagiz.net</a> (</span><em>We will stop the murders of women</em><em><span style="font-style: normal;">) </span></em><span class="st">publie les chiffres de l’ONU et selon ces statistiques, </span>les meurtres de femmes ont augmenté de 1 400 % depuis 2003. Près de 42 % des Turques ont déjà été agressées, sexuellement ou physiquement. 22% des hommes turcs trouvent normal de battre leur femme. Plus d’un tiers des femmes qui ont été tuées l’ont été parce qu’elles avaient demandé le divorce. Un autre chiffre très parlant, c’est que dans 92% des cas de violence domestique, les femmes n’ont pas fait appel aux associations ou aux institutions. Alors se rassembler pour dire stop et rejoindre le combat des autres femmes à Istanbul n’est que légitime.</p>
<p>Le renforcement des rôles traditionnels mis en œuvre par le parti islamiste au pouvoir conforte ainsi les hommes dans la domination qu’ils exercent sur leurs femmes. Contrôler les femmes et leur corps est devenu une obsession en Turquie. En cela, la tentative d’interdire le rouge à lèvre trop voyant aux hôtesses de la compagnie aérienne Turkish Airlines est assez symptomatique de cette stratégie systématique d’invisibilisation des femmes. Pour l’AKP, seul le modèle islamiste est valable, quitte à ce que l’ensemble des femmes en souffrent et paient le prix fort. Le lourd tribut payé par les Turques les a poussées à se rassembler, voile ou pas voile, et à donner un signal au gouvernement. Face à la menace clairement identifiée, la solidarité de circonstance qu'elles ont vécue marque le début d'une nouvelle forme de lutte, même si elle ne s'exprime plus sur la place Taksim, violemment évacuée par la police le 15 juin dernier.</p>
<p class="MsoNormal"><span class="st"> <br /></span></p>
<p> Photo DR</p>
<p class="MsoNormal"> </p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal"> </p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal"> </p>
<p> </p>
<p> <img src="images/genresfeminismes/femmes-taksim.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p class="MsoNormal">A Istanbul, la manifestation écologiste pour sauver le parc Gezi qui a viré au soulèvement populaire contre le gouvernement Erdogan a vu se mobiliser côte-à-côte femmes voilées et femmes non voilées, chose jusqu’alors impensable dans une société turque coupée en deux, entre d’un côté, les tenant-e-s d’un l’islam politique et de l’autre, les adeptes d’une laïcité héritée d’Atatürk. On peut s’interroger sur ce qui a pu rapprocher ces femmes que tout oppose à un moment de l’Histoire et si cet épisode leur permettra de tisser un lien à défaut d’une alliance.</p>
<p>De nombreuses associations féministes ont profité de la contestation de la place Taksim pour dénoncer l’islamisation rampante de la société avec son pendant immédiat : la régression des droits des femmes. Depuis que l’AKP (Parti de la justice et du développement) est au pouvoir, le droit à l’avortement a failli disparaître et en pratique, de moins en moins d’hôpitaux proposent l’IVG, sans parler de la pilule du lendemain très difficile à obtenir. On se souvient également des récentes prises de positions du maire d’Ankara, <span class="st">Melih Gökçek, qui suggérait "le suicide pour la femme victime d'un </span><em><span style="font-style: normal;">viol</span></em><span class="st">, à la place de l'avortement". Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan s’en tient lui à encourager les femmes turques à avoir au moins trois enfants. Si on ajoute la transformation du </span>ministère de la Femme en ministère de la Famille et des Affaires sociales, on comprend aisément les craintes des féministes qui sont descendues dans la rue à plusieurs reprises pour sauvegarder le minimum d’acquis.</p>
<p><span class="st">En fin de compte, sur quoi s’accordent les féministes et les femmes voilées ? Sur la violence domestique. La plateforme <a href="http://www.kadincinayetlerinidurduracagiz.net">www.kadincinayetlerinidurduracagiz.net</a> (</span><em>We will stop the murders of women</em><em><span style="font-style: normal;">) </span></em><span class="st">publie les chiffres de l’ONU et selon ces statistiques, </span>les meurtres de femmes ont augmenté de 1 400 % depuis 2003. Près de 42 % des Turques ont déjà été agressées, sexuellement ou physiquement. 22% des hommes turcs trouvent normal de battre leur femme. Plus d’un tiers des femmes qui ont été tuées l’ont été parce qu’elles avaient demandé le divorce. Un autre chiffre très parlant, c’est que dans 92% des cas de violence domestique, les femmes n’ont pas fait appel aux associations ou aux institutions. Alors se rassembler pour dire stop et rejoindre le combat des autres femmes à Istanbul n’est que légitime.</p>
<p>Le renforcement des rôles traditionnels mis en œuvre par le parti islamiste au pouvoir conforte ainsi les hommes dans la domination qu’ils exercent sur leurs femmes. Contrôler les femmes et leur corps est devenu une obsession en Turquie. En cela, la tentative d’interdire le rouge à lèvre trop voyant aux hôtesses de la compagnie aérienne Turkish Airlines est assez symptomatique de cette stratégie systématique d’invisibilisation des femmes. Pour l’AKP, seul le modèle islamiste est valable, quitte à ce que l’ensemble des femmes en souffrent et paient le prix fort. Le lourd tribut payé par les Turques les a poussées à se rassembler, voile ou pas voile, et à donner un signal au gouvernement. Face à la menace clairement identifiée, la solidarité de circonstance qu'elles ont vécue marque le début d'une nouvelle forme de lutte, même si elle ne s'exprime plus sur la place Taksim, violemment évacuée par la police le 15 juin dernier.</p>
<p class="MsoNormal"><span class="st"> <br /></span></p>
<p> Photo DR</p>
<p class="MsoNormal"> </p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal"> </p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal"> </p>
<p> </p>
Jeu vidéo/ sexisme:interview de Mar_Lard, gameuse et activiste féministe
2013-05-23T03:31:47+00:00
2013-05-23T03:31:47+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/469-jeux-videos-et-sexisme-interview-de-la-gameuse-et-activiste-feministe-marlard
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/lara%20croft.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p><strong>Depuis la publication de ses articles dénonçant la violence sexiste des gamers dans Gender.org, Mar_Lard en subit les terribles conséquences. A l'heure où l'association lab-elle lance le site aussi.ch duquel est absente toute référence aux jeux vidéo, Mar_Lard révèle une réalité inquiétante. Interview.</strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p><strong>
l'émiliE: Comment en êtes-vous arrivée à produire une recherche aussi documentée sur l’envers du décor geek, prétendument cool?</strong><br /><br /><strong>Mar_Lard</strong>: Les univers geeks (jeux vidéo, comics, informatique...) me passionnent depuis mon plus jeune âge et j'ai grandi avec ; hélas, j'ai pu constater au fil des années qu'en tant que femme, je n'y ai étais pas toujours la bienvenue... Mon intérêt pour ces milieux a toujours été considéré au mieux comme étrange, inhabituel («tiens, c'est pas vraiment pour les filles, ça...»), au pire avec une franche hostilité, comme si j'étais une intruse indésirable, ou comme si mon sexe me définissait entièrement et faisait de moi une cible : des commentaires misogynes «retourne dans ta cuisine» au harcèlement sexuel systématique en ligne... La récurrence de ces incidents et le fait que ces expériences soient partagées sous une forme ou une autre par toutes les femmes geeks avec lesquelles j'ai échangé a fini par m'interpeller, me faire comprendre qu'on était là face à un système ; d'ailleurs, ça a sans doute contribué à précipiter mon intérêt pour le féminisme... Je me suis mise à fréquenter de plus en plus des cercles geeks anglophones sur le Net : Outre-Atlantique, le problème de la <em>nerd misogyny</em> est bien mieux reconnu et abondamment discuté, des groupes de <em>geek feminists</em> se sont même créés pour répondre à ces formes particulières de misogynie. Tout cela a donc nourri ma réflexion et j'ai commencé à écrire un peu moi aussi, sur les représentations de genre au sein des jeux vidéo notamment.<br />Un jour, on m'a envoyé un article purement nauséabond tiré de <em>Joystick</em>, un magazine de jeux vidéo français. Six pages de pure masturbation sur des fantasmes de sévices sexuels infligés à l'héroïne Lara Croft, censés «remettre la bimbo à sa place»... Cet article, c'était une sorte de cerise sur le gâteau au sexisme ordinaire qui parsème allégrement la presse vidéoludique ; il m'a été purement insupportable, alors en août j'ai écrit un coup de gueule en réponse (lien). J'y ai parlé de misogynie ordinaire, de culture du viol... et du sexisme geek. Or il se trouve que cet article a déjà fait pas mal de bruit, et à cette occasion j'ai pu me rendre compte à quel point l'idée d'un sexisme spécifique aux milieux geeks était inconnue en France ! Les commentateurs étaient outrés à l'évocation d'un tel concept, parlaient de «stigmatisation des geeks»... On était à mille lieues du débat anglophone. Alors je me suis rendu compte que je pouvais faire quelque chose : je pouvais parler de tous ces incidents rencontrés au fil des années et tenter de ramener en France les idées développées Outre-Atlantique. Voilà comment je me suis attelée à la rédaction de ce grand dossier, panorama de toutes les formes de sexisme geek que j'ai pu rencontrer dans mon expérience et au fil de mes lectures anglophones.<br />
</p>
<p><strong>Vous parlez de “brosogyny” pour décrire la dynamique de groupe masculin/hétéro à l’oeuvre sur les réseaux. Vous pouvez nous expliquer plus précisément son articulation?
</strong></p>
<p>«brosogyny», c'est un mot-valise inventé par un de mes collègues anglais, à partir de «bro» - expression d'amitié virile – et «misogyny». Il s'agit du renforcement de liens de cohésion masculine construits en opposition aux femmes, aux «gonzesses» dont on se moque entre mecs... Pour donner un exemple, sur les MMO (jeux en ligne massivement multijoueurs), les joueurs ont inventé le terme «Wife Aggro» («l'attaque de l'épouse», en gros) : la harpie qui empêche son compagnon de jouer autant qu'il veut... Le terme est même apparu dans le titre d'une conférence lors d'une convention jeux vidéo américaine ! Dans un autre contexte, Virginie Despentes évoque le même type de solidarité masculine dans King Kong Théorie, face au viol par exemple...<br />
</p>
<p><strong>Le cas de la féministe américaine Anita Sarkeesian est terrifiant. Vous n’avez pas peur de subir le même sort ?</strong></p>
<p>C'est un peu ce qui est train de se passer, dans une moindre mesure et à l'échelle française. Mon article sur <em>Joystick</em> et surtout ce dernier dossier ont déclenché des réactions d'une violence très impressionnante, des torrents d'insultes et parfois des menaces... Il est d'ailleurs intéressant de constater que ces insultes et menaces tournent quasi-systématiquement autour de mon sexe ou de ma sexualité supposée : injures misogynes ou lesbophobes, menaces d'attouchements, de viol ou de stérilisation... Sans aller jusque là, c'est la prévisible levée de boucliers : toutes les esquives sont bonnes, du «il y a pire ailleurs donc ce n'est pas la peine d'en parler» au chipotage sur le terme geek en passant par les inévitables cris à la censure et «on ne peut plus rien dire» ! Ce qui est aussi impressionnant, c'est la façon dont le débat a aussitôt été déplacé : au lieu de parler de ce que je dis, on fait un procès de ma personne – ou de l'épouvantail construit comme ma personne, une enragée névrosée frustrée complexée misandre et castratrice... La grande méchante féministe !
<br /><br /><strong>Comment expliquez-vous que les journalistes femmes qui questionnent la communauté geek finissent toujours par se faire menacer (je pense à Maddy Myers ou Asher_Wolf notamment) ?</strong></p>
<p>En fait le sexisme dans ces communautés, c'est l'éléphant dans la pièce : il est là, tout le monde le sait, tout le monde le voit au fond, mais personne ne le pointe du doigt... Il fait partie intégrante du paysage, on doit s'y habituer, il est complètement normalisé (c'est aussi pour ça qu'on lui trouve un tas d'excuses). À partir du moment ou une femme ose en parler, elle bouscule ce statu quo : d'un coup on est mis face au fait qu'on n'est pas aussi clean qu'on voudrait bien le croire, et c'est inconfortable... En plus, à partir du moment où c'est une femme qui parle de cercles geeks, elle est plus ou moins inconsciemment considérée comme extérieure, «pas des nôtres», «elle n'y connaît rien»... L'idée sous-jacente, c'est que si elle faisait «vraiment» partie de ces communautés, elle accepterait le sexisme comme partie intégrante de l'expérience sans rien dire ! Donc, réaction de défense face à «la connasse qui vient nous faire chier chez nous», en quelque sorte... En prime, l'idée d'une certaine «trahison» : «En parlant de ça, tu salis l'image de la communauté» ! Alors qu'évidemment c'est le sexisme qui salit l'image de la communauté, mais on préfère accuser celles qui en parlent, c'est plus facile.
</p>
<p><strong>Pour une gameuse, le principe serait “pour jouer heureuse, jouer cachée”, selon vous?</strong></p>
<p>Certainement pas ! Au contraire, j'essaie d'expliquer que personne ne devrait avoir à cacher qui il/elle est pour être accepté.e... Il existe ce beau mythe qu'Internet serait le grand égalisateur, que tout le monde est libre sur Internet ! À condition de rester dans la norme étriquée du mec blanc cishétéro... dès que tu dépasses, on te le fera savoir et ce sera rarement plaisant. Du coup on a souvent droit à ce «bon conseil» : «Sur Internet tu peux être qui tu veux, tu n'as qu'à cacher que tu es une fille» ! Donc pour être tranquille, il «suffit» d'adopter un pseudo masculin, un avatar masculin, une grammaire masculine, de ne surtout jamais laisser entendre sa voix ou se montrer... de se cacher, de se conformer au moule «acceptable», en gros. Et par là-même, de renforcer l'invisibilisation des femmes dans ces milieux... Non. Nous ne devrions pas avoir à nous camoufler (même si celles qui le font pour être tranquilles ne sont certainement pas condamnables, étant donné que la situation devient parfois vraiment insoutenable) ; ce n'est pas à nous de nous cacher, mais à eux de nous respecter.
<br /><br /><strong>Toutes les communautés sont sexistes: linuxien-ne-s, rôlistes, hackers... Comment en sortir ?</strong></p>
<p>Je crois que le premier pas, c'est déjà d'accepter qu'il y a un problème. Et quand on voit les réactions dès que quelqu'un prononce le mot «sexisme», on voit bien que ce n'est pas si facile... On est un face à un sexisme ordinaire, normalisé, considéré comme partie intégrante de la culture du milieu. La réaction habituelle est de protéger le sexisme en invoquant l'humour, le «politiquement incorrect» - comme si le sexisme était quelque chose de subversif ou de profondément osé qu'il est noble de préserver... Comprendre que toutes ces petites occurrences de sexisme normalisé sont loins d'être anodines, qu'elles excluent, qu'elles visent – consciemment ou inconsciemment - à renforcer des dynamiques de domination, c'est le plus gros du chemin. Une fois qu'on a ouvert les yeux là-dessus, le sexisme qui nous paraissait auparavant tout à fait ordinaire devient soudain apparent : c'est l'essentiel, que tout ça ne passe plus inaperçu, que ce soit relevé. C'est pour ça aussi qu'on provoque des réactions aussi violentes quand on en parle: on fait poil à gratter, on rend le problème visible et ça devient inconfortable... À partir du moment ou le statu quo de l'exclusion habituelle est remis en question, on peut avancer vers des communautés respectueuses de tous. Par exemple, une femme arrive sur un forum, immédiatement quelqu'un fait la fameuse blague «retourne dans ta cuisine» : elle est censée l'accepter sans rien dire, si elle réagit la communauté fera aussitôt bloc - «c'est juste une blague», «t'as pas d'humour». Mais à partir du moment ou quelqu'un va prendre la parole pour remettre ce statu quo en cause, va comprendre et faire comprendre que ces incidents sont systématiques et nocifs, que leur acceptation habituelle n'est pas normale, on a fait le gros du travail. C'est à partir de là qu'on peut inclure le refus du sexisme dans la charte de conduite, qu'on peut réfléchir aux représentations dans les contenus qu'on produit... C'est un travail sur les mentalités.
</p>
<p><strong>Vous dépeignez le snobisme geek en vous appuyant sur la figure de la Fake Geek Girl : est-ce à dire que même parfaite, une fille restera toujours une fille dans ce milieu?</strong></p>
<p>C'est le principe : les barrières de ce qui constitue le «vrai geek» reculent sans cesse de façon à toujours exclure... Le snobisme geek est un fléau qui ne touche pas que les femmes : les communautés se construisent dans le mépris et l'exclusion de ce qu'ils considèrent comme les «illégitimes» - décrétés de façon arbitraire et de façon à consacrer SA pratique comme l'unique valable, évidemment... Ainsi, «les joueurs sur tablettes sont des 'casu', pas des VRAIS gamers», puis «les gamers Call of Duty ne sont que des petits 'kevins', ils ne jouent pas à de VRAIS jeux», ensuite «Quoi, tu joues pas en difficile ? 'N00b !'»... «T'es pas vraiment geek si tu sais pas programmer», puis «T'es pas un vrai programmeur si tu fais pas du Lisp»... «Tu peux pas être libriste et utiliser Ubuntu...», «Tu peux pas te réclamer du Logiciel Libre en utilisant des codecs propriétaires...» etc etc etc... tous ces exemples sont vraiment très répandus, et il y en aurait des dizaines d'autres ! Plus on va dans des sphères obscures et pointues de la geekerie, plus ce snobisme est prononcé. Une nouvelle forme du concours de la plus grosse... Et, comme par hasard, cette construction du «Faux Geek» exclut tout particulièrement... les femmes. Une femme en milieu geek subit régulièrement de véritables interrogatoires de la part du premier mec venu, apparemment habilité à lui délivrer son «brevet de geekerie»... «Tu portes un T-Shirt Green Lantern ? Je parie que tu n'as jamais ouvert un comic», «Tu peux me citer seulement trois Green Lantern ?... Tu es allée voir sur Wikipédia, c'est ça ?» «Pff, je parie que tu connaissais même pas Green Lantern avant le film». La perception qu'une femme ne peut pas «vraiment» s'intéresser ou comprendre ces univers, qu'elle cherche à en donner l'impression dans le seul but de plaire aux mecs... Par exemple, il y a ce mythe très répandu chez les fans de comics que les cosplayeuses (les fans qui se déguisent en leurs personnages préférés) revêtent les habits souvent révélateurs de super-héroïnes uniquement pour attirer l'attention des hommes... Il ne leur viendrait pas à l'esprit qu'elles le font par amour du personnage, et qu'elles ne sont nullement responsables des costumes parfois ridicules fantasmés par les dessinateurs masculins ! En bref, on a un véritable combo misogynie + snobisme dans le mythe de la «Fake Geek Girl», la fille faussement geek...<br />Chez les gamers, ça se voit très bien avec le cas des Sims, un excellent jeu de gestion qui se trouve beaucoup attirer le public féminin : à la sortie de ce jeu par le fameux créateur Will Wright, il a été fort applaudi... jusqu'à ce que les gamers s'aperçoivent que des filles osaient également apprécier le jeu ! À partir de là il devenait bien sûr indispensable de s'en distinguer : dans l'esprit gamer, les Sims sont devenus un «jeu casual» («grand public», la pire des tares, par opposition aux «vrais jeux», «hardcore»), pire, un «jeu de fille», «jeu de poupée»... honte à présent sur quiconque oserait se dire «gamer» en jouant aux Sims, et exclusion magique de toutes les femmes qui y jouent...</p>
<p><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/tweet.png" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p>Ce qui est terrible, c'est que souvent les femmes vont jouer le jeu dans l'espoir d'être acceptées dans le petit club masculin. «Moi je suis pas comme les autres filles, ces pouffiasses superficielles, je suis l'une de vous les mecs !» «Les Sims ? Beurk, jamais de la vie, je joue à de VRAIS JEUX moi». Répliquer la misogynie dans une tentative de se différencier... je l'ai fait aussi, jusqu'à comprendre que c'était un piège. De toute façon, ça ne marche pas – on reste «la fille», toujours suspecte, le vagin marque d’infamie.
</p>
<p><strong>Vous écornez passablement les valeurs du Parti Pirate, parti misogyne et anti-égalitaire au possible. Comment expliquez-vous qu’il soit auréolé de l’image d’un mouvement jeune et progressiste ?</strong></p>
<p>Je crois sincèrement qu'il est jeune et progressiste sur de nombreux points ; c'est un parti novateur, qui tente de nouvelles formes de politiques – avec plus ou moins de succès... En France surtout, c'est un parti très expérimental, avec parfois le manque de maturité ou l'amateurisme que ça peut entraîner. Et comme il est principalement constitué de jeunes hommes geeks répliquant les mêmes comportements qu'au sein de leurs communautés habituelles, les mécanismes d'exclusion des minorités s'y perpétuent sans vraiment être interrogés... Manque d'intérêt pour les droits des minorités et des femmes, incompréhension des comportements ostracisants...
</p>
<p><strong>La communauté geek est-elle homogène ? N’y a-t-il en son sein que des hommes cis-hétéros faisant partie des dominants susceptibles de se sentir victimisés dès qu’on interroge leur système ?</strong></p>
<p>Ça, c'est ce qu'on aimerait bien nous faire croire... Comme les activités geeks – jeux vidéo, comics, informatique, technologie... - sont considérées comme «masculines», l'éducation genrée se fait sentir : les hommes sont parfaitement acceptés voire encouragés dans ces voies tandis que les femmes en sont découragées et/ou s'autocensurent... Donc oui, on a une disparité de genre fabriquée dans ces milieux. Cependant, le mythe qui veut que les femmes soient parfaitement absentes, ne s'y intéressent tout simplement pas est bien entendu faux et l'a toujours été ! Certains feraient bien de se rappeler que les ordinateurs sur lesquels ils aiment tant faire joujou, ils les doivent notamment à Ada Lovelace, considérée comme la première programmeuse au monde... <a href="http://25.media.tumblr.com/7ef0ed5a4ab66b46c5248daf0f9783a3/tumblr_mmr1udygyU1qks57ho2_1280.jpg"><span style="text-decoration: underline;">Ici</span></a>, une publicité de 1982 pour l'une des premières consoles de salon montre une jeune joueuse, de façon parfaitement non-genrée qui plus est (elle possède des jouets variés (batte de baseball, guitare, microscope, robot, tutu de danse...) et le marketing porte sur la bravoure. Ces photos des années 40 (<a href="http://24.media.tumblr.com/88e725a8de24ac56398802f5b97179ce/tumblr_m62vliYseo1qf1hu0o1_r1_1280.jpg"><span style="text-decoration: underline;">photo 1</span></a> et <a href="http://media.tumblr.com/5afadca91ddb58168f4b4524f13fd89e/tumblr_mgws83MTQk1rahlq2o1_500.jpg"><span style="text-decoration: underline;">photo2</span></a>) nous montrent des petites filles parmi la clientèle des comicbook stores... On peut aussi rappeler que Mario, Zelda ou plus récemment Pokémon ont d'emblée rassemblé filles et garçons derrière les manettes... Hélas, si les femmes ont toujours été là, l'adversité sexiste aussi... Cet <a href="http://www.gamasutra.com/blogs/RyanLangley/20130513/192152/"><span style="text-decoration: underline;">article de 1983</span> </a>évoque déjà les difficultés des femmes dans l'industrie du jeu vidéo, et cette <a href="http://25.media.tumblr.com/f0b20259f4c94c430a5f2569ec57cc34/tumblr_mge8td8CdL1rytg8po1_1280.jpg"><span style="text-decoration: underline;">bande-dessinée de 1998</span> </a>évoque le snobisme misogyne et le soupçon d'imposture qui pèse sur les femmes du milieu, exactement comme on le fait encore aujourd'hui !
</p>
<p><strong>Misogynie, apologie du viol, masculinisme, ça laisse songeur... N’est-ce pas un manque de contact avec la réalité, de maturité et d’éducation ?</strong></p>
<p>Je crois qu'il y a plusieurs raisons à cette cristallisation du sexisme dans des espaces spécifiques. On a d'abord l'idée que l'on se trouve dans un pré carré masculin, un petit club qui leur appartient de plein droit, où l'on est bien tranquille entre mecs décomplexés loin de toutes ces obligations sociales si contraignantes... On le voit très bien aux cris d'orfraie dès que quelqu'un soulève une objection face à un discours excluant : «Oh non, c'est l'un des derniers endroits où l'on est un peu épargné par le politiquement correct, ici !» Je rappelle que dans l'affaire du harcèlement immonde de la joueuse de Tekken en tournoi professionnel, il y a eu de nombreux gamers sur les forums pour défendre le coach sur le mode «Notre communauté est l'un des rares endroits aujourd'hui ou les mecs peuvent se relaxer, être eux-mêmes : si vous supportez pas des remarques sur votre corps, vous pouvez aller voir ailleurs».<br />Comme s'il y avait quelque chose de noble à préserver un espace ou sexisme, homophobie, racisme peuvent s'exercer librement... Des espaces conçus comme «lieux de résistance» face à l'affreux «politiquement correct». Comme si être raciste, sexiste ou homophobe avait quoi que ce soit de «politiquement incorrect», d'original ou d'irrévérencieux... alors qu'il s'agit là des idées les plus convenues et les moins osées qui soient. Le mec qui se croit malin en balançant une «blague» sexiste au milieu d'une assemblée masculine qui rit, tolère et encourage ces blagues se prend pour un esprit libre, un grand provocateur, un révolutionnaire face à ce qu'il voit comme «la tyrannie du politiquement correct» (l'exigence du respect de l'autre...) - en réalité, il ne fait guère que bêler avec la masse en répliquant toujours les mêmes schémas éculés, en ridiculisant et en ostracisant quiconque ne rentre pas dans son moule.<br />Ce mécanisme est bien sûr favorisé par l'anonymat, la distance dans les échanges qui ont lieu sur Internet. On reste dans la même logique de provoc' confortable à petit prix : c'est beaucoup plus facile de balancer «va me faire un sandwich» à une femme par écrans interposés qu'en face, évidemment... Ce qui ne veut pas dire que le sexisme n'est pas aussi allègrement pratiqué «in real life», particulièrement dans les espaces considérés comme propriété masculine encore une fois : les comportements sexistes deviennent normalisés par le milieu et le groupe. C'est ainsi que chaque convention gamer, comics... est suivie de témoignages d'incidents : harcèlement sexuel, mains baladeuses... Ça ne rate jamais. Des types qui ont le sentiment qu'ils sont chez eux et les femmes non, et qu'ils peuvent donc se permettre des choses que souvent ils ne se permettraient pas dans d'autres milieux.<br />L'idée que les femmes sont étrangères, intruses dans ces milieux est centrale : on l'a vu plus haut avec le mythe de la Fake Geek Girl, une femme ne peut pas légitimement intégrer les milieux geeks. Ça va même plus loin que ça : il rôde dans ces milieux l'idée que les femmes auraient «mérité» leur exclusion, une juste revanche en quelque sorte. D'abord à cause du mythe que les femmes s'intéresseraient seulement maintenant à ces milieux et seulement parce qu'ils sont devenus à la mode – ce qui est faux, on l'a vu, on a toujours été là malgré l'exclusion – et, encore plus fort, parce qu'il y a une tendance chez les geeks à se considérer comme «opprimés» par les femmes. Le narratif geek stéréotypique auquel une bonne partie de la communauté va s'identifier avec plus ou moi de vérité, c'est «j'étais exclu au lycée, les filles se moquaient de moi et ne voulaient pas sortir avec moi». Donc on prend sa revanche dans les milieux où on exerce le pouvoir...<br />Une dernière raison qu'on peut citer, c'est le manque d'éducation à la sociologie, aux dynamiques de privilèges et d'oppressions sociales dans des milieux qui glorifient plutôt les «sciences dures». En conséquence, on a des groupes homogènes de personnes qui sont généralement en haut de l'échelle des privilèges sociaux (hommes, cis-hétéros, blancs, bon niveau de vie et d'éducation), avec assez peu d'intérêt ou d'éducation sur les systèmes de discrimination tels qu'ils s'exercent dans notre société mais qui se rassemblent autour du narratif d'exclusion, de marginalisation, de différence subies qui forment le stéréotype du geek. Terrain très fertile pour les idées masculinistes qui viennent conforter ces narratifs...</p>
<p>
<strong>Question subsidiaire : les creeper cards suffisent-elles à changer ce monde?</strong></p>
<p>Je pense que l'intérêt des creeper cards et des initiatives similaires, c'est encore et toujours de rendre le problème visible. Les mettre à disposition c'est déjà reconnaître la fréquence des incidents, leur réalité, et quand on voit comment de nombreuses conventions rechignent à mettre en place une charte de conduite, ce n'est pas anodin. Elles fournissent une façon simple, toute faite de signaler «là, ce type de comportement est inacceptable» - ce n'est pas forcément évident à faire seul, avec ses propres moyens, face à un groupe. Les Cards, c'est le signe qu'on a des allié.es face à ces comportements, qu'on a le droit de les signaler. C'est un soutien important dans des situations où les comportements sexistes sont légitimés par le milieu et le groupe et où c'est volontiers la victime qui est mise en cause pour réagir : les Cards c'est en quelque sorte le rappel «oui, j'ai le droit de réagir, je n'ai pas à me laisser traiter comme ça». Après, bien sûr, c'est loin d'être une solution magique, leur emploi n'est pas forcément évident. Mais il y a tant à faire dans ces milieux qu'une telle initiative, ça représente un premier pas important pour le féminisme en milieux geeks. D'ailleurs les Creeper Cards ont été plutôt plébiscitées ; au départ une initiative individuelle dans le cadre d'une convention spécifique, elles ont depuis été reprises et mises en place dans un cadre plus large.</p>
<p><img src="images/genresfeminismes/lara%20croft.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p><strong>Depuis la publication de ses articles dénonçant la violence sexiste des gamers dans Gender.org, Mar_Lard en subit les terribles conséquences. A l'heure où l'association lab-elle lance le site aussi.ch duquel est absente toute référence aux jeux vidéo, Mar_Lard révèle une réalité inquiétante. Interview.</strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p><strong>
l'émiliE: Comment en êtes-vous arrivée à produire une recherche aussi documentée sur l’envers du décor geek, prétendument cool?</strong><br /><br /><strong>Mar_Lard</strong>: Les univers geeks (jeux vidéo, comics, informatique...) me passionnent depuis mon plus jeune âge et j'ai grandi avec ; hélas, j'ai pu constater au fil des années qu'en tant que femme, je n'y ai étais pas toujours la bienvenue... Mon intérêt pour ces milieux a toujours été considéré au mieux comme étrange, inhabituel («tiens, c'est pas vraiment pour les filles, ça...»), au pire avec une franche hostilité, comme si j'étais une intruse indésirable, ou comme si mon sexe me définissait entièrement et faisait de moi une cible : des commentaires misogynes «retourne dans ta cuisine» au harcèlement sexuel systématique en ligne... La récurrence de ces incidents et le fait que ces expériences soient partagées sous une forme ou une autre par toutes les femmes geeks avec lesquelles j'ai échangé a fini par m'interpeller, me faire comprendre qu'on était là face à un système ; d'ailleurs, ça a sans doute contribué à précipiter mon intérêt pour le féminisme... Je me suis mise à fréquenter de plus en plus des cercles geeks anglophones sur le Net : Outre-Atlantique, le problème de la <em>nerd misogyny</em> est bien mieux reconnu et abondamment discuté, des groupes de <em>geek feminists</em> se sont même créés pour répondre à ces formes particulières de misogynie. Tout cela a donc nourri ma réflexion et j'ai commencé à écrire un peu moi aussi, sur les représentations de genre au sein des jeux vidéo notamment.<br />Un jour, on m'a envoyé un article purement nauséabond tiré de <em>Joystick</em>, un magazine de jeux vidéo français. Six pages de pure masturbation sur des fantasmes de sévices sexuels infligés à l'héroïne Lara Croft, censés «remettre la bimbo à sa place»... Cet article, c'était une sorte de cerise sur le gâteau au sexisme ordinaire qui parsème allégrement la presse vidéoludique ; il m'a été purement insupportable, alors en août j'ai écrit un coup de gueule en réponse (lien). J'y ai parlé de misogynie ordinaire, de culture du viol... et du sexisme geek. Or il se trouve que cet article a déjà fait pas mal de bruit, et à cette occasion j'ai pu me rendre compte à quel point l'idée d'un sexisme spécifique aux milieux geeks était inconnue en France ! Les commentateurs étaient outrés à l'évocation d'un tel concept, parlaient de «stigmatisation des geeks»... On était à mille lieues du débat anglophone. Alors je me suis rendu compte que je pouvais faire quelque chose : je pouvais parler de tous ces incidents rencontrés au fil des années et tenter de ramener en France les idées développées Outre-Atlantique. Voilà comment je me suis attelée à la rédaction de ce grand dossier, panorama de toutes les formes de sexisme geek que j'ai pu rencontrer dans mon expérience et au fil de mes lectures anglophones.<br />
</p>
<p><strong>Vous parlez de “brosogyny” pour décrire la dynamique de groupe masculin/hétéro à l’oeuvre sur les réseaux. Vous pouvez nous expliquer plus précisément son articulation?
</strong></p>
<p>«brosogyny», c'est un mot-valise inventé par un de mes collègues anglais, à partir de «bro» - expression d'amitié virile – et «misogyny». Il s'agit du renforcement de liens de cohésion masculine construits en opposition aux femmes, aux «gonzesses» dont on se moque entre mecs... Pour donner un exemple, sur les MMO (jeux en ligne massivement multijoueurs), les joueurs ont inventé le terme «Wife Aggro» («l'attaque de l'épouse», en gros) : la harpie qui empêche son compagnon de jouer autant qu'il veut... Le terme est même apparu dans le titre d'une conférence lors d'une convention jeux vidéo américaine ! Dans un autre contexte, Virginie Despentes évoque le même type de solidarité masculine dans King Kong Théorie, face au viol par exemple...<br />
</p>
<p><strong>Le cas de la féministe américaine Anita Sarkeesian est terrifiant. Vous n’avez pas peur de subir le même sort ?</strong></p>
<p>C'est un peu ce qui est train de se passer, dans une moindre mesure et à l'échelle française. Mon article sur <em>Joystick</em> et surtout ce dernier dossier ont déclenché des réactions d'une violence très impressionnante, des torrents d'insultes et parfois des menaces... Il est d'ailleurs intéressant de constater que ces insultes et menaces tournent quasi-systématiquement autour de mon sexe ou de ma sexualité supposée : injures misogynes ou lesbophobes, menaces d'attouchements, de viol ou de stérilisation... Sans aller jusque là, c'est la prévisible levée de boucliers : toutes les esquives sont bonnes, du «il y a pire ailleurs donc ce n'est pas la peine d'en parler» au chipotage sur le terme geek en passant par les inévitables cris à la censure et «on ne peut plus rien dire» ! Ce qui est aussi impressionnant, c'est la façon dont le débat a aussitôt été déplacé : au lieu de parler de ce que je dis, on fait un procès de ma personne – ou de l'épouvantail construit comme ma personne, une enragée névrosée frustrée complexée misandre et castratrice... La grande méchante féministe !
<br /><br /><strong>Comment expliquez-vous que les journalistes femmes qui questionnent la communauté geek finissent toujours par se faire menacer (je pense à Maddy Myers ou Asher_Wolf notamment) ?</strong></p>
<p>En fait le sexisme dans ces communautés, c'est l'éléphant dans la pièce : il est là, tout le monde le sait, tout le monde le voit au fond, mais personne ne le pointe du doigt... Il fait partie intégrante du paysage, on doit s'y habituer, il est complètement normalisé (c'est aussi pour ça qu'on lui trouve un tas d'excuses). À partir du moment ou une femme ose en parler, elle bouscule ce statu quo : d'un coup on est mis face au fait qu'on n'est pas aussi clean qu'on voudrait bien le croire, et c'est inconfortable... En plus, à partir du moment où c'est une femme qui parle de cercles geeks, elle est plus ou moins inconsciemment considérée comme extérieure, «pas des nôtres», «elle n'y connaît rien»... L'idée sous-jacente, c'est que si elle faisait «vraiment» partie de ces communautés, elle accepterait le sexisme comme partie intégrante de l'expérience sans rien dire ! Donc, réaction de défense face à «la connasse qui vient nous faire chier chez nous», en quelque sorte... En prime, l'idée d'une certaine «trahison» : «En parlant de ça, tu salis l'image de la communauté» ! Alors qu'évidemment c'est le sexisme qui salit l'image de la communauté, mais on préfère accuser celles qui en parlent, c'est plus facile.
</p>
<p><strong>Pour une gameuse, le principe serait “pour jouer heureuse, jouer cachée”, selon vous?</strong></p>
<p>Certainement pas ! Au contraire, j'essaie d'expliquer que personne ne devrait avoir à cacher qui il/elle est pour être accepté.e... Il existe ce beau mythe qu'Internet serait le grand égalisateur, que tout le monde est libre sur Internet ! À condition de rester dans la norme étriquée du mec blanc cishétéro... dès que tu dépasses, on te le fera savoir et ce sera rarement plaisant. Du coup on a souvent droit à ce «bon conseil» : «Sur Internet tu peux être qui tu veux, tu n'as qu'à cacher que tu es une fille» ! Donc pour être tranquille, il «suffit» d'adopter un pseudo masculin, un avatar masculin, une grammaire masculine, de ne surtout jamais laisser entendre sa voix ou se montrer... de se cacher, de se conformer au moule «acceptable», en gros. Et par là-même, de renforcer l'invisibilisation des femmes dans ces milieux... Non. Nous ne devrions pas avoir à nous camoufler (même si celles qui le font pour être tranquilles ne sont certainement pas condamnables, étant donné que la situation devient parfois vraiment insoutenable) ; ce n'est pas à nous de nous cacher, mais à eux de nous respecter.
<br /><br /><strong>Toutes les communautés sont sexistes: linuxien-ne-s, rôlistes, hackers... Comment en sortir ?</strong></p>
<p>Je crois que le premier pas, c'est déjà d'accepter qu'il y a un problème. Et quand on voit les réactions dès que quelqu'un prononce le mot «sexisme», on voit bien que ce n'est pas si facile... On est un face à un sexisme ordinaire, normalisé, considéré comme partie intégrante de la culture du milieu. La réaction habituelle est de protéger le sexisme en invoquant l'humour, le «politiquement incorrect» - comme si le sexisme était quelque chose de subversif ou de profondément osé qu'il est noble de préserver... Comprendre que toutes ces petites occurrences de sexisme normalisé sont loins d'être anodines, qu'elles excluent, qu'elles visent – consciemment ou inconsciemment - à renforcer des dynamiques de domination, c'est le plus gros du chemin. Une fois qu'on a ouvert les yeux là-dessus, le sexisme qui nous paraissait auparavant tout à fait ordinaire devient soudain apparent : c'est l'essentiel, que tout ça ne passe plus inaperçu, que ce soit relevé. C'est pour ça aussi qu'on provoque des réactions aussi violentes quand on en parle: on fait poil à gratter, on rend le problème visible et ça devient inconfortable... À partir du moment ou le statu quo de l'exclusion habituelle est remis en question, on peut avancer vers des communautés respectueuses de tous. Par exemple, une femme arrive sur un forum, immédiatement quelqu'un fait la fameuse blague «retourne dans ta cuisine» : elle est censée l'accepter sans rien dire, si elle réagit la communauté fera aussitôt bloc - «c'est juste une blague», «t'as pas d'humour». Mais à partir du moment ou quelqu'un va prendre la parole pour remettre ce statu quo en cause, va comprendre et faire comprendre que ces incidents sont systématiques et nocifs, que leur acceptation habituelle n'est pas normale, on a fait le gros du travail. C'est à partir de là qu'on peut inclure le refus du sexisme dans la charte de conduite, qu'on peut réfléchir aux représentations dans les contenus qu'on produit... C'est un travail sur les mentalités.
</p>
<p><strong>Vous dépeignez le snobisme geek en vous appuyant sur la figure de la Fake Geek Girl : est-ce à dire que même parfaite, une fille restera toujours une fille dans ce milieu?</strong></p>
<p>C'est le principe : les barrières de ce qui constitue le «vrai geek» reculent sans cesse de façon à toujours exclure... Le snobisme geek est un fléau qui ne touche pas que les femmes : les communautés se construisent dans le mépris et l'exclusion de ce qu'ils considèrent comme les «illégitimes» - décrétés de façon arbitraire et de façon à consacrer SA pratique comme l'unique valable, évidemment... Ainsi, «les joueurs sur tablettes sont des 'casu', pas des VRAIS gamers», puis «les gamers Call of Duty ne sont que des petits 'kevins', ils ne jouent pas à de VRAIS jeux», ensuite «Quoi, tu joues pas en difficile ? 'N00b !'»... «T'es pas vraiment geek si tu sais pas programmer», puis «T'es pas un vrai programmeur si tu fais pas du Lisp»... «Tu peux pas être libriste et utiliser Ubuntu...», «Tu peux pas te réclamer du Logiciel Libre en utilisant des codecs propriétaires...» etc etc etc... tous ces exemples sont vraiment très répandus, et il y en aurait des dizaines d'autres ! Plus on va dans des sphères obscures et pointues de la geekerie, plus ce snobisme est prononcé. Une nouvelle forme du concours de la plus grosse... Et, comme par hasard, cette construction du «Faux Geek» exclut tout particulièrement... les femmes. Une femme en milieu geek subit régulièrement de véritables interrogatoires de la part du premier mec venu, apparemment habilité à lui délivrer son «brevet de geekerie»... «Tu portes un T-Shirt Green Lantern ? Je parie que tu n'as jamais ouvert un comic», «Tu peux me citer seulement trois Green Lantern ?... Tu es allée voir sur Wikipédia, c'est ça ?» «Pff, je parie que tu connaissais même pas Green Lantern avant le film». La perception qu'une femme ne peut pas «vraiment» s'intéresser ou comprendre ces univers, qu'elle cherche à en donner l'impression dans le seul but de plaire aux mecs... Par exemple, il y a ce mythe très répandu chez les fans de comics que les cosplayeuses (les fans qui se déguisent en leurs personnages préférés) revêtent les habits souvent révélateurs de super-héroïnes uniquement pour attirer l'attention des hommes... Il ne leur viendrait pas à l'esprit qu'elles le font par amour du personnage, et qu'elles ne sont nullement responsables des costumes parfois ridicules fantasmés par les dessinateurs masculins ! En bref, on a un véritable combo misogynie + snobisme dans le mythe de la «Fake Geek Girl», la fille faussement geek...<br />Chez les gamers, ça se voit très bien avec le cas des Sims, un excellent jeu de gestion qui se trouve beaucoup attirer le public féminin : à la sortie de ce jeu par le fameux créateur Will Wright, il a été fort applaudi... jusqu'à ce que les gamers s'aperçoivent que des filles osaient également apprécier le jeu ! À partir de là il devenait bien sûr indispensable de s'en distinguer : dans l'esprit gamer, les Sims sont devenus un «jeu casual» («grand public», la pire des tares, par opposition aux «vrais jeux», «hardcore»), pire, un «jeu de fille», «jeu de poupée»... honte à présent sur quiconque oserait se dire «gamer» en jouant aux Sims, et exclusion magique de toutes les femmes qui y jouent...</p>
<p><img src="images/genresfeminismes/tweet.png" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p>Ce qui est terrible, c'est que souvent les femmes vont jouer le jeu dans l'espoir d'être acceptées dans le petit club masculin. «Moi je suis pas comme les autres filles, ces pouffiasses superficielles, je suis l'une de vous les mecs !» «Les Sims ? Beurk, jamais de la vie, je joue à de VRAIS JEUX moi». Répliquer la misogynie dans une tentative de se différencier... je l'ai fait aussi, jusqu'à comprendre que c'était un piège. De toute façon, ça ne marche pas – on reste «la fille», toujours suspecte, le vagin marque d’infamie.
</p>
<p><strong>Vous écornez passablement les valeurs du Parti Pirate, parti misogyne et anti-égalitaire au possible. Comment expliquez-vous qu’il soit auréolé de l’image d’un mouvement jeune et progressiste ?</strong></p>
<p>Je crois sincèrement qu'il est jeune et progressiste sur de nombreux points ; c'est un parti novateur, qui tente de nouvelles formes de politiques – avec plus ou moins de succès... En France surtout, c'est un parti très expérimental, avec parfois le manque de maturité ou l'amateurisme que ça peut entraîner. Et comme il est principalement constitué de jeunes hommes geeks répliquant les mêmes comportements qu'au sein de leurs communautés habituelles, les mécanismes d'exclusion des minorités s'y perpétuent sans vraiment être interrogés... Manque d'intérêt pour les droits des minorités et des femmes, incompréhension des comportements ostracisants...
</p>
<p><strong>La communauté geek est-elle homogène ? N’y a-t-il en son sein que des hommes cis-hétéros faisant partie des dominants susceptibles de se sentir victimisés dès qu’on interroge leur système ?</strong></p>
<p>Ça, c'est ce qu'on aimerait bien nous faire croire... Comme les activités geeks – jeux vidéo, comics, informatique, technologie... - sont considérées comme «masculines», l'éducation genrée se fait sentir : les hommes sont parfaitement acceptés voire encouragés dans ces voies tandis que les femmes en sont découragées et/ou s'autocensurent... Donc oui, on a une disparité de genre fabriquée dans ces milieux. Cependant, le mythe qui veut que les femmes soient parfaitement absentes, ne s'y intéressent tout simplement pas est bien entendu faux et l'a toujours été ! Certains feraient bien de se rappeler que les ordinateurs sur lesquels ils aiment tant faire joujou, ils les doivent notamment à Ada Lovelace, considérée comme la première programmeuse au monde... <a href="http://25.media.tumblr.com/7ef0ed5a4ab66b46c5248daf0f9783a3/tumblr_mmr1udygyU1qks57ho2_1280.jpg"><span style="text-decoration: underline;">Ici</span></a>, une publicité de 1982 pour l'une des premières consoles de salon montre une jeune joueuse, de façon parfaitement non-genrée qui plus est (elle possède des jouets variés (batte de baseball, guitare, microscope, robot, tutu de danse...) et le marketing porte sur la bravoure. Ces photos des années 40 (<a href="http://24.media.tumblr.com/88e725a8de24ac56398802f5b97179ce/tumblr_m62vliYseo1qf1hu0o1_r1_1280.jpg"><span style="text-decoration: underline;">photo 1</span></a> et <a href="http://media.tumblr.com/5afadca91ddb58168f4b4524f13fd89e/tumblr_mgws83MTQk1rahlq2o1_500.jpg"><span style="text-decoration: underline;">photo2</span></a>) nous montrent des petites filles parmi la clientèle des comicbook stores... On peut aussi rappeler que Mario, Zelda ou plus récemment Pokémon ont d'emblée rassemblé filles et garçons derrière les manettes... Hélas, si les femmes ont toujours été là, l'adversité sexiste aussi... Cet <a href="http://www.gamasutra.com/blogs/RyanLangley/20130513/192152/"><span style="text-decoration: underline;">article de 1983</span> </a>évoque déjà les difficultés des femmes dans l'industrie du jeu vidéo, et cette <a href="http://25.media.tumblr.com/f0b20259f4c94c430a5f2569ec57cc34/tumblr_mge8td8CdL1rytg8po1_1280.jpg"><span style="text-decoration: underline;">bande-dessinée de 1998</span> </a>évoque le snobisme misogyne et le soupçon d'imposture qui pèse sur les femmes du milieu, exactement comme on le fait encore aujourd'hui !
</p>
<p><strong>Misogynie, apologie du viol, masculinisme, ça laisse songeur... N’est-ce pas un manque de contact avec la réalité, de maturité et d’éducation ?</strong></p>
<p>Je crois qu'il y a plusieurs raisons à cette cristallisation du sexisme dans des espaces spécifiques. On a d'abord l'idée que l'on se trouve dans un pré carré masculin, un petit club qui leur appartient de plein droit, où l'on est bien tranquille entre mecs décomplexés loin de toutes ces obligations sociales si contraignantes... On le voit très bien aux cris d'orfraie dès que quelqu'un soulève une objection face à un discours excluant : «Oh non, c'est l'un des derniers endroits où l'on est un peu épargné par le politiquement correct, ici !» Je rappelle que dans l'affaire du harcèlement immonde de la joueuse de Tekken en tournoi professionnel, il y a eu de nombreux gamers sur les forums pour défendre le coach sur le mode «Notre communauté est l'un des rares endroits aujourd'hui ou les mecs peuvent se relaxer, être eux-mêmes : si vous supportez pas des remarques sur votre corps, vous pouvez aller voir ailleurs».<br />Comme s'il y avait quelque chose de noble à préserver un espace ou sexisme, homophobie, racisme peuvent s'exercer librement... Des espaces conçus comme «lieux de résistance» face à l'affreux «politiquement correct». Comme si être raciste, sexiste ou homophobe avait quoi que ce soit de «politiquement incorrect», d'original ou d'irrévérencieux... alors qu'il s'agit là des idées les plus convenues et les moins osées qui soient. Le mec qui se croit malin en balançant une «blague» sexiste au milieu d'une assemblée masculine qui rit, tolère et encourage ces blagues se prend pour un esprit libre, un grand provocateur, un révolutionnaire face à ce qu'il voit comme «la tyrannie du politiquement correct» (l'exigence du respect de l'autre...) - en réalité, il ne fait guère que bêler avec la masse en répliquant toujours les mêmes schémas éculés, en ridiculisant et en ostracisant quiconque ne rentre pas dans son moule.<br />Ce mécanisme est bien sûr favorisé par l'anonymat, la distance dans les échanges qui ont lieu sur Internet. On reste dans la même logique de provoc' confortable à petit prix : c'est beaucoup plus facile de balancer «va me faire un sandwich» à une femme par écrans interposés qu'en face, évidemment... Ce qui ne veut pas dire que le sexisme n'est pas aussi allègrement pratiqué «in real life», particulièrement dans les espaces considérés comme propriété masculine encore une fois : les comportements sexistes deviennent normalisés par le milieu et le groupe. C'est ainsi que chaque convention gamer, comics... est suivie de témoignages d'incidents : harcèlement sexuel, mains baladeuses... Ça ne rate jamais. Des types qui ont le sentiment qu'ils sont chez eux et les femmes non, et qu'ils peuvent donc se permettre des choses que souvent ils ne se permettraient pas dans d'autres milieux.<br />L'idée que les femmes sont étrangères, intruses dans ces milieux est centrale : on l'a vu plus haut avec le mythe de la Fake Geek Girl, une femme ne peut pas légitimement intégrer les milieux geeks. Ça va même plus loin que ça : il rôde dans ces milieux l'idée que les femmes auraient «mérité» leur exclusion, une juste revanche en quelque sorte. D'abord à cause du mythe que les femmes s'intéresseraient seulement maintenant à ces milieux et seulement parce qu'ils sont devenus à la mode – ce qui est faux, on l'a vu, on a toujours été là malgré l'exclusion – et, encore plus fort, parce qu'il y a une tendance chez les geeks à se considérer comme «opprimés» par les femmes. Le narratif geek stéréotypique auquel une bonne partie de la communauté va s'identifier avec plus ou moi de vérité, c'est «j'étais exclu au lycée, les filles se moquaient de moi et ne voulaient pas sortir avec moi». Donc on prend sa revanche dans les milieux où on exerce le pouvoir...<br />Une dernière raison qu'on peut citer, c'est le manque d'éducation à la sociologie, aux dynamiques de privilèges et d'oppressions sociales dans des milieux qui glorifient plutôt les «sciences dures». En conséquence, on a des groupes homogènes de personnes qui sont généralement en haut de l'échelle des privilèges sociaux (hommes, cis-hétéros, blancs, bon niveau de vie et d'éducation), avec assez peu d'intérêt ou d'éducation sur les systèmes de discrimination tels qu'ils s'exercent dans notre société mais qui se rassemblent autour du narratif d'exclusion, de marginalisation, de différence subies qui forment le stéréotype du geek. Terrain très fertile pour les idées masculinistes qui viennent conforter ces narratifs...</p>
<p>
<strong>Question subsidiaire : les creeper cards suffisent-elles à changer ce monde?</strong></p>
<p>Je pense que l'intérêt des creeper cards et des initiatives similaires, c'est encore et toujours de rendre le problème visible. Les mettre à disposition c'est déjà reconnaître la fréquence des incidents, leur réalité, et quand on voit comment de nombreuses conventions rechignent à mettre en place une charte de conduite, ce n'est pas anodin. Elles fournissent une façon simple, toute faite de signaler «là, ce type de comportement est inacceptable» - ce n'est pas forcément évident à faire seul, avec ses propres moyens, face à un groupe. Les Cards, c'est le signe qu'on a des allié.es face à ces comportements, qu'on a le droit de les signaler. C'est un soutien important dans des situations où les comportements sexistes sont légitimés par le milieu et le groupe et où c'est volontiers la victime qui est mise en cause pour réagir : les Cards c'est en quelque sorte le rappel «oui, j'ai le droit de réagir, je n'ai pas à me laisser traiter comme ça». Après, bien sûr, c'est loin d'être une solution magique, leur emploi n'est pas forcément évident. Mais il y a tant à faire dans ces milieux qu'une telle initiative, ça représente un premier pas important pour le féminisme en milieux geeks. D'ailleurs les Creeper Cards ont été plutôt plébiscitées ; au départ une initiative individuelle dans le cadre d'une convention spécifique, elles ont depuis été reprises et mises en place dans un cadre plus large.</p>
Vers une théorie critique post-néolibérale
2013-05-08T12:40:38+00:00
2013-05-08T12:40:38+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/463-vers-une-theorie-critique-post-neoliberale
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/Nancy-Fraser-1.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /> </p>
<p class="MsoNormal">En pleine crise néo-libérale, les théoricien-ne-s féministes peinent à proposer une vision sociale globale. Absorbé-e-s par leur propre spécialité académique, les chercheurs et chercheuses semblent ignorer la critique de la société capitaliste et semblent déconnecté-e-s des problématiques qui la traversent actuellement. Alors que depuis les années 1990, différents mouvements sociaux tels que la Marche Mondiale des Femmes dénoncent les effets dévastateurs du capitalisme néolibéral et de la mondialisation, les penseurs et penseuses féministes restent sur le terrain culturel et identitaire délaissant la critique de l’économie politique. Le résultat est qu’aujourd’hui, les militant-e-s de base luttent avec les moyens du bord, notamment au travers des réseaux sociaux, et marginalisent institutionnels, universitaires et autres courants liés au système néolibéral et/ou dépendants de lui. Il est temps pour les théoricien-ne-s féministes de repenser la théorie de façon globale et de se réapproprier ce champ social indissociable des approches émancipatrice et égalitaire à l’origine de la deuxième vague du mouvement.</p>
<p>De subversif le féminisme est devenu massif, il se diffuse et agit dans le monde entier. Le néolibéralisme s’est lui aussi développé à grande échelle. Dans ce processus, il a instrumentalisé sans nuance certaines idées féministes, notamment la remise en question de l’Etat social paternaliste, et a muselé certaines militant-e-s en institutionnalisant les structures associatives. Comment dès lors contester le système ? Quelle indépendance, quel recul pourraient bien avoir des bureaux de l’égalité par rapport au pouvoir - qu’il soit fédéral ou cantonal ? Un exemple récent avec le Forum sur les violences domestiques organisé par le Département de la sécurité genevois, montre la faible marge de manœuvre dont dispose le Deuxième observatoire, qui s’est insurgé à juste titre contre l’intitulé et le contenu essentialistes du colloque : mordre la main qui vous nourrit peut avoir de fâcheuses conséquences et la mutinerie devra raison garder. Une lettre a certes circulé, les contestataires ont grossi les rangs du public assurant paradoxalement le succès à l’organisateur du Forum et le temps se charge déjà de lisser le non-événement. La critique féministe trouve là encore sa limite face au pouvoir dans un système libéral.</p>
<p>Ce rapport ambigu s’est instauré au fil du temps et on peut se demander si le mot «féminisme» signifie la même chose pour tout le monde. Il est d’ailleurs d’usage de l’employer au pluriel. Repenser le discours pour le reconnecter à la réalité sociale serait assez opportun en ces périodes de transformation probable de nos sociétés. La promesse de libération des femmes par l’accès au marché du travail dans un système capitaliste néolibéral a aussi servi le système lui-même. L’aspiration légitime des femmes à s’émanciper a été intégrée à la machine néolibérale : elles en constituent la main-d’œuvre de base. Et si les normes changent de nom, elles restent semblables en termes de gains, puisque le travail domestique familial est remplacé par un travail salarié précaire à temps partiel avec des horaires variables (la fameuse flexibilité de l’emploi) pour le compte d’une entreprise. C’est toujours de l’exploitation sauf que le discours théorique actuel ne le dit pas, il sous-entend au contraire qu’on y aurait gagné en émancipation… Qui s’intéresse à la pauvreté des femmes, à leurs conditions économiques aléatoires ? Pourquoi les élites féministes ne sont-elles pas force de proposition à la veille d’un bouleversement majeur ? Pourquoi la redistribution des richesses n’est-elle pas au cœur de la rhétorique ? Pourquoi ce sujet ne s’articule-t-il plus avec le discours sur la reconnaissance ?</p>
<p>Quelques voix isolées tirent la sonnette d’alarme comme celle de Nancy Fraser, philosophe étasunienne, qui travaille sans relâche à réactiver la vision transféministe intégrant les trois axes : reconnaissance / redistribution / représentation. Selon elle, la perspective d’une société post-néolibérale ouvre une brèche et donne l’opportunité aux féministes «d’infléchir la courbe des transformations en cours en direction de la justice de genre et de la justice sociale». A Genève et Lausanne, certain-e-s universitaires s’engagent à leur tour. Remettre en chantier une théorie critique féministe paraît à première vue utopique, mais les conditions du changement sont réunies et il serait alors envisageable de poser les fondements d’un projet de société véritablement plus juste.</p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal">Photo © newschool.edu, <em>Nancy Fraser</em></p>
<p> </p>
<p><img src="images/genresfeminismes/Nancy-Fraser-1.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /> </p>
<p class="MsoNormal">En pleine crise néo-libérale, les théoricien-ne-s féministes peinent à proposer une vision sociale globale. Absorbé-e-s par leur propre spécialité académique, les chercheurs et chercheuses semblent ignorer la critique de la société capitaliste et semblent déconnecté-e-s des problématiques qui la traversent actuellement. Alors que depuis les années 1990, différents mouvements sociaux tels que la Marche Mondiale des Femmes dénoncent les effets dévastateurs du capitalisme néolibéral et de la mondialisation, les penseurs et penseuses féministes restent sur le terrain culturel et identitaire délaissant la critique de l’économie politique. Le résultat est qu’aujourd’hui, les militant-e-s de base luttent avec les moyens du bord, notamment au travers des réseaux sociaux, et marginalisent institutionnels, universitaires et autres courants liés au système néolibéral et/ou dépendants de lui. Il est temps pour les théoricien-ne-s féministes de repenser la théorie de façon globale et de se réapproprier ce champ social indissociable des approches émancipatrice et égalitaire à l’origine de la deuxième vague du mouvement.</p>
<p>De subversif le féminisme est devenu massif, il se diffuse et agit dans le monde entier. Le néolibéralisme s’est lui aussi développé à grande échelle. Dans ce processus, il a instrumentalisé sans nuance certaines idées féministes, notamment la remise en question de l’Etat social paternaliste, et a muselé certaines militant-e-s en institutionnalisant les structures associatives. Comment dès lors contester le système ? Quelle indépendance, quel recul pourraient bien avoir des bureaux de l’égalité par rapport au pouvoir - qu’il soit fédéral ou cantonal ? Un exemple récent avec le Forum sur les violences domestiques organisé par le Département de la sécurité genevois, montre la faible marge de manœuvre dont dispose le Deuxième observatoire, qui s’est insurgé à juste titre contre l’intitulé et le contenu essentialistes du colloque : mordre la main qui vous nourrit peut avoir de fâcheuses conséquences et la mutinerie devra raison garder. Une lettre a certes circulé, les contestataires ont grossi les rangs du public assurant paradoxalement le succès à l’organisateur du Forum et le temps se charge déjà de lisser le non-événement. La critique féministe trouve là encore sa limite face au pouvoir dans un système libéral.</p>
<p>Ce rapport ambigu s’est instauré au fil du temps et on peut se demander si le mot «féminisme» signifie la même chose pour tout le monde. Il est d’ailleurs d’usage de l’employer au pluriel. Repenser le discours pour le reconnecter à la réalité sociale serait assez opportun en ces périodes de transformation probable de nos sociétés. La promesse de libération des femmes par l’accès au marché du travail dans un système capitaliste néolibéral a aussi servi le système lui-même. L’aspiration légitime des femmes à s’émanciper a été intégrée à la machine néolibérale : elles en constituent la main-d’œuvre de base. Et si les normes changent de nom, elles restent semblables en termes de gains, puisque le travail domestique familial est remplacé par un travail salarié précaire à temps partiel avec des horaires variables (la fameuse flexibilité de l’emploi) pour le compte d’une entreprise. C’est toujours de l’exploitation sauf que le discours théorique actuel ne le dit pas, il sous-entend au contraire qu’on y aurait gagné en émancipation… Qui s’intéresse à la pauvreté des femmes, à leurs conditions économiques aléatoires ? Pourquoi les élites féministes ne sont-elles pas force de proposition à la veille d’un bouleversement majeur ? Pourquoi la redistribution des richesses n’est-elle pas au cœur de la rhétorique ? Pourquoi ce sujet ne s’articule-t-il plus avec le discours sur la reconnaissance ?</p>
<p>Quelques voix isolées tirent la sonnette d’alarme comme celle de Nancy Fraser, philosophe étasunienne, qui travaille sans relâche à réactiver la vision transféministe intégrant les trois axes : reconnaissance / redistribution / représentation. Selon elle, la perspective d’une société post-néolibérale ouvre une brèche et donne l’opportunité aux féministes «d’infléchir la courbe des transformations en cours en direction de la justice de genre et de la justice sociale». A Genève et Lausanne, certain-e-s universitaires s’engagent à leur tour. Remettre en chantier une théorie critique féministe paraît à première vue utopique, mais les conditions du changement sont réunies et il serait alors envisageable de poser les fondements d’un projet de société véritablement plus juste.</p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal">Photo © newschool.edu, <em>Nancy Fraser</em></p>
<p> </p>
Lalla: une hétérotopie transexuée
2013-03-22T13:43:59+00:00
2013-03-22T13:43:59+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/450-lalla-une-heterotopie-transexuee
REDACTION
[email protected]
<p><!--[if gte mso 9]><xml>
<o:DocumentProperties>
<o:Template>Normal</o:Template>
<o:Revision>0</o:Revision>
<o:TotalTime>0</o:TotalTime>
<o:Pages>1</o:Pages>
<o:Words>6531</o:Words>
<o:Characters>37228</o:Characters>
<o:Lines>310</o:Lines>
<o:Paragraphs>74</o:Paragraphs>
<o:CharactersWithSpaces>45718</o:CharactersWithSpaces>
<o:Version>11.0</o:Version>
</o:DocumentProperties>
<o:OfficeDocumentSettings>
<o:AllowPNG/>
</o:OfficeDocumentSettings>
</xml><![endif]--><!--[if gte mso 9]><xml>
<w:WordDocument>
<w:Zoom>0</w:Zoom>
<w:DoNotShowRevisions/>
<w:DoNotPrintRevisions/>
<w:HyphenationZone>21</w:HyphenationZone>
<w:DisplayHorizontalDrawingGridEvery>0</w:DisplayHorizontalDrawingGridEvery>
<w:DisplayVerticalDrawingGridEvery>0</w:DisplayVerticalDrawingGridEvery>
<w:UseMarginsForDrawingGridOrigin/>
</w:WordDocument>
</xml><![endif]--> <!--StartFragment--></p>
<h1><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"> </span></h1>
<h1><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/1e04a6_528ae1ef7905e258ad47d1251e065e14.jpg_srz_314_329_75_22_0.50_1.20_0.00_jpg_srz.jpeg" border="0" width="470" style="border: 0;" /> </span></h1>
<h1><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;">Lalla nous revient pour un <em>petit entretien dissocié autour d'une hétérotopie transexuée. </em>Histoire<em> </em>de remettre en perspective quelques certitudes communautaires qui agissent comme autant de couteaux à double tranchant et de rappeler que la rencontre est préférable à l'entre-soi, aussi confortable soit-il. Lalla Kowska Régnier est actuellement l'une des rares à tenter de faire bouger des frontières rigides et son activisme nous interpelle. l'émiliE reproduit intégralement son texte paru à l'origine sur le site <a href="http://www.annamedia.org/">annamedia.org</a>.<br /></span></h1>
<h1><strong><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"> </span></strong></h1>
<h1><strong><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;">Echappées belles</span></strong></h1>
<h1><strong><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman;"><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;">Par Lalla Kowska Régnier</span></span></strong></h1>
<p> </p>
<p><em style="font-family: Helvetica; font-size: 16pt;">«Le corps social, c'est le déploiement de systèmes techniques et symboliques à partir des fonctions du corps animal. L'être humain couple les deux, l'un ne va pas sans l'autre. C'est le couplage nécessaire d'un corps animal – et alors je préfère dire corps médial parce qu'il n'est pas simplement technique et symbolique, il est aussi nécessairement écologique; alors éco-techno-symbolique. Alors c'est ça le corps médial qui se couple au corps animal pour faire un être humain. Et le corps médial est nécessairement collectif.»</em></p>
<p><a href="http://laviemanifeste.com/archives/6374" style="font-family: ArialMT; font-size: 10pt;"><span style="font-size: 16.0pt; font-family: Helvetica; color: windowtext; text-decoration: none; text-underline: none;"><em>Augustin Berque</em></span></a></p>
<p> </p>
<p><em style="font-family: Helvetica; font-size: 16pt;">«Le communisme est rapport en tant que la communauté n'est que relation. Si les communautés sont closes, c'est pour pouvoir s'ouvrir à des échanges différentiels dans un dehors de la communauté. Car il y a du dehors à la communauté, là où il n'y a que du dedans au système. Ce dehors, nous l'appelons communisme.
(…)
Les lieux de l'hétérotopie, ce sont les lieux où l'on prend soin des relations qui soignent, parce qu'elles permettent de tenir. Promesses incertaines d'actualisation hétérogène.»</em></p>
<p><a href="http://laviemanifeste.com/archives/5358" style="font-family: ArialMT; font-size: 10pt;"><span style="font-size: 16.0pt; font-family: Helvetica; color: windowtext; text-decoration: none; text-underline: none;"><em>Nicolas Zurstrassen</em></span></a></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 14.0pt; font-family: Times-Roman; color: #181a1c;"><strong><!--[if !supportEmptyParas]--></strong></span><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Bonjour Lalla Kowska, vous étiez très agacée il y a quelques mois par le mot d'ordre de l’Existrans «des papiers si je veux quand je veux», nous avons eu envie de revenir avec vous sur cet épisode.</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Bonjour, et merci de la parole.
Oui ce slogan, en plus du pied de nez à la lutte des sans papiers, a été comme un crachat aux visages de toutes celles et de tous ceux qui subissent la précarité sociale, affective, sanitaire. Précarité qui résulte de la clandestinité dans laquelle sont forcées les personnes trans en attente de changement d'état-civil. Alors que cette sous-citoyenneté accule des personnes au suicide, je trouvais ça indigne d'en faire le dildo politique d'une communauté queer qui par ailleurs exclut les personnes transsexuées.
Pour moi et dans la limite du parallèle, c'est comme si des esclaves luttaient pour leur libération, mais demandaient à leurs bourreaux de laisser les chaînes à leurs pieds en option et qui le feraient au nom de principes affranchisseurs.
Ce qui est désolant, c'est que personne n'a pu trouver l'énergie suffisante pour s'opposer à ce mot d'ordre.
Alors que de mon côté, je venais précisément d'obtenir mon changement d'état-civil, c'était difficile de ne pas se mettre en colère.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">«Précisément»?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui, car l'obtention de mon changement d'état-civil a été une véritable réparation sociale. Tout à coup, en m'extirpant de cette précarité dans laquelle j'étais du fait de papiers d'identités inadaptés, des possibles réapparaissaient.
Obtenir que mes prénoms et mon sexe social soient reconnus pour ce qu'ils sont, ceux d'une femme née garçon, a été une joie intense mais aussi un instant déroutant car je devais apprendre à ne plus me focaliser sur cette fragilité sociale, un peu comme une personne qui sort de prison se retrouve désarmée en dehors des murs de celle-ci, et j'allais devoir me confronter aux horizons.
Le «si je veux» du slogan vient d'un lieu privilégié qui ne sait pas les humiliations vécues, les ressources d'énergie à épuiser à chaque fois qu'il nous est demandé de prouver notre identité.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui, ça ne fait guère de doute. Mais en même temps on peut y voir aussi une ouverture vers de nouveaux enjeux, non ?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Je ne sais pas si les enjeux sont nouveaux, mais en tout cas voilà l'occasion de les redéfinir. Quelle est la vocation de l’Existrans ? Est-ce une marche qui permet de porter les revendications des personnes trans ou bien une marche pour la visibilité des personnes queer – en remplacement de ce qu’a tenté d’être la marche des tordus, par exemple?
Si ça peut paraître original de lutter pour le choix d'avoir des papiers ou pas - ce qui n'est pas la même revendication que de demander des papiers pour tous ou pour personne – ça ne peut pas se faire sur le dos des personnes transsexuées qui exigent de pouvoir changer d'état-civil dès qu'elles en ressentent la nécessité pour elles-mêmes. Or, même si les choses avancent un peu, c'est loin d'être le cas puisque l'arbitraire des juges règne en la matière et que leurs décisions ont encore trop souvent des effets dévastateurs dans nos vies.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Pardon d'être un peu ignorante mais qu'est ce que vous entendez par personne <em>queer</em> ?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Votre question pointe surtout une des limites du mouvement queer dans les espaces francophones. La nécessité de devoir expliquer les différents sens du mot en anglais, sa charge d'injure, le retournement opéré par les personnes insultées et le vaste outil de déconstruction qu'il est devenu en Anglosaxonie démontre que c'est un outil très sophistiqué à usage réservé à quelques lieux culturellement ou politiquement privilégiés dont on peut questionner la puissance effective ici.
Pour y répondre, et de mon point de vue qui est celui d'une blanche - l'usage et la définition de queer par des personnes racisées ne s'inscrivant pas exactement dans cette dynamique, il me semble - je dirais que ce sont les personnes qui contestent la binarité du régime homme/femme et qui prolongent la (nécessaire) dénonciation de l'essentialisation des identités sexuées, en s'inscrivant dans une intersexuation sociale, ni homme, ni femme. Ce sont des personnes qui, par exemple, vont se définir comme trans mais qui refuseront l'hormonothérapie et la chirurgie au prétexte que celles-ci sont des vecteurs d'aliénation à cette norme binaire. Les queers vont ainsi pouvoir faire fi des corps pour favoriser un entre genTEs libre de toute emprise des rapports sociaux de chair.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Mais c'est plutôt bien, l'auto-détermination, et que les gens se définissent eux-mêmes, non ?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">A première vue oui, mais je crois que malheureusement ça ne tient pas au regard de la pratique et que ça sert bien plus un certain masculinisme et une forme de néocolonialisme. Dans l'espace commun, l'auto-détermination permet surtout de rejouer des versions postmodernes des rapports d'oppression au détriment des politiques de résistance de populations dominées, comme les non-mixités par exemple. C'est très ennuyeux. Et puis il me semble que ça reste une option extrêmement galetteuse de pouvoir ainsi s'extirper de la matière sociale que constitue le corps dans sa relation avec les autres, alors que nous devons faire avec ce que nous sommes avec les autres et dans nos environnements matériels. Et nous vivons toujours dans une société sexiste, raciste, et classiste.</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Et puis, l'auto-détermination est une revendication forte des personnes transsexuées face au protocole malveillant et déresponsabilisant (de part et d'autre) des hôpitaux du service public : pouvoir dire nous-mêmes ce que nous sommes et avoir accès aux soins hormonaux et chirurgicaux sans être à la merci de la décision de médecins. Ce n'est pas exactement la même chose qu'une personne bio qui va choisir de mener une stratégie d'auto-détermination sexuo-genrée pour en finir avec la binarité des sexes. Alors oui, les politiques queer peuvent être intéressantes, mais elles se résument trop souvent à un identitarisme bâfreur qui va anesthésier si ça n'est plus la lutte des classes alors au moins la lutte des conditions.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">C'est amusant, ça me fait penser un peu à la friction entre Platon et Aristote, ce que vous développez là.</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui ? Si vous le dites, peut-être un peu, je ne sais pas trop, je n'ai pas connu vraiment. En tout cas, pour illustrer j'ai envie de paraphraser Raphaël Liogier et son musulman métaphysique et constater que la personne transsexuée de chair et d'os s'est littéralement volatilisée au profit d'un principe métaphysique, celui du sujet queer d'une subversivité occidentale indépassable.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">D'après vous, d'où vient cette appétence dont vous parliez plus haut des queers pour les trans ?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Hihi, je trouve intéressant que vous parliez d'appétence, là où vampirisme serait aussi approprié. Eh bien je crois que cette affaire prend date avec l’émergence des <em>gender theories</em> Outre-Atlantique et comment le <em>gender</em> de la langue anglaise est passé au "genre" de la langue française. Je me demande si cette traduction n'a pas été un peu hâtive au prétexte qu'elle semblait évidente. Je pense que dans cette hâte, on a fabriqué une syllepse ou un trope qui n'allait pas être sans conséquences sur les politiques féministes, les politiques trans, et plus généralement partout où la question des rapports de sexes sociaux se pose.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Carrément, vous êtes ambitieuse dites-voir !</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui, c'est pour ça qu'avant d'aller plus loin, je tiens à dire que j'ai assez conscience de là où je suis pour croire que je ne pourrais qu'être prise soigneusement. Si une des souris de Fausto-Sterling prenait la parole et demandait à éclaircir les règles du jeu, je ne suis pas certaine qu'elle soit entendue car après tout une souris, même de laboratoire et en plus féministe, qui parle, ça n'existe pas, n'est-ce-pas.</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Pour autant, je ne crois pas que ce soit vain de continuer. D'autant que je propose juste un petit pas de côté en demandant s'il n'y a pas un hic a vouloir faire coïncider de force le <em>gender</em> anglais au genre français quand ces deux-là ne couvrent pas exactement les même réalités. Un peu comme un enfant essaie de faire entrer une forme ronde dans une forme carrée de même taille.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Allons-y pour les jeux de formes.</strong></p>
<p><span style="font-size: 14pt; font-family: Times-Roman; color: #181a1c;">Alors voilà, un des plus gros apport des théories queer et féministes, qui a coïncidé avec l'émergence des mouvements trans et intersexes, est d'avoir décollé les couches sexuo-genrées, tenues jusque là pour «naturelles et normales», des individus en un échafaudage aléatoire à trois étages, ou bien un billard à trois bandes ou encore un jeu de légo à trois pièces.
</span></p>
<p><span style="font-size: 14pt; font-family: Times-Roman; color: #181a1c;">D'abord le sexe de naissance, le sexe génital. C’est mâle, femelle ou intersexe. (1)
Puis le sexe social, c’est homme ou femme (ou intersexe). C'est le sexe avec lequel on s'identifie dans et par la collectivité.
Et puis le genre, celui de la culture. C’est le masculin et le féminin (ou l'intergenre).
</span></p>
<p><span style="font-size: 14pt; font-family: Times-Roman; color: #181a1c;">Trois catégories qui fonctionnent, un peu comme les dons des trois fées de la Belle au bois dormant, de manière relativement autonome, ce qui ne signifie pas qu'ils ne vont pas pouvoir interagir entre eux. Je développerai des exemples un peu plus loin si vous le voulez bien.
Or en anglais, le <em>gender</em> est tout à la fois <em>male</em> ou <em>female, </em>mais aussi le rôle social <em>man</em> ou <em>woman</em> ou bien (mais il me semble plus rarement) l'identité de genre, <em>masculinity</em> et <em>feminity</em>.
A la question <em>What is your gender</em> ? on répondra facilement <em>male</em> ou <em>female,</em> par exemple. Cette capacité enveloppante du <em>gender</em> anglais a permis l'émergence de catégories <em>transgender</em> (et puis <em>genderqueer</em>, <em>genderfucker</em>, etc). Avec un parcours <em>female to male</em> par exemple, on s'inscrit dans une identité <em>transgender</em> les trois catégories, sexe génital, sexe social et genre ne faisant qu'un en anglais. (1bis)</span></p>
<p><span style="font-size: 14pt; font-family: Times-Roman; color: #181a1c;">En langue française, genrée et sexiste à souhait s'il faut le rappeler, genre - qui, en plus d'être un marqueur linguistique, bénéficie d'une signification supplémentaire autour des notions d'allure, ou de catégorie culturelle - ne se balade pas aussi aisément de l'une à l'autre des deux autres catégories, et se distingue même fortement du sexe social homme ou femme, le sexe biologique mâle ou femelle, lui, relevant quasi exclusivement de l'usage vétérinaire. Ainsi le <em>female to male</em> sera au mieux interprété par l'acronyme FTM, mais toujours traduit par <em>de femme à homme</em> et non par <em>de femelle à mâle</em>. On voit ainsi le processus très français de masquage du sexe biologique au profit du sexe social, qui lui-même tend de plus en plus à être englobé par le genre, de la traduction de <em>gender,</em> alors même que dans cette affaire de parcours FTM ni le féminin ni le masculin ne sont invoqués.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Wow.</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui, le trouble n'est pas que dans le genre.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Donc si je comprends bien, la syllepse consiste en cette double confusion qui fait équivaloir la question du genre avec celle du sexe social en même temps que celle des personnes <em>transgenders</em> avec celle des approches transgenres en français ?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui absolument.
Il me semble que les personnes transsexuées modulent d'abord le lien sexe anatomique/sexe social quand les personnes <em>queer</em> ou transgenre jouent de celui entre sexe social et identité de genre.
Or, je constate que même les plus matérialistes des féministes masquent, du fait de cette traduction hâtive, le sexe social par le genre, maintenant ainsi un système coercitif, certes apparemment allégé, mais toujours très efficace. Avec comme point d’achoppement et finalement, encore et toujours, le corps, cette chair sociale que d’aucuns rêvent de dématérialiser ou de renvoyer à une animalité ravalée.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">En fait, pour vous, l'enjeu aujourd'hui c'est de redéfinir ces trois catégories ?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui, et en même temps que je vous dis oui, je vois bien que vous aviez raison, c'est très prétentieux, mais je crois vraiment que si nous voulons continuer à faire des politiques féministes et trans, nous devrions prendre le temps de nous poser ces questions et peut-être se dire qu'être trans ici n'est pas tout à fait être trans Outre-Atlantique.
Aujourd'hui quand on dit féminin ou masculin, il faudrait être conscient qu'on ne qualifie pas exclusivement ce qui appartiendrait culturellement aux femmes ou ce qui appartiendrait culturellement aux hommes.
Aujourd'hui, quand on dit homme ou femme, il faudrait savoir qu'on n'implique pas nécessairement un pénis ou un vagin.
Aujourd'hui, il faudrait sûrement réinvestir les catégories femelle et mâle comme des indices valables aussi pour les être humains.
Il faudrait arrêter de dire genre quand en réalité on veut décrire les rapports sociaux de sexe. Dans cette même logique, il faudrait ne plus parler de l'identité de genre pour aborder l'agenda politique des personnes transsexuées, mais bien d'identité de sexe social.
Et ne pas douter que les approches transgenrées concernent au moins autant les personnes bios que les personnes transsexuées.</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">
Et puis les subtilités genrées du français permettent de dire des choses comme «mon pénis, puisqu'il est celui d'une femme, est un sexe de genre plutôt féminin», ou que «la chatte de mon copain est très mâle».</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">C'est donc pour ça que vous vous définissez comme une femelle trans cisgenre?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui absolument ! Enfin femelle, c'est de la provocation pour brouiller quelques pistes biologisantes et à moi-même en premier d'ailleurs.
Mais pour ma démonstration et à partir de mon expérience, je voudrais me faire écho de ce que mon imagination - ma conscience - peut narrer de mon corps - mon inconscient.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Allez-y, allez-y !</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Donc voilà, je suis née mâle parce qu'avec un pénis. J’ai été un enfant plutôt efféminé qui rêvait d'être une petite fille et qui à la moindre occasion passait des robes (ce qui ne saurait être un indice exclusif de transsexualité).
J'étais alors un garçonnet bio transgenre.
Une fois un peu pubère, j'ai pu saupoudrer ma petite histoire de désir sexuel et amoureux, celui pour des hommes.
J’étais un jeune homme bio cisgenre et homosexuel. Notez que j’aurais pu rester efféminé et devenir une folle, mais au fur et à mesure que j'entrais dans cette sorte d'exil intérieur en renonçant à être une fille, j'apprenais de mieux en mieux à être masculin (2)
.<sup> </sup>Aujourd’hui, je suis socialement une femme sur mes papiers, jugée comme telle par le pouvoir judiciaire français (réalisez que c'est quand-même un privilège des personnes bios qui n'ont pas à passer devant un tribunal pour s'entendre être validées pour qui elles sont) et certifiée féminine dans les attestations et témoignages de la collectivité, avec enfin un pénis dans ma culotte. Et puis j'aime toujours les hommes.
Je suis, je suis, je suis…</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">...une femme trans cisgenre hétérosexuelle !</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Youpie !
Notez que j’aurais pu être une femme trans butch (masculine). J’aurais alors été une femme trans transgenre. Et si mon désir avait mué aussi vers les femmes, j’aurais été bisexuelle. Ou uniquement vers les femmes, j’aurais été une gouine (fem ou butch selon mon appartenance de genre).</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oh, mais c'est le tourbillon de la vie !</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Le tourbillon de la vie, c'est la beauté fatale de Maléfice, la quatrième fée de la Belle au bois dormant, hihihihi.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Donc, vous nous expliquez que selon vous les identités transgenres ne sont pas assimilables aux parcours transsexués ?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui, je le crois. Les identités transgenrées, fluides, ne sont pas l’apanage des parcours trans, pas plus que des gays ou des lesbiennes.
Le philosophe Faysal Guelil Ryad explique par exemple très bien combien Oum Khalsoum dans son genre est transgenre (3).
Madonna aussi bien sûr, enfin elle est carrément intergenre.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Tiens, Madonna :)</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oh oh oh, mais je ne comprends pas pourquoi les gens lèvent le sourcil quand je parle de Madonna. D'ailleurs ce sont parfois les mêmes qui me reprochent à la fois de nier mon histoire pédé et d'aimer Madonna, alors que voilà très exactement un point de contact avec pas mal de gays dans le monde. Et c'est quand même rassurant que je m'enthousiasme pour Madonna, c'est une promesse de beaucoup d'autres raisons de le faire, je trouve. Et puis c'est comme ça, pour moi c'est une mystique populace de la désillusion et de la niaque, ironique et partageuse et puis c'est un puissant modèle intergenre. Vous vous souvenez quand, il y a 30 ans, elle disait être un pédé enfermé dans le corps d'une femme ? Vous avez vu le corps qu'elle s'est construit en trente ans ?
Voilà c'est tout.
Non et puis on pourrait en citer d'autres, par exemple la féminité de Rafaïel des Souffleurs, avec qui j'ai travaillé et qui m'a inspiré, et celle travestissée, du danseur François Chaignaud, qui me touche beaucoup. Pour moi, voilà des hommes bios transgenres qui nourrissent ma féminité de femme trans cisgenre.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Mais votre transition a été aussi une période d'apprentissage, non ?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui bien sûr. Notamment les premiers mois, quand on observe le regard des autres nous dévisager parce qu’on espère d’eux un signe de reconnaissance, alors qu'eux-mêmes cherchent à savoir quel genre de zèbre vous êtes. J'ai appris à ne plus chercher à mettre du sens dans ces regards-là, parce qu'ils pouvaient en avoir une infinité. J’ai alors ouvert grands mes yeux pour observer les corps et les énergies, et repérer où je pourrais trouver ma place. J'ai vu qu'il y avait assez d'hommes avec des attitudes frêles ou une voix fluette et de femmes avec des épaules larges et des poils au seins pour qu'il y ait aussi une place à mon corps s'hormonisant.</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">
Et en fait, très vite, je me suis aperçue que dans les mouvements et les gestes des corps que j'observais, une fois leurs accessoires genrés supprimés, apparaissait une sorte d'intersexuation plutôt que des caractéristiques si distinctes que ça. Ce qui m'a sauté aux yeux, c'est la volatilité de masculin et féminin et j'ai compris que finalement ça n’avait pas beaucoup de sens, en même temps que ça en donnait plein.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Comment ça?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Et bien ça remplissait les corps de sens. Ça renseigne, mais ça ne définit pas. Masculin et féminin sont des fluides flottants, qu’on peut avoir ou pas d’ailleurs et qui la plupart du temps sont intermittents, en tout cas masculin n’appartenait pas à homme et féminin à femme. Et alors j’ai eu la confirmation de ce que je ressentais jusque-là, faire ma transition ne consistait pas à me libérer d’une injonction à un sexe/genre masculin en y répondant par un autre féminin, mais bien à lâcher l’affaire du masculin et du féminin et à arriver jusqu'à moi-même, «être femme», en apprenant la patience qu'impose le rythme de la transition. En fait ça a été un premier horizon retrouvé et le moment de quitter mon exil.</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">
Et puis ce sont les autres qui alors m'ont dit ma féminité. Notamment quand j'ai recueilli les témoignages pour mon changement d’état-civil, beaucoup attestaient de ma féminité. J’ai eu l’impression d’obtenir la naturalisation féminine en même temps qu'on allait m'accorder la jouissance de mon prénom, du F et du 2. En tout cas, peut-être étais-je féminine, mais l'essentiel c'était d'être moi.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Donc on peut dire avec vous que les rapports sociaux de genre ne sont pas les rapports sociaux de sexe?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">On peut en tout cas l'envisager. J'ai l'impression qu'il y a des tensions spécifiques engendrées par le mauvais genre qui se marquent au sein d’une même catégorie de sexe social. Demandez aux folles – ou juste aux garçons sensibles - chez les hommes. Ou bien regardez le sort réservé aux femmes butch dans les magazines féminins (magazines d'éducation féminine serait plus juste).</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">
Cela dit, il faut aussi préciser si on ne veut pas tomber dans le déni de l'asymétrie, que dans nos sociétés hétéromopatriarcales, un garçon efféminé trouvera toujours des espaces où il sera valorisé en tant que tel alors qu'une femme masculine ne suscitera que du dédain.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Et dites-moi, comment est-ce que vous distingueriez alors les parcours trans ?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oh là là là, c'est comme si vous me demandiez de vous révéler les secrets de la composition de la matière noire de ce que les scientifiques appellent l'Univers ! Je n'en sais rien.
Mais d'accord, je veux bien faire une tentative.</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Je répéterai qu'être trans n'a rien à voir avec le genre. Enfin pas plus que pour les personnes bios. Il y a beaucoup de femmes trans masculines et d’hommes trans efféminés.</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Comme je l'ai dit plus haut, la dynamique transsexuée s'articule plutôt avec le sexe social, c’est-à-dire avec la manière dont notre corps, comme marqueur, récepteur, émetteur des rapports sociaux, résonne de soi aux autres. Cette mise en chair – à l'aide des technologies hormonales, de la chirurgie et de la médecine esthétique - du sexe social qui n'était pas le nôtre à la naissance rappelle que les corps «être homme» ou «être femme» s'inscrivent toujours dans des rapports sociaux de pouvoir, de désir, de puissance. Je pense que les trans racontent cette nécessité d'être reconnus comme un «être homme» ou une «être femme» intelligible dans un collectif-là à partir de ces corps-ci. Et dans ce collectif, refaire vivre de l'intime et débrouiller du désir.
Du coup, peut-être remettons-nous un peu d'utopie dans la différence homme/femme, de manière qui suscite de la joie, en y injectant quelque chose d'une égalité hétérogène dans une sorte de danse en double spirale de soi à soi puis aux autres.
Et puis ça m'est difficile de ne pas y voir une forme d'actualisation transcendantale, une modalité impérieuse, indéclinable. Un peu comme une femme musulmane qui va porter le voile, ou comme quelqu'un qui tombe sous l'émotion d'un lieu. Faire sa transition fait partie de ces moments où l’être humain n'a plus les moyens de dompter son corps à coup de volontarisme et où il va laisser le laisser agir au plein cœur de la vie, où pulsent les rencontres avec les autres et avec les natures. Je crois aussi que nos corps prenant les décisions, le reste apparaît sous un autre aspect, celui de l'imagination, celle des psychiatres des équipes hospitalières et celle des queers studyseurs visant à nous renvoyer toujours et encore à être des esprits malades ou anormaux avant d'être des existants.</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: large;">
En fait, parce que ça nous arrive dans un temps ralenti, nous créons un effet loupe sur des rouages qui chez les personnes bios apparaissent comme innés. Et qu'en laissant nos corps décider pour </span><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman;"><span style="font-size: 19px;">nous-mêmes,</span></span><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: large;"> probablement racontons-nous une animalité comme part méprisée de la construction de l'être humain.</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">
Enfin, il me semble aussi que nos transitions jouent un face à face en quelque sorte kamikaze dont le petit théâtre est en soi avec nos généalogies en renfort scénario et spectateurs. Nous n'en décidons rien, à quel âge nous les faisons, elles sont juste l’avènement de la mise en chair de nos hétérotopies singulières et de l'existence. </span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Quelle tentative :)
Si je vous suis bien, vous considérez qu'il n'y a pas de liens entre les personnes transsexuées et les personnes travesties ?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Non, je ne dirais pas exactement les choses comme ça. Mais oui, je trouve que là encore on va un peu trop vite quand on cherche à maintenir coûte que coûte un continuum trans/trav.</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">D'abord, je pense que le continent travesti est assez vaste pour qu'on mérite de s'y attarder sans besoin d'avoir recours aux transsexualités. Il y a une multitude de façons de vivre le travestissement, en lien ou pas avec un jeu sexuel, en en faisant ou pas un geste politique, ludique, de manière privée ou publique, collective ou isolée.</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Et oui, il y a des personnes travesties qui sont amenées à faire leur transition, et alors à tisser un lieu commun qui va rejoindre le temps de la transition.</span></p>
<p><span style="font-size: 14.0pt; font-family: Times-Roman; color: #181a1c;">Mais j'aime bien rappeler que les personnes transsexuées peuvent aussi se travestir – se coller quelques poils à la moustache ou se perruquer, par exemple.</span><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;">
</span><span style="font-size: 14.0pt; font-family: Times-Roman; color: #181a1c;">Et puis il y aurait aussi à dire sur la complicité de certaines personnes travesties avec un hétéromosexisme libidineux dont on peut être en tant que femme trans hétéra, témoin et participante involontaire, par exemple sur les sites de cul où on vous assigne à la catégorie «trans/trav». Imaginez les conséquences dans l'imaginaire des mecs qui fréquentent ces sites, et sur nos vies amoureuses. D'ailleurs, je crois que voilà un autre espace commun – et il est à explorer aussi – avec certaines personnes travesties : la géographie désirante des garçons souvent les plus enclins à correspondre à un modèle hyper viriliste (du flic au voyou).</span><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;">
</span><span style="font-size: 14.0pt; font-family: Times-Roman; color: #181a1c;">Mais je crois qu'on a à gagner à se détacher les unes des autres.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Mais pourtant il existe une communauté transsexuelle, transgenre et travestie très forte en Amérique du Sud ?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Ah super, merci de me donner l'occasion de rappeler que je ne crois plus une seconde à une quelconque forme d'universalité. Et donc pas plus au caractère universel, de mon point de vue. Je suis une petite sorcière qui puise sa foi aux fins fonds des plurivers, et puis je me méfie de toutes les formes d'orientalisme et de l'argument d'autorité du «oui mais là-bas, il y aurait du mieux vrai» qui empêcherait de penser le ici et le maintenant.
Mais vous avez raison. C'est une communauté particulièrement discriminée qui est aussi présente dans nos villes, immigrée et sans papiers, et qui doit faire face à une violence policière incessante, pour qui souvent la seule source de revenus est le travail du sexe. De fait, pour pouvoir satisfaire à la demande des clients (activité pénétrante) et donc pour des raisons économiques, il y a une véritable défiance vis-à-vis des hormones (et à raison selon mon expérience), leurs corps étant femellisés à l'aide d'injections de silicone aussi virtuoses que dangereuses. Beaucoup de ces personnes se définissent elles-mêmes comme travesties ou même comme gays. Je crois que c'est dans l'absence d'hormonisation qu'il faut peut-être comprendre cette détermination au masculin.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Vous voulez bien en dire un peu plus ?</strong></p>
<p><span style="font-size: 14.0pt; font-family: Times-Roman; color: #181a1c;">Eh bien, c'est juste de constater que l'hormonopathie n'est pas exactement l'équivalent du port d'un vêtement. Celle-ci va aussi modifier les alchimies génitalo-libidnieuses. Pour les femmes transsexuées non opérées - en tout cas pour moi et quelques copines au moins - l'érection, l'excitabilité, les lieux de sensation, l'éjaculation, l'orgasme se sont nettement déplacés depuis qu'ils ne sont plus sous le régime de la testostérone. Et je peux témoigner que la demande précise et régulière des clients des personnes trans travailleuses du sexe (une érection forte, une aptitude à pénétrer et à garantir l’éjaculat) devient très difficile à satisfaire.
Je ne dis pas que ce nouvel agencement plaisir/désir fait de moi une femme n'est-ce-pas, mais que peut-être c'est dans la crainte de cet embrayage-là que s'explique un peu pourquoi les communautés de travailleuses du sexe s'identifient d'abord aux personnes travesties et aux gays.
D'ailleurs pense-t-on aux ressources à proposer à celles qui ressentent la nécessité de s'hormoniser, sachant que ce geste va signifier le tarissement de leurs revenus issus du travail du sexe ?</span><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;">
</span></p>
<p><span style="font-size: 14pt; font-family: Times-Roman; color: #181a1c;">Et puis pour rajouter quelques mots sur les hormones stéroïdes - qui fonctionnent selon moi comme les fétiches dont parle Xavier Papaïs (4), objets/sujets qui vont dedans et dehors modeler une intra/inter/subjectivité organique viable - leurs effets sont nombreux du corps calleux au squelette en passant par le foie et les artères, avec à chaque fois des effets singuliers pour chaque organisme récepteur. Savez-vous par exemple que depuis le début de mon hormonopathie, j'ai grandi d'un centimètre ? (5)
En tout cas si je ne suis pas si sûre que ça d'avoir un lien avec les personnes travesties, il me semble que celui-ci ne serait pas plus privilégié que celui existant avec une femme non trans qui s'inscrirait dans une hyper-féminité par exemple. Et puis j'ai l'impression que c'est compliqué de vouloir maintenir ce lien quand en même temps on dénonce l'humiliation que constituent les «tests de vie réelle» imposés par les médecins maltraitants. Un lien qui d'une certaine façon fait perdurer les catégories pathologisantes du XIXème siècle. Comme «LGBT» d'ailleurs.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Pour vous LGBT reste un problème donc.</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui un problème surtout pour les LGBT (ou transpédégouine) plus que le mien. Ça doit être épuisant ces efforts permanents des unes lesbiennes, des autres trans et des tiers bis pour rappeler aux gays qu'ils en sont.
«LGBT» perpétue donc les catégories pathologisantes, mais intègre aussi, et neutralise, les différences au lieu de permettre leurs rencontres !
Je ne reviens pas sur le mensonge sous-jacent qui fait croire que trans serait une orientation sexuelle, ni sur son corollaire, l'invisibilisation des personnes trans hétéros, pas non plus sur l'assignation à une sexualité «originelle» qu'implique «LGBT».
Mais je dirais bien que ces derniers temps, ça a été assez intéressant de constater que ceux qui formulaient des critiques bienvenues contre l'homonationalisme et le gayisme s'accommodaient si bien de «LGBT». Une incohérence idoine à disqualifier ces même critiques.
Intéressant aussi de constater l'incapacité de certains minorisés à admettre qu'ils peuvent avoir accès à des lieux de privilèges : comment un homme gay va nier ses privilèges de mec, comment une femme indigène hétérosexuelle ne va pas admettre les privilèges que lui confère son hétérosexualité. C'est la même mécanique que l'on connaît bien chez les féministes blanches que l'on retrouve alors. Chacun convaincu que le fait d'être ségrégué ici ne lui permet pas de jouir de certains privilèges là.
Et puis il y a un autre écueil à «LGBT», c'est celui qui voudrait faire croire que chacun des L des G des B des T serait l'égal de l'autre, comme si à l'intérieur de ce système, il n'y avait pas de sexisme, pas de lesbophobie, pas de bi ou de transphobie. Pas de racisme ou de classisme, comme si tous les «LGBT» étaient féministes ou comme si les lesbiennes ne pouvaient plus l'être. Là encore, il suffit juste de voir les instances porte-paroles, hommes, bios, blanches, pour en tirer des conclusions.
Mais vous savez, la contestation de «LGBT» trouve de plus en plus d'échos, par exemple avec cette proposition de thérapeutes londoniens de l'association Pink Therapy qui proposent de remplacer LGBT par SGD pour «Sex and Gender Diversity», ce qui est plutôt prometteur. (6)</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Vous savez que vous allez encore crisper.</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui oh... Mais vous savez, il y a des gens qui sont persuadés que je veux casser leurs jouets quand j'exprime mon point de vue, mais non, la vérité c'est que moi aussi je veux jouer, je suggère juste qu'on redéfinisse plus précisément les règles du jeu.</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Et puis, je crois qu'il serait chouette d'admettre quelque chose d'assez simple : la force subversive n'est pas due à aller puiser du côté des personnes trans qui ne demandent qu'à être banalement en vie, d'une banalité anomale certes, mais qui souhaitent juste être reconnues et respectées pour ce qu'elles sont, des hommes et des femmes avec un parcours singulier. Non, la subversion est bien du côté des <em>gender fucker</em>, <em>cross dresser</em>, ou <em>queer gender,</em> etc. Je ne comprends pas l'insistance et l'intérêt des queers à être reconnu en tant que trans, jusqu'à venir porter leurs revendications dans nos espaces de lutte.</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Et puis on a le droit de se chercher, de se questionner, de revenir sur ses pas, mais il ne faut pas que tout ce foisonnement se fasse au détriment de nos combats. En vrai ,c'est ni cool ni subversif d'être trans, et ça ne devrait plus être compliqué, c'est juste une malédiction qui nécessite de trouver un peu de soin.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">C'est plutôt l'opposition subversif/normatif qui vous gêne, non ?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Mais bon sang, parce qu'il ne s'agit pas d'être subversif ou normatif, quand on est trans, il s'agit d'être soi. C'est un peu comme quand j'entends parler de «passing politique» (déjà le passing, quel mot dégoûtant avec une histoire raciste), voilà c'est une vision bio transphobe visant à injecter de la «vérité» là où il y a de la vie!
Ou encore quand on nous parle de «visibilité trans» en opposition au placard dans lequel certains d'entre nous serions. Quel placard puisque nous sommes en permanence outés avec plus ou moins de bienveillance, plus ou trop de malveillance? C'est vraiment ne pas connaître les réalités de nos vies. Et puis, franchement, qui cherche à être subversif aujourd'hui ? Pardon, mais c'est un souci d'homme blanc bio hétérosexuel comme Eric Zemmour, Brice Couturier ou les représentants de la droite décomplexée ça.
Non, il faut en finir avec les sortilèges de la culpabilité qui nous obligent à devoir toujours répondre positivement aux assignations que les bios nous réservent : aliénés ou révolutionnaires, modèles ou traîtres.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Et alors justement, quel sort réservez vous à l'aporie nature/culture?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Vous savez, c'est une aporie pour qui veut bien que ça le soit. Pour moi, mais c'est peut-être uniquement parce que j'ai la foi, je suis convaincue que ce duo ne fait qu'un dans un mouvement permanent de rencontre et de fabrication de l'une à l'autre, une rencontre qui change tout ce qu'elle touche et qui est changée par tout ce qu'elle a touché.
Je crois que les défis politiques d'aujourd'hui sont de pointer qui fait vivre ces comptages à deux temps et pour les mettre au service de quelle idéologie dominante.
Pour moi, l'enjeu c'est de désessentialiser les identités et de resocialiser les corps, les chairs.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Mais du coup vous contestez aussi, avec les queers, la binarité des genres ! </strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Ah non, pas du tout. Ce que je conteste, c'est la hiérarchie entre les genres et les sexes sociaux, pas les différences, des différences qui sont d'ailleurs tellement fragiles qu'il faut passer son temps à les refaire vivre. Non je trouve que contester la «binarité» suppose là encore qu'ils seraient équivalents et qu'on fasse l'économie de leur asymétrie. Non, il s'agirait plutôt de faire vivre les multitudes des différences.
Pour moi, il s'agit à la fois de résister aux rappels à l'ordre des tenants d'un régime totalitaire et «essentialiste» sur ce que serait une femme et ce que serait un homme mais aussi d'être attentif à celles et ceux qui pointent qu'”être homme” et “être femme” ne saurait être déconstruit dans un indifférencié universel.
Honnêtement si on réalise ce qu'a signifié mon changement d'état-civil, c'est-à-dire qu'une magistrate a jugé que mon pénis était bien celui d'une femme, entre la transphobie des «manifestants pour tous» qui dénoncent la théorie du <em>gender</em> (vous avez noté qu'ils disent <em>gender</em> ?) et ceux qui veulent détruire le genre, je ne vois que la place pour le bûcher sur lequel ils voudraient tous me voir brûler.
Encore une fois la question n'est pas la norme ou la subversion, mais d'admettre que la chose puisse être ordinaire.
Ce qui, malgré la bienveillance de quelques médecins de ville et de certains juges, est une tâche compliquée compte tenu de la maltraitance des protocoles mis en place par les équipes hospitalières et de l'absence totale de structures de prise en charge, de soins et d'accompagnement organisées en dehors de ces équipes du service public.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Faire sa transition reste un parcours du combattant ?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oh oui, une des caractéristique du protocole malveillant des équipes hospitalières du service public français c'est de retarder nos transitions autant qu'ils le peuvent pour mieux s'en laver les mains. En nous empêchant l'accès à l'hormonopathie (alors que je suis convaincue que c'est le meilleur moyen pour savoir si une personne est dans une dynamique transsexuée) en cherchant à tout prix à nous déresponsabiliser au lieu d'appliquer un principe aussi simple que celui du consentement éclairé, en influençant via un monopole scandaleux les décisions des juges qui vont statuer sur nos états-civils et les cadres de la sécurité sociale qui vont décider de nos prises en charge, en maintenant une offre de techniques chirurgicales qui se limitent encore trop à des actes de boucherie, les médecins de ces équipes du service public font de nos transitions le seul projet de vie auquel nous dédier, au détriment de tous les autres auxquels nous devrions penser : le maintien ou l'accès à l'emploi, à l'hébergement, les relations familiales, les relations affectives et sexuelles, des éléments d'une vie qu'une transition fragilise.
D'autant que si le temps de la transition doit être vécu pour ce qu'il est, un moment de réalisation magique de soi, un temps précieux et dense, il faut aussi admettre qu'il ne saurait révolutionner la collectivité.
Parce que nous devons nous battre pour être nous-mêmes, nous mettre en danger et subir la précarisation liée à nos parcours, nous pouvons nous retrouver, une fois celui-ci mené, face à de la vie nue. Je pense que les médecins du protocole du service public sont responsables du suicide de ces femmes qui une fois leur vaginoplastie effectuée se retrouvent dans une situation de désarroi, pas parce qu'elles regretteraient, mais parce que la seule chose qui leur semble désormais possible, au vu de cette puissance maltraitée, c'est de mourir leur vie. Puissent-elles être en paix.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Amen.</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Amen.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Vous pensez qu'il faut continuer à exiger la dépsychiatrisation?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Il y a une avancée avec le tout récent DSM V. Il faut rappeler que les transidentités étaient jusque là classées dans l'axe 1 des maladies mentales du DSM IV, c'est-à-dire comme un trouble clinique à éradiquer (un peu comme si on considérait que les roux devaient être traités contre leur rousseur), et c'est important de le rappeler tant ça éclaire sur les pratiques des médecins du service public. Il semblerait que dans le DSM V, les parcours trans sortent de l'axe 1 et ne soient plus exactement un trouble mental, mais relèveraient désormais d'une «incongruence du sexe social». Ça semble une bonne chose car ça ouvre des failles pour en finir avec la brutalité des protocoles hospitaliers.
Pour autant, ce n'est pas les politiques qui pourront décider de la sortie des transidentités des manuels de psychiatrie, mais ils peuvent très activement y participer. Légiférer sur la simplification du changement d'état-civil - qui implique l'arrêt des expertises humiliantes et de l'obligation d'opérations non désirées ; permettre le choix des médecins et des chirurgiens, même à l'étranger, pour la qualité de leur savoir-faire sans chantage au non-remboursement ; mettre fin (comme avait tenté de le faire assez courageusement Roselyne Bachelot) au monopole de la sofect (les médecins maltraitants des équipes hospitalières dans les hôpitaux du service public) ; garantir un accueil respectueux des personnes trans en attente de changement d'état-civil dans tous les organismes de service public (de la poste à l’hôpital en passant par les impôts ou les bureaux de vote) ; sensibiliser les médecins du travail ; permettre l'accès à des formations professionnelles pour les personnes trans exclues du monde du travail ; favoriser l'accueil, l'écoute, l'orientation et la prévention de toutes les personnes qui se questionnent en renforçant les moyens et la mission du planning familial, voilà des objectifs que les associations montrent depuis un bon moment déjà.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Vous croyez à une communauté trans?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Non. Enfin si, je crois que la communauté trans est d'abord celle des personnes qui entament et sont en cours de transition.
Je crois qu'après, il y a des diasporas en devenir. Et puis je crois surtout aux communautés affinitaires, trans ou pas, qui prennent forme et se défont à la lumière de nos intersectionnalités respectives.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Vous considérez avoir terminé votre transition ?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Ah ben oui, bien sûr. Je peux même dire que la fin de ma transition a été jalonnée de plusieurs étapes. Ma rhinoplastie par exemple, où quand j'ai réalisé que le soutien-gorge c'était surtout une contrainte, et puis l'obtention de mes papiers évidemment. Mais il y a eu aussi le moment où un mec, mignon, a ralenti à l'arrêt du bus que j'attendais pour me draguer et que ça m'a saoulée. Là je me suis dit que si je n'avais plus besoin d'être reconnue par le désir des mecs, même mignons, et qu'en plus je trouvais ça chiant qu'ils se sentent autorisés à l'exprimer dans l'espace public en présupposant que j'étais là pour y répondre, alors oui ma transition est terminée.
Non, ce qui ne se terminera pas, c'est l'expérience de l'exclusion de la communauté citoyenne. D'ailleurs ça serait mensonger de faire croire qu'une fois obtenu le changement d'état-civil, on se retrouve aptes à la consommation ou au salariat. Je crois pas être de sitôt un modèle d'intégration sociale telle que nos sociétés capitalistes l'envisagent. En fait, ça me rend plutôt libre et heureuse de ne pas pouvoir consommer consommer consommer consommer. Et je dois avouer qu'au fond de moi je ne suis pas si certaine que ça d'avoir envie de quitter les registres de la folie.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Vous savez, vous avez dit beaucoup de choses.</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">… sans être rémunérée ? Ou sans être étudiante à l'EHESS ou doctorante sur le genre? Oui, je sais, mais c'est ainsi.
Je vous l'ai dit, je ne tiens plus tant que ça à garder raison maintenant que c'est écrit. Et puis quand je vois la liste de chercheuses et théoriciennes de renom se demander toutes en même temps "Comment s'en sortir ?" (7), je crois que ma condition est effectivement enviable.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Et vous ne trouvez pas ça bizarre une interview de vous par vous?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui c'est pénible, mais il fallait bien que quelqu'un s'y colle, non?</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui, c'est vrai. Je peux vous demander si vous avez des projets?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui ! Je vais jouer dans un long métrage, une sorte de satire féministe et anti-capitaliste qui se déroule dans l'univers des it girls de New York et Hollywood. Je vais interpréter Chloé Sévigny. C'est écrit par Bret Easton Ellis, produit par Cronenberg et il sera réalisé par Jacques Rivette. Que des mecs. Mais j'ai vraiment hâte de tourner avec Rivette et de savoir qui seront les autres comédiennes, parce qu'on parle de Marina Abramovic et de Madonna. Ce qui me fait un peu peur vu qu'elle est aussi bonne comédienne qu'analyste politique, mais au moins j'ai des chances de la rencontrer !
Et puis j'espère adopter une chatte bientôt, j'ai repéré une race thaïlandaise, mais je trouve plus démocratique de la laisser venir vers moi, je lui laisse donc le temps de se décider.</span></p>
<p><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Times-Roman; color: #181a1c;">(1) Il faut dire que les personnes intersexes sont encore trop souvent dès la naissance soumises à l'arbitraire des médecins dont la seule préoccupation est de préserver une prétendue naturalité à l'hétérosexuation et qui parfois, sans même consulter les parents, opèrent le nouveau-né sans lui laisser la moindre chance de décider pour lui-même quand il sera prêt à le faire, s'il souhaite être un garçon, une fille ou préserver son identité intersexuée.
C'est la même idéologisation de la «nature» par les scientifiques qui anime les médecins de nos protocoles hospitaliers.</span><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;">
</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 13pt;">(1bis) http://tornamiadir.tumblr.com/post/34712204354</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 13pt;">
(2) Mais je crois que la chose est plus nuancée que cela. Je n’étais pas, moi Lalla Kowska, cette construction, c’est Jean Christian qui l’était, et qui a fait tout ce qu’il a pu pour la maintenir hissée haut autant que possible. Et là encore il faut rajouter qu'il se peut que JC soit encore un peu moi ou qu'en tout cas nous ayons tous les deux des organes en commun. Peut-être serait-il intéressant d'interroger cette histoire en puisant dans celle, inversée, de l'émigration et de l'immigration, comme une sorte de «double présence» en miroir à «La double absence» d'Abdelmaelk Sayad.
</span><a href="http://lmsi.net/Tout-en-elle-devient-amour" style="font-family: Times-Roman; font-size: 13pt;"><span style="color: #0006ee; text-decoration: none; text-underline: none;">
(3) http://lmsi.net/Tout-en-elle-devient-amour</span></a><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 13pt;">
(4) </span><a href="http://vimeo.com/41236847" style="font-family: Times-Roman; font-size: 13pt;"><span style="color: #0006ee; text-decoration: none; text-underline: none;">http://vimeo.com/41236847</span></a><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 13pt;">
(5) Autant de métamorphoses qu'un usage queer des hormones, ludique et occasionnel, ne permet pas d'appréhender.
(6) </span><a href="http://www.huffingtonpost.com/2013/02/25/gender-and-sexual-diversities-gsd-lgbt-label-_n_2758908.html?ir=gay-voices&utm_campaign=022513&utm_medium=email&utm_source=Alert-gay-voices&utm_content=FullStory" style="font-family: Times-Roman; font-size: 13pt;"><span style="color: #0006ee; text-decoration: none; text-underline: none;">http://www.huffingtonpost.com/2013/02/25/gender-and-sexual-diversities-gsd-lgbt-label-_n_2758908.html?ir=gay-voices&utm_campaign=022513&utm_medium=email&utm_source=Alert-gay-voices&utm_content=FullStory</span></a><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 13pt;">
(7) </span><a href="http://commentsensortir.org/comites/" style="font-family: Times-Roman; font-size: 13pt;"><span style="color: #0006ee; text-decoration: none; text-underline: none;">http://commentsensortir.org/comites/</span></a></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--></span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><!--[if !supportEmptyParas]-->© <a href="http://www.annamedia.org/">www.annamedia.org</a></span></p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"> <!--[endif]--></span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--></span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--></span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--></span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--></span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--></span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"> </span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--></span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--></span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 14.0pt; font-family: Times-Roman; color: #181a1c;"><strong> </strong></span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--></span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"> </span></span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--></span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--></span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--></span></p>
<p> </p>
<p><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--></p>
<p><!--EndFragment--></p>
<p><!--[if gte mso 9]><xml>
<o:DocumentProperties>
<o:Template>Normal</o:Template>
<o:Revision>0</o:Revision>
<o:TotalTime>0</o:TotalTime>
<o:Pages>1</o:Pages>
<o:Words>6531</o:Words>
<o:Characters>37228</o:Characters>
<o:Lines>310</o:Lines>
<o:Paragraphs>74</o:Paragraphs>
<o:CharactersWithSpaces>45718</o:CharactersWithSpaces>
<o:Version>11.0</o:Version>
</o:DocumentProperties>
<o:OfficeDocumentSettings>
<o:AllowPNG/>
</o:OfficeDocumentSettings>
</xml><![endif]--><!--[if gte mso 9]><xml>
<w:WordDocument>
<w:Zoom>0</w:Zoom>
<w:DoNotShowRevisions/>
<w:DoNotPrintRevisions/>
<w:HyphenationZone>21</w:HyphenationZone>
<w:DisplayHorizontalDrawingGridEvery>0</w:DisplayHorizontalDrawingGridEvery>
<w:DisplayVerticalDrawingGridEvery>0</w:DisplayVerticalDrawingGridEvery>
<w:UseMarginsForDrawingGridOrigin/>
</w:WordDocument>
</xml><![endif]--> <!--StartFragment--></p>
<h1><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"> </span></h1>
<h1><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><img src="images/genresfeminismes/1e04a6_528ae1ef7905e258ad47d1251e065e14.jpg_srz_314_329_75_22_0.50_1.20_0.00_jpg_srz.jpeg" border="0" width="470" style="border: 0;" /> </span></h1>
<h1><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;">Lalla nous revient pour un <em>petit entretien dissocié autour d'une hétérotopie transexuée. </em>Histoire<em> </em>de remettre en perspective quelques certitudes communautaires qui agissent comme autant de couteaux à double tranchant et de rappeler que la rencontre est préférable à l'entre-soi, aussi confortable soit-il. Lalla Kowska Régnier est actuellement l'une des rares à tenter de faire bouger des frontières rigides et son activisme nous interpelle. l'émiliE reproduit intégralement son texte paru à l'origine sur le site <a href="http://www.annamedia.org/">annamedia.org</a>.<br /></span></h1>
<h1><strong><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"> </span></strong></h1>
<h1><strong><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;">Echappées belles</span></strong></h1>
<h1><strong><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman;"><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;">Par Lalla Kowska Régnier</span></span></strong></h1>
<p> </p>
<p><em style="font-family: Helvetica; font-size: 16pt;">«Le corps social, c'est le déploiement de systèmes techniques et symboliques à partir des fonctions du corps animal. L'être humain couple les deux, l'un ne va pas sans l'autre. C'est le couplage nécessaire d'un corps animal – et alors je préfère dire corps médial parce qu'il n'est pas simplement technique et symbolique, il est aussi nécessairement écologique; alors éco-techno-symbolique. Alors c'est ça le corps médial qui se couple au corps animal pour faire un être humain. Et le corps médial est nécessairement collectif.»</em></p>
<p><a href="http://laviemanifeste.com/archives/6374" style="font-family: ArialMT; font-size: 10pt;"><span style="font-size: 16.0pt; font-family: Helvetica; color: windowtext; text-decoration: none; text-underline: none;"><em>Augustin Berque</em></span></a></p>
<p> </p>
<p><em style="font-family: Helvetica; font-size: 16pt;">«Le communisme est rapport en tant que la communauté n'est que relation. Si les communautés sont closes, c'est pour pouvoir s'ouvrir à des échanges différentiels dans un dehors de la communauté. Car il y a du dehors à la communauté, là où il n'y a que du dedans au système. Ce dehors, nous l'appelons communisme.
(…)
Les lieux de l'hétérotopie, ce sont les lieux où l'on prend soin des relations qui soignent, parce qu'elles permettent de tenir. Promesses incertaines d'actualisation hétérogène.»</em></p>
<p><a href="http://laviemanifeste.com/archives/5358" style="font-family: ArialMT; font-size: 10pt;"><span style="font-size: 16.0pt; font-family: Helvetica; color: windowtext; text-decoration: none; text-underline: none;"><em>Nicolas Zurstrassen</em></span></a></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 14.0pt; font-family: Times-Roman; color: #181a1c;"><strong><!--[if !supportEmptyParas]--></strong></span><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Bonjour Lalla Kowska, vous étiez très agacée il y a quelques mois par le mot d'ordre de l’Existrans «des papiers si je veux quand je veux», nous avons eu envie de revenir avec vous sur cet épisode.</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Bonjour, et merci de la parole.
Oui ce slogan, en plus du pied de nez à la lutte des sans papiers, a été comme un crachat aux visages de toutes celles et de tous ceux qui subissent la précarité sociale, affective, sanitaire. Précarité qui résulte de la clandestinité dans laquelle sont forcées les personnes trans en attente de changement d'état-civil. Alors que cette sous-citoyenneté accule des personnes au suicide, je trouvais ça indigne d'en faire le dildo politique d'une communauté queer qui par ailleurs exclut les personnes transsexuées.
Pour moi et dans la limite du parallèle, c'est comme si des esclaves luttaient pour leur libération, mais demandaient à leurs bourreaux de laisser les chaînes à leurs pieds en option et qui le feraient au nom de principes affranchisseurs.
Ce qui est désolant, c'est que personne n'a pu trouver l'énergie suffisante pour s'opposer à ce mot d'ordre.
Alors que de mon côté, je venais précisément d'obtenir mon changement d'état-civil, c'était difficile de ne pas se mettre en colère.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">«Précisément»?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui, car l'obtention de mon changement d'état-civil a été une véritable réparation sociale. Tout à coup, en m'extirpant de cette précarité dans laquelle j'étais du fait de papiers d'identités inadaptés, des possibles réapparaissaient.
Obtenir que mes prénoms et mon sexe social soient reconnus pour ce qu'ils sont, ceux d'une femme née garçon, a été une joie intense mais aussi un instant déroutant car je devais apprendre à ne plus me focaliser sur cette fragilité sociale, un peu comme une personne qui sort de prison se retrouve désarmée en dehors des murs de celle-ci, et j'allais devoir me confronter aux horizons.
Le «si je veux» du slogan vient d'un lieu privilégié qui ne sait pas les humiliations vécues, les ressources d'énergie à épuiser à chaque fois qu'il nous est demandé de prouver notre identité.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui, ça ne fait guère de doute. Mais en même temps on peut y voir aussi une ouverture vers de nouveaux enjeux, non ?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Je ne sais pas si les enjeux sont nouveaux, mais en tout cas voilà l'occasion de les redéfinir. Quelle est la vocation de l’Existrans ? Est-ce une marche qui permet de porter les revendications des personnes trans ou bien une marche pour la visibilité des personnes queer – en remplacement de ce qu’a tenté d’être la marche des tordus, par exemple?
Si ça peut paraître original de lutter pour le choix d'avoir des papiers ou pas - ce qui n'est pas la même revendication que de demander des papiers pour tous ou pour personne – ça ne peut pas se faire sur le dos des personnes transsexuées qui exigent de pouvoir changer d'état-civil dès qu'elles en ressentent la nécessité pour elles-mêmes. Or, même si les choses avancent un peu, c'est loin d'être le cas puisque l'arbitraire des juges règne en la matière et que leurs décisions ont encore trop souvent des effets dévastateurs dans nos vies.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Pardon d'être un peu ignorante mais qu'est ce que vous entendez par personne <em>queer</em> ?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Votre question pointe surtout une des limites du mouvement queer dans les espaces francophones. La nécessité de devoir expliquer les différents sens du mot en anglais, sa charge d'injure, le retournement opéré par les personnes insultées et le vaste outil de déconstruction qu'il est devenu en Anglosaxonie démontre que c'est un outil très sophistiqué à usage réservé à quelques lieux culturellement ou politiquement privilégiés dont on peut questionner la puissance effective ici.
Pour y répondre, et de mon point de vue qui est celui d'une blanche - l'usage et la définition de queer par des personnes racisées ne s'inscrivant pas exactement dans cette dynamique, il me semble - je dirais que ce sont les personnes qui contestent la binarité du régime homme/femme et qui prolongent la (nécessaire) dénonciation de l'essentialisation des identités sexuées, en s'inscrivant dans une intersexuation sociale, ni homme, ni femme. Ce sont des personnes qui, par exemple, vont se définir comme trans mais qui refuseront l'hormonothérapie et la chirurgie au prétexte que celles-ci sont des vecteurs d'aliénation à cette norme binaire. Les queers vont ainsi pouvoir faire fi des corps pour favoriser un entre genTEs libre de toute emprise des rapports sociaux de chair.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Mais c'est plutôt bien, l'auto-détermination, et que les gens se définissent eux-mêmes, non ?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">A première vue oui, mais je crois que malheureusement ça ne tient pas au regard de la pratique et que ça sert bien plus un certain masculinisme et une forme de néocolonialisme. Dans l'espace commun, l'auto-détermination permet surtout de rejouer des versions postmodernes des rapports d'oppression au détriment des politiques de résistance de populations dominées, comme les non-mixités par exemple. C'est très ennuyeux. Et puis il me semble que ça reste une option extrêmement galetteuse de pouvoir ainsi s'extirper de la matière sociale que constitue le corps dans sa relation avec les autres, alors que nous devons faire avec ce que nous sommes avec les autres et dans nos environnements matériels. Et nous vivons toujours dans une société sexiste, raciste, et classiste.</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Et puis, l'auto-détermination est une revendication forte des personnes transsexuées face au protocole malveillant et déresponsabilisant (de part et d'autre) des hôpitaux du service public : pouvoir dire nous-mêmes ce que nous sommes et avoir accès aux soins hormonaux et chirurgicaux sans être à la merci de la décision de médecins. Ce n'est pas exactement la même chose qu'une personne bio qui va choisir de mener une stratégie d'auto-détermination sexuo-genrée pour en finir avec la binarité des sexes. Alors oui, les politiques queer peuvent être intéressantes, mais elles se résument trop souvent à un identitarisme bâfreur qui va anesthésier si ça n'est plus la lutte des classes alors au moins la lutte des conditions.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">C'est amusant, ça me fait penser un peu à la friction entre Platon et Aristote, ce que vous développez là.</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui ? Si vous le dites, peut-être un peu, je ne sais pas trop, je n'ai pas connu vraiment. En tout cas, pour illustrer j'ai envie de paraphraser Raphaël Liogier et son musulman métaphysique et constater que la personne transsexuée de chair et d'os s'est littéralement volatilisée au profit d'un principe métaphysique, celui du sujet queer d'une subversivité occidentale indépassable.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">D'après vous, d'où vient cette appétence dont vous parliez plus haut des queers pour les trans ?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Hihi, je trouve intéressant que vous parliez d'appétence, là où vampirisme serait aussi approprié. Eh bien je crois que cette affaire prend date avec l’émergence des <em>gender theories</em> Outre-Atlantique et comment le <em>gender</em> de la langue anglaise est passé au "genre" de la langue française. Je me demande si cette traduction n'a pas été un peu hâtive au prétexte qu'elle semblait évidente. Je pense que dans cette hâte, on a fabriqué une syllepse ou un trope qui n'allait pas être sans conséquences sur les politiques féministes, les politiques trans, et plus généralement partout où la question des rapports de sexes sociaux se pose.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Carrément, vous êtes ambitieuse dites-voir !</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui, c'est pour ça qu'avant d'aller plus loin, je tiens à dire que j'ai assez conscience de là où je suis pour croire que je ne pourrais qu'être prise soigneusement. Si une des souris de Fausto-Sterling prenait la parole et demandait à éclaircir les règles du jeu, je ne suis pas certaine qu'elle soit entendue car après tout une souris, même de laboratoire et en plus féministe, qui parle, ça n'existe pas, n'est-ce-pas.</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Pour autant, je ne crois pas que ce soit vain de continuer. D'autant que je propose juste un petit pas de côté en demandant s'il n'y a pas un hic a vouloir faire coïncider de force le <em>gender</em> anglais au genre français quand ces deux-là ne couvrent pas exactement les même réalités. Un peu comme un enfant essaie de faire entrer une forme ronde dans une forme carrée de même taille.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Allons-y pour les jeux de formes.</strong></p>
<p><span style="font-size: 14pt; font-family: Times-Roman; color: #181a1c;">Alors voilà, un des plus gros apport des théories queer et féministes, qui a coïncidé avec l'émergence des mouvements trans et intersexes, est d'avoir décollé les couches sexuo-genrées, tenues jusque là pour «naturelles et normales», des individus en un échafaudage aléatoire à trois étages, ou bien un billard à trois bandes ou encore un jeu de légo à trois pièces.
</span></p>
<p><span style="font-size: 14pt; font-family: Times-Roman; color: #181a1c;">D'abord le sexe de naissance, le sexe génital. C’est mâle, femelle ou intersexe. (1)
Puis le sexe social, c’est homme ou femme (ou intersexe). C'est le sexe avec lequel on s'identifie dans et par la collectivité.
Et puis le genre, celui de la culture. C’est le masculin et le féminin (ou l'intergenre).
</span></p>
<p><span style="font-size: 14pt; font-family: Times-Roman; color: #181a1c;">Trois catégories qui fonctionnent, un peu comme les dons des trois fées de la Belle au bois dormant, de manière relativement autonome, ce qui ne signifie pas qu'ils ne vont pas pouvoir interagir entre eux. Je développerai des exemples un peu plus loin si vous le voulez bien.
Or en anglais, le <em>gender</em> est tout à la fois <em>male</em> ou <em>female, </em>mais aussi le rôle social <em>man</em> ou <em>woman</em> ou bien (mais il me semble plus rarement) l'identité de genre, <em>masculinity</em> et <em>feminity</em>.
A la question <em>What is your gender</em> ? on répondra facilement <em>male</em> ou <em>female,</em> par exemple. Cette capacité enveloppante du <em>gender</em> anglais a permis l'émergence de catégories <em>transgender</em> (et puis <em>genderqueer</em>, <em>genderfucker</em>, etc). Avec un parcours <em>female to male</em> par exemple, on s'inscrit dans une identité <em>transgender</em> les trois catégories, sexe génital, sexe social et genre ne faisant qu'un en anglais. (1bis)</span></p>
<p><span style="font-size: 14pt; font-family: Times-Roman; color: #181a1c;">En langue française, genrée et sexiste à souhait s'il faut le rappeler, genre - qui, en plus d'être un marqueur linguistique, bénéficie d'une signification supplémentaire autour des notions d'allure, ou de catégorie culturelle - ne se balade pas aussi aisément de l'une à l'autre des deux autres catégories, et se distingue même fortement du sexe social homme ou femme, le sexe biologique mâle ou femelle, lui, relevant quasi exclusivement de l'usage vétérinaire. Ainsi le <em>female to male</em> sera au mieux interprété par l'acronyme FTM, mais toujours traduit par <em>de femme à homme</em> et non par <em>de femelle à mâle</em>. On voit ainsi le processus très français de masquage du sexe biologique au profit du sexe social, qui lui-même tend de plus en plus à être englobé par le genre, de la traduction de <em>gender,</em> alors même que dans cette affaire de parcours FTM ni le féminin ni le masculin ne sont invoqués.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Wow.</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui, le trouble n'est pas que dans le genre.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Donc si je comprends bien, la syllepse consiste en cette double confusion qui fait équivaloir la question du genre avec celle du sexe social en même temps que celle des personnes <em>transgenders</em> avec celle des approches transgenres en français ?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui absolument.
Il me semble que les personnes transsexuées modulent d'abord le lien sexe anatomique/sexe social quand les personnes <em>queer</em> ou transgenre jouent de celui entre sexe social et identité de genre.
Or, je constate que même les plus matérialistes des féministes masquent, du fait de cette traduction hâtive, le sexe social par le genre, maintenant ainsi un système coercitif, certes apparemment allégé, mais toujours très efficace. Avec comme point d’achoppement et finalement, encore et toujours, le corps, cette chair sociale que d’aucuns rêvent de dématérialiser ou de renvoyer à une animalité ravalée.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">En fait, pour vous, l'enjeu aujourd'hui c'est de redéfinir ces trois catégories ?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui, et en même temps que je vous dis oui, je vois bien que vous aviez raison, c'est très prétentieux, mais je crois vraiment que si nous voulons continuer à faire des politiques féministes et trans, nous devrions prendre le temps de nous poser ces questions et peut-être se dire qu'être trans ici n'est pas tout à fait être trans Outre-Atlantique.
Aujourd'hui quand on dit féminin ou masculin, il faudrait être conscient qu'on ne qualifie pas exclusivement ce qui appartiendrait culturellement aux femmes ou ce qui appartiendrait culturellement aux hommes.
Aujourd'hui, quand on dit homme ou femme, il faudrait savoir qu'on n'implique pas nécessairement un pénis ou un vagin.
Aujourd'hui, il faudrait sûrement réinvestir les catégories femelle et mâle comme des indices valables aussi pour les être humains.
Il faudrait arrêter de dire genre quand en réalité on veut décrire les rapports sociaux de sexe. Dans cette même logique, il faudrait ne plus parler de l'identité de genre pour aborder l'agenda politique des personnes transsexuées, mais bien d'identité de sexe social.
Et ne pas douter que les approches transgenrées concernent au moins autant les personnes bios que les personnes transsexuées.</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">
Et puis les subtilités genrées du français permettent de dire des choses comme «mon pénis, puisqu'il est celui d'une femme, est un sexe de genre plutôt féminin», ou que «la chatte de mon copain est très mâle».</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">C'est donc pour ça que vous vous définissez comme une femelle trans cisgenre?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui absolument ! Enfin femelle, c'est de la provocation pour brouiller quelques pistes biologisantes et à moi-même en premier d'ailleurs.
Mais pour ma démonstration et à partir de mon expérience, je voudrais me faire écho de ce que mon imagination - ma conscience - peut narrer de mon corps - mon inconscient.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Allez-y, allez-y !</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Donc voilà, je suis née mâle parce qu'avec un pénis. J’ai été un enfant plutôt efféminé qui rêvait d'être une petite fille et qui à la moindre occasion passait des robes (ce qui ne saurait être un indice exclusif de transsexualité).
J'étais alors un garçonnet bio transgenre.
Une fois un peu pubère, j'ai pu saupoudrer ma petite histoire de désir sexuel et amoureux, celui pour des hommes.
J’étais un jeune homme bio cisgenre et homosexuel. Notez que j’aurais pu rester efféminé et devenir une folle, mais au fur et à mesure que j'entrais dans cette sorte d'exil intérieur en renonçant à être une fille, j'apprenais de mieux en mieux à être masculin (2)
.<sup> </sup>Aujourd’hui, je suis socialement une femme sur mes papiers, jugée comme telle par le pouvoir judiciaire français (réalisez que c'est quand-même un privilège des personnes bios qui n'ont pas à passer devant un tribunal pour s'entendre être validées pour qui elles sont) et certifiée féminine dans les attestations et témoignages de la collectivité, avec enfin un pénis dans ma culotte. Et puis j'aime toujours les hommes.
Je suis, je suis, je suis…</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">...une femme trans cisgenre hétérosexuelle !</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Youpie !
Notez que j’aurais pu être une femme trans butch (masculine). J’aurais alors été une femme trans transgenre. Et si mon désir avait mué aussi vers les femmes, j’aurais été bisexuelle. Ou uniquement vers les femmes, j’aurais été une gouine (fem ou butch selon mon appartenance de genre).</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oh, mais c'est le tourbillon de la vie !</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Le tourbillon de la vie, c'est la beauté fatale de Maléfice, la quatrième fée de la Belle au bois dormant, hihihihi.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Donc, vous nous expliquez que selon vous les identités transgenres ne sont pas assimilables aux parcours transsexués ?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui, je le crois. Les identités transgenrées, fluides, ne sont pas l’apanage des parcours trans, pas plus que des gays ou des lesbiennes.
Le philosophe Faysal Guelil Ryad explique par exemple très bien combien Oum Khalsoum dans son genre est transgenre (3).
Madonna aussi bien sûr, enfin elle est carrément intergenre.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Tiens, Madonna :)</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oh oh oh, mais je ne comprends pas pourquoi les gens lèvent le sourcil quand je parle de Madonna. D'ailleurs ce sont parfois les mêmes qui me reprochent à la fois de nier mon histoire pédé et d'aimer Madonna, alors que voilà très exactement un point de contact avec pas mal de gays dans le monde. Et c'est quand même rassurant que je m'enthousiasme pour Madonna, c'est une promesse de beaucoup d'autres raisons de le faire, je trouve. Et puis c'est comme ça, pour moi c'est une mystique populace de la désillusion et de la niaque, ironique et partageuse et puis c'est un puissant modèle intergenre. Vous vous souvenez quand, il y a 30 ans, elle disait être un pédé enfermé dans le corps d'une femme ? Vous avez vu le corps qu'elle s'est construit en trente ans ?
Voilà c'est tout.
Non et puis on pourrait en citer d'autres, par exemple la féminité de Rafaïel des Souffleurs, avec qui j'ai travaillé et qui m'a inspiré, et celle travestissée, du danseur François Chaignaud, qui me touche beaucoup. Pour moi, voilà des hommes bios transgenres qui nourrissent ma féminité de femme trans cisgenre.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Mais votre transition a été aussi une période d'apprentissage, non ?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui bien sûr. Notamment les premiers mois, quand on observe le regard des autres nous dévisager parce qu’on espère d’eux un signe de reconnaissance, alors qu'eux-mêmes cherchent à savoir quel genre de zèbre vous êtes. J'ai appris à ne plus chercher à mettre du sens dans ces regards-là, parce qu'ils pouvaient en avoir une infinité. J’ai alors ouvert grands mes yeux pour observer les corps et les énergies, et repérer où je pourrais trouver ma place. J'ai vu qu'il y avait assez d'hommes avec des attitudes frêles ou une voix fluette et de femmes avec des épaules larges et des poils au seins pour qu'il y ait aussi une place à mon corps s'hormonisant.</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">
Et en fait, très vite, je me suis aperçue que dans les mouvements et les gestes des corps que j'observais, une fois leurs accessoires genrés supprimés, apparaissait une sorte d'intersexuation plutôt que des caractéristiques si distinctes que ça. Ce qui m'a sauté aux yeux, c'est la volatilité de masculin et féminin et j'ai compris que finalement ça n’avait pas beaucoup de sens, en même temps que ça en donnait plein.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Comment ça?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Et bien ça remplissait les corps de sens. Ça renseigne, mais ça ne définit pas. Masculin et féminin sont des fluides flottants, qu’on peut avoir ou pas d’ailleurs et qui la plupart du temps sont intermittents, en tout cas masculin n’appartenait pas à homme et féminin à femme. Et alors j’ai eu la confirmation de ce que je ressentais jusque-là, faire ma transition ne consistait pas à me libérer d’une injonction à un sexe/genre masculin en y répondant par un autre féminin, mais bien à lâcher l’affaire du masculin et du féminin et à arriver jusqu'à moi-même, «être femme», en apprenant la patience qu'impose le rythme de la transition. En fait ça a été un premier horizon retrouvé et le moment de quitter mon exil.</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">
Et puis ce sont les autres qui alors m'ont dit ma féminité. Notamment quand j'ai recueilli les témoignages pour mon changement d’état-civil, beaucoup attestaient de ma féminité. J’ai eu l’impression d’obtenir la naturalisation féminine en même temps qu'on allait m'accorder la jouissance de mon prénom, du F et du 2. En tout cas, peut-être étais-je féminine, mais l'essentiel c'était d'être moi.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Donc on peut dire avec vous que les rapports sociaux de genre ne sont pas les rapports sociaux de sexe?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">On peut en tout cas l'envisager. J'ai l'impression qu'il y a des tensions spécifiques engendrées par le mauvais genre qui se marquent au sein d’une même catégorie de sexe social. Demandez aux folles – ou juste aux garçons sensibles - chez les hommes. Ou bien regardez le sort réservé aux femmes butch dans les magazines féminins (magazines d'éducation féminine serait plus juste).</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">
Cela dit, il faut aussi préciser si on ne veut pas tomber dans le déni de l'asymétrie, que dans nos sociétés hétéromopatriarcales, un garçon efféminé trouvera toujours des espaces où il sera valorisé en tant que tel alors qu'une femme masculine ne suscitera que du dédain.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Et dites-moi, comment est-ce que vous distingueriez alors les parcours trans ?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oh là là là, c'est comme si vous me demandiez de vous révéler les secrets de la composition de la matière noire de ce que les scientifiques appellent l'Univers ! Je n'en sais rien.
Mais d'accord, je veux bien faire une tentative.</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Je répéterai qu'être trans n'a rien à voir avec le genre. Enfin pas plus que pour les personnes bios. Il y a beaucoup de femmes trans masculines et d’hommes trans efféminés.</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Comme je l'ai dit plus haut, la dynamique transsexuée s'articule plutôt avec le sexe social, c’est-à-dire avec la manière dont notre corps, comme marqueur, récepteur, émetteur des rapports sociaux, résonne de soi aux autres. Cette mise en chair – à l'aide des technologies hormonales, de la chirurgie et de la médecine esthétique - du sexe social qui n'était pas le nôtre à la naissance rappelle que les corps «être homme» ou «être femme» s'inscrivent toujours dans des rapports sociaux de pouvoir, de désir, de puissance. Je pense que les trans racontent cette nécessité d'être reconnus comme un «être homme» ou une «être femme» intelligible dans un collectif-là à partir de ces corps-ci. Et dans ce collectif, refaire vivre de l'intime et débrouiller du désir.
Du coup, peut-être remettons-nous un peu d'utopie dans la différence homme/femme, de manière qui suscite de la joie, en y injectant quelque chose d'une égalité hétérogène dans une sorte de danse en double spirale de soi à soi puis aux autres.
Et puis ça m'est difficile de ne pas y voir une forme d'actualisation transcendantale, une modalité impérieuse, indéclinable. Un peu comme une femme musulmane qui va porter le voile, ou comme quelqu'un qui tombe sous l'émotion d'un lieu. Faire sa transition fait partie de ces moments où l’être humain n'a plus les moyens de dompter son corps à coup de volontarisme et où il va laisser le laisser agir au plein cœur de la vie, où pulsent les rencontres avec les autres et avec les natures. Je crois aussi que nos corps prenant les décisions, le reste apparaît sous un autre aspect, celui de l'imagination, celle des psychiatres des équipes hospitalières et celle des queers studyseurs visant à nous renvoyer toujours et encore à être des esprits malades ou anormaux avant d'être des existants.</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: large;">
En fait, parce que ça nous arrive dans un temps ralenti, nous créons un effet loupe sur des rouages qui chez les personnes bios apparaissent comme innés. Et qu'en laissant nos corps décider pour </span><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman;"><span style="font-size: 19px;">nous-mêmes,</span></span><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: large;"> probablement racontons-nous une animalité comme part méprisée de la construction de l'être humain.</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">
Enfin, il me semble aussi que nos transitions jouent un face à face en quelque sorte kamikaze dont le petit théâtre est en soi avec nos généalogies en renfort scénario et spectateurs. Nous n'en décidons rien, à quel âge nous les faisons, elles sont juste l’avènement de la mise en chair de nos hétérotopies singulières et de l'existence. </span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Quelle tentative :)
Si je vous suis bien, vous considérez qu'il n'y a pas de liens entre les personnes transsexuées et les personnes travesties ?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Non, je ne dirais pas exactement les choses comme ça. Mais oui, je trouve que là encore on va un peu trop vite quand on cherche à maintenir coûte que coûte un continuum trans/trav.</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">D'abord, je pense que le continent travesti est assez vaste pour qu'on mérite de s'y attarder sans besoin d'avoir recours aux transsexualités. Il y a une multitude de façons de vivre le travestissement, en lien ou pas avec un jeu sexuel, en en faisant ou pas un geste politique, ludique, de manière privée ou publique, collective ou isolée.</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Et oui, il y a des personnes travesties qui sont amenées à faire leur transition, et alors à tisser un lieu commun qui va rejoindre le temps de la transition.</span></p>
<p><span style="font-size: 14.0pt; font-family: Times-Roman; color: #181a1c;">Mais j'aime bien rappeler que les personnes transsexuées peuvent aussi se travestir – se coller quelques poils à la moustache ou se perruquer, par exemple.</span><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;">
</span><span style="font-size: 14.0pt; font-family: Times-Roman; color: #181a1c;">Et puis il y aurait aussi à dire sur la complicité de certaines personnes travesties avec un hétéromosexisme libidineux dont on peut être en tant que femme trans hétéra, témoin et participante involontaire, par exemple sur les sites de cul où on vous assigne à la catégorie «trans/trav». Imaginez les conséquences dans l'imaginaire des mecs qui fréquentent ces sites, et sur nos vies amoureuses. D'ailleurs, je crois que voilà un autre espace commun – et il est à explorer aussi – avec certaines personnes travesties : la géographie désirante des garçons souvent les plus enclins à correspondre à un modèle hyper viriliste (du flic au voyou).</span><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;">
</span><span style="font-size: 14.0pt; font-family: Times-Roman; color: #181a1c;">Mais je crois qu'on a à gagner à se détacher les unes des autres.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Mais pourtant il existe une communauté transsexuelle, transgenre et travestie très forte en Amérique du Sud ?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Ah super, merci de me donner l'occasion de rappeler que je ne crois plus une seconde à une quelconque forme d'universalité. Et donc pas plus au caractère universel, de mon point de vue. Je suis une petite sorcière qui puise sa foi aux fins fonds des plurivers, et puis je me méfie de toutes les formes d'orientalisme et de l'argument d'autorité du «oui mais là-bas, il y aurait du mieux vrai» qui empêcherait de penser le ici et le maintenant.
Mais vous avez raison. C'est une communauté particulièrement discriminée qui est aussi présente dans nos villes, immigrée et sans papiers, et qui doit faire face à une violence policière incessante, pour qui souvent la seule source de revenus est le travail du sexe. De fait, pour pouvoir satisfaire à la demande des clients (activité pénétrante) et donc pour des raisons économiques, il y a une véritable défiance vis-à-vis des hormones (et à raison selon mon expérience), leurs corps étant femellisés à l'aide d'injections de silicone aussi virtuoses que dangereuses. Beaucoup de ces personnes se définissent elles-mêmes comme travesties ou même comme gays. Je crois que c'est dans l'absence d'hormonisation qu'il faut peut-être comprendre cette détermination au masculin.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Vous voulez bien en dire un peu plus ?</strong></p>
<p><span style="font-size: 14.0pt; font-family: Times-Roman; color: #181a1c;">Eh bien, c'est juste de constater que l'hormonopathie n'est pas exactement l'équivalent du port d'un vêtement. Celle-ci va aussi modifier les alchimies génitalo-libidnieuses. Pour les femmes transsexuées non opérées - en tout cas pour moi et quelques copines au moins - l'érection, l'excitabilité, les lieux de sensation, l'éjaculation, l'orgasme se sont nettement déplacés depuis qu'ils ne sont plus sous le régime de la testostérone. Et je peux témoigner que la demande précise et régulière des clients des personnes trans travailleuses du sexe (une érection forte, une aptitude à pénétrer et à garantir l’éjaculat) devient très difficile à satisfaire.
Je ne dis pas que ce nouvel agencement plaisir/désir fait de moi une femme n'est-ce-pas, mais que peut-être c'est dans la crainte de cet embrayage-là que s'explique un peu pourquoi les communautés de travailleuses du sexe s'identifient d'abord aux personnes travesties et aux gays.
D'ailleurs pense-t-on aux ressources à proposer à celles qui ressentent la nécessité de s'hormoniser, sachant que ce geste va signifier le tarissement de leurs revenus issus du travail du sexe ?</span><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;">
</span></p>
<p><span style="font-size: 14pt; font-family: Times-Roman; color: #181a1c;">Et puis pour rajouter quelques mots sur les hormones stéroïdes - qui fonctionnent selon moi comme les fétiches dont parle Xavier Papaïs (4), objets/sujets qui vont dedans et dehors modeler une intra/inter/subjectivité organique viable - leurs effets sont nombreux du corps calleux au squelette en passant par le foie et les artères, avec à chaque fois des effets singuliers pour chaque organisme récepteur. Savez-vous par exemple que depuis le début de mon hormonopathie, j'ai grandi d'un centimètre ? (5)
En tout cas si je ne suis pas si sûre que ça d'avoir un lien avec les personnes travesties, il me semble que celui-ci ne serait pas plus privilégié que celui existant avec une femme non trans qui s'inscrirait dans une hyper-féminité par exemple. Et puis j'ai l'impression que c'est compliqué de vouloir maintenir ce lien quand en même temps on dénonce l'humiliation que constituent les «tests de vie réelle» imposés par les médecins maltraitants. Un lien qui d'une certaine façon fait perdurer les catégories pathologisantes du XIXème siècle. Comme «LGBT» d'ailleurs.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Pour vous LGBT reste un problème donc.</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui un problème surtout pour les LGBT (ou transpédégouine) plus que le mien. Ça doit être épuisant ces efforts permanents des unes lesbiennes, des autres trans et des tiers bis pour rappeler aux gays qu'ils en sont.
«LGBT» perpétue donc les catégories pathologisantes, mais intègre aussi, et neutralise, les différences au lieu de permettre leurs rencontres !
Je ne reviens pas sur le mensonge sous-jacent qui fait croire que trans serait une orientation sexuelle, ni sur son corollaire, l'invisibilisation des personnes trans hétéros, pas non plus sur l'assignation à une sexualité «originelle» qu'implique «LGBT».
Mais je dirais bien que ces derniers temps, ça a été assez intéressant de constater que ceux qui formulaient des critiques bienvenues contre l'homonationalisme et le gayisme s'accommodaient si bien de «LGBT». Une incohérence idoine à disqualifier ces même critiques.
Intéressant aussi de constater l'incapacité de certains minorisés à admettre qu'ils peuvent avoir accès à des lieux de privilèges : comment un homme gay va nier ses privilèges de mec, comment une femme indigène hétérosexuelle ne va pas admettre les privilèges que lui confère son hétérosexualité. C'est la même mécanique que l'on connaît bien chez les féministes blanches que l'on retrouve alors. Chacun convaincu que le fait d'être ségrégué ici ne lui permet pas de jouir de certains privilèges là.
Et puis il y a un autre écueil à «LGBT», c'est celui qui voudrait faire croire que chacun des L des G des B des T serait l'égal de l'autre, comme si à l'intérieur de ce système, il n'y avait pas de sexisme, pas de lesbophobie, pas de bi ou de transphobie. Pas de racisme ou de classisme, comme si tous les «LGBT» étaient féministes ou comme si les lesbiennes ne pouvaient plus l'être. Là encore, il suffit juste de voir les instances porte-paroles, hommes, bios, blanches, pour en tirer des conclusions.
Mais vous savez, la contestation de «LGBT» trouve de plus en plus d'échos, par exemple avec cette proposition de thérapeutes londoniens de l'association Pink Therapy qui proposent de remplacer LGBT par SGD pour «Sex and Gender Diversity», ce qui est plutôt prometteur. (6)</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Vous savez que vous allez encore crisper.</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui oh... Mais vous savez, il y a des gens qui sont persuadés que je veux casser leurs jouets quand j'exprime mon point de vue, mais non, la vérité c'est que moi aussi je veux jouer, je suggère juste qu'on redéfinisse plus précisément les règles du jeu.</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Et puis, je crois qu'il serait chouette d'admettre quelque chose d'assez simple : la force subversive n'est pas due à aller puiser du côté des personnes trans qui ne demandent qu'à être banalement en vie, d'une banalité anomale certes, mais qui souhaitent juste être reconnues et respectées pour ce qu'elles sont, des hommes et des femmes avec un parcours singulier. Non, la subversion est bien du côté des <em>gender fucker</em>, <em>cross dresser</em>, ou <em>queer gender,</em> etc. Je ne comprends pas l'insistance et l'intérêt des queers à être reconnu en tant que trans, jusqu'à venir porter leurs revendications dans nos espaces de lutte.</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Et puis on a le droit de se chercher, de se questionner, de revenir sur ses pas, mais il ne faut pas que tout ce foisonnement se fasse au détriment de nos combats. En vrai ,c'est ni cool ni subversif d'être trans, et ça ne devrait plus être compliqué, c'est juste une malédiction qui nécessite de trouver un peu de soin.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">C'est plutôt l'opposition subversif/normatif qui vous gêne, non ?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Mais bon sang, parce qu'il ne s'agit pas d'être subversif ou normatif, quand on est trans, il s'agit d'être soi. C'est un peu comme quand j'entends parler de «passing politique» (déjà le passing, quel mot dégoûtant avec une histoire raciste), voilà c'est une vision bio transphobe visant à injecter de la «vérité» là où il y a de la vie!
Ou encore quand on nous parle de «visibilité trans» en opposition au placard dans lequel certains d'entre nous serions. Quel placard puisque nous sommes en permanence outés avec plus ou moins de bienveillance, plus ou trop de malveillance? C'est vraiment ne pas connaître les réalités de nos vies. Et puis, franchement, qui cherche à être subversif aujourd'hui ? Pardon, mais c'est un souci d'homme blanc bio hétérosexuel comme Eric Zemmour, Brice Couturier ou les représentants de la droite décomplexée ça.
Non, il faut en finir avec les sortilèges de la culpabilité qui nous obligent à devoir toujours répondre positivement aux assignations que les bios nous réservent : aliénés ou révolutionnaires, modèles ou traîtres.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Et alors justement, quel sort réservez vous à l'aporie nature/culture?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Vous savez, c'est une aporie pour qui veut bien que ça le soit. Pour moi, mais c'est peut-être uniquement parce que j'ai la foi, je suis convaincue que ce duo ne fait qu'un dans un mouvement permanent de rencontre et de fabrication de l'une à l'autre, une rencontre qui change tout ce qu'elle touche et qui est changée par tout ce qu'elle a touché.
Je crois que les défis politiques d'aujourd'hui sont de pointer qui fait vivre ces comptages à deux temps et pour les mettre au service de quelle idéologie dominante.
Pour moi, l'enjeu c'est de désessentialiser les identités et de resocialiser les corps, les chairs.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Mais du coup vous contestez aussi, avec les queers, la binarité des genres ! </strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Ah non, pas du tout. Ce que je conteste, c'est la hiérarchie entre les genres et les sexes sociaux, pas les différences, des différences qui sont d'ailleurs tellement fragiles qu'il faut passer son temps à les refaire vivre. Non je trouve que contester la «binarité» suppose là encore qu'ils seraient équivalents et qu'on fasse l'économie de leur asymétrie. Non, il s'agirait plutôt de faire vivre les multitudes des différences.
Pour moi, il s'agit à la fois de résister aux rappels à l'ordre des tenants d'un régime totalitaire et «essentialiste» sur ce que serait une femme et ce que serait un homme mais aussi d'être attentif à celles et ceux qui pointent qu'”être homme” et “être femme” ne saurait être déconstruit dans un indifférencié universel.
Honnêtement si on réalise ce qu'a signifié mon changement d'état-civil, c'est-à-dire qu'une magistrate a jugé que mon pénis était bien celui d'une femme, entre la transphobie des «manifestants pour tous» qui dénoncent la théorie du <em>gender</em> (vous avez noté qu'ils disent <em>gender</em> ?) et ceux qui veulent détruire le genre, je ne vois que la place pour le bûcher sur lequel ils voudraient tous me voir brûler.
Encore une fois la question n'est pas la norme ou la subversion, mais d'admettre que la chose puisse être ordinaire.
Ce qui, malgré la bienveillance de quelques médecins de ville et de certains juges, est une tâche compliquée compte tenu de la maltraitance des protocoles mis en place par les équipes hospitalières et de l'absence totale de structures de prise en charge, de soins et d'accompagnement organisées en dehors de ces équipes du service public.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Faire sa transition reste un parcours du combattant ?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oh oui, une des caractéristique du protocole malveillant des équipes hospitalières du service public français c'est de retarder nos transitions autant qu'ils le peuvent pour mieux s'en laver les mains. En nous empêchant l'accès à l'hormonopathie (alors que je suis convaincue que c'est le meilleur moyen pour savoir si une personne est dans une dynamique transsexuée) en cherchant à tout prix à nous déresponsabiliser au lieu d'appliquer un principe aussi simple que celui du consentement éclairé, en influençant via un monopole scandaleux les décisions des juges qui vont statuer sur nos états-civils et les cadres de la sécurité sociale qui vont décider de nos prises en charge, en maintenant une offre de techniques chirurgicales qui se limitent encore trop à des actes de boucherie, les médecins de ces équipes du service public font de nos transitions le seul projet de vie auquel nous dédier, au détriment de tous les autres auxquels nous devrions penser : le maintien ou l'accès à l'emploi, à l'hébergement, les relations familiales, les relations affectives et sexuelles, des éléments d'une vie qu'une transition fragilise.
D'autant que si le temps de la transition doit être vécu pour ce qu'il est, un moment de réalisation magique de soi, un temps précieux et dense, il faut aussi admettre qu'il ne saurait révolutionner la collectivité.
Parce que nous devons nous battre pour être nous-mêmes, nous mettre en danger et subir la précarisation liée à nos parcours, nous pouvons nous retrouver, une fois celui-ci mené, face à de la vie nue. Je pense que les médecins du protocole du service public sont responsables du suicide de ces femmes qui une fois leur vaginoplastie effectuée se retrouvent dans une situation de désarroi, pas parce qu'elles regretteraient, mais parce que la seule chose qui leur semble désormais possible, au vu de cette puissance maltraitée, c'est de mourir leur vie. Puissent-elles être en paix.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Amen.</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Amen.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Vous pensez qu'il faut continuer à exiger la dépsychiatrisation?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Il y a une avancée avec le tout récent DSM V. Il faut rappeler que les transidentités étaient jusque là classées dans l'axe 1 des maladies mentales du DSM IV, c'est-à-dire comme un trouble clinique à éradiquer (un peu comme si on considérait que les roux devaient être traités contre leur rousseur), et c'est important de le rappeler tant ça éclaire sur les pratiques des médecins du service public. Il semblerait que dans le DSM V, les parcours trans sortent de l'axe 1 et ne soient plus exactement un trouble mental, mais relèveraient désormais d'une «incongruence du sexe social». Ça semble une bonne chose car ça ouvre des failles pour en finir avec la brutalité des protocoles hospitaliers.
Pour autant, ce n'est pas les politiques qui pourront décider de la sortie des transidentités des manuels de psychiatrie, mais ils peuvent très activement y participer. Légiférer sur la simplification du changement d'état-civil - qui implique l'arrêt des expertises humiliantes et de l'obligation d'opérations non désirées ; permettre le choix des médecins et des chirurgiens, même à l'étranger, pour la qualité de leur savoir-faire sans chantage au non-remboursement ; mettre fin (comme avait tenté de le faire assez courageusement Roselyne Bachelot) au monopole de la sofect (les médecins maltraitants des équipes hospitalières dans les hôpitaux du service public) ; garantir un accueil respectueux des personnes trans en attente de changement d'état-civil dans tous les organismes de service public (de la poste à l’hôpital en passant par les impôts ou les bureaux de vote) ; sensibiliser les médecins du travail ; permettre l'accès à des formations professionnelles pour les personnes trans exclues du monde du travail ; favoriser l'accueil, l'écoute, l'orientation et la prévention de toutes les personnes qui se questionnent en renforçant les moyens et la mission du planning familial, voilà des objectifs que les associations montrent depuis un bon moment déjà.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Vous croyez à une communauté trans?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Non. Enfin si, je crois que la communauté trans est d'abord celle des personnes qui entament et sont en cours de transition.
Je crois qu'après, il y a des diasporas en devenir. Et puis je crois surtout aux communautés affinitaires, trans ou pas, qui prennent forme et se défont à la lumière de nos intersectionnalités respectives.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Vous considérez avoir terminé votre transition ?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Ah ben oui, bien sûr. Je peux même dire que la fin de ma transition a été jalonnée de plusieurs étapes. Ma rhinoplastie par exemple, où quand j'ai réalisé que le soutien-gorge c'était surtout une contrainte, et puis l'obtention de mes papiers évidemment. Mais il y a eu aussi le moment où un mec, mignon, a ralenti à l'arrêt du bus que j'attendais pour me draguer et que ça m'a saoulée. Là je me suis dit que si je n'avais plus besoin d'être reconnue par le désir des mecs, même mignons, et qu'en plus je trouvais ça chiant qu'ils se sentent autorisés à l'exprimer dans l'espace public en présupposant que j'étais là pour y répondre, alors oui ma transition est terminée.
Non, ce qui ne se terminera pas, c'est l'expérience de l'exclusion de la communauté citoyenne. D'ailleurs ça serait mensonger de faire croire qu'une fois obtenu le changement d'état-civil, on se retrouve aptes à la consommation ou au salariat. Je crois pas être de sitôt un modèle d'intégration sociale telle que nos sociétés capitalistes l'envisagent. En fait, ça me rend plutôt libre et heureuse de ne pas pouvoir consommer consommer consommer consommer. Et je dois avouer qu'au fond de moi je ne suis pas si certaine que ça d'avoir envie de quitter les registres de la folie.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Vous savez, vous avez dit beaucoup de choses.</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">… sans être rémunérée ? Ou sans être étudiante à l'EHESS ou doctorante sur le genre? Oui, je sais, mais c'est ainsi.
Je vous l'ai dit, je ne tiens plus tant que ça à garder raison maintenant que c'est écrit. Et puis quand je vois la liste de chercheuses et théoriciennes de renom se demander toutes en même temps "Comment s'en sortir ?" (7), je crois que ma condition est effectivement enviable.</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Et vous ne trouvez pas ça bizarre une interview de vous par vous?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui c'est pénible, mais il fallait bien que quelqu'un s'y colle, non?</span></p>
<p><strong style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui, c'est vrai. Je peux vous demander si vous avez des projets?</strong></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 14pt;">Oui ! Je vais jouer dans un long métrage, une sorte de satire féministe et anti-capitaliste qui se déroule dans l'univers des it girls de New York et Hollywood. Je vais interpréter Chloé Sévigny. C'est écrit par Bret Easton Ellis, produit par Cronenberg et il sera réalisé par Jacques Rivette. Que des mecs. Mais j'ai vraiment hâte de tourner avec Rivette et de savoir qui seront les autres comédiennes, parce qu'on parle de Marina Abramovic et de Madonna. Ce qui me fait un peu peur vu qu'elle est aussi bonne comédienne qu'analyste politique, mais au moins j'ai des chances de la rencontrer !
Et puis j'espère adopter une chatte bientôt, j'ai repéré une race thaïlandaise, mais je trouve plus démocratique de la laisser venir vers moi, je lui laisse donc le temps de se décider.</span></p>
<p><span style="font-size: 13.0pt; font-family: Times-Roman; color: #181a1c;">(1) Il faut dire que les personnes intersexes sont encore trop souvent dès la naissance soumises à l'arbitraire des médecins dont la seule préoccupation est de préserver une prétendue naturalité à l'hétérosexuation et qui parfois, sans même consulter les parents, opèrent le nouveau-né sans lui laisser la moindre chance de décider pour lui-même quand il sera prêt à le faire, s'il souhaite être un garçon, une fille ou préserver son identité intersexuée.
C'est la même idéologisation de la «nature» par les scientifiques qui anime les médecins de nos protocoles hospitaliers.</span><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;">
</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 13pt;">(1bis) http://tornamiadir.tumblr.com/post/34712204354</span></p>
<p><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 13pt;">
(2) Mais je crois que la chose est plus nuancée que cela. Je n’étais pas, moi Lalla Kowska, cette construction, c’est Jean Christian qui l’était, et qui a fait tout ce qu’il a pu pour la maintenir hissée haut autant que possible. Et là encore il faut rajouter qu'il se peut que JC soit encore un peu moi ou qu'en tout cas nous ayons tous les deux des organes en commun. Peut-être serait-il intéressant d'interroger cette histoire en puisant dans celle, inversée, de l'émigration et de l'immigration, comme une sorte de «double présence» en miroir à «La double absence» d'Abdelmaelk Sayad.
</span><a href="http://lmsi.net/Tout-en-elle-devient-amour" style="font-family: Times-Roman; font-size: 13pt;"><span style="color: #0006ee; text-decoration: none; text-underline: none;">
(3) http://lmsi.net/Tout-en-elle-devient-amour</span></a><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 13pt;">
(4) </span><a href="http://vimeo.com/41236847" style="font-family: Times-Roman; font-size: 13pt;"><span style="color: #0006ee; text-decoration: none; text-underline: none;">http://vimeo.com/41236847</span></a><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 13pt;">
(5) Autant de métamorphoses qu'un usage queer des hormones, ludique et occasionnel, ne permet pas d'appréhender.
(6) </span><a href="http://www.huffingtonpost.com/2013/02/25/gender-and-sexual-diversities-gsd-lgbt-label-_n_2758908.html?ir=gay-voices&utm_campaign=022513&utm_medium=email&utm_source=Alert-gay-voices&utm_content=FullStory" style="font-family: Times-Roman; font-size: 13pt;"><span style="color: #0006ee; text-decoration: none; text-underline: none;">http://www.huffingtonpost.com/2013/02/25/gender-and-sexual-diversities-gsd-lgbt-label-_n_2758908.html?ir=gay-voices&utm_campaign=022513&utm_medium=email&utm_source=Alert-gay-voices&utm_content=FullStory</span></a><span style="color: #181a1c; font-family: Times-Roman; font-size: 13pt;">
(7) </span><a href="http://commentsensortir.org/comites/" style="font-family: Times-Roman; font-size: 13pt;"><span style="color: #0006ee; text-decoration: none; text-underline: none;">http://commentsensortir.org/comites/</span></a></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--></span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><!--[if !supportEmptyParas]-->© <a href="http://www.annamedia.org/">www.annamedia.org</a></span></p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"> <!--[endif]--></span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--></span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--></span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--></span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--></span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--></span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"> </span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--></span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--></span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 14.0pt; font-family: Times-Roman; color: #181a1c;"><strong> </strong></span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--></span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"> </span></span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--></span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--></span></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size: 10.0pt; font-family: ArialMT;"><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--></span></p>
<p> </p>
<p><!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--></p>
<p><!--EndFragment--></p>
Tout l'art du cochon
2013-02-22T14:58:18+00:00
2013-02-22T14:58:18+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/438-tout-lart-du-cochon
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/iacub.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p>La polémique créée avant la sortie du livre <em>Belle et bête</em> de la philosophe libre-penseuse Marcela Iacub, dans lequel elle romance sa relation avec Dominique Strauss-Kahn, l'ancien patron du FMI, de janvier à août 2012 pose quelques questions. Beaucoup, à l'instar du journaliste politique Jean-Michel Apathie, s'irritent de voir une femme capable d'instrumentaliser un homme, à savoir, dans ce cas, de coucher puis de publier un livre sur leurs relations. En quoi le procédé est-il dérangeant? Combien d'écrivains et de poètes n'ont-ils pas convoqué leurs maîtresses pour rendre leurs écrits plus vivants et plus piquants ? L'agacement de certains éditorialistes ne viendrait-il pas du fait que le rapport public de pouvoir homme-femme est ici inversé ?</p>
<p>Les médias s'agitent d'autant plus que ce nouveau type de lancement marketing littéraire était inattendu : personne ne l'a vu venir, personne ne l'a détecté pas même lorsque l'auteure, qui tient une chronique régulière dans les colonnes de Libération, évoquait DSK (quid de la déontologie journalistique ?). Un secret bien gardé donc qui fait l'effet d'une petite bombe. Mais ne nous y trompons pas, ils ne font que rebondir à la suite du Nouvel Obs qui a sorti le scoop, en s'efforçant de récupérer les miettes pour doper leurs propres ventes.</p>
<p>Marcela Iacub a déjà fait savoir qu'elle n'accorderait pas d'autre interview, ce qui risque d'emballer un peu plus la machine médiatique à grands coups de fantasmes et de supputations. L'auteure n'en est pas à sa première provocation (on se rappelle notamment son rapprochement douteux viol/Auschwitz sur la question du traumatisme) : en janvier 2012, Marcela Iacub publie <em>Une société de violeurs</em>, ouvrage dans lequel elle prend position pour DSK contre le «féminisme punitif». Elle <span style="line-height: 1.5em;">s'est toujours présentée comme une personne défendant la liberté sexuelle, sauf que sa rhétorique est manifest</span><span style="line-height: 1.5em;">ement conforme à l'ordre symbolique y compris celui des sexes et des sexualités. Ce qui est étrange c'est que le Nouvel Obs promeuve une intellectuelle qui propose de décriminaliser le viol alors même que le magazine avait publié, voici quelques mois, le M<em>anifeste des 313</em>, femmes et personnalités qui déclaraient publiquement avoir été violées. </span></p>
<p><span style="line-height: 1.5em;">Les relations entre de nombreuses féministes et cette femme qui se dit libre risquent de se tendre un peu plus. Force est de constater qu'au final, ceux qui auront tiré leur épingle du jeu sont certains médias et l'éditeur : on a cru un instant que les rapports de force allaient évoluer...<br /></span></p>
<p> </p>
<p><img src="images/genresfeminismes/iacub.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p>La polémique créée avant la sortie du livre <em>Belle et bête</em> de la philosophe libre-penseuse Marcela Iacub, dans lequel elle romance sa relation avec Dominique Strauss-Kahn, l'ancien patron du FMI, de janvier à août 2012 pose quelques questions. Beaucoup, à l'instar du journaliste politique Jean-Michel Apathie, s'irritent de voir une femme capable d'instrumentaliser un homme, à savoir, dans ce cas, de coucher puis de publier un livre sur leurs relations. En quoi le procédé est-il dérangeant? Combien d'écrivains et de poètes n'ont-ils pas convoqué leurs maîtresses pour rendre leurs écrits plus vivants et plus piquants ? L'agacement de certains éditorialistes ne viendrait-il pas du fait que le rapport public de pouvoir homme-femme est ici inversé ?</p>
<p>Les médias s'agitent d'autant plus que ce nouveau type de lancement marketing littéraire était inattendu : personne ne l'a vu venir, personne ne l'a détecté pas même lorsque l'auteure, qui tient une chronique régulière dans les colonnes de Libération, évoquait DSK (quid de la déontologie journalistique ?). Un secret bien gardé donc qui fait l'effet d'une petite bombe. Mais ne nous y trompons pas, ils ne font que rebondir à la suite du Nouvel Obs qui a sorti le scoop, en s'efforçant de récupérer les miettes pour doper leurs propres ventes.</p>
<p>Marcela Iacub a déjà fait savoir qu'elle n'accorderait pas d'autre interview, ce qui risque d'emballer un peu plus la machine médiatique à grands coups de fantasmes et de supputations. L'auteure n'en est pas à sa première provocation (on se rappelle notamment son rapprochement douteux viol/Auschwitz sur la question du traumatisme) : en janvier 2012, Marcela Iacub publie <em>Une société de violeurs</em>, ouvrage dans lequel elle prend position pour DSK contre le «féminisme punitif». Elle <span style="line-height: 1.5em;">s'est toujours présentée comme une personne défendant la liberté sexuelle, sauf que sa rhétorique est manifest</span><span style="line-height: 1.5em;">ement conforme à l'ordre symbolique y compris celui des sexes et des sexualités. Ce qui est étrange c'est que le Nouvel Obs promeuve une intellectuelle qui propose de décriminaliser le viol alors même que le magazine avait publié, voici quelques mois, le M<em>anifeste des 313</em>, femmes et personnalités qui déclaraient publiquement avoir été violées. </span></p>
<p><span style="line-height: 1.5em;">Les relations entre de nombreuses féministes et cette femme qui se dit libre risquent de se tendre un peu plus. Force est de constater qu'au final, ceux qui auront tiré leur épingle du jeu sont certains médias et l'éditeur : on a cru un instant que les rapports de force allaient évoluer...<br /></span></p>
<p> </p>
Genre et économie
2013-02-13T09:08:08+00:00
2013-02-13T09:08:08+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/429-genre-et-economie
REDACTION
[email protected]
<p><span style="font-size: x-large;"><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 18.0px;"><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/istanbul-pic_medium.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></span></span></span></p>
<p><span style="font-size: x-large;"><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 18.0px;">Genre en Action à AWID : deux films témoignent d’une dynamique féministe francophone pour les droits des femmes dans l’économie<strong><br /> </strong></span></span></span><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"> <br /> </span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: 14.0px;">A l'occasion du 12e Forum de l'Association for Women's Rights in Development (AWID), qui s'est tenu l'année dernière à Istanbul, en Turquie, Genre en Action a développé son engagement en faveur d’une plus grande visibilité des Francophones dans les espaces internationaux de mobilisation pour les droits des femmes. Deux films en témoignent :<strong> <em>Genre en Action à AWID 2012</em> </strong>et <em><strong>Macro, micro : quel genre d’économie ?</strong></em></span></span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: large;"><span style="font-size: 14.0px;"> <br /> <em><strong>Genre en Action à AWID 2012</strong></em> se veut le reflet des dynamiques multiples que le Réseau Genre en Action a lancées lors du Forum international. Au-delà des actions politiques que les membres de Genre en Action mènent, en intervenant publiquement, en manifestant, en développant les échanges, ces derniers ont organisé deux ateliers. L'un portait sur «Mettre la macroéconomie au service de l'égalité de genre», l’autre sur les observatoires de l’égalité de genre. Genre en Action a aussi pris en charge la traduction de tables rondes dont une rencontre sur la situation des femmes en Haïti et les enjeux d'une mobilisation internationale en faveur des femmes vulnérables et victimes de violences. Genre en Action a également accueilli les participantes francophones du Forum dans un «village» ouvert à tous les débats.<br /> Ce film, court, reprend également quelques plans d’un reportage réalisé en direct par Genre en Action et diffusé au journal télévisé de la chaine panafricaine Télésud, vendredi 20 avril 2012, ce montage s'intégrant dans une couverture média de plus grande ampleur. <br /> Enfin, le film présente brièvement deux formations organisées le 18 avril 2012 par le Réseau Genre en Action. La première avait pour objectif de donner les bases de la conception de sites web et de blogs pour plus de visibilité des organisations et des mouvements de femmes francophones sur la toile. La deuxième était destinée à renforcer les capacités de ses membres en matière de techniques audiovisuelles. Les images et sons du film en sont le résultat. <br /> <br /> <em><strong>Macro, micro : quel genre d’économie ?</strong></em>, le deuxième film, plus long, documentaire, pédagogique, fait le point sur les alternatives féministes dans le domaine de l'économie. Entre macro et micro-économie, quels sont les obstacles, comme les percées, rencontrés par les organisations de femmes un peu partout dans le monde ? Afin de répondre à ces questions, le documentaire présente le témoignage de femmes et d’hommes d’horizons géographiques, professionnels et militants variés. L'atelier «Mettre la macroéconomie au service de l'égalité de genre», organisé par le Réseau dans le cadre du projet MIC MAC, forme le cœur des points de vue abordés. L'événement en lui-même, centré sur la question du pouvoir économique des femmes, a permis de nombreux échanges, entre parlementaires, militantes, scientifiques, du Nord et du Sud.<br /> <br /> <strong><em>Genre en Action à AWID 2012</em> <br /> </strong><span style="color: #0000ff;"><span style="text-decoration: underline;"><a href="http://www.youtube.com/watch?v=AQ7M_XA7Ce4">http://www.youtube.com/watch?v=AQ7M_XA7Ce4</a></span></span></span></span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><br /> </span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: 14.0px;"><strong><em>Macro, micro : quel genre d’économie ?</em><br /> </strong><span style="color: #0000ff;"><span style="text-decoration: underline;"><a href="http://www.youtube.com/watch?v=hRd2pW-ehQM">http://www.youtube.com/watch?v=hRd2pW-ehQM</a></span></span></span></span><span style="font-size: 12.0px;"> </span></span></p>
<p><span style="font-size: x-large;"><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 18.0px;"><img src="images/genresfeminismes/istanbul-pic_medium.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></span></span></span></p>
<p><span style="font-size: x-large;"><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 18.0px;">Genre en Action à AWID : deux films témoignent d’une dynamique féministe francophone pour les droits des femmes dans l’économie<strong><br /> </strong></span></span></span><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"> <br /> </span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: 14.0px;">A l'occasion du 12e Forum de l'Association for Women's Rights in Development (AWID), qui s'est tenu l'année dernière à Istanbul, en Turquie, Genre en Action a développé son engagement en faveur d’une plus grande visibilité des Francophones dans les espaces internationaux de mobilisation pour les droits des femmes. Deux films en témoignent :<strong> <em>Genre en Action à AWID 2012</em> </strong>et <em><strong>Macro, micro : quel genre d’économie ?</strong></em></span></span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: large;"><span style="font-size: 14.0px;"> <br /> <em><strong>Genre en Action à AWID 2012</strong></em> se veut le reflet des dynamiques multiples que le Réseau Genre en Action a lancées lors du Forum international. Au-delà des actions politiques que les membres de Genre en Action mènent, en intervenant publiquement, en manifestant, en développant les échanges, ces derniers ont organisé deux ateliers. L'un portait sur «Mettre la macroéconomie au service de l'égalité de genre», l’autre sur les observatoires de l’égalité de genre. Genre en Action a aussi pris en charge la traduction de tables rondes dont une rencontre sur la situation des femmes en Haïti et les enjeux d'une mobilisation internationale en faveur des femmes vulnérables et victimes de violences. Genre en Action a également accueilli les participantes francophones du Forum dans un «village» ouvert à tous les débats.<br /> Ce film, court, reprend également quelques plans d’un reportage réalisé en direct par Genre en Action et diffusé au journal télévisé de la chaine panafricaine Télésud, vendredi 20 avril 2012, ce montage s'intégrant dans une couverture média de plus grande ampleur. <br /> Enfin, le film présente brièvement deux formations organisées le 18 avril 2012 par le Réseau Genre en Action. La première avait pour objectif de donner les bases de la conception de sites web et de blogs pour plus de visibilité des organisations et des mouvements de femmes francophones sur la toile. La deuxième était destinée à renforcer les capacités de ses membres en matière de techniques audiovisuelles. Les images et sons du film en sont le résultat. <br /> <br /> <em><strong>Macro, micro : quel genre d’économie ?</strong></em>, le deuxième film, plus long, documentaire, pédagogique, fait le point sur les alternatives féministes dans le domaine de l'économie. Entre macro et micro-économie, quels sont les obstacles, comme les percées, rencontrés par les organisations de femmes un peu partout dans le monde ? Afin de répondre à ces questions, le documentaire présente le témoignage de femmes et d’hommes d’horizons géographiques, professionnels et militants variés. L'atelier «Mettre la macroéconomie au service de l'égalité de genre», organisé par le Réseau dans le cadre du projet MIC MAC, forme le cœur des points de vue abordés. L'événement en lui-même, centré sur la question du pouvoir économique des femmes, a permis de nombreux échanges, entre parlementaires, militantes, scientifiques, du Nord et du Sud.<br /> <br /> <strong><em>Genre en Action à AWID 2012</em> <br /> </strong><span style="color: #0000ff;"><span style="text-decoration: underline;"><a href="http://www.youtube.com/watch?v=AQ7M_XA7Ce4">http://www.youtube.com/watch?v=AQ7M_XA7Ce4</a></span></span></span></span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><br /> </span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: 14.0px;"><strong><em>Macro, micro : quel genre d’économie ?</em><br /> </strong><span style="color: #0000ff;"><span style="text-decoration: underline;"><a href="http://www.youtube.com/watch?v=hRd2pW-ehQM">http://www.youtube.com/watch?v=hRd2pW-ehQM</a></span></span></span></span><span style="font-size: 12.0px;"> </span></span></p>
Moi Diana T. pornoterroriste
2013-01-31T05:48:02+00:00
2013-01-31T05:48:02+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/424-moi-diana-t-pornoterroriste
Hellen Williams
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/stencil_y_foto_de_Chiara_Schiavon.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p><strong>L'ouvrage sobrement intitulé <em>Pornoterrorisme</em> fait l'effet d'une bombe dans les milieux féministes et au-delà. l'émiliE a voulu savoir ce que son auteure Diana Torres avait vraiment dans le ventre. Rencontre.</strong></p>
<p class="MsoNormal"><strong>l'émiliE: Qu’est-ce qui t’a conduite à écrire <em>Pornoterrorisme</em></strong><span>?</span></p>
<p class="MsoNormal"><strong>Diana Torres</strong>: La demande d’un éditeur qui s’est désisté ensuite, et le délai de reddition du manuscrit. Si personne ne me l’avait demandé, avec une date limite pour le rendre, je ne l’aurais jamais écrit.</p>
<p><strong>Comment se fait-il que le livre ne contienne aucune image, alors que tu dis qu’elles sont plus fortes que les mots</strong><span>?</span></p>
<p class="MsoNormal">Parce qu’il s’agit d’un livre, et que la meilleure chose que peut contenir un livre sont les paroles. Je préfère reléguer les images au plan de l’action directe. Regarder/offrir des images sans les vivre n’a, pour moi, aucun sens.</p>
<p><strong>Qu’entends-tu par pornoterrorisme </strong><span>?</span></p>
<p class="MsoNormal">Une réponse violente et sans complaisance à l’absence totale de dialogue avec celles et ceux qui contrôlent notre genre et notre sexualité.</p>
<p><strong>La polémique entre toi et certaines féministes se centre autour de la pratique SM. C’est idéologique, d’après toi ?</strong></p>
<p class="MsoNormal">Non, elle est<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>d’ordre psychologique/corporel, elle se base sur le non-intérêt que beaucoup d’entre elles ont vis-à-vis de leur corps et de leurs désirs. Je ne supporte pas les féministes incapables de transcender l’orthodoxie à l’ancienne du féminisme et la placent au-dessus de leurs propres désirs. Et même si elles n’ont pas de désirs de type sadomasochiste, je ne supporte pas non plus qu’elles ne sachent pas faire la différence entre les violences faites aux femmes, et la douleur/soumission librement consentie. J’ai l’impression que beaucoup d’entre elles sont idiotes, et j’ai toujours du mal à accepter ça (qu’une femme puisse se déclarer féministe et être à la fois idiote).</p>
<p><strong>En 2010, aux Journées transféministes de Séville tu as signé le Manifeste pour une insurrection féministe. Partages-tu certaines des luttes féministes ?</strong></p>
<p class="MsoNormal">Ce n’est pas que je les partage, c’est que ma lutte est principalement ça : féministe. On pourrait lui donner plus de<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>nuances et dire que c’est une lutte anarko-féministe-queer-prosex. Mais il existe de nombreux féminismes et ils dépendent généralement d’un contexte et de circonstances d’oppression. Certaines luttes féministes restent en dehors de mon champ d’action, parce que comme toute activiste j’ai mes priorités, mais ce sont des luttes que je respecte et admire (comme par exemple les luttes pour légaliser l’avortement dans de nombreux pays d’Amérique Latine ou les féminismes des pays arabes).</p>
<p class="MsoNormal"><strong>Tu racontes t’être fait agresser un 8 mars<span> </span>à Barcelone, parce que tu portais la pancarte «soumise par vocation, pute par profession». Que s’est-il passé ?</strong></p>
<p class="MsoNormal">Ca dépend de ce que l’on entend par «agression». Ce qui me fit sentir agressée, en réalité, c’est d’entendre des centaines de femmes crier en chœur en pleine journée de la femme travailleuse «Ni pute, ni soumise», surtout si l’on tient en compte du fait que la travailleuse la plus mal traitée par le système occidental est la pute. J’ai trouvé ça très violent, mais quand je suis sortie avec la même pancarte le 8 mars suivant, je n’ai rencontré que des visage stupéfaits et des sourires.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span></p>
<p><strong>Comment vont les «chiennes horizontales» ?</strong></p>
<p class="MsoNormal">Mal. Il s’agissait d’un projet expérimental qui a probablement échoué parce qu’aucune d’entre nous ne sait se vendre, et aussi parce que ce «savoir se vendre» aurait constitué un ajustement aux logiques du capitalisme dont aucune d’entre nous ne s’est sentie capable.</p>
<p><strong>Tu te définis plutôt comme artiste, activiste ou… ?</strong></p>
<p class="MsoNormal">Si je dois choisir entre artiste ou activiste, je prends activiste sans aucune hésitation. Pour moi l’art est juste un outil, une arme de plus pour réaliser mon travail d’activiste.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span></p>
<p><strong>Penses-tu encore que c’est toi qui as choisi le lieu que tu occupes dans la société </strong><span>?</span></p>
<p class="MsoNormal">Je n’ai jamais pensé ça. Le lieu que j’occupe dans la société, cette périphérie marginale qu’on m’a imposée depuis qu’on a vu que je ne savais ni ne voulais m’adapter à ce qu’on attendait de moi est un lieu que je n’ai pas choisi. A partir du moment où ton physique ou ton comportement sortent de la «normalité», la société te relègue à une position de type punition. Ce que j’ai très certainement choisi, c’est de rester dans ce lieu abject et d’y construire ma forteresse, de m’élever dans l’insulte et me vanter d’être un monstre. Puiser ma force dans la marge est mon meilleur choix ; c’est envoyer au système un grand «va te faire mettre». C’est ce que les marginales comme nous peuvent faire de plus terroriste. Nous sentir confortables dans cette marge à laquelle nous confine une société normative, et l’utiliser pour générer des communautés fortes.</p>
<p><strong>La postpornographie est-elle pour toi un espace réduit ou une terre de promesses ? Comment te la représentes-tu ?</strong></p>
<p class="MsoNormal">Le postporno est simplement la représentation de sexualités, corps, genres et pratiques dans lesquels nous sommes nombreux-ses à nous reconnaître et que l’on ne retrouve pas dans la pornographie mainstream. Bien sûr que c’est un espace réduit, comme l’est celui de toute dissidence. Mais il donne l’opportunité d’être entendu-e et manifeste à toutes les personnes qui ne croient ni dans une hétérosexualité attribuée d’office à chaque être humain dès la naissance, ni aux seuls deux genres qui nous sont diagnostiqués, eux aussi, à la naissance.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span></p>
<p>Ma sexualité a toujours été bâtarde et très postpornographique, mais jamais je n’ai pensé incarner une représentation type de toute une communauté. La représentation est une chose subjective, tout comme l’observation et l’assimilation, et chaque personne devrait pouvoir générer ses propres représentations pornographiques.</p>
<p><strong>Lors du <em>Ladyfest Roma 2011</em>, tu as exigé que le public se déshabille pour pouvoir assister à ta performance. Pourquoi?</strong></p>
<p class="MsoNormal">La réponse est simple, il y avait trop de monde pour voir ma performance, trois ou quatre fois la capacité de la salle. Exiger du public qu’il se déshabille pour entrer a été une solution rapide, bête et finalement efficace pour filtrer les personnes auxquelles je voulais vraiment m'adresser, celles à qui mon message allait vraiment servir. Ca a été une de mes plus belles expériences de performeuse ; le fait que le public, plus de 100 personnes, montre son corps lui aussi, sans complexes, ni honte, m’a transmis une énergie uniquement comparable à un bon orgasme de pleine lune.</p>
<p>Les personnes restées dehors sont finalement celles qui n’étaient pas encore prêtes à vivre ce qui allait se passer pendant la performance. Depuis cette performance-là, j’ai demandé la nudité à tous mes publics, en particulier à ceux qui viennent me voir dans les théâtres. Dans d’autres cas, je n’ai pas imposé la nudité comme condition d’entrée, mais je l’ai encouragée pour la compréhension de ma performance, et pour créer un lien plus chaud, sexuel et humain avec le public. De manière générale et à ma grande surprise mon public se déshabille avec un naturel confondant, même sans que mon show l’exige.</p>
<p><strong>Quel type de public cherches-tu ? Cherches-tu à diffuser plus largement tes idées, tes performances ?</strong></p>
<p class="MsoNormal">Je n’ai pas de public type. Ca va de la grand-mère veuve de 70 ans qui promène son chien dans le parc, au pédé qui passe sa vie dans les saunas, en passant par la camionneuse qui ne sait quoi faire de son vagin ou le kepon anarkop qui n’a jamais été sodomisé.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>Les performances pornoterroristes attirent toutes sortes de personnes et n’importe qui peut acheter mon livre. Ma seule façon de garder le contrôle sur tout ça, c’est de codifier mon message de façon qu’il ne soit compris vraiment que par les braves.</p>
<p>Dans mon travail, l’amplitude est toujours un désavantage<span> </span>parce que le fait de se rendre plus accessible à un public plus large implique forcément une dépolitisation, un «nettoyage» que je chercherai toujours à éviter,<span> </span>même si cela me condamne à la précarité puisque personne qui aurait de l’argent<span> </span>ne souhaite me voir performer comme je tiens à<span> </span>le faire.</p>
<p><strong>La plupart de tes vidéos sont censurées sur les réseaux sociaux. Où peut-on voir ton travail ?</strong></p>
<p class="MsoNormal">Principalement sur ma page web, à «vidéo de performances» (www.pornoterrorismo.com).</p>
<p class="MsoNormal"><br /><cite></cite></p>
<p><strong>Pornoterrorisme</strong> de Diana J. Torres</p>
<p>Editions Gatuzain, 2012</p>
<p>ISBN : 978-84-8136-609-9</p>
<p class="MsoNormal"> </p>
<p class="MsoNormal">© Chiara Schiavon, stencil y foto</p>
<p> </p>
<p><img src="images/genresfeminismes/stencil_y_foto_de_Chiara_Schiavon.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></p>
<p><strong>L'ouvrage sobrement intitulé <em>Pornoterrorisme</em> fait l'effet d'une bombe dans les milieux féministes et au-delà. l'émiliE a voulu savoir ce que son auteure Diana Torres avait vraiment dans le ventre. Rencontre.</strong></p>
<p class="MsoNormal"><strong>l'émiliE: Qu’est-ce qui t’a conduite à écrire <em>Pornoterrorisme</em></strong><span>?</span></p>
<p class="MsoNormal"><strong>Diana Torres</strong>: La demande d’un éditeur qui s’est désisté ensuite, et le délai de reddition du manuscrit. Si personne ne me l’avait demandé, avec une date limite pour le rendre, je ne l’aurais jamais écrit.</p>
<p><strong>Comment se fait-il que le livre ne contienne aucune image, alors que tu dis qu’elles sont plus fortes que les mots</strong><span>?</span></p>
<p class="MsoNormal">Parce qu’il s’agit d’un livre, et que la meilleure chose que peut contenir un livre sont les paroles. Je préfère reléguer les images au plan de l’action directe. Regarder/offrir des images sans les vivre n’a, pour moi, aucun sens.</p>
<p><strong>Qu’entends-tu par pornoterrorisme </strong><span>?</span></p>
<p class="MsoNormal">Une réponse violente et sans complaisance à l’absence totale de dialogue avec celles et ceux qui contrôlent notre genre et notre sexualité.</p>
<p><strong>La polémique entre toi et certaines féministes se centre autour de la pratique SM. C’est idéologique, d’après toi ?</strong></p>
<p class="MsoNormal">Non, elle est<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>d’ordre psychologique/corporel, elle se base sur le non-intérêt que beaucoup d’entre elles ont vis-à-vis de leur corps et de leurs désirs. Je ne supporte pas les féministes incapables de transcender l’orthodoxie à l’ancienne du féminisme et la placent au-dessus de leurs propres désirs. Et même si elles n’ont pas de désirs de type sadomasochiste, je ne supporte pas non plus qu’elles ne sachent pas faire la différence entre les violences faites aux femmes, et la douleur/soumission librement consentie. J’ai l’impression que beaucoup d’entre elles sont idiotes, et j’ai toujours du mal à accepter ça (qu’une femme puisse se déclarer féministe et être à la fois idiote).</p>
<p><strong>En 2010, aux Journées transféministes de Séville tu as signé le Manifeste pour une insurrection féministe. Partages-tu certaines des luttes féministes ?</strong></p>
<p class="MsoNormal">Ce n’est pas que je les partage, c’est que ma lutte est principalement ça : féministe. On pourrait lui donner plus de<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>nuances et dire que c’est une lutte anarko-féministe-queer-prosex. Mais il existe de nombreux féminismes et ils dépendent généralement d’un contexte et de circonstances d’oppression. Certaines luttes féministes restent en dehors de mon champ d’action, parce que comme toute activiste j’ai mes priorités, mais ce sont des luttes que je respecte et admire (comme par exemple les luttes pour légaliser l’avortement dans de nombreux pays d’Amérique Latine ou les féminismes des pays arabes).</p>
<p class="MsoNormal"><strong>Tu racontes t’être fait agresser un 8 mars<span> </span>à Barcelone, parce que tu portais la pancarte «soumise par vocation, pute par profession». Que s’est-il passé ?</strong></p>
<p class="MsoNormal">Ca dépend de ce que l’on entend par «agression». Ce qui me fit sentir agressée, en réalité, c’est d’entendre des centaines de femmes crier en chœur en pleine journée de la femme travailleuse «Ni pute, ni soumise», surtout si l’on tient en compte du fait que la travailleuse la plus mal traitée par le système occidental est la pute. J’ai trouvé ça très violent, mais quand je suis sortie avec la même pancarte le 8 mars suivant, je n’ai rencontré que des visage stupéfaits et des sourires.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span></p>
<p><strong>Comment vont les «chiennes horizontales» ?</strong></p>
<p class="MsoNormal">Mal. Il s’agissait d’un projet expérimental qui a probablement échoué parce qu’aucune d’entre nous ne sait se vendre, et aussi parce que ce «savoir se vendre» aurait constitué un ajustement aux logiques du capitalisme dont aucune d’entre nous ne s’est sentie capable.</p>
<p><strong>Tu te définis plutôt comme artiste, activiste ou… ?</strong></p>
<p class="MsoNormal">Si je dois choisir entre artiste ou activiste, je prends activiste sans aucune hésitation. Pour moi l’art est juste un outil, une arme de plus pour réaliser mon travail d’activiste.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span></p>
<p><strong>Penses-tu encore que c’est toi qui as choisi le lieu que tu occupes dans la société </strong><span>?</span></p>
<p class="MsoNormal">Je n’ai jamais pensé ça. Le lieu que j’occupe dans la société, cette périphérie marginale qu’on m’a imposée depuis qu’on a vu que je ne savais ni ne voulais m’adapter à ce qu’on attendait de moi est un lieu que je n’ai pas choisi. A partir du moment où ton physique ou ton comportement sortent de la «normalité», la société te relègue à une position de type punition. Ce que j’ai très certainement choisi, c’est de rester dans ce lieu abject et d’y construire ma forteresse, de m’élever dans l’insulte et me vanter d’être un monstre. Puiser ma force dans la marge est mon meilleur choix ; c’est envoyer au système un grand «va te faire mettre». C’est ce que les marginales comme nous peuvent faire de plus terroriste. Nous sentir confortables dans cette marge à laquelle nous confine une société normative, et l’utiliser pour générer des communautés fortes.</p>
<p><strong>La postpornographie est-elle pour toi un espace réduit ou une terre de promesses ? Comment te la représentes-tu ?</strong></p>
<p class="MsoNormal">Le postporno est simplement la représentation de sexualités, corps, genres et pratiques dans lesquels nous sommes nombreux-ses à nous reconnaître et que l’on ne retrouve pas dans la pornographie mainstream. Bien sûr que c’est un espace réduit, comme l’est celui de toute dissidence. Mais il donne l’opportunité d’être entendu-e et manifeste à toutes les personnes qui ne croient ni dans une hétérosexualité attribuée d’office à chaque être humain dès la naissance, ni aux seuls deux genres qui nous sont diagnostiqués, eux aussi, à la naissance.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span></p>
<p>Ma sexualité a toujours été bâtarde et très postpornographique, mais jamais je n’ai pensé incarner une représentation type de toute une communauté. La représentation est une chose subjective, tout comme l’observation et l’assimilation, et chaque personne devrait pouvoir générer ses propres représentations pornographiques.</p>
<p><strong>Lors du <em>Ladyfest Roma 2011</em>, tu as exigé que le public se déshabille pour pouvoir assister à ta performance. Pourquoi?</strong></p>
<p class="MsoNormal">La réponse est simple, il y avait trop de monde pour voir ma performance, trois ou quatre fois la capacité de la salle. Exiger du public qu’il se déshabille pour entrer a été une solution rapide, bête et finalement efficace pour filtrer les personnes auxquelles je voulais vraiment m'adresser, celles à qui mon message allait vraiment servir. Ca a été une de mes plus belles expériences de performeuse ; le fait que le public, plus de 100 personnes, montre son corps lui aussi, sans complexes, ni honte, m’a transmis une énergie uniquement comparable à un bon orgasme de pleine lune.</p>
<p>Les personnes restées dehors sont finalement celles qui n’étaient pas encore prêtes à vivre ce qui allait se passer pendant la performance. Depuis cette performance-là, j’ai demandé la nudité à tous mes publics, en particulier à ceux qui viennent me voir dans les théâtres. Dans d’autres cas, je n’ai pas imposé la nudité comme condition d’entrée, mais je l’ai encouragée pour la compréhension de ma performance, et pour créer un lien plus chaud, sexuel et humain avec le public. De manière générale et à ma grande surprise mon public se déshabille avec un naturel confondant, même sans que mon show l’exige.</p>
<p><strong>Quel type de public cherches-tu ? Cherches-tu à diffuser plus largement tes idées, tes performances ?</strong></p>
<p class="MsoNormal">Je n’ai pas de public type. Ca va de la grand-mère veuve de 70 ans qui promène son chien dans le parc, au pédé qui passe sa vie dans les saunas, en passant par la camionneuse qui ne sait quoi faire de son vagin ou le kepon anarkop qui n’a jamais été sodomisé.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>Les performances pornoterroristes attirent toutes sortes de personnes et n’importe qui peut acheter mon livre. Ma seule façon de garder le contrôle sur tout ça, c’est de codifier mon message de façon qu’il ne soit compris vraiment que par les braves.</p>
<p>Dans mon travail, l’amplitude est toujours un désavantage<span> </span>parce que le fait de se rendre plus accessible à un public plus large implique forcément une dépolitisation, un «nettoyage» que je chercherai toujours à éviter,<span> </span>même si cela me condamne à la précarité puisque personne qui aurait de l’argent<span> </span>ne souhaite me voir performer comme je tiens à<span> </span>le faire.</p>
<p><strong>La plupart de tes vidéos sont censurées sur les réseaux sociaux. Où peut-on voir ton travail ?</strong></p>
<p class="MsoNormal">Principalement sur ma page web, à «vidéo de performances» (www.pornoterrorismo.com).</p>
<p class="MsoNormal"><br /><cite></cite></p>
<p><strong>Pornoterrorisme</strong> de Diana J. Torres</p>
<p>Editions Gatuzain, 2012</p>
<p>ISBN : 978-84-8136-609-9</p>
<p class="MsoNormal"> </p>
<p class="MsoNormal">© Chiara Schiavon, stencil y foto</p>
<p> </p>
MMF, le point avec Myriam Nobre
2012-11-22T06:56:21+00:00
2012-11-22T06:56:21+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/405-mmf-le-point-avec-myriam-nobre
Marina Decarro
[email protected]
<p> </p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/myriam%20Nobre.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;">La Marche mondiale des femmes est un mouvement féministe international qui existe depuis 2000. Les actions qu'elle organise mobilisent des groupes de femmes à travers les cinq continents. Le 10 décembre prochain auront lieu les 24 heures de solidarité féministe, une série d'actions qui se dérouleront entre 12h et 13h suivant les fuseaux horaires.<br /> En Suisse il existe une coordination nationale active depuis 2000. Le Secrétariat international se trouve, quant à lui, à Sao Paulo. La coordinatrice, Myriam Nobre, a séjourné dernièrement à Genève pour participer au colloque "Sous le développement, le genre" et l'émiliE en a profité pour lui poser quelques questions.<br /> </span></span></p>
<p><strong>l’émiliE : Quels sont les enjeux actuels de la Marche mondiale des femmes ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;"><strong>Myriam Nobre</strong>: Nous sommes confrontées à la crise et dans ce contexte une offensive très dure est exercée sur la nature, sur le corps des femmes, sur le travail et sur la capacité de travail des gens. Le but<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>de cette offensive est de créer de nouvelles conditions d’accumulation du capital et cela par l’intermédiaire de trois moyens :<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>l’idéologie, les voies légales et<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>la violence.</p>
<p><strong>Qu’entendez-vous par idéologie ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">Pour ce qui est de l’idéologie, nous en avons parlé pendant le colloque<a name="_ftnref1" href="http://lemilie.org/#_ftn1" title="" style="mso-footnote-id: ftn1;"><span style="mso-special-character: footnote;">[1]</span></a>. Nous constatons, par exemple, des tentatives dans les milieux de la coopération internationale visant à contrôler des mouvements et des organisations, ainsi que l’apparition de processus qui aboutissent à créer des divisions et alimenter la compétition entre les mouvements pour obtenir un peu d’argent.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>Nous observons aussi dans les medias l’évolution vers la concentration des moyens de communication dans les mains de quelques personnes, de propriétaires privés qui diffusent et imposent une idéologie comme si c’étaient des faits concrets, alors que peu d’informations objectives et bien informées nous parviennent sur ce qui se passe réellement dans le monde.</p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;"><strong>Et les voies légales ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">De très nombreuses luttes ont été menées contre les traités de libre-échange et nous avons parfois gagné quelques batailles en Amérique latine.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>Mais, malgré cela, des accords bilatéraux ont été signés entre les Etats-Unis et un certain nombre de pays.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>C’est aussi le cas avec l’Union Européenne, surtout autour de l’ouverture des services pour les entreprises européennes. Et<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>même lorsque les négociations n’aboutissent pas, les modifications des lois au niveau national ont lieu pour créer les conditions de constitution du capital partout dans le monde. Un autre exemple concerne les législations sur la vigilance sanitaire. Il y a d’un côté le discours au nom de la sécurité de la santé des personnes, mais d’un autre côté,<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>le résultat est que des pratiques de production et d’échanges d’aliments utilisés dans nos régions sont déclarées illégales.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>Continuer à les pratiquer devient un crime parce que des règles commerciales fixent dorénavant comment tu peux produire et ce que<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>tu peux échanger.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>Tous les échanges de semences sont pratiquement interdits pour tout le monde, la production de fromages, etc. C’est une démarche qui vise à contrôler, à faire que des pratiques millénaires soient considérées comme un crime dans le but faire de la place<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>à la manière de produire des grandes compagnies<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>transnationales.</p>
<p><strong>Comment ce contrôle s’exerce-t-il concrètement ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">Et il y a l’imposition par la force, par la violence. En tant que femmes nous savons comment la violence envers les femmes est utilisée pour nous dominer. Nous savons que la situation de violence survient parce que la femme a dit non, parce qu’elle a refusé une situation d’oppression. Une situation de violence latente s’aggrave et la femme peut être battue ou même assassinée. Au niveau du fonctionnement de la société nous observons aussi la volonté d’accroître le contrôle sur les mouvements sociaux, limiter les manifestations et les actions de lutte.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>J’ai appris pendant mon séjour ici que des restrictions du droit de manifester ont été adoptées il y a peu dans le canton de Genève. En Espagne, des contingents énormes de police ont été utilisés pour réagir à la mobilisation des gens qui résistent aux mesures d’austérité. Cette situation illustre bien les contradictions du système parce qu’il n’y a pas d’argent pour les dépenses publiques mais il y en a pour la police, et encore davantage pour l’armée.</p>
<p><strong>Vous évoquez aussi les dommages commis sur la nature…</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">Oui, on a créé des mécanismes inédits tels que acheter et vendre le droit de polluer grâce à l’achat des crédits de gaz carbonique. Payer soi-disant pour préserver une forêt en partant de l’idée que les communautés sur place sont incapables de préserver la nature. Pourtant, si des forêts existent dans le monde c’est bien parce des communautés qui y vivaient les ont préservées, parce qu’elles étaient capables d’utiliser la nature<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>tout en la respectant. Les gens peuvent y vivre parce que la biodiversité subsiste.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>Mais à présent on déclare que ces communautés ne savent pas préserver la nature<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>et on fait venir des ONG ou des<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>entreprises pour<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>gérer ce patrimoine et négocier les droits de polluer dans les marchés internationaux. Ce qui permet aux compagnies de gagner de l’argent et de continuer à polluer. Je me demande qui peut croire une farce pareille ! Le but est de faire du profit.</p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">Nous devons nous poser la question : pourquoi n’avons nous pas réussi à empêcher ces projets ? Pourquoi les organisations de femmes, les syndicats, les organisations paysannes, les indigènes, n’ont pas été capables de bloquer cette évolution destructrice ?</p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;"><strong>Pourquoi selon vous ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">Dans le colloque cité, Lourdes Beneria a présenté des graphiques qui montraient que ces dernières années ont été des périodes de concentration des richesses, d’accroissement des écarts entre les riches et les pauvres. Une petite minorité a bénéficié des effets du développement technologique et de l’augmentation de la productivité. Le marché financier et le jeu spéculatif on favorisé l’essor d’une couche richissime.</p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">Nous devons à la fois savoir comment résister et en même temps trouver des alternatives à ce modèle de fonctionnement tourné exclusivement vers le profit. Il est possible de développer des expériences, de reprendre de manières de faire de nos cultures traditionnelles mais en prenant bien soin de les réinventer pour ne pas utiliser des structures patriarcales et inégalitaires envers les femmes.</p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;"><strong>C’est le cœur du problème selon vous ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">A mon avis il est faux de tracer une ligne de partage entre des pays qui seraient les plus dominés et des pays qui iraient mieux. Dans chaque pays, il y a des situations très diverses et on voit partout ces tendances à accroître le contrôle, à criminaliser les luttes sociales, et les pressions sur les femmes qui sont protagonistes de ces luttes sociales, même en utilisant la violence sexuelle. Nous l’avons vu dans les mobilisations du monde arabe, mais aussi au Chili lors de la répression policière contre les étudiants. Des formes de représsion très sexistes ont été employées à l’égard des femmes pour leur faire comprendre qu’elles n’avaient pas le droit d’agir dans l’espace public.</p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">Donc, nous avons de grandes difficultés d’un côté et d’un autre côté nous enregistrons toutes ces luttes, toutes ces résistances et comment les femmes et le peuple sont toujours en train d’inventer<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>de nouvelles formes de résister.</p>
<p><strong>C’est ce que vous faites avec la Marche mondiale des femmes ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">En tant que Marche mondiale des femmes, nous essayons de garder une vision générale de la situation. Nous essayons de comprendre comment évolue le capitalisme dans cette phase de crise dans les pays centraux alors qu’en même temps certaines économies marchent relativement bien dans d’autres pays. Nous cherchons à comprendre quels sont les changements des équilibres géopolitiques.</p>
<p><strong>Quels sont vos espoirs et vos déceptions ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">Ce qui nous manque dans tous les mouvements sociaux sont les possibilités d’établir des liens entre les choses qui se passent dans différentes parties de monde. Lorsque nous faisons le bilan du Forum Social Mondial du point de vue de la MMF, nous en tirons un bilan positif parce que nous avons réussi à placer le féminisme – la présence des femmes organisées - comme sujet historique, comme sujet politique, en même temps que nous avons<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>construit des alliances avec d’autres mouvements.</p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">Mais nous en attendions davantage, nous attendions que le FSM donne plus de force aux alternatives qui existent partout. En effet, des gens font de la résistance partout. Mais comment créer un lien entre ces alternatives pour créer une force de résistance au niveau local et au niveau international et dépasser cette situation que nous sommes en train de vivre actuellement ? C’est le défi qui est devant nous.</p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;"><strong>Quels succès sont à mettre à votre actif ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">Nous avons réalisé des choses intéressantes. Lors de<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>Rio + 20 nous avons organisé avec tous les mouvements sociaux une conférence parallèle des peuples dans laquelle nous avons travaillé ensemble sur trois axes : résistances, alternatives et agenda.</p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">La MMF a fait l’effort d’être présente dans toutes les thématiques. Par exemple sur la question des mines. Les compagnies minières sont en train de s’accaparer des richesses partout et elles sont très agressives. Nous avons soulevé la question de comment les violences envers les femmes sont utilisées pour déstructurer la communauté et la subordonner à leur intérêts. Nous avons été capables de mener à la fois des actions et de participer à des discussions. Nous pensons que les rapports de confiance se construisent dans la lutte. C’est ainsi que nous pouvons savoir sur qui on peut compter et quels vont être les secteurs et les personnes<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>qui vont pousser la lutte.</p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">En même temps nous cherchons d’autres modèles organisationnels parce que les modèles traditionnels hierarchisés que nous avions jusqu’ici ne sont pas suffisants. Par exemple, pour toutes les questions si difficiles du financement, nous aimerions apprendre des expériences des mouvements qui visent l’autofinancement.</p>
<p><strong>Quelles sont dans l’immédiat les échéances pour la Marche ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">Nous avons<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>les «24 heures d’action féministe» le 10 décembre prochain<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>où il y aura des actions entre 12h et 13h pour montrer qu’il faut rester vigilantes tout le temps, partager un créneau horaire et partager la responsabilité.</p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">Nous continuons à travailler au niveau des régions et réfléchissons aux agendas qui créent une action commune forte au niveau des régions comme par exemple en Europe la campagne contre la précarité et les mesures d’austérité prises par les gouvernements. Dans d’autres régions, il <span style="mso-spacerun: yes;">y </span>a d’autres questions. L’année prochaine se tiendra notre rencontre internationale et on va travailler à<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>une analyse du contexte et une analyse de notre mouvement pour savoir quels sont nos points forts, quels sont les points à renforcer et envisager notre prochaine action internationale.</p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">Ces dernières années nous avons pu nous reconstruire dans le monde arabe, en particulier avec les coordinations nationales en Palestine et en Tunisie. Nous devons travailler sur ces questions non seulement en pensant à la solidarité envers elles, car en regardant l’évolution de la situation,<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>nous nous voyons. Il y a un processus révolutionnaire, il y a un changement,<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>mais rapidement les conservateurs s’organisent, prennent la place. Ça leur arrive à elles, ça nous arrive aussi. Nous voulons être avec elles, à côté d’elles pour apprendre et nous réorganiser chez nous aussi. Je vois ça comme un défi. Il y aura probablement un Forum Social Mondial en mars 2013 à Tunis.</p>
<p> </p>
<div style="mso-element: footnote-list;"><br clear="all" /><hr width="33%" size="1" />
<div id="ftn1" style="mso-element: footnote;">
<p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn1" href="http://lemilie.org/#_ftnref1" title="" style="mso-footnote-id: ftn1;"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="mso-special-character: footnote;">[1]</span></span></a> «Sous le dévéloppement, le genre» organisé par la Direction du développement et de la coopération de la Confédération et l’Institut de recherche pour le développement, programme genre, globalisation et changements à Genève les 27 et 28 octobre 2012.</p>
<p class="MsoFootnoteText"> </p>
<p class="MsoFootnoteText"><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><span style="color: #0000ff;"><span style="text-decoration: underline;"><a href="http://www.marchemondiale.org/index_html/fr">http://www.marchemondiale.org/index_html/fr</a></span></span> <br /></span></span></p>
</div>
</div>
<p> </p>
<p> </p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><img src="images/genresfeminismes/myriam%20Nobre.jpg" border="0" width="470" style="border: 0;" /></span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;">La Marche mondiale des femmes est un mouvement féministe international qui existe depuis 2000. Les actions qu'elle organise mobilisent des groupes de femmes à travers les cinq continents. Le 10 décembre prochain auront lieu les 24 heures de solidarité féministe, une série d'actions qui se dérouleront entre 12h et 13h suivant les fuseaux horaires.<br /> En Suisse il existe une coordination nationale active depuis 2000. Le Secrétariat international se trouve, quant à lui, à Sao Paulo. La coordinatrice, Myriam Nobre, a séjourné dernièrement à Genève pour participer au colloque "Sous le développement, le genre" et l'émiliE en a profité pour lui poser quelques questions.<br /> </span></span></p>
<p><strong>l’émiliE : Quels sont les enjeux actuels de la Marche mondiale des femmes ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;"><strong>Myriam Nobre</strong>: Nous sommes confrontées à la crise et dans ce contexte une offensive très dure est exercée sur la nature, sur le corps des femmes, sur le travail et sur la capacité de travail des gens. Le but<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>de cette offensive est de créer de nouvelles conditions d’accumulation du capital et cela par l’intermédiaire de trois moyens :<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>l’idéologie, les voies légales et<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>la violence.</p>
<p><strong>Qu’entendez-vous par idéologie ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">Pour ce qui est de l’idéologie, nous en avons parlé pendant le colloque<a name="_ftnref1" href="#_ftn1" title="" style="mso-footnote-id: ftn1;"><span style="mso-special-character: footnote;">[1]</span></a>. Nous constatons, par exemple, des tentatives dans les milieux de la coopération internationale visant à contrôler des mouvements et des organisations, ainsi que l’apparition de processus qui aboutissent à créer des divisions et alimenter la compétition entre les mouvements pour obtenir un peu d’argent.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>Nous observons aussi dans les medias l’évolution vers la concentration des moyens de communication dans les mains de quelques personnes, de propriétaires privés qui diffusent et imposent une idéologie comme si c’étaient des faits concrets, alors que peu d’informations objectives et bien informées nous parviennent sur ce qui se passe réellement dans le monde.</p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;"><strong>Et les voies légales ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">De très nombreuses luttes ont été menées contre les traités de libre-échange et nous avons parfois gagné quelques batailles en Amérique latine.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>Mais, malgré cela, des accords bilatéraux ont été signés entre les Etats-Unis et un certain nombre de pays.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>C’est aussi le cas avec l’Union Européenne, surtout autour de l’ouverture des services pour les entreprises européennes. Et<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>même lorsque les négociations n’aboutissent pas, les modifications des lois au niveau national ont lieu pour créer les conditions de constitution du capital partout dans le monde. Un autre exemple concerne les législations sur la vigilance sanitaire. Il y a d’un côté le discours au nom de la sécurité de la santé des personnes, mais d’un autre côté,<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>le résultat est que des pratiques de production et d’échanges d’aliments utilisés dans nos régions sont déclarées illégales.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>Continuer à les pratiquer devient un crime parce que des règles commerciales fixent dorénavant comment tu peux produire et ce que<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>tu peux échanger.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>Tous les échanges de semences sont pratiquement interdits pour tout le monde, la production de fromages, etc. C’est une démarche qui vise à contrôler, à faire que des pratiques millénaires soient considérées comme un crime dans le but faire de la place<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>à la manière de produire des grandes compagnies<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>transnationales.</p>
<p><strong>Comment ce contrôle s’exerce-t-il concrètement ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">Et il y a l’imposition par la force, par la violence. En tant que femmes nous savons comment la violence envers les femmes est utilisée pour nous dominer. Nous savons que la situation de violence survient parce que la femme a dit non, parce qu’elle a refusé une situation d’oppression. Une situation de violence latente s’aggrave et la femme peut être battue ou même assassinée. Au niveau du fonctionnement de la société nous observons aussi la volonté d’accroître le contrôle sur les mouvements sociaux, limiter les manifestations et les actions de lutte.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>J’ai appris pendant mon séjour ici que des restrictions du droit de manifester ont été adoptées il y a peu dans le canton de Genève. En Espagne, des contingents énormes de police ont été utilisés pour réagir à la mobilisation des gens qui résistent aux mesures d’austérité. Cette situation illustre bien les contradictions du système parce qu’il n’y a pas d’argent pour les dépenses publiques mais il y en a pour la police, et encore davantage pour l’armée.</p>
<p><strong>Vous évoquez aussi les dommages commis sur la nature…</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">Oui, on a créé des mécanismes inédits tels que acheter et vendre le droit de polluer grâce à l’achat des crédits de gaz carbonique. Payer soi-disant pour préserver une forêt en partant de l’idée que les communautés sur place sont incapables de préserver la nature. Pourtant, si des forêts existent dans le monde c’est bien parce des communautés qui y vivaient les ont préservées, parce qu’elles étaient capables d’utiliser la nature<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>tout en la respectant. Les gens peuvent y vivre parce que la biodiversité subsiste.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>Mais à présent on déclare que ces communautés ne savent pas préserver la nature<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>et on fait venir des ONG ou des<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>entreprises pour<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>gérer ce patrimoine et négocier les droits de polluer dans les marchés internationaux. Ce qui permet aux compagnies de gagner de l’argent et de continuer à polluer. Je me demande qui peut croire une farce pareille ! Le but est de faire du profit.</p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">Nous devons nous poser la question : pourquoi n’avons nous pas réussi à empêcher ces projets ? Pourquoi les organisations de femmes, les syndicats, les organisations paysannes, les indigènes, n’ont pas été capables de bloquer cette évolution destructrice ?</p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;"><strong>Pourquoi selon vous ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">Dans le colloque cité, Lourdes Beneria a présenté des graphiques qui montraient que ces dernières années ont été des périodes de concentration des richesses, d’accroissement des écarts entre les riches et les pauvres. Une petite minorité a bénéficié des effets du développement technologique et de l’augmentation de la productivité. Le marché financier et le jeu spéculatif on favorisé l’essor d’une couche richissime.</p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">Nous devons à la fois savoir comment résister et en même temps trouver des alternatives à ce modèle de fonctionnement tourné exclusivement vers le profit. Il est possible de développer des expériences, de reprendre de manières de faire de nos cultures traditionnelles mais en prenant bien soin de les réinventer pour ne pas utiliser des structures patriarcales et inégalitaires envers les femmes.</p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;"><strong>C’est le cœur du problème selon vous ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">A mon avis il est faux de tracer une ligne de partage entre des pays qui seraient les plus dominés et des pays qui iraient mieux. Dans chaque pays, il y a des situations très diverses et on voit partout ces tendances à accroître le contrôle, à criminaliser les luttes sociales, et les pressions sur les femmes qui sont protagonistes de ces luttes sociales, même en utilisant la violence sexuelle. Nous l’avons vu dans les mobilisations du monde arabe, mais aussi au Chili lors de la répression policière contre les étudiants. Des formes de représsion très sexistes ont été employées à l’égard des femmes pour leur faire comprendre qu’elles n’avaient pas le droit d’agir dans l’espace public.</p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">Donc, nous avons de grandes difficultés d’un côté et d’un autre côté nous enregistrons toutes ces luttes, toutes ces résistances et comment les femmes et le peuple sont toujours en train d’inventer<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>de nouvelles formes de résister.</p>
<p><strong>C’est ce que vous faites avec la Marche mondiale des femmes ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">En tant que Marche mondiale des femmes, nous essayons de garder une vision générale de la situation. Nous essayons de comprendre comment évolue le capitalisme dans cette phase de crise dans les pays centraux alors qu’en même temps certaines économies marchent relativement bien dans d’autres pays. Nous cherchons à comprendre quels sont les changements des équilibres géopolitiques.</p>
<p><strong>Quels sont vos espoirs et vos déceptions ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">Ce qui nous manque dans tous les mouvements sociaux sont les possibilités d’établir des liens entre les choses qui se passent dans différentes parties de monde. Lorsque nous faisons le bilan du Forum Social Mondial du point de vue de la MMF, nous en tirons un bilan positif parce que nous avons réussi à placer le féminisme – la présence des femmes organisées - comme sujet historique, comme sujet politique, en même temps que nous avons<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>construit des alliances avec d’autres mouvements.</p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">Mais nous en attendions davantage, nous attendions que le FSM donne plus de force aux alternatives qui existent partout. En effet, des gens font de la résistance partout. Mais comment créer un lien entre ces alternatives pour créer une force de résistance au niveau local et au niveau international et dépasser cette situation que nous sommes en train de vivre actuellement ? C’est le défi qui est devant nous.</p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;"><strong>Quels succès sont à mettre à votre actif ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">Nous avons réalisé des choses intéressantes. Lors de<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>Rio + 20 nous avons organisé avec tous les mouvements sociaux une conférence parallèle des peuples dans laquelle nous avons travaillé ensemble sur trois axes : résistances, alternatives et agenda.</p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">La MMF a fait l’effort d’être présente dans toutes les thématiques. Par exemple sur la question des mines. Les compagnies minières sont en train de s’accaparer des richesses partout et elles sont très agressives. Nous avons soulevé la question de comment les violences envers les femmes sont utilisées pour déstructurer la communauté et la subordonner à leur intérêts. Nous avons été capables de mener à la fois des actions et de participer à des discussions. Nous pensons que les rapports de confiance se construisent dans la lutte. C’est ainsi que nous pouvons savoir sur qui on peut compter et quels vont être les secteurs et les personnes<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>qui vont pousser la lutte.</p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">En même temps nous cherchons d’autres modèles organisationnels parce que les modèles traditionnels hierarchisés que nous avions jusqu’ici ne sont pas suffisants. Par exemple, pour toutes les questions si difficiles du financement, nous aimerions apprendre des expériences des mouvements qui visent l’autofinancement.</p>
<p><strong>Quelles sont dans l’immédiat les échéances pour la Marche ?</strong></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">Nous avons<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>les «24 heures d’action féministe» le 10 décembre prochain<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>où il y aura des actions entre 12h et 13h pour montrer qu’il faut rester vigilantes tout le temps, partager un créneau horaire et partager la responsabilité.</p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">Nous continuons à travailler au niveau des régions et réfléchissons aux agendas qui créent une action commune forte au niveau des régions comme par exemple en Europe la campagne contre la précarité et les mesures d’austérité prises par les gouvernements. Dans d’autres régions, il <span style="mso-spacerun: yes;">y </span>a d’autres questions. L’année prochaine se tiendra notre rencontre internationale et on va travailler à<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>une analyse du contexte et une analyse de notre mouvement pour savoir quels sont nos points forts, quels sont les points à renforcer et envisager notre prochaine action internationale.</p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 5.0pt;">Ces dernières années nous avons pu nous reconstruire dans le monde arabe, en particulier avec les coordinations nationales en Palestine et en Tunisie. Nous devons travailler sur ces questions non seulement en pensant à la solidarité envers elles, car en regardant l’évolution de la situation,<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>nous nous voyons. Il y a un processus révolutionnaire, il y a un changement,<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>mais rapidement les conservateurs s’organisent, prennent la place. Ça leur arrive à elles, ça nous arrive aussi. Nous voulons être avec elles, à côté d’elles pour apprendre et nous réorganiser chez nous aussi. Je vois ça comme un défi. Il y aura probablement un Forum Social Mondial en mars 2013 à Tunis.</p>
<p> </p>
<div style="mso-element: footnote-list;"><br clear="all" /><hr width="33%" size="1" />
<div id="ftn1" style="mso-element: footnote;">
<p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn1" href="#_ftnref1" title="" style="mso-footnote-id: ftn1;"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="mso-special-character: footnote;">[1]</span></span></a> «Sous le dévéloppement, le genre» organisé par la Direction du développement et de la coopération de la Confédération et l’Institut de recherche pour le développement, programme genre, globalisation et changements à Genève les 27 et 28 octobre 2012.</p>
<p class="MsoFootnoteText"> </p>
<p class="MsoFootnoteText"><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12.0px;"><span style="color: #0000ff;"><span style="text-decoration: underline;"><a href="http://www.marchemondiale.org/index_html/fr">http://www.marchemondiale.org/index_html/fr</a></span></span> <br /></span></span></p>
</div>
</div>
<p> </p>
Après le printemps érable ?
2012-11-13T17:05:00+00:00
2012-11-13T17:05:00+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/399-apres-le-printemps-erable-
Caroline Dayer
[email protected]
<p><span><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/LCnb.jpg" border="0" width="470" height="606" style="border: 0;" /></span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Arial;"><strong>Suite à l’expression de leur indignation, les universitairesquébécois-e-s sont retourné-e-s à leurs études. Certaines, comme Line Chamberland, pointent à l’avant-garde. Rencontre avec cette chercheuse et militante féministe – <span style="mso-spacerun: yes;"> </span>professeure au département de sexologie (UQAM) et membre du Réseau québécois en études féministes (RéQEF) – qui a fait de la conciliation un outil de prédilection. </strong></span></p>
<p class="MsoNormal"> </p>
<p class="MsoNormal" style="tab-stops: 324.35pt;"><span style="font-family: Arial;"><strong>Quels sont les enjeux actuels du féminisme dans le contexte québécois ?</strong></span></p>
<p class="MsoNormal" style="tab-stops: 324.35pt;"><span style="font-family: Arial;">Actuellement, le mouvement féministe est sur la défensive parce qu’il y a un gouvernement conservateur au niveau fédéral. La question de l’avortement revient de façon indirecte à travers des débats sur le statut légal du fœtus et c’est une menace qui vise à remettre en question les lois sur l’interruption de grossesse. Le gouvernement conservateur au pouvoir est anti-féministe, anti-homo, anti-environnementaliste<span style="color: #3366ff;">,</span> donc il coupe ces subventions. Par exemple, la Fédération des femmes du Québec, qui est la coalition de plusieurs organismes féministes, a vu son budget diminué d’une part substantielle, ce qui affaiblit les organisations et rend plus facile d’attaquer les acquis féministes. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="tab-stops: 324.35pt;"><span style="font-family: Arial;"><strong>Qu’en est-il justement de ces acquis ?</strong></span></p>
<p class="MsoNormal" style="tab-stops: 324.35pt;"><span style="font-family: Arial;">Des batailles ont été remportées sur l’équité en emploi, toutefois les écarts salariaux demeurent importants et l’égalité sur le plan du travail, notamment l’accès à divers types d’emplois, n’est pas acquise. Le temps partiel, les situations précaires sont toujours davantage le lot des femmes et c’est souvent lié au partage des tâches domestiques. Il y a d’ailleurs un vaste programme au Québec concernant les garderies à peu de frais afin de promouvoir des conditions qui facilitent le travail des mères. Un autre problème au Québec renvoie au mouvement masculiniste, anti-féministe. Il y a toujours eu des ressacs, mais là il s’agit d’un mouvement organisé. Cette période est difficile et nous avons affaire à un plafonnement des gains notamment à travers la vision néolibérale qui force les mouvements à se rabattre sur les acquis et enlève des moyens qui permettraient d’avoir une force de proposition. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="tab-stops: 324.35pt;"><span style="font-family: Arial;"><strong>Quelles sont les questions vives qui se posent au sein de ces mouvements ? </strong></span></p>
<p class="MsoNormal" style="tab-stops: 324.35pt;"><span style="font-family: Arial;">La question intergénérationnelle et une interrogation sur le «nous femmes» et la diversité sont particulièrement saillantes. Cet écart entre générations, où beaucoup de jeunes disent que c’est acquis maintenant, pose la question de comment intéresser et mobiliser les jeunes femmes. Donc la Fédération des femmes du Québec a fait un travail de soutien d’un congrès pour les jeunes féministes et une certaine relève est en train d’émerger. Il est nécessaire de la soutenir. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="tab-stops: 324.35pt;"><span style="font-family: Arial;">Un autre enjeu est celui de l’intégration des femmes des communautés ethnoculturelles. Chez nous, le terme communauté est très employé, mais on s’aperçoit que le mouvement des femmes a beaucoup de difficulté à l’intégrer non seulement dans la liste des revendications, mais aussi dans les équipes de travail. Le danger consiste à ne pas reproduire les rapports d’inégalité et d’exclusion<span style="color: #3366ff;">,</span> par exemple par rapport aux femmes handicapées, migrantes, et il s’agit donc de leur permettre d’accéder à un pouvoir d’agir aussi au sein des mouvements féministes. Des états généraux sont justement à l’ordre du jour. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="tab-stops: 324.35pt;"> <span style="font-family: Arial;"><strong>Quels sont à vos yeux les messages fondamentaux à transmettre ? </strong></span></p>
<p class="MsoNormal" style="tab-stops: 324.35pt;"><span style="font-family: Arial;">Il est nécessaire de faire attention aux divisons pour qu’elles ne se creusent pas, pour qu’elles ne deviennent pas des fractures. Des luttes de longue date ont donné des gains qui sont en train de s’épuiser et il faut reprendre les luttes d’une autre façon. Plutôt que de discréditer ces femmes et leurs luttes, il faut voir quelle était leur situation et les enjeux de l’époque. Il peut bien sûr y avoir des désaccords mais il ne faudrait surtout pas tomber dans le mépris.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span></span></p>
<p class="MsoNormal" style="tab-stops: 324.35pt;"> <span style="font-family: Arial;"><strong>De quelle façon vivez-vous votre engagement féministe ?</strong></span></p>
<p class="MsoNormal" style="tab-stops: 324.35pt;"><span style="font-family: Arial;">Je suis davantage une personne de conciliation que de confrontation. Ça a été ma façon de m’insérer dans le féminisme, dans mon syndicat. J’essayais de réaliser des rapprochements. J’étais tiraillée en moi, par exemple sur les tensions concernant la reproduction de l’hétéronormativité d’une part et la mouvance queer d’autre part : est-ce qu’on est en train de s’assimiler, de se conformer aux normes dominantes ? Mais en même temps les lois ne sont-elles pas nécessaires et susceptibles de changer le quotidien ? Je peux vivre ces déchirements dans mon for intérieur, exprimer des opinions politiques, mais je ne veux pas en faire des lignes de fracture, des clashs. Je suis pour l’écoute mutuelle. Je m’efforce de rassembler plutôt que de diviser. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-family: Arial;"><strong>Est-ce le fil rouge de votre démarche ?</strong></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-family: Arial;">Le fil conducteur de mon travail militant et de mes recherches se tisse autour des questions d’intégration et de marginalisation liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre, autour du respect des droits dans des contextes institutionnels. Je me suis centrée sur le milieu de travail, le contexte scolaire ainsi que sur les services sociaux et de santé. Les questions identitaires sont toujours présentes mais l’idée principale renvoie aux contextes institutionnels dans le sens où le changement passe par des lois, mais pas uniquement par elles. Il est nécessaire de transformer les pratiques institutionnelles. En effet, il y a des discours en faveur de l’égalité, mais concrètement la question se pose de ce qui est mis en place pour créer des milieux vraiment ouverts aux différents formes de diversité.</span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-family: Arial;"><strong>Quels objectifs désirez-vous atteindre concernant les discriminations dans ces contextes institutionnels ? </strong></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-family: Arial;">L’objectif est d’identifier et de documenter, une fois que l’égalité des droits est établie, les situations de discriminations mais aussi les craintes des personnes dans leur milieu professionnel ou face au système médical. Cela permet de construire des outils adaptés et de développer des sessions de formation pour les professionnel-le-s de l’éducation, de la santé et des ressources humaines. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-family: Arial;"><strong>Quels sont vos principaux constats ? </strong></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-family: Arial;">La marginalisation des lesbiennes et la difficulté d’inclure les dimensions trans* alors que les questions de genre sont incontournables. J’essaie de les amener autant dans le champ associatif qu’universitaire, de les ouvrir et créer des échanges. Je me définis donc comme une alliée des trans* dans les mouvances féministes et je demeure féministe, d’un féminisme pluriel dont la lutte continue à être fondamentale. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-family: Arial;">Photo © Joanna Osbert<br /></span></p>
<p> </p>
<p><span><img src="images/genresfeminismes/LCnb.jpg" border="0" width="470" height="606" style="border: 0;" /></span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Arial;"><strong>Suite à l’expression de leur indignation, les universitairesquébécois-e-s sont retourné-e-s à leurs études. Certaines, comme Line Chamberland, pointent à l’avant-garde. Rencontre avec cette chercheuse et militante féministe – <span style="mso-spacerun: yes;"> </span>professeure au département de sexologie (UQAM) et membre du Réseau québécois en études féministes (RéQEF) – qui a fait de la conciliation un outil de prédilection. </strong></span></p>
<p class="MsoNormal"> </p>
<p class="MsoNormal" style="tab-stops: 324.35pt;"><span style="font-family: Arial;"><strong>Quels sont les enjeux actuels du féminisme dans le contexte québécois ?</strong></span></p>
<p class="MsoNormal" style="tab-stops: 324.35pt;"><span style="font-family: Arial;">Actuellement, le mouvement féministe est sur la défensive parce qu’il y a un gouvernement conservateur au niveau fédéral. La question de l’avortement revient de façon indirecte à travers des débats sur le statut légal du fœtus et c’est une menace qui vise à remettre en question les lois sur l’interruption de grossesse. Le gouvernement conservateur au pouvoir est anti-féministe, anti-homo, anti-environnementaliste<span style="color: #3366ff;">,</span> donc il coupe ces subventions. Par exemple, la Fédération des femmes du Québec, qui est la coalition de plusieurs organismes féministes, a vu son budget diminué d’une part substantielle, ce qui affaiblit les organisations et rend plus facile d’attaquer les acquis féministes. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="tab-stops: 324.35pt;"><span style="font-family: Arial;"><strong>Qu’en est-il justement de ces acquis ?</strong></span></p>
<p class="MsoNormal" style="tab-stops: 324.35pt;"><span style="font-family: Arial;">Des batailles ont été remportées sur l’équité en emploi, toutefois les écarts salariaux demeurent importants et l’égalité sur le plan du travail, notamment l’accès à divers types d’emplois, n’est pas acquise. Le temps partiel, les situations précaires sont toujours davantage le lot des femmes et c’est souvent lié au partage des tâches domestiques. Il y a d’ailleurs un vaste programme au Québec concernant les garderies à peu de frais afin de promouvoir des conditions qui facilitent le travail des mères. Un autre problème au Québec renvoie au mouvement masculiniste, anti-féministe. Il y a toujours eu des ressacs, mais là il s’agit d’un mouvement organisé. Cette période est difficile et nous avons affaire à un plafonnement des gains notamment à travers la vision néolibérale qui force les mouvements à se rabattre sur les acquis et enlève des moyens qui permettraient d’avoir une force de proposition. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="tab-stops: 324.35pt;"><span style="font-family: Arial;"><strong>Quelles sont les questions vives qui se posent au sein de ces mouvements ? </strong></span></p>
<p class="MsoNormal" style="tab-stops: 324.35pt;"><span style="font-family: Arial;">La question intergénérationnelle et une interrogation sur le «nous femmes» et la diversité sont particulièrement saillantes. Cet écart entre générations, où beaucoup de jeunes disent que c’est acquis maintenant, pose la question de comment intéresser et mobiliser les jeunes femmes. Donc la Fédération des femmes du Québec a fait un travail de soutien d’un congrès pour les jeunes féministes et une certaine relève est en train d’émerger. Il est nécessaire de la soutenir. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="tab-stops: 324.35pt;"><span style="font-family: Arial;">Un autre enjeu est celui de l’intégration des femmes des communautés ethnoculturelles. Chez nous, le terme communauté est très employé, mais on s’aperçoit que le mouvement des femmes a beaucoup de difficulté à l’intégrer non seulement dans la liste des revendications, mais aussi dans les équipes de travail. Le danger consiste à ne pas reproduire les rapports d’inégalité et d’exclusion<span style="color: #3366ff;">,</span> par exemple par rapport aux femmes handicapées, migrantes, et il s’agit donc de leur permettre d’accéder à un pouvoir d’agir aussi au sein des mouvements féministes. Des états généraux sont justement à l’ordre du jour. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="tab-stops: 324.35pt;"> <span style="font-family: Arial;"><strong>Quels sont à vos yeux les messages fondamentaux à transmettre ? </strong></span></p>
<p class="MsoNormal" style="tab-stops: 324.35pt;"><span style="font-family: Arial;">Il est nécessaire de faire attention aux divisons pour qu’elles ne se creusent pas, pour qu’elles ne deviennent pas des fractures. Des luttes de longue date ont donné des gains qui sont en train de s’épuiser et il faut reprendre les luttes d’une autre façon. Plutôt que de discréditer ces femmes et leurs luttes, il faut voir quelle était leur situation et les enjeux de l’époque. Il peut bien sûr y avoir des désaccords mais il ne faudrait surtout pas tomber dans le mépris.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span></span></p>
<p class="MsoNormal" style="tab-stops: 324.35pt;"> <span style="font-family: Arial;"><strong>De quelle façon vivez-vous votre engagement féministe ?</strong></span></p>
<p class="MsoNormal" style="tab-stops: 324.35pt;"><span style="font-family: Arial;">Je suis davantage une personne de conciliation que de confrontation. Ça a été ma façon de m’insérer dans le féminisme, dans mon syndicat. J’essayais de réaliser des rapprochements. J’étais tiraillée en moi, par exemple sur les tensions concernant la reproduction de l’hétéronormativité d’une part et la mouvance queer d’autre part : est-ce qu’on est en train de s’assimiler, de se conformer aux normes dominantes ? Mais en même temps les lois ne sont-elles pas nécessaires et susceptibles de changer le quotidien ? Je peux vivre ces déchirements dans mon for intérieur, exprimer des opinions politiques, mais je ne veux pas en faire des lignes de fracture, des clashs. Je suis pour l’écoute mutuelle. Je m’efforce de rassembler plutôt que de diviser. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-family: Arial;"><strong>Est-ce le fil rouge de votre démarche ?</strong></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-family: Arial;">Le fil conducteur de mon travail militant et de mes recherches se tisse autour des questions d’intégration et de marginalisation liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre, autour du respect des droits dans des contextes institutionnels. Je me suis centrée sur le milieu de travail, le contexte scolaire ainsi que sur les services sociaux et de santé. Les questions identitaires sont toujours présentes mais l’idée principale renvoie aux contextes institutionnels dans le sens où le changement passe par des lois, mais pas uniquement par elles. Il est nécessaire de transformer les pratiques institutionnelles. En effet, il y a des discours en faveur de l’égalité, mais concrètement la question se pose de ce qui est mis en place pour créer des milieux vraiment ouverts aux différents formes de diversité.</span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-family: Arial;"><strong>Quels objectifs désirez-vous atteindre concernant les discriminations dans ces contextes institutionnels ? </strong></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-family: Arial;">L’objectif est d’identifier et de documenter, une fois que l’égalité des droits est établie, les situations de discriminations mais aussi les craintes des personnes dans leur milieu professionnel ou face au système médical. Cela permet de construire des outils adaptés et de développer des sessions de formation pour les professionnel-le-s de l’éducation, de la santé et des ressources humaines. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-family: Arial;"><strong>Quels sont vos principaux constats ? </strong></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-family: Arial;">La marginalisation des lesbiennes et la difficulté d’inclure les dimensions trans* alors que les questions de genre sont incontournables. J’essaie de les amener autant dans le champ associatif qu’universitaire, de les ouvrir et créer des échanges. Je me définis donc comme une alliée des trans* dans les mouvances féministes et je demeure féministe, d’un féminisme pluriel dont la lutte continue à être fondamentale. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-family: Arial;">Photo © Joanna Osbert<br /></span></p>
<p> </p>
Tu vois le genre?
2012-10-08T03:24:07+00:00
2012-10-08T03:24:07+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/383-tu-vois-le-genre
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/Tu_vois_le_genre.jpg" border="0" width="220" style="border: 0; margin-top: 3px; margin-bottom: 3px; float: left;" /></p>
<p><strong>Martine Chaponnière et Silvia Ricci Lempen ont choisi d'écrire ensemble un ouvrage essentiel parce qu'il va plus loin que ce qu'on peut lire habituellement: il ne s'agit pas d'un bilan sur le féminisme ni d'un coup de gueule sur la énième injustice ou violence subie par les femmes. Non, les auteures ont mis les mains dans le cambouis et on démonté les mécanismes avec des mots simples pour que tout le monde puisse comprendre un peu mieux comment tourne le monde. <em>Tu vois le genre?</em> a été commandité par la Fondation Emilie Gourd pour répondre à cette nécessité de vulgariser des concepts qui restent encore trop souvent l'apanage des universitaires. l'émiliE aussi a voulu en savoir plus. Interview.</strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p><strong>l'émiliE : Comment vous est venue l'idée de faire ce livre ? Pourquoi ensemble ?</strong></p>
<p><strong>M. Chaponnière et S. Ricci </strong>: Par un beau soir d'été, nous dînions toutes les deux sur une terrasse. L'idée avait germé dans la tête de Silvia d'écrire un livre de vulgarisation sur les théories féministes développées par le nouveau mouvement depuis les années 1970. Mais elle ne voulait pas le faire seule, d'où sa proposition qu'on l'écrive ensemble. «Les théories féministes sont parfois tellement compliquées que les gens n'y comprennent plus rien !» disait-elle. Ce livre est donc le fruit de ce projet un peu fou de remettre à plat la notion de «féminisme» dans un langage qui puisse parler aux femmes et aux hommes d'aujourd'hui. Nous avons proposé à la Fondation Emilie Gourd, dont nous sommes toutes les deux membres du Conseil, de publier cet ouvrage pour célébrer le centième anniversaire de la naissance du journal fondé en 1912 par Emilie Gourd : <em>Le Mouvement Féministe</em>, devenu par la suite <em>Femmes suisses</em><span style="font-style: normal;"> puis, en 2000, </span><em>l'émiliE</em><span style="font-style: normal;">. Bien que n'ayant jamais fait cet exercice ensemble, nous savions d'instinct que, pour nous deux, l'écriture à quatre mains ne poserait pas de problème, et ce fut effectivement le cas.</span></p>
<p><strong>Pourriez-vous présenter brièvement cet ouvrage ?</strong></p>
<p>Ce livre se propose de montrer les enjeux théoriques développés par le nouveau mouvement féministe. Comment celui-ci a-t-il revisité les notions, plus compliquées qu'elles n'en ont l'air, d'égalité et de différence ? Et, à partir de là, comment la recherche féministe a-t-elle fait évoluer les savoirs dans les domaines de la politique et du travail, par exemple ? Mais nous abordons aussi les nouvelles problématiques développées par le mouvement féministe comme celles de l'imbrication des différentes oppressions que vivent les femmes d'une manière différente de celle des hommes (race, classe, âge, orientation sexuelle, etc.). Ce que nous essayons de montrer, c'est que la théorie féministe est loin d'être unitaire (il suffit pour s'en convaincre d'évoquer les affaires du foulard islamique), mais que ses développements contribuent de manière certaine à l'avancement du savoir.</p>
<p><strong>Qu'en attendez-vous ?</strong></p>
<p>La plupart des gens – et parmi eux beaucoup d'intellectuel-le-s – pensent que la cause des femmes est une affaire réglée. Nous tentons de montrer quatre choses :</p>
<p>- la «cause des femmes» n'est pas encore une affaire réglée<br />- les théories féministes, si elles peuvent apparaître compliquées, peuvent être comprises par la plupart des gens à condition que, comme toute théorie, quelques personnes s'attellent à les rendre déchiffrables<br />- les chercheuses et chercheurs académiques enfermés dans leur tour d'ivoire ont besoin de traducteurs-trices<br />- on ne peut plus parler du féminisme, il faut parler des différentes approches féministes qui s'opposent parfois.</p>
<p>C'est ce que nous avons tenté de faire. Par-dessus tout, nous espérons que notre livre contribuera à enrichir les débats parfois mal informés autour des questions concernant les rapports humains entre femmes et hommes, les rapports entre femmes et les rapports entre hommes.</p>
<p><strong>Qu'avez-vous appris, découvert en y travaillant?</strong></p>
<p>Enormément de choses! Nous savions déjà que les théories féministes contemporaines étaient très diverses, mais l'écriture de ce livre nous a amenées à nous plonger en profondeur dans les argumentations des unes et des autres et à mieux comprendre certains concepts à première vue paradoxaux, et souvent contradictoires entre eux. Par exemple, comment les féministes matérialistes peuvent nier toute influence de la biologie sur la construction du système patriarcal; ou comment les adeptes du queer peuvent soutenir que cette théorie n'équivaut pas à une dépolitisation du féminisme, alors même que qu'elles ne reconnaissent pas l'existence des femmes comme catégorie politique. Nous avons dû faire l'effort d'essayer d'entrer dans la tête des autres.</p>
<p><strong>Cela a-t-il changé votre regard sur les féminismes? Sur nos sociétés?</strong></p>
<p>Oui, cela nous a aidées à remettre en question un certain nombre de certitudes. Soit des certitudes que nous partagions<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>toutes les deux – car notre vision du féminisme plonge ses racines dans un même terreau, celui du féminisme occidental blanc au sein duquel nous avons toutes les deux milité; soit des certitudes qui étaient propres seulement à l'une ou à l'autre d'entre nous, et que ce travail nous a amenées à confronter.</p>
<p>En somme, nous nous sommes rendu compte à la fois de la nécessité d'élargir notre champ de vision commun, en y incluant notamment le vécu de femmes très différentes de nous par leur histoire, leur culture d'origine et leur situation sociale; et de la nécessité de creuser nos propres divergences mutuelles. Nous sortons de ce travail de rédaction avec un sentiment d'anxiété face à la rapidité et au caractère parfois chaotique des mutations de la pensée qui se produisent autour de nous et ailleurs sur la planète; mais aussi avec le sentiment gratifiant d'avoir fait un travail de défrichage utile pour celles et ceux à qui il incombe de construire l'avenir.<span style="mso-ansi-language: FR-CH;" lang="FR-CH"> </span></p>
<p><span style="mso-ansi-language: FR-CH;" lang="FR-CH"><strong>INFO</strong>: vous pouvez imprimer le coupon-réponse ci-dessous et commander directement ce livre auprès de l'éditeur ou de votre libraire<br /> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;"><span style="mso-ansi-language: FR-CH;" lang="FR-CH"> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;"><span style="mso-ansi-language: FR-CH;" lang="FR-CH">COUPON-REPONSE<br /></span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;"><span style="mso-ansi-language: FR-CH;" lang="FR-CH">Martine Chaponnière & Silvia Ricci Lempen, Tu vois le genre ? Débats féministes contemporains<br /> </span><span style="mso-ansi-language: FR-CH;" lang="FR-CH">14,5 x 21 cm – 224 pages – 2012 – ISBN 978-2-8290-0439-1 – CHF 28 / € 19 + port</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;"><span style="mso-ansi-language: FR-CH;" lang="FR-CH">Nom .................................... Prénom .................................... <br />Adresse .............................................................</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;"><span style="mso-ansi-language: FR-CH;" lang="FR-CH">No postal ................... Localité ........................ Pays ..............<br /> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;"><span style="mso-ansi-language: FR-CH;" lang="FR-CH">Date ............................ Signature ..................................<br /> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;"><span style="mso-ansi-language: FR-CH;" lang="FR-CH">À retourner à votre librairie ou aux : Éditions d'en bas, Rue des Côtes-de-Montbenon 30, 1003 Lausanne. Tél. +41 21 323 39 18 / Fax +41 21 312 32 40 [email protected], www.enbas.ch<br /> </span></p>
<p> </p>
<p><img src="images/genresfeminismes/Tu_vois_le_genre.jpg" border="0" width="220" style="border: 0; margin-top: 3px; margin-bottom: 3px; float: left;" /></p>
<p><strong>Martine Chaponnière et Silvia Ricci Lempen ont choisi d'écrire ensemble un ouvrage essentiel parce qu'il va plus loin que ce qu'on peut lire habituellement: il ne s'agit pas d'un bilan sur le féminisme ni d'un coup de gueule sur la énième injustice ou violence subie par les femmes. Non, les auteures ont mis les mains dans le cambouis et on démonté les mécanismes avec des mots simples pour que tout le monde puisse comprendre un peu mieux comment tourne le monde. <em>Tu vois le genre?</em> a été commandité par la Fondation Emilie Gourd pour répondre à cette nécessité de vulgariser des concepts qui restent encore trop souvent l'apanage des universitaires. l'émiliE aussi a voulu en savoir plus. Interview.</strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p><strong>l'émiliE : Comment vous est venue l'idée de faire ce livre ? Pourquoi ensemble ?</strong></p>
<p><strong>M. Chaponnière et S. Ricci </strong>: Par un beau soir d'été, nous dînions toutes les deux sur une terrasse. L'idée avait germé dans la tête de Silvia d'écrire un livre de vulgarisation sur les théories féministes développées par le nouveau mouvement depuis les années 1970. Mais elle ne voulait pas le faire seule, d'où sa proposition qu'on l'écrive ensemble. «Les théories féministes sont parfois tellement compliquées que les gens n'y comprennent plus rien !» disait-elle. Ce livre est donc le fruit de ce projet un peu fou de remettre à plat la notion de «féminisme» dans un langage qui puisse parler aux femmes et aux hommes d'aujourd'hui. Nous avons proposé à la Fondation Emilie Gourd, dont nous sommes toutes les deux membres du Conseil, de publier cet ouvrage pour célébrer le centième anniversaire de la naissance du journal fondé en 1912 par Emilie Gourd : <em>Le Mouvement Féministe</em>, devenu par la suite <em>Femmes suisses</em><span style="font-style: normal;"> puis, en 2000, </span><em>l'émiliE</em><span style="font-style: normal;">. Bien que n'ayant jamais fait cet exercice ensemble, nous savions d'instinct que, pour nous deux, l'écriture à quatre mains ne poserait pas de problème, et ce fut effectivement le cas.</span></p>
<p><strong>Pourriez-vous présenter brièvement cet ouvrage ?</strong></p>
<p>Ce livre se propose de montrer les enjeux théoriques développés par le nouveau mouvement féministe. Comment celui-ci a-t-il revisité les notions, plus compliquées qu'elles n'en ont l'air, d'égalité et de différence ? Et, à partir de là, comment la recherche féministe a-t-elle fait évoluer les savoirs dans les domaines de la politique et du travail, par exemple ? Mais nous abordons aussi les nouvelles problématiques développées par le mouvement féministe comme celles de l'imbrication des différentes oppressions que vivent les femmes d'une manière différente de celle des hommes (race, classe, âge, orientation sexuelle, etc.). Ce que nous essayons de montrer, c'est que la théorie féministe est loin d'être unitaire (il suffit pour s'en convaincre d'évoquer les affaires du foulard islamique), mais que ses développements contribuent de manière certaine à l'avancement du savoir.</p>
<p><strong>Qu'en attendez-vous ?</strong></p>
<p>La plupart des gens – et parmi eux beaucoup d'intellectuel-le-s – pensent que la cause des femmes est une affaire réglée. Nous tentons de montrer quatre choses :</p>
<p>- la «cause des femmes» n'est pas encore une affaire réglée<br />- les théories féministes, si elles peuvent apparaître compliquées, peuvent être comprises par la plupart des gens à condition que, comme toute théorie, quelques personnes s'attellent à les rendre déchiffrables<br />- les chercheuses et chercheurs académiques enfermés dans leur tour d'ivoire ont besoin de traducteurs-trices<br />- on ne peut plus parler du féminisme, il faut parler des différentes approches féministes qui s'opposent parfois.</p>
<p>C'est ce que nous avons tenté de faire. Par-dessus tout, nous espérons que notre livre contribuera à enrichir les débats parfois mal informés autour des questions concernant les rapports humains entre femmes et hommes, les rapports entre femmes et les rapports entre hommes.</p>
<p><strong>Qu'avez-vous appris, découvert en y travaillant?</strong></p>
<p>Enormément de choses! Nous savions déjà que les théories féministes contemporaines étaient très diverses, mais l'écriture de ce livre nous a amenées à nous plonger en profondeur dans les argumentations des unes et des autres et à mieux comprendre certains concepts à première vue paradoxaux, et souvent contradictoires entre eux. Par exemple, comment les féministes matérialistes peuvent nier toute influence de la biologie sur la construction du système patriarcal; ou comment les adeptes du queer peuvent soutenir que cette théorie n'équivaut pas à une dépolitisation du féminisme, alors même que qu'elles ne reconnaissent pas l'existence des femmes comme catégorie politique. Nous avons dû faire l'effort d'essayer d'entrer dans la tête des autres.</p>
<p><strong>Cela a-t-il changé votre regard sur les féminismes? Sur nos sociétés?</strong></p>
<p>Oui, cela nous a aidées à remettre en question un certain nombre de certitudes. Soit des certitudes que nous partagions<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>toutes les deux – car notre vision du féminisme plonge ses racines dans un même terreau, celui du féminisme occidental blanc au sein duquel nous avons toutes les deux milité; soit des certitudes qui étaient propres seulement à l'une ou à l'autre d'entre nous, et que ce travail nous a amenées à confronter.</p>
<p>En somme, nous nous sommes rendu compte à la fois de la nécessité d'élargir notre champ de vision commun, en y incluant notamment le vécu de femmes très différentes de nous par leur histoire, leur culture d'origine et leur situation sociale; et de la nécessité de creuser nos propres divergences mutuelles. Nous sortons de ce travail de rédaction avec un sentiment d'anxiété face à la rapidité et au caractère parfois chaotique des mutations de la pensée qui se produisent autour de nous et ailleurs sur la planète; mais aussi avec le sentiment gratifiant d'avoir fait un travail de défrichage utile pour celles et ceux à qui il incombe de construire l'avenir.<span style="mso-ansi-language: FR-CH;" lang="FR-CH"> </span></p>
<p><span style="mso-ansi-language: FR-CH;" lang="FR-CH"><strong>INFO</strong>: vous pouvez imprimer le coupon-réponse ci-dessous et commander directement ce livre auprès de l'éditeur ou de votre libraire<br /> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;"><span style="mso-ansi-language: FR-CH;" lang="FR-CH"> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;"><span style="mso-ansi-language: FR-CH;" lang="FR-CH">COUPON-REPONSE<br /></span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;"><span style="mso-ansi-language: FR-CH;" lang="FR-CH">Martine Chaponnière & Silvia Ricci Lempen, Tu vois le genre ? Débats féministes contemporains<br /> </span><span style="mso-ansi-language: FR-CH;" lang="FR-CH">14,5 x 21 cm – 224 pages – 2012 – ISBN 978-2-8290-0439-1 – CHF 28 / € 19 + port</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;"><span style="mso-ansi-language: FR-CH;" lang="FR-CH">Nom .................................... Prénom .................................... <br />Adresse .............................................................</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;"><span style="mso-ansi-language: FR-CH;" lang="FR-CH">No postal ................... Localité ........................ Pays ..............<br /> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;"><span style="mso-ansi-language: FR-CH;" lang="FR-CH">Date ............................ Signature ..................................<br /> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;"><span style="mso-ansi-language: FR-CH;" lang="FR-CH">À retourner à votre librairie ou aux : Éditions d'en bas, Rue des Côtes-de-Montbenon 30, 1003 Lausanne. Tél. +41 21 323 39 18 / Fax +41 21 312 32 40 [email protected], www.enbas.ch<br /> </span></p>
<p> </p>
Männer.ch s’explique
2012-09-20T09:32:31+00:00
2012-09-20T09:32:31+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/369-mannerch-sexplique
Nathalie Brochard
[email protected]
<p> </p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;"><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/manner.ch-1.jpg" border="0" alt="" /></strong></span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;"><strong> </strong></span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;">Dès qu’une association masculine revendique quoi que ce soit, on assiste à une levée de boucliers féministes qui y voient des manœuvres masculinistes. C’est le cas avec <em>männer.ch</em></span><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;">, l’organisation faîtière des associations d’hommes et de pères en Suisse, qui trouve notamment à travers la personnalité médiatique de son président Markus Theunert un écho certain auprès de son public. La rédaction de l’émiliE a estimé intéressant de mieux connaître la position de cette organisation sur des sujets précis. Cette interview d’Andreas Borter, membre du Comité directeur de <em>männer.ch</em></span><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;">, menée dans le cadre d’un article publié dans Le Courrier du 10.09.2012 porte sur les relations délicates entre les associations masculines et les bureaux de l’égalité. Sachant que les hommes ont rarement conscience des privilèges dont ils jouissent dans la société et que globalement cela demeure un impensé de leur point de vue de dominants, leurs revendications sont à lire avec toutes les précautions d’usage. Le discours égalitariste qui fait l’impasse sur le patriarcat et qui réactive la complémentarité des sexes est en effet clairement masculiniste. Il reste que des débats sont ouverts et que les féministes peuvent entrer en matière. Ou pas.</span></p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;"><strong> </strong></span></p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;">Propos receuillis par Nathalie Brochard</span></p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><strong style="font-family: Verdana;">l’émiliE : Pourriez-vous brièvement décrire votre organisation ? Quels sont ses objectifs ?</strong></p>
<p><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;"><strong>Andreas Borter </strong></span><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;">: <em>männer.ch est l’organisation faîtière des associations d’hommes et de pères en Suisse. Nous nous faisons le porte-parole des garçons, des hommes et des pères auprès des instances politiques et intégrons leurs préoccupations dans les débats sur l’égalité entre les sexes.</em></span></p>
<p><em style="font-family: Verdana;">männer.ch reconnaît que les discriminations envers les femmes existent toujours (écarts salariaux, par exemple) et qu’il faut continuer à prendre des mesures pour les éliminer. Du côté des hommes, les discriminations existent aussi, qu’elles soient législatives (comme l’obligation de servir, l’âge de la retraite, le droit du divorce) ou normatives (comme les risques inhérents à la santé et liés au rôle traditionnel des hommes).</em></p>
<p><em style="font-family: Verdana;">Mais nous estimons qu’opposer ces discriminations les unes aux autres est contre-productif, tout comme il est inutile de se demander lequel des deux sexes est le plus défavorisé.</em></p>
<p><strong style="font-family: Verdana;">l’émiliE : Pourquoi Markus Theunert a-t-il accepté le poste de délégué aux droits des hommes à Zurich ?</strong></p>
<p><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;"><strong>Andreas Borter </strong></span><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;">: <em>Pour Markus Theunert et pour männer.ch, c’était une opportunité pionnière de pouvoir réaliser enfin ce qui était en attente depuis longtemps : la prise en compte des hommes dans les structures qui se consacrent à l’égalité et, a fortiori, le renforcement nécessaire de ces structures. Nous sommes convaincus que si l’action en faveur de l’égalité ne tient pas systématiquement compte des hommes en tant que partenaires, la situation n’avancera pas et que sans une telle démarche, cette action est vouée à l’échec à long terme.</em></span></p>
<p><strong style="font-family: Verdana;">l’émiliE : Estimez-vous que la défense des droits des hommes nécessite une structure cantonale spécifique ?</strong></p>
<p><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;"><strong>Andreas Borter </strong></span><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;">: <em>Comme je l’ai dit, il ne s’agit en aucun cas de défendre les droits – quels qu’ils soient – des hommes, mais plutôt de réfléchir avec les femmes, au sein des structures officielles, et de s’accorder sur la manière d’établir de nouveaux rapports de genre. Pour ce faire, il est indispensable d’augmenter enfin, et dans l’ensemble du pays, le nombre d’hommes qui œuvrent dans le domaine de l’égalité. Un postulat qui, pour les personnes qui exigent une répartition équilibrée des sexes dans d’autres domaines, devrait aller de soi...</em></span></p>
<p><strong style="font-family: Verdana;">l’émiliE : En quoi vos relations avec le Bureau de l’égalité sont-elles compliquées ? Pour quelles raisons, selon vous ?</strong></p>
<p><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;"><strong>Andreas Borter </strong></span><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;">: <em>Jusqu’ici le travail accompli par les bureaux de l’égalité a été particulièrement centré sur les rapports de genre vus par les femmes. Or, comme la théorie féministe nous l’a appris, il n’existe pas de vision neutre de la société en ce qui concerne le genre. Aussi la contribution des hommes à la politique en matière d’égalité devrait-elle être considérée comme véritablement complémentaire. Mais comme les femmes qui œuvrent en faveur de l’égalité devraient alors céder une partie de leur pouvoir dans ce domaine, les opinions pointues émises dans une perspective masculine constituent avant tout une menace pour elles. L’expérience zurichoise en est un nouvel exemple.</em></span></p>
<p><strong style="font-family: Verdana;">l’émiliE : Les bureaux de l’égalité ne traitent pas souvent des questions liées aux sexualités. Pensez-vous qu’ils ont sous-estimé la controverse autour de la pornographie à l’école ?</strong></p>
<p><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;"><strong>Andreas Borter </strong></span><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;">: <em>En effet, une partie de la difficulté provient du fait qu’aucune discussion n’a eu lieu jusqu’ici sur les problématiques liées aux sexualités, ou alors seulement sur leurs aspects négatifs. La pertinence d’un débat autour des politiques de la sexualité et les droits sexuels des hommes et des femmes n’a jamais été reconnue. Or c’est précisément dans le dialogue avec les hommes que le champ de vision pourrait être différent. Dommage qu’une fois de plus, cette occasion d’entamer un débat constructif sur ces thématiques n’ait pas été saisie.</em></span></p>
<p><em style="font-family: Verdana;">männer.ch poursuivra cependant son travail sur ces questions et nous refuserons toujours d’être catalogués comme proféministes ou antiféministes. Nous continuerons aussi à rechercher des alliances avec des femmes ouvertes au dialogue, et avec leurs associations, afin de trouver de nouvelles formes de communication – résolument conscientes, transparentes et constructives – entre les genres. Nous ne nous engagerons pas dans une nouvelle guerre des sexes.</em></p>
<p><span style="font-family: Verdana;"> </span></p>
<p><span style="font-family: Verdana;">Photo DR, Markus Theunert et Andreas Borter</span></p>
<p> </p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;"><strong><img src="images/genresfeminismes/manner.ch-1.jpg" border="0" alt="" /></strong></span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;"><strong> </strong></span></p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;">Dès qu’une association masculine revendique quoi que ce soit, on assiste à une levée de boucliers féministes qui y voient des manœuvres masculinistes. C’est le cas avec <em>männer.ch</em></span><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;">, l’organisation faîtière des associations d’hommes et de pères en Suisse, qui trouve notamment à travers la personnalité médiatique de son président Markus Theunert un écho certain auprès de son public. La rédaction de l’émiliE a estimé intéressant de mieux connaître la position de cette organisation sur des sujets précis. Cette interview d’Andreas Borter, membre du Comité directeur de <em>männer.ch</em></span><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;">, menée dans le cadre d’un article publié dans Le Courrier du 10.09.2012 porte sur les relations délicates entre les associations masculines et les bureaux de l’égalité. Sachant que les hommes ont rarement conscience des privilèges dont ils jouissent dans la société et que globalement cela demeure un impensé de leur point de vue de dominants, leurs revendications sont à lire avec toutes les précautions d’usage. Le discours égalitariste qui fait l’impasse sur le patriarcat et qui réactive la complémentarité des sexes est en effet clairement masculiniste. Il reste que des débats sont ouverts et que les féministes peuvent entrer en matière. Ou pas.</span></p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;"><strong> </strong></span></p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;">Propos receuillis par Nathalie Brochard</span></p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal" style="mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><strong style="font-family: Verdana;">l’émiliE : Pourriez-vous brièvement décrire votre organisation ? Quels sont ses objectifs ?</strong></p>
<p><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;"><strong>Andreas Borter </strong></span><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;">: <em>männer.ch est l’organisation faîtière des associations d’hommes et de pères en Suisse. Nous nous faisons le porte-parole des garçons, des hommes et des pères auprès des instances politiques et intégrons leurs préoccupations dans les débats sur l’égalité entre les sexes.</em></span></p>
<p><em style="font-family: Verdana;">männer.ch reconnaît que les discriminations envers les femmes existent toujours (écarts salariaux, par exemple) et qu’il faut continuer à prendre des mesures pour les éliminer. Du côté des hommes, les discriminations existent aussi, qu’elles soient législatives (comme l’obligation de servir, l’âge de la retraite, le droit du divorce) ou normatives (comme les risques inhérents à la santé et liés au rôle traditionnel des hommes).</em></p>
<p><em style="font-family: Verdana;">Mais nous estimons qu’opposer ces discriminations les unes aux autres est contre-productif, tout comme il est inutile de se demander lequel des deux sexes est le plus défavorisé.</em></p>
<p><strong style="font-family: Verdana;">l’émiliE : Pourquoi Markus Theunert a-t-il accepté le poste de délégué aux droits des hommes à Zurich ?</strong></p>
<p><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;"><strong>Andreas Borter </strong></span><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;">: <em>Pour Markus Theunert et pour männer.ch, c’était une opportunité pionnière de pouvoir réaliser enfin ce qui était en attente depuis longtemps : la prise en compte des hommes dans les structures qui se consacrent à l’égalité et, a fortiori, le renforcement nécessaire de ces structures. Nous sommes convaincus que si l’action en faveur de l’égalité ne tient pas systématiquement compte des hommes en tant que partenaires, la situation n’avancera pas et que sans une telle démarche, cette action est vouée à l’échec à long terme.</em></span></p>
<p><strong style="font-family: Verdana;">l’émiliE : Estimez-vous que la défense des droits des hommes nécessite une structure cantonale spécifique ?</strong></p>
<p><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;"><strong>Andreas Borter </strong></span><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;">: <em>Comme je l’ai dit, il ne s’agit en aucun cas de défendre les droits – quels qu’ils soient – des hommes, mais plutôt de réfléchir avec les femmes, au sein des structures officielles, et de s’accorder sur la manière d’établir de nouveaux rapports de genre. Pour ce faire, il est indispensable d’augmenter enfin, et dans l’ensemble du pays, le nombre d’hommes qui œuvrent dans le domaine de l’égalité. Un postulat qui, pour les personnes qui exigent une répartition équilibrée des sexes dans d’autres domaines, devrait aller de soi...</em></span></p>
<p><strong style="font-family: Verdana;">l’émiliE : En quoi vos relations avec le Bureau de l’égalité sont-elles compliquées ? Pour quelles raisons, selon vous ?</strong></p>
<p><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;"><strong>Andreas Borter </strong></span><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;">: <em>Jusqu’ici le travail accompli par les bureaux de l’égalité a été particulièrement centré sur les rapports de genre vus par les femmes. Or, comme la théorie féministe nous l’a appris, il n’existe pas de vision neutre de la société en ce qui concerne le genre. Aussi la contribution des hommes à la politique en matière d’égalité devrait-elle être considérée comme véritablement complémentaire. Mais comme les femmes qui œuvrent en faveur de l’égalité devraient alors céder une partie de leur pouvoir dans ce domaine, les opinions pointues émises dans une perspective masculine constituent avant tout une menace pour elles. L’expérience zurichoise en est un nouvel exemple.</em></span></p>
<p><strong style="font-family: Verdana;">l’émiliE : Les bureaux de l’égalité ne traitent pas souvent des questions liées aux sexualités. Pensez-vous qu’ils ont sous-estimé la controverse autour de la pornographie à l’école ?</strong></p>
<p><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;"><strong>Andreas Borter </strong></span><span style="font-family: Verdana; mso-ansi-language: FR;">: <em>En effet, une partie de la difficulté provient du fait qu’aucune discussion n’a eu lieu jusqu’ici sur les problématiques liées aux sexualités, ou alors seulement sur leurs aspects négatifs. La pertinence d’un débat autour des politiques de la sexualité et les droits sexuels des hommes et des femmes n’a jamais été reconnue. Or c’est précisément dans le dialogue avec les hommes que le champ de vision pourrait être différent. Dommage qu’une fois de plus, cette occasion d’entamer un débat constructif sur ces thématiques n’ait pas été saisie.</em></span></p>
<p><em style="font-family: Verdana;">männer.ch poursuivra cependant son travail sur ces questions et nous refuserons toujours d’être catalogués comme proféministes ou antiféministes. Nous continuerons aussi à rechercher des alliances avec des femmes ouvertes au dialogue, et avec leurs associations, afin de trouver de nouvelles formes de communication – résolument conscientes, transparentes et constructives – entre les genres. Nous ne nous engagerons pas dans une nouvelle guerre des sexes.</em></p>
<p><span style="font-family: Verdana;"> </span></p>
<p><span style="font-family: Verdana;">Photo DR, Markus Theunert et Andreas Borter</span></p>
<p> </p>
Discours et pratique de combat
2012-06-11T06:36:29+00:00
2012-06-11T06:36:29+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/362-le-feminisme-comme-discours-et-pratique-de-combat
Caroline Dayer
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/stories/ed01.jpg" border="0" width="304" /></p>
<p><strong>L’instrumentalisation de problématiques féministes interroge non seulement les enjeux politiques contemporains mais également certains usages du féminisme, et par conséquent les positionnements des féministes elles-mêmes. Elsa Dorlin, professeure à Paris VIII et spécialiste de ces questions, fait part de son analyse. Interview.</strong></p>
<p> </p>
<p><strong>Comment travaillez-vous votre propre positionnement ? </strong></p>
<p>Plusieurs points sont importants pour moi. Tout d’abord, je trouve qu’il est plus pertinent de se situer que de dire qui on est. Lorsque l’on travaille en études de genre et en théorie féministe, que l’on est soi-même engagée dans ce mouvement, on est hanté par la question « qui parle ? » ; par rapport à l’engendrement des rapports de pouvoir de genre, de sexualité, de couleur, de classe, les termes de cette interrogation sont assez problématiques parce que je crois qu’on a tendance à confondre la question précise du positionnement (« d’où est-ce que je parle ? »), avec cette injonction, cette question policière (« qui es-tu pour parler de ceci ou de cela ? »), ce qui est très différent à mon avis. Se poser la question et être interpellé-e sur « d’où je parle » implique de se situer dans un champ théorique mais aussi sur un échiquier politique, militant, dans des histoires collectives et dans une biographie intellectuelle, c’est-à-dire de se situer dans une cartographie complexe. En revanche, la question « qui es-tu ? » me semble être un dévoiement policier et si on accepte d’y répondre, on échouera à penser ensemble les luttes comme à inventer des coalitions.</p>
<p>La deuxième chose, c’est de considérer que les expériences que l’on fait du sexisme sont toujours et en même temps teintées de racisme, de nationalisme, d’hétéronormativité et de rapports de classe, et que ces expériences ne sont pas identiques et n’ont pas à l’être. En revanche, je dirais qu’elles sont <em>commensurables</em>, c’est-à-dire qu’il y a une commensurabilité, il y a un point commun, il y a des perspectives communes, des ponts, des langages, des univers partagés. Et c’est précisément dans ces univers partagés qu’il faut aller chercher les points de rencontre et les logiques de coalitions.</p>
<p>La dernière chose concerne l’engagement féministe. J’appartiens à des groupes politiques féministes pour qui la théorie est une pratique et la pratique est porteuse de théorie. Donc il n’y a pas d’un côté ma vie d’universitaire et de l’autre ma vie de militante.</p>
<p> </p>
<p><strong>Comment cette articulation entre théorie et pratique, entre vie universitaire et militante se concrétise-t-elle ? </strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p>Cette articulation se concrétise dans ma pratique de la théorie où j’essaie de faire preuve d’une probité et d’une rigueur intellectuelles qui font que je suis instruite et éveillée par tout un savoir militant que je contribue aussi à élaborer. Cette pratique théorique est tout entière engagée dans le monde.</p>
<p>Aujourd’hui, je pense qu’il est très important d’être lisible et audible depuis une position féministe qui consiste à alerter ou à se positionner dans un certain usage du féminisme, tant le féminisme est actuellement plus que jamais instrumentalisé voire incarné par des courants conservateurs.</p>
<p>Par exemple, dans la campagne présidentielle française mais aussi dans une certaine mesure en Hollande, en Belgique ou encore en Suisse avec la polémique sur les minarets, on assiste à une droitisation des problématiques féministes, c’est-à-dire une instrumentalisation des droits des femmes et des minorités sexuelles à des fins strictement racistes. Je pense qu’il y a un devoir de la part des intellectuelles et militantes féministes de ne pas s’engager auprès de personnes qui tentent d’utiliser ainsi le droit des femmes ou des homosexuel.l.e.s pour stigmatiser des groupes sociaux, des populations et des nations, ou même des civilisations, comme « plus » sexistes ou homophobes que d’autres ; ou alors il faut que les choses soient claires. Mon but c’est aussi de dénoncer les courants du féminisme qui aujourd’hui cautionnent cette voie du nationalisme, du culturalisme et du racisme. Pour ma part, je suis du côté du féminisme internationaliste et révolutionnaire, et je n’accepterai aucune récupération de mon propos ou de ma pratique par un gouvernement ou un Etat quel qu’il soit, par des partis politiques qui utilisent ma parole et mon engagement à des fins racistes. C’est pourquoi, avec Eleni Varikas nous avons ressenti l’urgence d’écrire un manifeste, « Nous, féministes… », entre les deux tours de l’élection présidentielle française en mai dernier afin de re-affirmer l’engagement à la fois théorique et politique de milliers de féministes contre les dérives fascistes des gouvernements européens.</p>
<p> </p>
<p><strong>Quels sont à votre avis les autres enjeux actuels du féminisme ? </strong></p>
<p>Les chantiers sont nombreux mais je crois qu’au fond la question centrale est celle des violences et d’un renouvellement des problématiques et des analyses féministes sur la violence.</p>
<p>C’est un chantier personnel, intellectuel et militant parce que je crois que c’est par la question des violences qu’a été possible la récupération ou la dérive raciste de l’agenda féministe. Par exemple, le fait de considérer qu’aujourd’hui l’ennemi des femmes est un ennemi complètement racialisé et que les violences faites aux femmes, c’est toujours ailleurs, chez les autres, chez « eux » ; ou encore ces formes de « barbarisation » des communautés minoritaires également au sein même des territoires nationaux (la communauté musulmane, les migrants venus du continent africain, les descendants de l’immigration post coloniale, tous ces groupes sociaux sont montrés du doigt comme si chez « eux » il n’y avait pas de respect des femmes et qu’ils avaient prétendument une culture particulièrement violente à l’encontre des femmes et des minorités sexuelles)… tout cette rhétorique est un véritable piège politique pour le féminisme.</p>
<p>On voit bien ici qu’on a affaire à une forme d’essentialisation, c’est-à-dire la réduction à une affaire de nature ou de culture d’une question qui est éminemment politique. Parce que la violence qui est faite aux femmes, elle n’a pas de classe, elle n’a pas de couleur, elle n’a pas de nation ou de religion, toutes les enquêtes sociologiques le montrent. Les violences faites aux femmes dans l’espace public, dans l’espace privé, dans l’espace professionnel, ne connaissent pas de culture particulière mais on continue de nous faire croire cela. Certes, une partie du mouvement féministe cautionne cela. Du coup, on rame pour signaler que le féminisme ce n’est pas non plus celles qui prennent la parole dans les média pour dire qu’effectivement le « garçon arabe » est « l’ennemi principal » des femmes aujourd’hui. Et d’ailleurs, les femmes, c’est qui ? Dans ce cas, on se réfère généralement aux femmes blanches, européennes, bourgeoises, hétérosexuelles … et il y aurait évidemment bien des choses à dire du côté de cette réduction du sujet du féminisme à une figure hégémonique.</p>
<p> </p>
<p> </p>
<p><strong>Quelle est donc la tâche du féminisme envers cette question des violences ?</strong></p>
<p>En même temps qu’il y a cette instrumentalisation raciste des violences faites aux femmes, je pense que l’on voit aujourd’hui les limites des discours et revendications qui s’en tiennent à la victime : « les femmes sont victimes de violence ». Il est évident que les femmes sont victimes de violence mais c’est un vocabulaire et une façon de politiser cette question par le bais d’une catégorie juridique. La victime renvoie à une catégorie juridique, anciennement c’est une catégorie qui a trait aussi à des questions de sacrifice mais admettons que c’est une catégorie, en tout cas dans la modernité, juridique. Or, cela implique le rabattement du politique sur le judiciaire. Je pense donc qu’on a tout intérêt à renouveler la façon dont on comprend la violence.</p>
<p> </p>
<p><strong>Comment ce renouvellement peut-il se traduire ?</strong></p>
<p>Les victimes sont des résistantes, les femmes sont résistantes, les femmes résistent aux violences chaque jour, quotidiennement, dans la rue et ailleurs. Elles ne sont pas victimes de violences, <em>elles résistent à la violence</em>. Si à un moment donné on change ce point de vue et qu’on appréhende les femmes non pas comme des victimes mais comme des résistantes - des résistantes à tout ce sexisme ordinaire, à ces micro ou macro violences -, si on les interpelle de cette manière, alors le féminisme (re)deviendra un discours de revendication, un discours de lutte, un discours vraiment à même de renverser le rapport de force parce que cela implique toute une autre façon de se penser soi-même. Si je me considère comme une victime, je suis sans défense, je ne peux rien faire. Je m’en remets à l’Etat et aux tribunaux, et à raison, parce que la violence peut être incapacitante, mais quand bien même la violence est telle que ma résistance ne suffit pas à l’arrêter, quand bien même elle est systématique, quotidienne, continue, on fait toujours quelque chose, on agit, sinon on ne serait pas là pour en parler. Même de façon infime, insignifiante selon les normes des grands récits de la résistance et des luttes, les femmes tiennent bon. Donc toujours et en même temps qu’on est victime, on est toujours et en même temps résistante.</p>
<p>On peut se demander pourquoi à un moment donné les mouvements féministes historiques se sont privés d’un discours positif, révolutionnaire, de combat et de lutte qui a des généalogies très diverses (allant de Valérie Solanas avec le SCUM jusqu’au mouvement de libération des femmes dans les années 1970, qui avaient une rhétorique qui n’était pas centrée exclusivement sur la question de la victime), pour adopter des stratégies <em>exclusives</em> de prévention et de judiciarisation des violences. Il s’agit de se renouveler, de réinventer une mythologie féministe qui est une mythologie féministe de la puissance d’agir, de la puissance de résister des femmes et des minorités, tout en n’abandonnant pas la bataille juridique de la reconnaissance des violences faites aux femmes (et je pense notamment au combat actuel en France pour une loi efficace contre le harcèlement sexuel).</p>
<p>Je travaille sur la violence, non pas celle que l’on subit, on la connaît, on en fait l’expérience et il y a énormément d’études là-dessus. Ce qui m’intéresse, c’est la violence qu’on ressent face à cette violence, la colère, la rage, le sentiment d’injustice, de dégoût, de désespoir et ce qu’on fait de tout cela. Il faut la transformer en force politique et en puissance d’agir, et pour ce faire, il faut que le féminisme soit un discours et une pratique de combat.</p>
<p> </p>
<p> </p>
<p><strong>Propos recueillis par Caroline Dayer et Joanna Osbert </strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p><strong>© Photo Joanna Osbert </strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p><img src="images/stories/ed01.jpg" border="0" width="304" /></p>
<p><strong>L’instrumentalisation de problématiques féministes interroge non seulement les enjeux politiques contemporains mais également certains usages du féminisme, et par conséquent les positionnements des féministes elles-mêmes. Elsa Dorlin, professeure à Paris VIII et spécialiste de ces questions, fait part de son analyse. Interview.</strong></p>
<p> </p>
<p><strong>Comment travaillez-vous votre propre positionnement ? </strong></p>
<p>Plusieurs points sont importants pour moi. Tout d’abord, je trouve qu’il est plus pertinent de se situer que de dire qui on est. Lorsque l’on travaille en études de genre et en théorie féministe, que l’on est soi-même engagée dans ce mouvement, on est hanté par la question « qui parle ? » ; par rapport à l’engendrement des rapports de pouvoir de genre, de sexualité, de couleur, de classe, les termes de cette interrogation sont assez problématiques parce que je crois qu’on a tendance à confondre la question précise du positionnement (« d’où est-ce que je parle ? »), avec cette injonction, cette question policière (« qui es-tu pour parler de ceci ou de cela ? »), ce qui est très différent à mon avis. Se poser la question et être interpellé-e sur « d’où je parle » implique de se situer dans un champ théorique mais aussi sur un échiquier politique, militant, dans des histoires collectives et dans une biographie intellectuelle, c’est-à-dire de se situer dans une cartographie complexe. En revanche, la question « qui es-tu ? » me semble être un dévoiement policier et si on accepte d’y répondre, on échouera à penser ensemble les luttes comme à inventer des coalitions.</p>
<p>La deuxième chose, c’est de considérer que les expériences que l’on fait du sexisme sont toujours et en même temps teintées de racisme, de nationalisme, d’hétéronormativité et de rapports de classe, et que ces expériences ne sont pas identiques et n’ont pas à l’être. En revanche, je dirais qu’elles sont <em>commensurables</em>, c’est-à-dire qu’il y a une commensurabilité, il y a un point commun, il y a des perspectives communes, des ponts, des langages, des univers partagés. Et c’est précisément dans ces univers partagés qu’il faut aller chercher les points de rencontre et les logiques de coalitions.</p>
<p>La dernière chose concerne l’engagement féministe. J’appartiens à des groupes politiques féministes pour qui la théorie est une pratique et la pratique est porteuse de théorie. Donc il n’y a pas d’un côté ma vie d’universitaire et de l’autre ma vie de militante.</p>
<p> </p>
<p><strong>Comment cette articulation entre théorie et pratique, entre vie universitaire et militante se concrétise-t-elle ? </strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p>Cette articulation se concrétise dans ma pratique de la théorie où j’essaie de faire preuve d’une probité et d’une rigueur intellectuelles qui font que je suis instruite et éveillée par tout un savoir militant que je contribue aussi à élaborer. Cette pratique théorique est tout entière engagée dans le monde.</p>
<p>Aujourd’hui, je pense qu’il est très important d’être lisible et audible depuis une position féministe qui consiste à alerter ou à se positionner dans un certain usage du féminisme, tant le féminisme est actuellement plus que jamais instrumentalisé voire incarné par des courants conservateurs.</p>
<p>Par exemple, dans la campagne présidentielle française mais aussi dans une certaine mesure en Hollande, en Belgique ou encore en Suisse avec la polémique sur les minarets, on assiste à une droitisation des problématiques féministes, c’est-à-dire une instrumentalisation des droits des femmes et des minorités sexuelles à des fins strictement racistes. Je pense qu’il y a un devoir de la part des intellectuelles et militantes féministes de ne pas s’engager auprès de personnes qui tentent d’utiliser ainsi le droit des femmes ou des homosexuel.l.e.s pour stigmatiser des groupes sociaux, des populations et des nations, ou même des civilisations, comme « plus » sexistes ou homophobes que d’autres ; ou alors il faut que les choses soient claires. Mon but c’est aussi de dénoncer les courants du féminisme qui aujourd’hui cautionnent cette voie du nationalisme, du culturalisme et du racisme. Pour ma part, je suis du côté du féminisme internationaliste et révolutionnaire, et je n’accepterai aucune récupération de mon propos ou de ma pratique par un gouvernement ou un Etat quel qu’il soit, par des partis politiques qui utilisent ma parole et mon engagement à des fins racistes. C’est pourquoi, avec Eleni Varikas nous avons ressenti l’urgence d’écrire un manifeste, « Nous, féministes… », entre les deux tours de l’élection présidentielle française en mai dernier afin de re-affirmer l’engagement à la fois théorique et politique de milliers de féministes contre les dérives fascistes des gouvernements européens.</p>
<p> </p>
<p><strong>Quels sont à votre avis les autres enjeux actuels du féminisme ? </strong></p>
<p>Les chantiers sont nombreux mais je crois qu’au fond la question centrale est celle des violences et d’un renouvellement des problématiques et des analyses féministes sur la violence.</p>
<p>C’est un chantier personnel, intellectuel et militant parce que je crois que c’est par la question des violences qu’a été possible la récupération ou la dérive raciste de l’agenda féministe. Par exemple, le fait de considérer qu’aujourd’hui l’ennemi des femmes est un ennemi complètement racialisé et que les violences faites aux femmes, c’est toujours ailleurs, chez les autres, chez « eux » ; ou encore ces formes de « barbarisation » des communautés minoritaires également au sein même des territoires nationaux (la communauté musulmane, les migrants venus du continent africain, les descendants de l’immigration post coloniale, tous ces groupes sociaux sont montrés du doigt comme si chez « eux » il n’y avait pas de respect des femmes et qu’ils avaient prétendument une culture particulièrement violente à l’encontre des femmes et des minorités sexuelles)… tout cette rhétorique est un véritable piège politique pour le féminisme.</p>
<p>On voit bien ici qu’on a affaire à une forme d’essentialisation, c’est-à-dire la réduction à une affaire de nature ou de culture d’une question qui est éminemment politique. Parce que la violence qui est faite aux femmes, elle n’a pas de classe, elle n’a pas de couleur, elle n’a pas de nation ou de religion, toutes les enquêtes sociologiques le montrent. Les violences faites aux femmes dans l’espace public, dans l’espace privé, dans l’espace professionnel, ne connaissent pas de culture particulière mais on continue de nous faire croire cela. Certes, une partie du mouvement féministe cautionne cela. Du coup, on rame pour signaler que le féminisme ce n’est pas non plus celles qui prennent la parole dans les média pour dire qu’effectivement le « garçon arabe » est « l’ennemi principal » des femmes aujourd’hui. Et d’ailleurs, les femmes, c’est qui ? Dans ce cas, on se réfère généralement aux femmes blanches, européennes, bourgeoises, hétérosexuelles … et il y aurait évidemment bien des choses à dire du côté de cette réduction du sujet du féminisme à une figure hégémonique.</p>
<p> </p>
<p> </p>
<p><strong>Quelle est donc la tâche du féminisme envers cette question des violences ?</strong></p>
<p>En même temps qu’il y a cette instrumentalisation raciste des violences faites aux femmes, je pense que l’on voit aujourd’hui les limites des discours et revendications qui s’en tiennent à la victime : « les femmes sont victimes de violence ». Il est évident que les femmes sont victimes de violence mais c’est un vocabulaire et une façon de politiser cette question par le bais d’une catégorie juridique. La victime renvoie à une catégorie juridique, anciennement c’est une catégorie qui a trait aussi à des questions de sacrifice mais admettons que c’est une catégorie, en tout cas dans la modernité, juridique. Or, cela implique le rabattement du politique sur le judiciaire. Je pense donc qu’on a tout intérêt à renouveler la façon dont on comprend la violence.</p>
<p> </p>
<p><strong>Comment ce renouvellement peut-il se traduire ?</strong></p>
<p>Les victimes sont des résistantes, les femmes sont résistantes, les femmes résistent aux violences chaque jour, quotidiennement, dans la rue et ailleurs. Elles ne sont pas victimes de violences, <em>elles résistent à la violence</em>. Si à un moment donné on change ce point de vue et qu’on appréhende les femmes non pas comme des victimes mais comme des résistantes - des résistantes à tout ce sexisme ordinaire, à ces micro ou macro violences -, si on les interpelle de cette manière, alors le féminisme (re)deviendra un discours de revendication, un discours de lutte, un discours vraiment à même de renverser le rapport de force parce que cela implique toute une autre façon de se penser soi-même. Si je me considère comme une victime, je suis sans défense, je ne peux rien faire. Je m’en remets à l’Etat et aux tribunaux, et à raison, parce que la violence peut être incapacitante, mais quand bien même la violence est telle que ma résistance ne suffit pas à l’arrêter, quand bien même elle est systématique, quotidienne, continue, on fait toujours quelque chose, on agit, sinon on ne serait pas là pour en parler. Même de façon infime, insignifiante selon les normes des grands récits de la résistance et des luttes, les femmes tiennent bon. Donc toujours et en même temps qu’on est victime, on est toujours et en même temps résistante.</p>
<p>On peut se demander pourquoi à un moment donné les mouvements féministes historiques se sont privés d’un discours positif, révolutionnaire, de combat et de lutte qui a des généalogies très diverses (allant de Valérie Solanas avec le SCUM jusqu’au mouvement de libération des femmes dans les années 1970, qui avaient une rhétorique qui n’était pas centrée exclusivement sur la question de la victime), pour adopter des stratégies <em>exclusives</em> de prévention et de judiciarisation des violences. Il s’agit de se renouveler, de réinventer une mythologie féministe qui est une mythologie féministe de la puissance d’agir, de la puissance de résister des femmes et des minorités, tout en n’abandonnant pas la bataille juridique de la reconnaissance des violences faites aux femmes (et je pense notamment au combat actuel en France pour une loi efficace contre le harcèlement sexuel).</p>
<p>Je travaille sur la violence, non pas celle que l’on subit, on la connaît, on en fait l’expérience et il y a énormément d’études là-dessus. Ce qui m’intéresse, c’est la violence qu’on ressent face à cette violence, la colère, la rage, le sentiment d’injustice, de dégoût, de désespoir et ce qu’on fait de tout cela. Il faut la transformer en force politique et en puissance d’agir, et pour ce faire, il faut que le féminisme soit un discours et une pratique de combat.</p>
<p> </p>
<p> </p>
<p><strong>Propos recueillis par Caroline Dayer et Joanna Osbert </strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p><strong>© Photo Joanna Osbert </strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p><strong> </strong></p>
Histoires de famille
2012-05-15T07:43:42+00:00
2012-05-15T07:43:42+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/351-la-famille-nest-pas-une-institution-naturelle
Caroline Dayer
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/stories/ef.jpg" border="0" width="304" /></strong></p>
<p><strong>La famille n’est pas une institution naturelle.</strong></p>
<p><strong>Les questions autour de la famille déchaînent toujours les passions. Des réactions parfois extrêmes circulent lorsque la multiplicité des réalités familiales prend part au débat. l’émiliE s’est adressée à Eric Fassin, désormais professeur à Paris VIII et spécialiste de ces thématiques, qui a analysé et déconstruit les arguments les plus fréquemment avancés. Interview.</strong></p>
<p> </p>
<p><strong>Comment interpréter les arguments qui avancent que la diversité des formes familiales mettrait en péril la famille dite traditionnelle? </strong></p>
<p>J’y entends beaucoup de choses. D’abord, nous avons affaire à un argument naturaliste sur la famille : «La famille, ça sert à la reproduction» ; or, bien entendu, c’est faux. Si c’était le cas, on interdirait par exemple le mariage aux femmes ménopausées. Il est donc clair que ce n’est pas ainsi que fonctionne aujourd’hui le mariage. La famille, ce n’est pas une institution naturelle. D’ailleurs, une «institution naturelle», c’est une contradiction dans les termes : une institution, c’est social – par définition ! L’idée d’une institution naturelle est donc un fantasme, sans rapport avec la réalité des familles. Il suffit de prendre pour exemple la possibilité d’adopter à titre individuel en France (je ne sais si c’est le cas en Suisse). Voilà qui montre bien que l’adoption elle-même n’est pas calquée sur la reproduction, puisqu’elle est ouverte aux célibataires. Songeons aussi aux femmes qui «font des enfants toutes seules» : tous ces cas de figure montrent que nous ne sommes pas dans un régime familial dont la vocation exclusive serait la reproduction. Sinon, la contraception et l’avortement ne seraient pas autorisés, surtout pour les couples mariés ! Il n’est donc pas vrai que la famille soit naturelle. Mais que signifie un tel argument ? Il dit ceci : nous <em>voulons</em> que la famille soit naturelle. Dire cela pour en exclure les homosexuels, c’est impliquer que l’homosexualité est contre nature. Et, indissociablement, c’est suggérer qu’instituer l’hétérosexualité, c’est la fonder en nature. Cette naturalisation du monde, à mon sens, est l’enjeu majeur de ces batailles politiques.</p>
<p> </p>
<p><strong>De quelle façon cette naturalisation du monde s’articule-t-elle avec un point souvent avancé qui est celui de la préservation de la nation ?</strong></p>
<p>La Droite populaire en France, comme en Suisse, est surtout connue pour son combat contre l’immigration, par exemple contre la double nationalité. En même temps, elle s’est aussi battue contre l’introduction du terme de genre dans les manuels scolaires de biologie (Sciences de la vie et de la terre). On peut songer aussi aux propos homophobes récurrents de Christian Vanneste, député UMP. Ces discours reprennent d’ailleurs ceux du Vatican : c’est la même volonté de fonder en nature l’ordre social. C’est la raison pour laquelle le Pape Benoît XVI, en 2008 (devant la Curie romaine, <em>ndlr</em>), avait parlé d’une «écologie humaine». Selon lui, le mariage doit être protégé, tout comme les forêts tropicales. L’hétérosexualité serait-elle une institution en danger ? Par quoi est-elle menacée ? Par la reconnaissance de l’homosexualité à égalité avec l’hétérosexualité, autrement dit, la fin du privilège hétérosexuel comme fondement de l’ordre social. On voit bien que la nature est un argument opposé aux revendications démocratiques : poser un fondement biologique de l’ordre social, comme le font les conservateurs – religieux ou pas –, c’est ériger un rempart contre une vision du monde qui est inséparablement historique (le monde change) et démocratique (c’est notre monde, nous le faisons). On la pose contre une vision historique de l’ordre social, qui est une vision démocratique. Mais il y a plus : l’ordre social, c’est aussi un ordre national. En effet, la filiation ne renvoie pas seulement à la famille ; elle définit aussi la nationalité. Ainsi, naturaliser la filiation, ce n’est pas seulement naturaliser l’hétérosexualité ; cela renvoie à une nation fondée sur le droit du sang. Et la famille et la nation sont alors pensées comme des «institutions naturelles».</p>
<p><strong> </strong></p>
<p> </p>
<p><strong>Après la famille, la nation, il est souvent question de l’intérêt de l’enfant…</strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p>On passe ici à un argument différent – même s’il y a une certaine ambiguïté : si l’on ouvre l’adoption aux couples de même sexe, le danger porte-t-il sur les enfants adoptés, ou sur l’enfance en général ? Dans le premier cas, cet argument psychologique n’est pas nouveau, et il a déjà été critiqué pour son conservatisme (il justifierait aussi bien l’interdiction du divorce). Dans le deuxième cas, il en va de la culture : la socialisation devrait être fondée sur le privilège de l’hétérosexualité. Pourquoi ? Il me semble que s’exprime là une peur étrange : on craint que si l’hétérosexualité n’est plus étayée par la force de l’État, elle ne s’effondre. Pour préserver l’hétérosexualité, il faudrait le soutien de l’institution. On retrouve le souci du Souverain Pontife… C’est une conception de l’hétérosexualité très pessimiste : si elle a tant besoin d’être soutenue socialement, faut-il croire qu’elle ne serait pas naturellement désirable ? Mais alors, comment peut-on dire qu’il s’agit d’une institution naturelle ? On retrouve la même contradiction entre les deux termes, mais cette fois-ci, dans la logique même de ceux qui s’en réclament : pourquoi faut-il soutenir socialement l’hétérosexualité si elle est naturelle ?</p>
<p> </p>
<p><strong>Les arguments conservateurs prônent qu’il n’est pas discriminatoire d’imposer leur schéma obligatoirement basé sur le couple composé d’un homme et d’une femme…</strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p>Certes, on ne peut pas dire que toute distinction soit discriminatoire. Par exemple, nous refusons la discrimination fondée sur l’âge ; mais nous jugeons quand même légitime d’interdire le mariage aux mineurs. La question est donc de décider : qu’est-ce qui relève de la distinction légitime, et qu’est-ce qui constitue une discrimination illégitime ? Pour le critère du sexe dans le mariage, la situation des personnes trans* peut servir de révélateur. Une personne mariée qui change de sexe doit-elle divorcer ? De même pour la filiation : pour reconnaître leur changement d’état civil, on impose en France la stérilisation aux trans*. On ne peut donc devenir parent avec son sexe antérieur. Mais on continue de l’être, si on avait déjà des enfants. Le «trouble dans la filiation» est donc bien là, puisqu’un père ou une mère peuvent changer de sexe. C’est aussi le cas pour les couples de même sexe : on sait qu’il y a souvent des enfants d’une vie antérieure. Donc, qu’est-ce qu’on en fait ? Comment peut-on poser la question des droits en oubliant la réalité existante ? Mais pour revenir à la discrimination, il me semble qu’il faut considérer le sexe comme un critère «suspect» : il sert en effet souvent à justifier des discriminations. Il demande donc à être justifié : c’est aux conservateurs de démontrer qu’il est nécessaire au mariage, ou à la famille, et non pas aux homosexuels de démontrer qu’il y a bien discrimination. Le fardeau de la preuve, il incombe aujourd’hui aux critiques du «mariage gai» : pour justifier qu’une telle distinction n’est pas discriminatoire, où sont leurs bons arguments ?</p>
<p> </p>
<p><strong>Si on évacue l’ordre social fondé sur la nature et l’intérêt de l’enfant souvent manipulé, que reste-t-il alors?</strong></p>
<p>Il ne reste que le sens commun, qui s’autorise parfois de la Bible, travesti parfois d’une rhétorique scientifique. Mais en réalité, quand on dit «C’est la nature», ou «C’est Dieu », on veut dire «C’est la tradition», autrement dit «C’est comme ça». Cet argument doit son autorité au sens commun : «Tout le monde sait bien que…» Le problème, c’est qu’en démocratie, le sens commun ne suffit pas. On peut lui objecter des valeurs… démocratiques. Par exemple, nous ne laissons plus dire «Tout le monde sait bien que les Noirs sont paresseux» ou «Tout le monde sait bien que les femmes ne sont pas intelligentes». Pourquoi, en matière d’homosexualité, l’ordre social serait-il fondé sur des préjugés ? Comment justifier ce refus d’interroger le sens commun homophobe ?</p>
<p> </p>
<p><strong>Après avoir mis en évidence les dangers de fonder la démocratie sur le sens commun, qu’en est-il de l’intérêt commun ?</strong></p>
<p>L’idée du bien commun suppose, pour les conservateurs, qu’il serait de l’intérêt commun que l’hétérosexualité soit instituée comme norme. Autrement dit, le bien commun supposerait qu’on dise que l’hétérosexualité c’est mieux. Si on essaie de voir sur quoi est fondée cette proposition – puisqu’il ne s’agit pas d’instituer la reproduction (elle est dissociée du mariage) – quelles sont alors les bonnes raisons de considérer que cette assertion est viable ? Encore une fois, face à celles et ceux qui – comme moi – posent la question de l’égalité, quelles réponses entendons-nous ? Car il me semble que ce qui a changé, c’est qu’il ne suffit plus de s’abriter derrière l’évidence supposée. Le bien commun, en démocratie, n’est pas donné par la nature. Il n’est pas défini a priori, par quelque principe transcendant. Il faut en débattre : c’est «nous» qui le définissons, de manière immanente. Il faut donc produire des arguments. En quoi la hiérarchie des sexualités est-elle conforme à l’intérêt commun, dans une société qui, par ailleurs, revendique en théorie l’égalité et non l’inégalité ? Plus personne n’ose défendre le sexisme ou le racisme ouvertement, moins encore les revendiquer théoriquement – même si bien sûr, en pratique, les deux continuent d’opérer dans nos sociétés. Pourquoi l’hétérosexisme serait-il encore compatible avec nos valeurs ? Ou, pour le dire en jouant sur les mots, pourquoi l’<em>homo aequalis </em>des sociétés démocratiques continuerait-il de s’accommoder d’un hétéro <em>hierarchicus</em> ?</p>
<p>© Photo Joanna Osbert</p>
<p><strong><img src="images/stories/ef.jpg" border="0" width="304" /></strong></p>
<p><strong>La famille n’est pas une institution naturelle.</strong></p>
<p><strong>Les questions autour de la famille déchaînent toujours les passions. Des réactions parfois extrêmes circulent lorsque la multiplicité des réalités familiales prend part au débat. l’émiliE s’est adressée à Eric Fassin, désormais professeur à Paris VIII et spécialiste de ces thématiques, qui a analysé et déconstruit les arguments les plus fréquemment avancés. Interview.</strong></p>
<p> </p>
<p><strong>Comment interpréter les arguments qui avancent que la diversité des formes familiales mettrait en péril la famille dite traditionnelle? </strong></p>
<p>J’y entends beaucoup de choses. D’abord, nous avons affaire à un argument naturaliste sur la famille : «La famille, ça sert à la reproduction» ; or, bien entendu, c’est faux. Si c’était le cas, on interdirait par exemple le mariage aux femmes ménopausées. Il est donc clair que ce n’est pas ainsi que fonctionne aujourd’hui le mariage. La famille, ce n’est pas une institution naturelle. D’ailleurs, une «institution naturelle», c’est une contradiction dans les termes : une institution, c’est social – par définition ! L’idée d’une institution naturelle est donc un fantasme, sans rapport avec la réalité des familles. Il suffit de prendre pour exemple la possibilité d’adopter à titre individuel en France (je ne sais si c’est le cas en Suisse). Voilà qui montre bien que l’adoption elle-même n’est pas calquée sur la reproduction, puisqu’elle est ouverte aux célibataires. Songeons aussi aux femmes qui «font des enfants toutes seules» : tous ces cas de figure montrent que nous ne sommes pas dans un régime familial dont la vocation exclusive serait la reproduction. Sinon, la contraception et l’avortement ne seraient pas autorisés, surtout pour les couples mariés ! Il n’est donc pas vrai que la famille soit naturelle. Mais que signifie un tel argument ? Il dit ceci : nous <em>voulons</em> que la famille soit naturelle. Dire cela pour en exclure les homosexuels, c’est impliquer que l’homosexualité est contre nature. Et, indissociablement, c’est suggérer qu’instituer l’hétérosexualité, c’est la fonder en nature. Cette naturalisation du monde, à mon sens, est l’enjeu majeur de ces batailles politiques.</p>
<p> </p>
<p><strong>De quelle façon cette naturalisation du monde s’articule-t-elle avec un point souvent avancé qui est celui de la préservation de la nation ?</strong></p>
<p>La Droite populaire en France, comme en Suisse, est surtout connue pour son combat contre l’immigration, par exemple contre la double nationalité. En même temps, elle s’est aussi battue contre l’introduction du terme de genre dans les manuels scolaires de biologie (Sciences de la vie et de la terre). On peut songer aussi aux propos homophobes récurrents de Christian Vanneste, député UMP. Ces discours reprennent d’ailleurs ceux du Vatican : c’est la même volonté de fonder en nature l’ordre social. C’est la raison pour laquelle le Pape Benoît XVI, en 2008 (devant la Curie romaine, <em>ndlr</em>), avait parlé d’une «écologie humaine». Selon lui, le mariage doit être protégé, tout comme les forêts tropicales. L’hétérosexualité serait-elle une institution en danger ? Par quoi est-elle menacée ? Par la reconnaissance de l’homosexualité à égalité avec l’hétérosexualité, autrement dit, la fin du privilège hétérosexuel comme fondement de l’ordre social. On voit bien que la nature est un argument opposé aux revendications démocratiques : poser un fondement biologique de l’ordre social, comme le font les conservateurs – religieux ou pas –, c’est ériger un rempart contre une vision du monde qui est inséparablement historique (le monde change) et démocratique (c’est notre monde, nous le faisons). On la pose contre une vision historique de l’ordre social, qui est une vision démocratique. Mais il y a plus : l’ordre social, c’est aussi un ordre national. En effet, la filiation ne renvoie pas seulement à la famille ; elle définit aussi la nationalité. Ainsi, naturaliser la filiation, ce n’est pas seulement naturaliser l’hétérosexualité ; cela renvoie à une nation fondée sur le droit du sang. Et la famille et la nation sont alors pensées comme des «institutions naturelles».</p>
<p><strong> </strong></p>
<p> </p>
<p><strong>Après la famille, la nation, il est souvent question de l’intérêt de l’enfant…</strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p>On passe ici à un argument différent – même s’il y a une certaine ambiguïté : si l’on ouvre l’adoption aux couples de même sexe, le danger porte-t-il sur les enfants adoptés, ou sur l’enfance en général ? Dans le premier cas, cet argument psychologique n’est pas nouveau, et il a déjà été critiqué pour son conservatisme (il justifierait aussi bien l’interdiction du divorce). Dans le deuxième cas, il en va de la culture : la socialisation devrait être fondée sur le privilège de l’hétérosexualité. Pourquoi ? Il me semble que s’exprime là une peur étrange : on craint que si l’hétérosexualité n’est plus étayée par la force de l’État, elle ne s’effondre. Pour préserver l’hétérosexualité, il faudrait le soutien de l’institution. On retrouve le souci du Souverain Pontife… C’est une conception de l’hétérosexualité très pessimiste : si elle a tant besoin d’être soutenue socialement, faut-il croire qu’elle ne serait pas naturellement désirable ? Mais alors, comment peut-on dire qu’il s’agit d’une institution naturelle ? On retrouve la même contradiction entre les deux termes, mais cette fois-ci, dans la logique même de ceux qui s’en réclament : pourquoi faut-il soutenir socialement l’hétérosexualité si elle est naturelle ?</p>
<p> </p>
<p><strong>Les arguments conservateurs prônent qu’il n’est pas discriminatoire d’imposer leur schéma obligatoirement basé sur le couple composé d’un homme et d’une femme…</strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p>Certes, on ne peut pas dire que toute distinction soit discriminatoire. Par exemple, nous refusons la discrimination fondée sur l’âge ; mais nous jugeons quand même légitime d’interdire le mariage aux mineurs. La question est donc de décider : qu’est-ce qui relève de la distinction légitime, et qu’est-ce qui constitue une discrimination illégitime ? Pour le critère du sexe dans le mariage, la situation des personnes trans* peut servir de révélateur. Une personne mariée qui change de sexe doit-elle divorcer ? De même pour la filiation : pour reconnaître leur changement d’état civil, on impose en France la stérilisation aux trans*. On ne peut donc devenir parent avec son sexe antérieur. Mais on continue de l’être, si on avait déjà des enfants. Le «trouble dans la filiation» est donc bien là, puisqu’un père ou une mère peuvent changer de sexe. C’est aussi le cas pour les couples de même sexe : on sait qu’il y a souvent des enfants d’une vie antérieure. Donc, qu’est-ce qu’on en fait ? Comment peut-on poser la question des droits en oubliant la réalité existante ? Mais pour revenir à la discrimination, il me semble qu’il faut considérer le sexe comme un critère «suspect» : il sert en effet souvent à justifier des discriminations. Il demande donc à être justifié : c’est aux conservateurs de démontrer qu’il est nécessaire au mariage, ou à la famille, et non pas aux homosexuels de démontrer qu’il y a bien discrimination. Le fardeau de la preuve, il incombe aujourd’hui aux critiques du «mariage gai» : pour justifier qu’une telle distinction n’est pas discriminatoire, où sont leurs bons arguments ?</p>
<p> </p>
<p><strong>Si on évacue l’ordre social fondé sur la nature et l’intérêt de l’enfant souvent manipulé, que reste-t-il alors?</strong></p>
<p>Il ne reste que le sens commun, qui s’autorise parfois de la Bible, travesti parfois d’une rhétorique scientifique. Mais en réalité, quand on dit «C’est la nature», ou «C’est Dieu », on veut dire «C’est la tradition», autrement dit «C’est comme ça». Cet argument doit son autorité au sens commun : «Tout le monde sait bien que…» Le problème, c’est qu’en démocratie, le sens commun ne suffit pas. On peut lui objecter des valeurs… démocratiques. Par exemple, nous ne laissons plus dire «Tout le monde sait bien que les Noirs sont paresseux» ou «Tout le monde sait bien que les femmes ne sont pas intelligentes». Pourquoi, en matière d’homosexualité, l’ordre social serait-il fondé sur des préjugés ? Comment justifier ce refus d’interroger le sens commun homophobe ?</p>
<p> </p>
<p><strong>Après avoir mis en évidence les dangers de fonder la démocratie sur le sens commun, qu’en est-il de l’intérêt commun ?</strong></p>
<p>L’idée du bien commun suppose, pour les conservateurs, qu’il serait de l’intérêt commun que l’hétérosexualité soit instituée comme norme. Autrement dit, le bien commun supposerait qu’on dise que l’hétérosexualité c’est mieux. Si on essaie de voir sur quoi est fondée cette proposition – puisqu’il ne s’agit pas d’instituer la reproduction (elle est dissociée du mariage) – quelles sont alors les bonnes raisons de considérer que cette assertion est viable ? Encore une fois, face à celles et ceux qui – comme moi – posent la question de l’égalité, quelles réponses entendons-nous ? Car il me semble que ce qui a changé, c’est qu’il ne suffit plus de s’abriter derrière l’évidence supposée. Le bien commun, en démocratie, n’est pas donné par la nature. Il n’est pas défini a priori, par quelque principe transcendant. Il faut en débattre : c’est «nous» qui le définissons, de manière immanente. Il faut donc produire des arguments. En quoi la hiérarchie des sexualités est-elle conforme à l’intérêt commun, dans une société qui, par ailleurs, revendique en théorie l’égalité et non l’inégalité ? Plus personne n’ose défendre le sexisme ou le racisme ouvertement, moins encore les revendiquer théoriquement – même si bien sûr, en pratique, les deux continuent d’opérer dans nos sociétés. Pourquoi l’hétérosexisme serait-il encore compatible avec nos valeurs ? Ou, pour le dire en jouant sur les mots, pourquoi l’<em>homo aequalis </em>des sociétés démocratiques continuerait-il de s’accommoder d’un hétéro <em>hierarchicus</em> ?</p>
<p>© Photo Joanna Osbert</p>
Questions féministes ou pas
2012-04-10T11:55:57+00:00
2012-04-10T11:55:57+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/341-questions-feministes-ou-pas
REDACTION
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/stories/bp02.jpg" border="0" width="304" style="float: left; margin-left: 3px; margin-right: 3px; border: 0pt none;" /></strong></p>
<p><strong>Au cours de ses interventions à Genève, la philosophe et activiste Beatriz Preciado a invité les féministes à porter un regard plus critique sur le mouvement. Catégories et identités sont de nouveau au cœur du débat. </strong></p>
<p> </p>
<p>Les 6 et 7 mars derniers, Beatriz Preciado, de passage à Genève, donnait deux conférences : la première, grand public, portait sur son ouvrage<em> Pornotopie</em>, la seconde, adressée aux étudiant-e-s de la HEAD (Haute Ecole d’Art et de Design) et organisée par le programme Master de recherche CCC (Critical Cross Cultural Cybermedia) interrogeait la pratique artistique à travers les relations entre corps, pouvoir et vérité. <strong> </strong></p>
<p>La rédaction de l’émiliE a suivi l’intervention de l’icône post-queer et soulève ici quelques pistes de réflexion pour les théoricien-ne-s, activistes, politicien-ne-s, militant-e-s, sympathisant-e-s ou toute autre aficionada féministe. Parce que Preciado a posé certaines questions à propos du féminisme contemporain qui en disent long sur la léthargie actuelle du mouvement et sur sa faiblesse à être force de proposition. Piquées au vif, les héritières d’Emilie Gourd que nous sommes, avons réagi illico. Notre sang n’a fait qu’un tour et aujourd’hui, nous prétendons secouer le cocotier en faisant notre autocritique, histoire de réveiller le ou la révolutionnaire qui dort en nous. La philosophe nous a en effet renvoyé-e-s à nos sources. Sauf qu’une large majorité de l’auditoire n’avait pas la moindre idée d’où elles se trouvaient.</p>
<p>Reprenons depuis le début, car c’est peut-être ça : nous avons perdu le fil. D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Qui étaient les premières féministes ? D’où vient le terme féministe ? Tout est question de racine et d’origine. Savoir d’où l’on vient pour savoir où on va… Non, Madonna n’était pas la première, Virginia Woolf non plus, Colette ne l’a jamais été, il faut en fait remonter à la Révolution française en 1789. Le mouvement était collectif, c’était celui des citoyennes qui rassemblait des femmes non mariées, des filles-mères, des filles de mauvaise vie, des enfants abandonnés et les hommes que le nouveau régime écartait du pouvoir. Les personnes exclues des pratiques démocratiques en somme. L’ancêtre du féminisme est à l’origine de la pensée démocratique moderne et ce processus est toujours en cours, à travers la demande d’extension de l’espace démocratique.</p>
<p>Déjà à cette époque, les citoyennes demandaient l’égalité. Leur mouvement s’appuyait alors sur le système de ressemblance, la femme étant le prolongement de l’homme, sa copie en moins réussi, selon la science et la Bible. Tandis que la notion d’égalité apparaît à ce moment, un système de représentations de différence sexuelle et raciale se met en place : n’est pas citoyen qui veut et ces femmes ne peuvent en aucun cas se réclamer les égales des hommes. La résistance du groupe dominant s’organise en s’appuyant sur l’argument essentiel de la différence. Et, renversement de tendance, la science - qui plus tôt mettait dans le même sac l’homme et la femme - est appelée en renfort pour souligner chaque différence biologique entre les deux.</p>
<p>L’exclusion des femmes des droits politiques sous prétexte de leur «nature» les pousse dans le paradoxe de devoir justement revendiquer ces derniers en s’appuyant sur cette même «nature» afin d’obtenir l’égalité. L’historienne Joan Wallach Scott relève que pour Olympe de Gouges, qui a rédigé en 1791 la fameuse <em>Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne</em>, «il ne s’agissait pas d’attester que les femmes étaient semblables aux hommes pour les faire accéder à la qualité de citoyen, mais de réfuter l’amalgame dominant du citoyen actif et de la masculinité, de rendre la différence sexuelle non pertinente en politique […]».</p>
<p>Des siècles plus tard, les femmes peinent encore à sortir de la condition naturelle dans laquelle elles sont enfermées. Beatriz Preciado, comme bien d’autres féministes, questionne le sujet du féminisme. Comme bien d’autres, elle invite à penser que ce ne sont ni la femme ni les femmes. La philosophe nous suggère de nous interroger sur ces notions lorsque nous les utilisons. Pour elle, le féminisme contemporain a la responsabilité de poursuivre un travail critique sur ces concepts qui ne correspondent pas à des vérités anatomiques, mais à des fictions politiques et qui sont utilisés à des fins d’oppression.</p>
<p>Le féminisme doit surtout pouvoir redéfinir l’espace politique, c’est une pratique de transformation sociale. La notion de femme ne peut plus être un outil politique. Les identités sont contradictoires, partielles et stratégiques. Il en va de même pour les notions de «classe», de «race», de «genre». L’histoire a montré que les divisions entre féministes et les femmes en général rendent le concept politique de femme caduc : on n’y fait que reproduire et renforcer les mécanismes d’oppression. Ce féminisme-là emprisonne à nouveau. En définissant a priori «les femmes», on crée une catégorie artificielle qui non seulement les assujettit au rapport de domination, mais reproduit aussi des exclusions entre elles. La philosophe américaine Judith Butler plaide depuis longtemps pour un féminisme qui ne se fonde pas sur la catégorie «femmes».</p>
<p>Alors comment remédier à cette crise du féminisme contemporain ? Beatriz Preciado suggère de chercher une réponse du côté des alliances, des affinités. Puisque le concept de «femme» exclut toutes les femmes non-blanches, les non-hétéros et de manière plus large toutes les identités «négatives», il est envisageable de construire un espace sans identification naturelle mais plutôt à partir d’un désir de coalitions et de lutte collective, contre les sexismes et les systèmes d’exclusion. C’est l’idée d’un transféminisme fait d’alliances ponctuelles transversales, qui prend en compte les héritages passés et les écueils à contourner. Il ne s’agirait pas d’une énième catégorie mais bien de l’invention de nouvelles pratiques, de la création de liens.</p>
<p>Dans ce cas, la question n’est donc pas celle de l’identité. D’ailleurs Beatriz Preciado souligne que nous avons été assigné-e-s homme ou femme à la naissance alors même que nous ne connaissons pas la carte de notre sexe chromosomique. Connaissez-vous la vôtre? Est-elle constituée d’une paire XY, XX ou de l’une des 12 autres combinaisons que la science (la revoilà) a découvertes ? Sans compter le sexe gonadique (testicules-ovaires), les organes internes (prostate-utérus), les organes génitaux externes (pénis et scrotum - vulve et vagin) ni tout ce qui ne se réduit à des aspects biologiques.</p>
<p>Qu’attendons-nous pour aller demander notre carte - qui pourrait bien nous surprendre - de cette assignation ?</p>
<p> </p>
<p>Nathalie Brochard et Caroline Dayer</p>
<p>© Photo Joanna Osbert</p>
<p><strong><img src="images/stories/bp02.jpg" border="0" width="304" style="float: left; margin-left: 3px; margin-right: 3px; border: 0pt none;" /></strong></p>
<p><strong>Au cours de ses interventions à Genève, la philosophe et activiste Beatriz Preciado a invité les féministes à porter un regard plus critique sur le mouvement. Catégories et identités sont de nouveau au cœur du débat. </strong></p>
<p> </p>
<p>Les 6 et 7 mars derniers, Beatriz Preciado, de passage à Genève, donnait deux conférences : la première, grand public, portait sur son ouvrage<em> Pornotopie</em>, la seconde, adressée aux étudiant-e-s de la HEAD (Haute Ecole d’Art et de Design) et organisée par le programme Master de recherche CCC (Critical Cross Cultural Cybermedia) interrogeait la pratique artistique à travers les relations entre corps, pouvoir et vérité. <strong> </strong></p>
<p>La rédaction de l’émiliE a suivi l’intervention de l’icône post-queer et soulève ici quelques pistes de réflexion pour les théoricien-ne-s, activistes, politicien-ne-s, militant-e-s, sympathisant-e-s ou toute autre aficionada féministe. Parce que Preciado a posé certaines questions à propos du féminisme contemporain qui en disent long sur la léthargie actuelle du mouvement et sur sa faiblesse à être force de proposition. Piquées au vif, les héritières d’Emilie Gourd que nous sommes, avons réagi illico. Notre sang n’a fait qu’un tour et aujourd’hui, nous prétendons secouer le cocotier en faisant notre autocritique, histoire de réveiller le ou la révolutionnaire qui dort en nous. La philosophe nous a en effet renvoyé-e-s à nos sources. Sauf qu’une large majorité de l’auditoire n’avait pas la moindre idée d’où elles se trouvaient.</p>
<p>Reprenons depuis le début, car c’est peut-être ça : nous avons perdu le fil. D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Qui étaient les premières féministes ? D’où vient le terme féministe ? Tout est question de racine et d’origine. Savoir d’où l’on vient pour savoir où on va… Non, Madonna n’était pas la première, Virginia Woolf non plus, Colette ne l’a jamais été, il faut en fait remonter à la Révolution française en 1789. Le mouvement était collectif, c’était celui des citoyennes qui rassemblait des femmes non mariées, des filles-mères, des filles de mauvaise vie, des enfants abandonnés et les hommes que le nouveau régime écartait du pouvoir. Les personnes exclues des pratiques démocratiques en somme. L’ancêtre du féminisme est à l’origine de la pensée démocratique moderne et ce processus est toujours en cours, à travers la demande d’extension de l’espace démocratique.</p>
<p>Déjà à cette époque, les citoyennes demandaient l’égalité. Leur mouvement s’appuyait alors sur le système de ressemblance, la femme étant le prolongement de l’homme, sa copie en moins réussi, selon la science et la Bible. Tandis que la notion d’égalité apparaît à ce moment, un système de représentations de différence sexuelle et raciale se met en place : n’est pas citoyen qui veut et ces femmes ne peuvent en aucun cas se réclamer les égales des hommes. La résistance du groupe dominant s’organise en s’appuyant sur l’argument essentiel de la différence. Et, renversement de tendance, la science - qui plus tôt mettait dans le même sac l’homme et la femme - est appelée en renfort pour souligner chaque différence biologique entre les deux.</p>
<p>L’exclusion des femmes des droits politiques sous prétexte de leur «nature» les pousse dans le paradoxe de devoir justement revendiquer ces derniers en s’appuyant sur cette même «nature» afin d’obtenir l’égalité. L’historienne Joan Wallach Scott relève que pour Olympe de Gouges, qui a rédigé en 1791 la fameuse <em>Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne</em>, «il ne s’agissait pas d’attester que les femmes étaient semblables aux hommes pour les faire accéder à la qualité de citoyen, mais de réfuter l’amalgame dominant du citoyen actif et de la masculinité, de rendre la différence sexuelle non pertinente en politique […]».</p>
<p>Des siècles plus tard, les femmes peinent encore à sortir de la condition naturelle dans laquelle elles sont enfermées. Beatriz Preciado, comme bien d’autres féministes, questionne le sujet du féminisme. Comme bien d’autres, elle invite à penser que ce ne sont ni la femme ni les femmes. La philosophe nous suggère de nous interroger sur ces notions lorsque nous les utilisons. Pour elle, le féminisme contemporain a la responsabilité de poursuivre un travail critique sur ces concepts qui ne correspondent pas à des vérités anatomiques, mais à des fictions politiques et qui sont utilisés à des fins d’oppression.</p>
<p>Le féminisme doit surtout pouvoir redéfinir l’espace politique, c’est une pratique de transformation sociale. La notion de femme ne peut plus être un outil politique. Les identités sont contradictoires, partielles et stratégiques. Il en va de même pour les notions de «classe», de «race», de «genre». L’histoire a montré que les divisions entre féministes et les femmes en général rendent le concept politique de femme caduc : on n’y fait que reproduire et renforcer les mécanismes d’oppression. Ce féminisme-là emprisonne à nouveau. En définissant a priori «les femmes», on crée une catégorie artificielle qui non seulement les assujettit au rapport de domination, mais reproduit aussi des exclusions entre elles. La philosophe américaine Judith Butler plaide depuis longtemps pour un féminisme qui ne se fonde pas sur la catégorie «femmes».</p>
<p>Alors comment remédier à cette crise du féminisme contemporain ? Beatriz Preciado suggère de chercher une réponse du côté des alliances, des affinités. Puisque le concept de «femme» exclut toutes les femmes non-blanches, les non-hétéros et de manière plus large toutes les identités «négatives», il est envisageable de construire un espace sans identification naturelle mais plutôt à partir d’un désir de coalitions et de lutte collective, contre les sexismes et les systèmes d’exclusion. C’est l’idée d’un transféminisme fait d’alliances ponctuelles transversales, qui prend en compte les héritages passés et les écueils à contourner. Il ne s’agirait pas d’une énième catégorie mais bien de l’invention de nouvelles pratiques, de la création de liens.</p>
<p>Dans ce cas, la question n’est donc pas celle de l’identité. D’ailleurs Beatriz Preciado souligne que nous avons été assigné-e-s homme ou femme à la naissance alors même que nous ne connaissons pas la carte de notre sexe chromosomique. Connaissez-vous la vôtre? Est-elle constituée d’une paire XY, XX ou de l’une des 12 autres combinaisons que la science (la revoilà) a découvertes ? Sans compter le sexe gonadique (testicules-ovaires), les organes internes (prostate-utérus), les organes génitaux externes (pénis et scrotum - vulve et vagin) ni tout ce qui ne se réduit à des aspects biologiques.</p>
<p>Qu’attendons-nous pour aller demander notre carte - qui pourrait bien nous surprendre - de cette assignation ?</p>
<p> </p>
<p>Nathalie Brochard et Caroline Dayer</p>
<p>© Photo Joanna Osbert</p>
La pensée queer, blanchiment postmoderne
2012-02-13T07:13:19+00:00
2012-02-13T07:13:19+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/328-la-pensee-queer-operation-de-blanchiment-post-moderne
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><strong><img src="http://lemilie.org/images/stories/pola080.jpg" border="0" width="304" /></strong></p>
<p><strong>Lalla Kowska-Régnier, alors militante de la première heure d’Act Up-Paris, se distingua tant à la commission prison qu’en mettant une capote géante sur l’Obélisque de la Concorde à Paris. Cette ex-journaliste (Canal + de la grande époque), à l’initiative du manifeste <a href="http://lmsi.net/spip.php?article678" target="_blank">« Notre corps nous appartient »</a>, fait le point sur son parcours transféministe.</strong><br /><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12px;"><span style="color: #0000ff;"><span style="text-decoration: underline;"> </span></span> <br /> </span></span></p>
<p><strong>l'émiliE:</strong><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12px;"><strong> Tu disais qu'être trans c'est se libérer du féminin et du masculin, comment es-tu aujourd'hui?</strong></span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12px;"> <strong>Lalla</strong>: Je dirais assez<em> fem</em>, oui une fem version trans hétéra. Mais avec talons non obligatoires et de pas plus de 7 cm. C'est dans ces accessoires de la féminité que je me sens moi. Et peut-être qu'un jour, si je devais me convertir au monothéisme, ce sera avec un voile que je toucherai à ma puissance. Et je continue à penser qu'être trans c'est d'abord une question d'être soi en s'inscrivant dans un sexe social qui n'est pas celui assigné à notre naissance. En cela, je suis binaire. Et peu importe que ce sexe social corresponde au genre communément assorti, il y a beaucoup de femmes trans <em>butch</em> et d'hommes trans efféminés.</span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12px;"><strong>Tu poses un regard critique sur le militantisme et tu préfères parler d'engagement. Pourquoi?</strong><br /> C'est compliqué un peu de répondre, car j'imagine que mes propos pourraient être repris par des gens qui méprisent toute forme d'engagement et de militantisme. Ce que je pense c'est que le militantisme - comme à peu près tous les espaces de pouvoir censés "représenter" les gens, comme la politique, le journalisme mainstream, les experteurs, les banquiers et tout ceux qui de près ou de loin nourrissent nos oligarchies modernes (des hauts fonctionnaires d'Etat aux "fils et filles de" dans les arts et la culture) - devrait être régi par un contrat de durée déterminée. Sinon, le risque d'embourbement est très élevé et ce qui est dénoncé et subi se trouve alors renforcé.<br /> Quand je vois des gens apparaître dans l'espace politique avec juste un post-it "subversif" sur le front, je trouve ça incompréhensible.<br /> Aujourd'hui par exemple, si je suis très proche du Parti des Indigènes de la République, outre ma propre histoire familiale, c'est aussi que les gens qui l'animent depuis sept ans sont engagés par et dans leur corps social, dans leur vie, avant d'être des militants pour "la cause" qui couraient après un diplôme ès contestation. Le PIR est un modèle d'autonomie des luttes et des résistances à soutenir. <br /> <br /> <strong>Act Up c'est de l'histoire ancienne?</strong><br /> J'aimerais bien.<br /> Mais voilà typiquement l'exemple d'un groupe qui n'a pas su s’arrêter et a fabriqué des fonctionnaires de la colère. Et par exemple les derniers communiqués de la commission trans sont scandaleux. Laissant entendre que les personnes trans sont des assistées ou encore en adoptant une stratégie à minima de demande de changement de numéro de sécurité sociale au lieu d'exiger le changement d'état civil. <br /> Plus largement, il reste a déplier cette histoire en fait: comment le groupe s'est maintenu en vie, a fait allégeance à Pierre Bergé, l'homme qui enferma Yves Saint Laurent dans sa douloureuse mélancolie et qui avorta l'émergence d'un mouvement autonome des jeunes des banlieues (la marche pour l’Égalité en 1983) en créant SOS Racisme. Comment ce groupe a pu avoir une présidente hétérosexuelle et séronégative capable de considérer que la parole d'un pédé séropositif dans un débat sur la prévention n'était pas légitime. Comment une partie des militants de la première, deuxième ou troisième heure se sent autorisée à verrouiller aujourd'hui encore la mémoire du groupe. Comment en est-on arrivé là?<br /> Militer à Act Up il y a 20 ans a été une expérience hyper dense pour beaucoup d'entre nous, personnellement il m'a fallu tout ce temps pour m'alléger un peu des blessures que la vie en groupe avait laissées. C'est à la mort de Philippe Labbey (1) cet été que j'ai réalisé que je m'accrochais encore à des illusions. Cette histoire d'Act Up-Paris manque, celle des militants qui après la mort de Cleews Vellay (2) pensaient qu'il fallait passer à d'autres modes d'actions et qui se sont retrouvés pris dans un étau à quatre mâchoires: Didier Lestrade, Guillaume Dustan, les idéologues normaliens (la revue Vacarme) et Act Up qui continuait. <br /> </span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12px;"><strong>Le manifeste que tu as initié en 2007 (intitulé <em>notre corps nous appartient</em>) reste fondamental pour les féministes encore aujourd'hui. Comment l'expliques-tu?</strong><br /> En fait ce manifeste, initié avec Jihan Ferjani et Elsa Dorlin, est un hommage et une <em>filliation</em> directs au manifeste des 343 salopes tant il est évident que les problématiques trans sont des problématiques féministes. Ce que nous vivons aujourd'hui - la mise sous tutelle psychiatrique par les médecins bourreaux de la Sofect, la soumission au bon vouloir des magistrats aux affaires familiales pour pouvoir exercer notre citoyenneté en ayant des papiers adaptés, la dépendance à des médecins juges quand ceux-ci devraient juste être des partenaires de santé et de bien être - correspond très exactement à ce contre quoi les femmes bios on dû (et doivent encore) se battre. Mais pour moi ce manifeste est un peu un échec, une féministe "historique", signataire des 343, a même refusé de le signer et de le faire circuler (ce qui à mon sens est le plus grave), nous reprochant un "glissement sémantique". Du coup, j'étais vraiment fière quand il a été publié sur le site du collectif Les Mots Sont Importants et dans la revue NQF.<br /> Et c'est rigolo de voir que les même journaux, comme les Inrocks, qui n'ont pas diffusé ce texte, ont trouvé plus d'intérêt à un autre manifeste sur les question trans, quelques années plus tard, mais rédigé cette fois ci par un homme bio gay.<br /> <br /> Je crois que le blocage de certaines féministes bios est le même que celui qu'elles ont avec les paroles de femmes musulmanes voilées ou encore des travailleuses du sexe. Comme si elles ne pouvaient imaginer d'autres formes d'<em>incorporation</em> possibles que la leur. C'est vraiment dommage. Je pense que le miroir que nous (femmes et hommes trans, mais aussi les femmes indigènes et les travailleuses du sexe) tendons aux féministes blanches et bourgeoises est pourtant muni de plusieurs facettes et leur permettrait de faire le deuil d'une approche bien peu subtile des mécaniques d'oppression et ainsi de retrouver une énergie émancipatrice. Combien de fois je me suis entendu dire, "mais comment avoir envie de passer dans le camp des oppressées" (sur un ton comme si je volais leurs cassettes à bijoux) ? Si vraiment vous pensez que ça se passe aussi facilement que ça, pourquoi alors de votre côté ne pas passer du côté des dominants ? La testostérone, ça se trouve assez facilement.<br /> </span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12px;"><strong>La transphobie la plus violente vient des homos, dis-tu. Tu leur fais peur? Tu les déranges?</strong><br /> Bon c'est un peu comme avec ces féministes. Il y a toujours sous-jacent quelque chose du rappel à l'ordre, à l'ordre du "vrai", et d'une certaine idée de la nature (en tant que petite sorcière dédiée à l'Immanence je m'inscris évidemment dans une forme de naturalisme). <br /> Étais-je un vrai mec? Suis-je une vraie femme? Suis-je un faux travelo? Une vraie hétéra? Étais-je un vrai pédé? Et quid de mes relations amoureuses et amicales d'alors? Et celles d'aujourd'hui? Qui sont mes amants? C'est quoi ce désir <em>anomal</em> que je suscite?<br /> Qu'est-ce que sont ces corps qui me dégoûtent de mon fétiche libidineux? Ce pénis à cette femme? Ce vagin à cet homme? C'est là l'insupportable, l'indépassable pour les <em>straights</em>, homos ou hétéros. Je pense que précisément parce qu'on va dé/reconnecter le désir au sexe génital (et heureusement, il n'est pas obligatoire d'être trans ou trans lover pour ça), on va permettre à l'essence désirante de circuler un peu plus dilatée, un peu plus de biais. Je crois que la pierre d'achoppement - et le pont avec les identités bisexuelles, est surtout là. Nos corps effraient et/ou fascinent. Comme celui des femmes voilées. <br /> </span><span style="font-size: 12px;"> Plus spécifiquement sur les homos qui se sont montrés violents avec moi, je crois qu'il y avait sentiment de trahison ("mais je désirais ce petit mec moi! Mais qu'est-ce que je désirais?!"), et sûrement un rappel parfois d'une proximité de vie enfantine (les jeux à la poupée pour les garçons ou aux petites voitures pour les filles) qui bouscule ce qu'ils sont. Et pour être précise, j'ai surtout ressenti cette violence dans des endroits très situés : le milieu militant LGBT/queer où par exemple avant c'était "la JC" et quand j'ai annoncé ma transition, étrangement l'usage du pronom "il" s'est imposé à mes interlocuteurs; et puis le monde de la nuit où trop souvent on affiche queer comme le hype plus ultra de la soirée réussie, mais où on se fout bien de savoir si les Dj vont aussi mixer à l'ump. Le fait de rappeler dans ces espaces "élus" qu'être gay ne les empêchaient de faire partie de la maison des hommes et des oppresseurs, ce que j’appelle l'hétérhomopatriarcat (3) en a froissé plus d'un. Le fait de dénoncer leur copine Caroline Fourest pour ce qu'elle est, une islamophobe cachée derrière une laïciste frelatée, et enfin d'affirmer aussi une forme d'identité indigène en même temps que mon "être-femme" a fini par épuiser les autres.<br /> </span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12px;"><strong>Les transidentités ne sont pas uniquement questionnables par le biais du genre. La pensée queer a-t-elle des limites?</strong><br /> Je pense vraiment que ce travail de questionnement reste à faire, même s'il a été entamé ici où là, à Lyon avec Chrysalide, à Lille avec C'est pas mon Genre, à Marseille avec l'Observatoire des transidentités, à Bordeaux avec Mutatis Mutandis, ou plus loin au Canada, avec les travaux de Viviane Namasté, mais c'est encore trop souvent à travers le prisme queertranspédégouine que ça se fait. Par exemple, pour revenir à mon expérience, ma transition n'a pas été seulement d'aller vers moi en m'incarnant socialement en tant que femme mais aussi de renouer avec mon algérianité. J'ai aussi envie de questionner ça, que nous développions nos propres généalogies.<br /> Et puis je crois vraiment qu'il faut arrêter avec la confusion genre et sexe social. Oui je suis une femme avec un pénis (si tant est que ça en soit un) et mon sexe n'est pas masculin, mais de naissance. Je le sens d'ailleurs très féminin puisque c'est le mien et il ne le sera pas plus quand j'aurai subi ma vaginoplastie. L'<em>essentiel</em>, (l'essocialement?) c'est que je suis une femme. <br /> Et puis je suis désormais convaincue que masculin et féminin sont des notions trop volatiles pour être utilisées à ce point politiquement. Je comprends bien qu'en se focalisant sur masculin/féminin, on peut faire une longue carrière littéraire mais honnêtement je ne vois pas l'intérêt. Tout un chacun, homme ou femme, bio ou trans, homo ou hétéro, blanc ou indigène, sommes traversés de masculin et de féminin, et ce constat est sans fin puisque ce que chacun de nous met dans ces termes diffère de l'autre, selon les temps et selon les lieux. On va continuer à couper les cheveux jusqu'à ? Mais par contre, du coup, on oublie de pointer les endroits où se jouent effectivement les oppressions et notamment les rapports d'oppression de sexe sociaux. En fait, on ne peut plus dire sexe comme on ne peut plus dire race. C'est plus facile alors pour les sexistes et les racistes.<br /> <br /> Pour moi queer limite dès lors que ça qualifie. Je crois que le problème, c'est son mauvais usage français républicain et universaliste : là où nous devrions avoir une multitude de corps machines désirantes, capables de former des alliances ici, d'autres ailleurs, et encore à un autre moment ; quand nous devrions avancer en soi et continuer avec les autres, on nous propose un vaste néant identitaire, ce qui après tout peut être une forme de grâce, mais qui à force de nager dans les sphères postlumineuses de la pensée avec comme seul revendication le badge "subversif" de tout à l'heure sur le front (attention les gars, j'arrive et je suis subversive, mais quelle blague...) dématérialise complètement les rapports d'oppression sociale. Je trouve les postures de celles qui écrivent qu'il faut se "libérer" des identités (par exemple trans ou lesbiennes) bien luxueuses, parce que pour la très grande majorité des trans, des lesbiennes ou des femmes indigènes nous savons assez l'hostilité du monde dans lequel nous évoluons pour nous débarrasser par la magie de la performativité des oppressions subies. <br /> Et puis je suis aussi circonspecte sur l'émergence de nouvelles identités "transqueer", de celles et ceux qui vont affirmer leur transidentité en refusant le "diktat" de l'hormonothérapie et ou de la chirurgie. (Je ne parle pas ici des personnes trans qui, pour des raisons de santé, se voient contraintes à ne pas prendre d'hormones, mais bien des personnes qui refusent l'hormonothérapie ou la chirurgie). Peut-être est ce à mon tour de reprocher un glissement sémantique, mais il me semble qu'il y a là une acrobatie qui mérite d'être critiquée. D'abord parce que pour les personnes trans, il est <span style="text-decoration: underline;">inimaginable</span> de survivre (socialement ou physiquement) sans l'hormonothérapie ou la chirurgie. Qu'il y dans nos démarches quelque chose de l'ordre de l'instinct de survie, d'animal. Ensuite parce que pour moi, ce discours, en plus de nous renvoyer dans le coin du savoir, avec le bonnet d'âne sur lequel il est inscrit "binaire" sur une oreille et "essentialiste" sur l'autre, sert mot pour mot les arguments des psychiatres et médecins des hôpitaux du service public français qui n'entendent qu'une chose : freiner par tous les moyens nos transitions.<br /> Pour moi, il ne fait aucun doute que la pensée "queer" en France n'est rien d'autre qu'une vaste opération civilisatrice et de blanchiment post moderne. En fait, si je n'avais pas autant de respect et de solidarité pour la lutte du peuple palestinien, j'oserais dire que les trans sont en quelque sort les Palestiniens des queers : des identités niées, bafouées, usurpées et exploitées.<br /> Pour moi, la pensée queer est un cheval de Troie du blantriarcat.<br /> <br /> (1) <a href="https://204949629740398545-a-1802744773732722657-s-sites.googlegroups.com/site/tracesautonomes/home/Fin%20d%27ACT%20UP%20Paris.jpeg?attachauth=ANoY7cpD4UsT8MS9q2apg3-_7qzD6mvFqA8fNUVV_N5_PmZnQLt1I2J7LiBXkB73SGeaJS45m4bwtW6ZNTDWzu2736fv24p2CrvN4jEDLR9v6XmWjR9m95xwWD_fr_R5a5TgK4XNpoU2JPGlI-a61irCb6-IcC395_vkAQrqtXrR59laCbGMYaJQ8o8Oz9mVrcPMk3asTPC68k6zS9WBTj81LOCTWYD72CVRtQvDWEcu6zdI3YINFj8%3D&attredirects=1 <https://204949629740398545-a-1802744773732722657-s-sites.googlegroups.com/site/tracesautonomes/home/Fin%20d%27ACT%20UP%20Paris.jpeg?attachauth=ANoY7cpD4UsT8MS9q2apg3-_7qzD6mvFqA8fNUVV_N5_PmZnQLt1I2J7LiBXkB73SGeaJS45m4bwtW6ZNTDWzu2736fv24p2CrvN4jEDLR9v6XmW" target="_blank">Fin d'Act Up-Paris par Philippe Labbey</a><br /> <br /> (2) <span style="color: #0000ff;"><a href="http://www.actupparis.org/spip.php?article2672">http://www.actupparis.org/spip.php?article2672</a></span><br /> <br /> (3) <span style="color: #0000ff;"><a href="http://lmsi.net/Le-coq-et-le-tas-de-fumier">http://lmsi.net/Le-coq-et-le-tas-de-fumier</a><span style="text-decoration: underline;"><br /> </span></span> <br /> </span></span>© <span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12px;">Jules Faure - <span style="color: #0000ff;"><a href="http://cargocollective.com/julesfaure">http://cargocollective.com/julesfaure</a></span></span></span></p>
<p><strong><img src="images/stories/pola080.jpg" border="0" width="304" /></strong></p>
<p><strong>Lalla Kowska-Régnier, alors militante de la première heure d’Act Up-Paris, se distingua tant à la commission prison qu’en mettant une capote géante sur l’Obélisque de la Concorde à Paris. Cette ex-journaliste (Canal + de la grande époque), à l’initiative du manifeste <a href="http://lmsi.net/spip.php?article678" target="_blank">« Notre corps nous appartient »</a>, fait le point sur son parcours transféministe.</strong><br /><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12px;"><span style="color: #0000ff;"><span style="text-decoration: underline;"> </span></span> <br /> </span></span></p>
<p><strong>l'émiliE:</strong><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12px;"><strong> Tu disais qu'être trans c'est se libérer du féminin et du masculin, comment es-tu aujourd'hui?</strong></span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12px;"> <strong>Lalla</strong>: Je dirais assez<em> fem</em>, oui une fem version trans hétéra. Mais avec talons non obligatoires et de pas plus de 7 cm. C'est dans ces accessoires de la féminité que je me sens moi. Et peut-être qu'un jour, si je devais me convertir au monothéisme, ce sera avec un voile que je toucherai à ma puissance. Et je continue à penser qu'être trans c'est d'abord une question d'être soi en s'inscrivant dans un sexe social qui n'est pas celui assigné à notre naissance. En cela, je suis binaire. Et peu importe que ce sexe social corresponde au genre communément assorti, il y a beaucoup de femmes trans <em>butch</em> et d'hommes trans efféminés.</span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12px;"><strong>Tu poses un regard critique sur le militantisme et tu préfères parler d'engagement. Pourquoi?</strong><br /> C'est compliqué un peu de répondre, car j'imagine que mes propos pourraient être repris par des gens qui méprisent toute forme d'engagement et de militantisme. Ce que je pense c'est que le militantisme - comme à peu près tous les espaces de pouvoir censés "représenter" les gens, comme la politique, le journalisme mainstream, les experteurs, les banquiers et tout ceux qui de près ou de loin nourrissent nos oligarchies modernes (des hauts fonctionnaires d'Etat aux "fils et filles de" dans les arts et la culture) - devrait être régi par un contrat de durée déterminée. Sinon, le risque d'embourbement est très élevé et ce qui est dénoncé et subi se trouve alors renforcé.<br /> Quand je vois des gens apparaître dans l'espace politique avec juste un post-it "subversif" sur le front, je trouve ça incompréhensible.<br /> Aujourd'hui par exemple, si je suis très proche du Parti des Indigènes de la République, outre ma propre histoire familiale, c'est aussi que les gens qui l'animent depuis sept ans sont engagés par et dans leur corps social, dans leur vie, avant d'être des militants pour "la cause" qui couraient après un diplôme ès contestation. Le PIR est un modèle d'autonomie des luttes et des résistances à soutenir. <br /> <br /> <strong>Act Up c'est de l'histoire ancienne?</strong><br /> J'aimerais bien.<br /> Mais voilà typiquement l'exemple d'un groupe qui n'a pas su s’arrêter et a fabriqué des fonctionnaires de la colère. Et par exemple les derniers communiqués de la commission trans sont scandaleux. Laissant entendre que les personnes trans sont des assistées ou encore en adoptant une stratégie à minima de demande de changement de numéro de sécurité sociale au lieu d'exiger le changement d'état civil. <br /> Plus largement, il reste a déplier cette histoire en fait: comment le groupe s'est maintenu en vie, a fait allégeance à Pierre Bergé, l'homme qui enferma Yves Saint Laurent dans sa douloureuse mélancolie et qui avorta l'émergence d'un mouvement autonome des jeunes des banlieues (la marche pour l’Égalité en 1983) en créant SOS Racisme. Comment ce groupe a pu avoir une présidente hétérosexuelle et séronégative capable de considérer que la parole d'un pédé séropositif dans un débat sur la prévention n'était pas légitime. Comment une partie des militants de la première, deuxième ou troisième heure se sent autorisée à verrouiller aujourd'hui encore la mémoire du groupe. Comment en est-on arrivé là?<br /> Militer à Act Up il y a 20 ans a été une expérience hyper dense pour beaucoup d'entre nous, personnellement il m'a fallu tout ce temps pour m'alléger un peu des blessures que la vie en groupe avait laissées. C'est à la mort de Philippe Labbey (1) cet été que j'ai réalisé que je m'accrochais encore à des illusions. Cette histoire d'Act Up-Paris manque, celle des militants qui après la mort de Cleews Vellay (2) pensaient qu'il fallait passer à d'autres modes d'actions et qui se sont retrouvés pris dans un étau à quatre mâchoires: Didier Lestrade, Guillaume Dustan, les idéologues normaliens (la revue Vacarme) et Act Up qui continuait. <br /> </span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12px;"><strong>Le manifeste que tu as initié en 2007 (intitulé <em>notre corps nous appartient</em>) reste fondamental pour les féministes encore aujourd'hui. Comment l'expliques-tu?</strong><br /> En fait ce manifeste, initié avec Jihan Ferjani et Elsa Dorlin, est un hommage et une <em>filliation</em> directs au manifeste des 343 salopes tant il est évident que les problématiques trans sont des problématiques féministes. Ce que nous vivons aujourd'hui - la mise sous tutelle psychiatrique par les médecins bourreaux de la Sofect, la soumission au bon vouloir des magistrats aux affaires familiales pour pouvoir exercer notre citoyenneté en ayant des papiers adaptés, la dépendance à des médecins juges quand ceux-ci devraient juste être des partenaires de santé et de bien être - correspond très exactement à ce contre quoi les femmes bios on dû (et doivent encore) se battre. Mais pour moi ce manifeste est un peu un échec, une féministe "historique", signataire des 343, a même refusé de le signer et de le faire circuler (ce qui à mon sens est le plus grave), nous reprochant un "glissement sémantique". Du coup, j'étais vraiment fière quand il a été publié sur le site du collectif Les Mots Sont Importants et dans la revue NQF.<br /> Et c'est rigolo de voir que les même journaux, comme les Inrocks, qui n'ont pas diffusé ce texte, ont trouvé plus d'intérêt à un autre manifeste sur les question trans, quelques années plus tard, mais rédigé cette fois ci par un homme bio gay.<br /> <br /> Je crois que le blocage de certaines féministes bios est le même que celui qu'elles ont avec les paroles de femmes musulmanes voilées ou encore des travailleuses du sexe. Comme si elles ne pouvaient imaginer d'autres formes d'<em>incorporation</em> possibles que la leur. C'est vraiment dommage. Je pense que le miroir que nous (femmes et hommes trans, mais aussi les femmes indigènes et les travailleuses du sexe) tendons aux féministes blanches et bourgeoises est pourtant muni de plusieurs facettes et leur permettrait de faire le deuil d'une approche bien peu subtile des mécaniques d'oppression et ainsi de retrouver une énergie émancipatrice. Combien de fois je me suis entendu dire, "mais comment avoir envie de passer dans le camp des oppressées" (sur un ton comme si je volais leurs cassettes à bijoux) ? Si vraiment vous pensez que ça se passe aussi facilement que ça, pourquoi alors de votre côté ne pas passer du côté des dominants ? La testostérone, ça se trouve assez facilement.<br /> </span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12px;"><strong>La transphobie la plus violente vient des homos, dis-tu. Tu leur fais peur? Tu les déranges?</strong><br /> Bon c'est un peu comme avec ces féministes. Il y a toujours sous-jacent quelque chose du rappel à l'ordre, à l'ordre du "vrai", et d'une certaine idée de la nature (en tant que petite sorcière dédiée à l'Immanence je m'inscris évidemment dans une forme de naturalisme). <br /> Étais-je un vrai mec? Suis-je une vraie femme? Suis-je un faux travelo? Une vraie hétéra? Étais-je un vrai pédé? Et quid de mes relations amoureuses et amicales d'alors? Et celles d'aujourd'hui? Qui sont mes amants? C'est quoi ce désir <em>anomal</em> que je suscite?<br /> Qu'est-ce que sont ces corps qui me dégoûtent de mon fétiche libidineux? Ce pénis à cette femme? Ce vagin à cet homme? C'est là l'insupportable, l'indépassable pour les <em>straights</em>, homos ou hétéros. Je pense que précisément parce qu'on va dé/reconnecter le désir au sexe génital (et heureusement, il n'est pas obligatoire d'être trans ou trans lover pour ça), on va permettre à l'essence désirante de circuler un peu plus dilatée, un peu plus de biais. Je crois que la pierre d'achoppement - et le pont avec les identités bisexuelles, est surtout là. Nos corps effraient et/ou fascinent. Comme celui des femmes voilées. <br /> </span><span style="font-size: 12px;"> Plus spécifiquement sur les homos qui se sont montrés violents avec moi, je crois qu'il y avait sentiment de trahison ("mais je désirais ce petit mec moi! Mais qu'est-ce que je désirais?!"), et sûrement un rappel parfois d'une proximité de vie enfantine (les jeux à la poupée pour les garçons ou aux petites voitures pour les filles) qui bouscule ce qu'ils sont. Et pour être précise, j'ai surtout ressenti cette violence dans des endroits très situés : le milieu militant LGBT/queer où par exemple avant c'était "la JC" et quand j'ai annoncé ma transition, étrangement l'usage du pronom "il" s'est imposé à mes interlocuteurs; et puis le monde de la nuit où trop souvent on affiche queer comme le hype plus ultra de la soirée réussie, mais où on se fout bien de savoir si les Dj vont aussi mixer à l'ump. Le fait de rappeler dans ces espaces "élus" qu'être gay ne les empêchaient de faire partie de la maison des hommes et des oppresseurs, ce que j’appelle l'hétérhomopatriarcat (3) en a froissé plus d'un. Le fait de dénoncer leur copine Caroline Fourest pour ce qu'elle est, une islamophobe cachée derrière une laïciste frelatée, et enfin d'affirmer aussi une forme d'identité indigène en même temps que mon "être-femme" a fini par épuiser les autres.<br /> </span></span></p>
<p><span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12px;"><strong>Les transidentités ne sont pas uniquement questionnables par le biais du genre. La pensée queer a-t-elle des limites?</strong><br /> Je pense vraiment que ce travail de questionnement reste à faire, même s'il a été entamé ici où là, à Lyon avec Chrysalide, à Lille avec C'est pas mon Genre, à Marseille avec l'Observatoire des transidentités, à Bordeaux avec Mutatis Mutandis, ou plus loin au Canada, avec les travaux de Viviane Namasté, mais c'est encore trop souvent à travers le prisme queertranspédégouine que ça se fait. Par exemple, pour revenir à mon expérience, ma transition n'a pas été seulement d'aller vers moi en m'incarnant socialement en tant que femme mais aussi de renouer avec mon algérianité. J'ai aussi envie de questionner ça, que nous développions nos propres généalogies.<br /> Et puis je crois vraiment qu'il faut arrêter avec la confusion genre et sexe social. Oui je suis une femme avec un pénis (si tant est que ça en soit un) et mon sexe n'est pas masculin, mais de naissance. Je le sens d'ailleurs très féminin puisque c'est le mien et il ne le sera pas plus quand j'aurai subi ma vaginoplastie. L'<em>essentiel</em>, (l'essocialement?) c'est que je suis une femme. <br /> Et puis je suis désormais convaincue que masculin et féminin sont des notions trop volatiles pour être utilisées à ce point politiquement. Je comprends bien qu'en se focalisant sur masculin/féminin, on peut faire une longue carrière littéraire mais honnêtement je ne vois pas l'intérêt. Tout un chacun, homme ou femme, bio ou trans, homo ou hétéro, blanc ou indigène, sommes traversés de masculin et de féminin, et ce constat est sans fin puisque ce que chacun de nous met dans ces termes diffère de l'autre, selon les temps et selon les lieux. On va continuer à couper les cheveux jusqu'à ? Mais par contre, du coup, on oublie de pointer les endroits où se jouent effectivement les oppressions et notamment les rapports d'oppression de sexe sociaux. En fait, on ne peut plus dire sexe comme on ne peut plus dire race. C'est plus facile alors pour les sexistes et les racistes.<br /> <br /> Pour moi queer limite dès lors que ça qualifie. Je crois que le problème, c'est son mauvais usage français républicain et universaliste : là où nous devrions avoir une multitude de corps machines désirantes, capables de former des alliances ici, d'autres ailleurs, et encore à un autre moment ; quand nous devrions avancer en soi et continuer avec les autres, on nous propose un vaste néant identitaire, ce qui après tout peut être une forme de grâce, mais qui à force de nager dans les sphères postlumineuses de la pensée avec comme seul revendication le badge "subversif" de tout à l'heure sur le front (attention les gars, j'arrive et je suis subversive, mais quelle blague...) dématérialise complètement les rapports d'oppression sociale. Je trouve les postures de celles qui écrivent qu'il faut se "libérer" des identités (par exemple trans ou lesbiennes) bien luxueuses, parce que pour la très grande majorité des trans, des lesbiennes ou des femmes indigènes nous savons assez l'hostilité du monde dans lequel nous évoluons pour nous débarrasser par la magie de la performativité des oppressions subies. <br /> Et puis je suis aussi circonspecte sur l'émergence de nouvelles identités "transqueer", de celles et ceux qui vont affirmer leur transidentité en refusant le "diktat" de l'hormonothérapie et ou de la chirurgie. (Je ne parle pas ici des personnes trans qui, pour des raisons de santé, se voient contraintes à ne pas prendre d'hormones, mais bien des personnes qui refusent l'hormonothérapie ou la chirurgie). Peut-être est ce à mon tour de reprocher un glissement sémantique, mais il me semble qu'il y a là une acrobatie qui mérite d'être critiquée. D'abord parce que pour les personnes trans, il est <span style="text-decoration: underline;">inimaginable</span> de survivre (socialement ou physiquement) sans l'hormonothérapie ou la chirurgie. Qu'il y dans nos démarches quelque chose de l'ordre de l'instinct de survie, d'animal. Ensuite parce que pour moi, ce discours, en plus de nous renvoyer dans le coin du savoir, avec le bonnet d'âne sur lequel il est inscrit "binaire" sur une oreille et "essentialiste" sur l'autre, sert mot pour mot les arguments des psychiatres et médecins des hôpitaux du service public français qui n'entendent qu'une chose : freiner par tous les moyens nos transitions.<br /> Pour moi, il ne fait aucun doute que la pensée "queer" en France n'est rien d'autre qu'une vaste opération civilisatrice et de blanchiment post moderne. En fait, si je n'avais pas autant de respect et de solidarité pour la lutte du peuple palestinien, j'oserais dire que les trans sont en quelque sort les Palestiniens des queers : des identités niées, bafouées, usurpées et exploitées.<br /> Pour moi, la pensée queer est un cheval de Troie du blantriarcat.<br /> <br /> (1) <a href="https://204949629740398545-a-1802744773732722657-s-sites.googlegroups.com/site/tracesautonomes/home/Fin%20d%27ACT%20UP%20Paris.jpeg?attachauth=ANoY7cpD4UsT8MS9q2apg3-_7qzD6mvFqA8fNUVV_N5_PmZnQLt1I2J7LiBXkB73SGeaJS45m4bwtW6ZNTDWzu2736fv24p2CrvN4jEDLR9v6XmWjR9m95xwWD_fr_R5a5TgK4XNpoU2JPGlI-a61irCb6-IcC395_vkAQrqtXrR59laCbGMYaJQ8o8Oz9mVrcPMk3asTPC68k6zS9WBTj81LOCTWYD72CVRtQvDWEcu6zdI3YINFj8%3D&attredirects=1 <https://204949629740398545-a-1802744773732722657-s-sites.googlegroups.com/site/tracesautonomes/home/Fin%20d%27ACT%20UP%20Paris.jpeg?attachauth=ANoY7cpD4UsT8MS9q2apg3-_7qzD6mvFqA8fNUVV_N5_PmZnQLt1I2J7LiBXkB73SGeaJS45m4bwtW6ZNTDWzu2736fv24p2CrvN4jEDLR9v6XmW" target="_blank">Fin d'Act Up-Paris par Philippe Labbey</a><br /> <br /> (2) <span style="color: #0000ff;"><a href="http://www.actupparis.org/spip.php?article2672">http://www.actupparis.org/spip.php?article2672</a></span><br /> <br /> (3) <span style="color: #0000ff;"><a href="http://lmsi.net/Le-coq-et-le-tas-de-fumier">http://lmsi.net/Le-coq-et-le-tas-de-fumier</a><span style="text-decoration: underline;"><br /> </span></span> <br /> </span></span>© <span style="font-family: Verdana,Helvetica,Arial;"><span style="font-size: 12px;">Jules Faure - <span style="color: #0000ff;"><a href="http://cargocollective.com/julesfaure">http://cargocollective.com/julesfaure</a></span></span></span></p>
Basket: une tenue sexy sexiste?
2012-01-30T08:25:41+00:00
2012-01-30T08:25:41+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/322-basket-une-tenue-sexy-sexiste
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/stories/basket-1.jpg" border="0" width="278" height="412" /></p>
<p>Le nouveau réglement de la FIBA, fédération internationale de basket, a pris une drôle de tournure concernant la tenue des filles: le haut doit être près du corps et le short au moins à 10 centimètres du genou. La plus grande joueuse du monde Diana Taurasi s'y oppose et continue à courir sur les parquets en maillot XXL, accumulant amendes et réprimandes.</p>
<p>Le basket féminin n'étant pas médiatique, les dirigeants de la FIBA en ont conclu qu'il fallait le rendre sexy, façon beach-volley. Pourquoi diable ce sport-ci a-t-il en quelques années envahi nos écrans et nos villes? Pour son suspens haletant, pour son engagement physique ou pour les bombasses en mini-shorty qui sautent de part et d'autres d'un filet? Vous trouverez la réponse comme tous les sponsors et annonceurs qui investissent dans une activité sportive qui attire des foules de mâles consommateurs et fixe leur attention pendant un minimum de temps. Jusque-là, les joueuses de basket, elles, évoluaient dans une tenue flottante à l'instar de leurs collègues masculins sans penser une seconde à souligner la moindre de leurs courbes. Celles de l'audimat en aurait ainsi souffert.</p>
<p>Avec cette nouvelle tenue, le basket féminin devrait enfin captiver le public. A noter que certains pays comme le Brésil et l'Australie avaient déjà équipé leurs joueuses de manière plus ajustée depuis de nombreuses années déjà. Ce changement aurait comme raison officielle le confort des basketteuses. Mais alors pourquoi les basketteurs ne sont-ils pas concernés par le nouveau code vestimentaire? Ca et là dans le monde, la polémique commence à enfler que ce soit dans les pays musulmans où le maillot moulant risque de coincer aux entournures ou en Occident où les féministes y voient une énième tentative d'utiliser le corps des femmes à des fins commerciales. Les joueuses, elles-mêmes ont des avis partagés. La peur de paraître trop virile est très présente dans le milieu du sport et la transgression de genre n'y est pas une revendication: les sportives préfèrent se conformer aux normes de leur sexe, alors une tenue qui les différencie de leurs homologues masculins ajoute à leur "féminité". Et pour changer, c'est encore le corps des femmes qui est en jeu...</p>
<p><img src="images/stories/basket-1.jpg" border="0" width="278" height="412" /></p>
<p>Le nouveau réglement de la FIBA, fédération internationale de basket, a pris une drôle de tournure concernant la tenue des filles: le haut doit être près du corps et le short au moins à 10 centimètres du genou. La plus grande joueuse du monde Diana Taurasi s'y oppose et continue à courir sur les parquets en maillot XXL, accumulant amendes et réprimandes.</p>
<p>Le basket féminin n'étant pas médiatique, les dirigeants de la FIBA en ont conclu qu'il fallait le rendre sexy, façon beach-volley. Pourquoi diable ce sport-ci a-t-il en quelques années envahi nos écrans et nos villes? Pour son suspens haletant, pour son engagement physique ou pour les bombasses en mini-shorty qui sautent de part et d'autres d'un filet? Vous trouverez la réponse comme tous les sponsors et annonceurs qui investissent dans une activité sportive qui attire des foules de mâles consommateurs et fixe leur attention pendant un minimum de temps. Jusque-là, les joueuses de basket, elles, évoluaient dans une tenue flottante à l'instar de leurs collègues masculins sans penser une seconde à souligner la moindre de leurs courbes. Celles de l'audimat en aurait ainsi souffert.</p>
<p>Avec cette nouvelle tenue, le basket féminin devrait enfin captiver le public. A noter que certains pays comme le Brésil et l'Australie avaient déjà équipé leurs joueuses de manière plus ajustée depuis de nombreuses années déjà. Ce changement aurait comme raison officielle le confort des basketteuses. Mais alors pourquoi les basketteurs ne sont-ils pas concernés par le nouveau code vestimentaire? Ca et là dans le monde, la polémique commence à enfler que ce soit dans les pays musulmans où le maillot moulant risque de coincer aux entournures ou en Occident où les féministes y voient une énième tentative d'utiliser le corps des femmes à des fins commerciales. Les joueuses, elles-mêmes ont des avis partagés. La peur de paraître trop virile est très présente dans le milieu du sport et la transgression de genre n'y est pas une revendication: les sportives préfèrent se conformer aux normes de leur sexe, alors une tenue qui les différencie de leurs homologues masculins ajoute à leur "féminité". Et pour changer, c'est encore le corps des femmes qui est en jeu...</p>
Rôles de sexe/ Rapports sociaux de sexe
2012-01-10T07:48:50+00:00
2012-01-10T07:48:50+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/311-des-roles-de-sexe-aux-rapports-sociaux-de-sexe
Caroline Dayer
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/stories/mc01.jpg" border="0" title="Martine Chaponnière" width="320" style="border: 0pt none;" /></p>
<p><strong>Des rôles de sexe aux rapports sociaux de sexe</strong></p>
<p> </p>
<p><strong>Entretien avec Martine Chaponnière, vice-présidente de la Fondation Emilie Gourd, au sujet de son article <em>Les rôles de sexe jouent-ils encore un rôle ? </em>paru dans le dernier numéro de Questions au féminin*.</strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p><strong>Comment interprétez-vous le passage d’une focalisation sur les rôles de sexe à une centration sur les rapports sociaux de sexe ?</strong></p>
<p>Le plus facile, c’est de commencer par les rôles ; il est effectivement plus facile de théoriser les rôles que de théoriser les rapports sociaux de sexe. Les rapports sociaux de sexe constituent une évolution par rapport à la théorie des rôles qui a été posée dans les années 1950 par Talcott Parsons dans une vision extrêmement rigide et prescriptive. Les féministes des années 1970 ont contesté cette répartition des rôles comme étant un des fondements de l’oppression. La remise en question des rôles dans la famille, l’obligation d’avoir un rôle maternel, d’épouse, ont beaucoup occupé le terrain. Le grand tournant par rapport aux rapports sociaux de sexe renvoie aux travaux de Christine Delphy à travers la théorisation de l’oppression ; le féminisme matérialiste a mis en évidence les rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes.</p>
<p><strong>Peut-on penser les rapports sociaux de sexe de façon indissociée des rôles de sexe ? Ne sont-ils pas intriqués ? </strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p>Aujourd’hui, je pense que ce n’est plus forcément intriqué notamment à cause du<ins datetime="2011-12-13T11:39" cite="mailto:Martine"> </ins>développement de la théorie queer, étant donné qu’elle amène à un éclatement des identités. Dès le moment où il n’y a plus d’identités, il n’y a plus de rôles. Le genre ou la théorie des rapports sociaux de sexe – qui sont la même chose pour moi – aborde la question du pouvoir et d’un système de domination masculine. C’est pour cette raison que ce passage est très important mais si on ne se positionne pas dans la théorie queer, je pense que les deux choses ne peuvent pas être pensées en dissociation l’une de l’autre. Si nous prenons le monde du travail, lorsqu’un employeur engage une jeune femme, il va toujours se poser la question de savoir si elle va avoir un enfant ou non et, dans ce cas, nous sommes au cœur des rôles sociaux. La théorie féministe matérialiste continue d’avancer dans différents domaines, notamment dans le domaine du travail. Mais il me semble que dans le domaine de l’éducation, on stagne un peu au niveau des problématiques.</p>
<p><strong>Comment expliquez-vous cette stagnation ?</strong></p>
<p>Une des raisons pour lesquelles ça bouge plus lentement que le voudraient certaines surtout, c’est notamment parce que les parents ont envie que leur garçon se développe comme un garçon et que leur fille se développe comme une fille. Les parents ont à cœur que les enfants se sentent bien dans leur identité sexuelle et se conforment au sexe qui leur a été assigné. Alors ils entrent dans ce jeu et ils disent tous qu’ils traitent les garçons et les filles de façon égale mais nous savons que ce n’est pas vrai. Il y a donc déjà cette socialisation différenciée des sexes au départ et tout le système participe au renforcement de l’identité de genre.</p>
<p><strong>Ne devrait-on donc pas justement remettre en cause la construction de ces attentes pour travailler à la racine les questions de socialisation ? </strong></p>
<p>C’est très difficile car c’est à l’intérieur de la famille et comme on a mis cinquante ans de féminisme jusqu’à ce que le viol conjugal soit réglé sous prétexte qu’il concernerait des affaires privées qui se passent à l’intérieur de la famille, je pense que ce n’est pas évident de dicter aux parents ce qu’ils doivent faire. Il y a beaucoup de recherches et d’actions auprès de l’Etat, des enseignant-e-s et du personnel des crèches parce qu’il est difficile de toucher les parents.</p>
<p><strong>Selon votre positionnement, quelles sont les perspectives de recherche et d’action<ins datetime="2011-12-13T11:44" cite="mailto:Martine"> </ins>à mettre en œuvre ? </strong></p>
<p>Je pense qu’il y a beaucoup de choses faisables au niveau des offices d’orientation professionnelle, de l’école, des crèches, où on retrouve d’ailleurs souvent le coin poupées pour les filles et le coin bricolage pour les garçons. Ce qu’il faudrait, c’est arriver à détypifier les métiers plutôt que les gens, plutôt que « dégenrer » les gens. Dégenrer les gens, je ne pense pas que ce soit une priorité absolue mais ce qu’il faut dégenrer, c’est le monde dans lequel on vit.</p>
<p>*Questions au féminin, édition 2011, Les rôles de genre en mutation.</p>
<p>© Photo Joanna Osbert</p>
<p><img src="images/stories/mc01.jpg" border="0" title="Martine Chaponnière" width="320" style="border: 0pt none;" /></p>
<p><strong>Des rôles de sexe aux rapports sociaux de sexe</strong></p>
<p> </p>
<p><strong>Entretien avec Martine Chaponnière, vice-présidente de la Fondation Emilie Gourd, au sujet de son article <em>Les rôles de sexe jouent-ils encore un rôle ? </em>paru dans le dernier numéro de Questions au féminin*.</strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p><strong>Comment interprétez-vous le passage d’une focalisation sur les rôles de sexe à une centration sur les rapports sociaux de sexe ?</strong></p>
<p>Le plus facile, c’est de commencer par les rôles ; il est effectivement plus facile de théoriser les rôles que de théoriser les rapports sociaux de sexe. Les rapports sociaux de sexe constituent une évolution par rapport à la théorie des rôles qui a été posée dans les années 1950 par Talcott Parsons dans une vision extrêmement rigide et prescriptive. Les féministes des années 1970 ont contesté cette répartition des rôles comme étant un des fondements de l’oppression. La remise en question des rôles dans la famille, l’obligation d’avoir un rôle maternel, d’épouse, ont beaucoup occupé le terrain. Le grand tournant par rapport aux rapports sociaux de sexe renvoie aux travaux de Christine Delphy à travers la théorisation de l’oppression ; le féminisme matérialiste a mis en évidence les rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes.</p>
<p><strong>Peut-on penser les rapports sociaux de sexe de façon indissociée des rôles de sexe ? Ne sont-ils pas intriqués ? </strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p>Aujourd’hui, je pense que ce n’est plus forcément intriqué notamment à cause du<ins datetime="2011-12-13T11:39" cite="mailto:Martine"> </ins>développement de la théorie queer, étant donné qu’elle amène à un éclatement des identités. Dès le moment où il n’y a plus d’identités, il n’y a plus de rôles. Le genre ou la théorie des rapports sociaux de sexe – qui sont la même chose pour moi – aborde la question du pouvoir et d’un système de domination masculine. C’est pour cette raison que ce passage est très important mais si on ne se positionne pas dans la théorie queer, je pense que les deux choses ne peuvent pas être pensées en dissociation l’une de l’autre. Si nous prenons le monde du travail, lorsqu’un employeur engage une jeune femme, il va toujours se poser la question de savoir si elle va avoir un enfant ou non et, dans ce cas, nous sommes au cœur des rôles sociaux. La théorie féministe matérialiste continue d’avancer dans différents domaines, notamment dans le domaine du travail. Mais il me semble que dans le domaine de l’éducation, on stagne un peu au niveau des problématiques.</p>
<p><strong>Comment expliquez-vous cette stagnation ?</strong></p>
<p>Une des raisons pour lesquelles ça bouge plus lentement que le voudraient certaines surtout, c’est notamment parce que les parents ont envie que leur garçon se développe comme un garçon et que leur fille se développe comme une fille. Les parents ont à cœur que les enfants se sentent bien dans leur identité sexuelle et se conforment au sexe qui leur a été assigné. Alors ils entrent dans ce jeu et ils disent tous qu’ils traitent les garçons et les filles de façon égale mais nous savons que ce n’est pas vrai. Il y a donc déjà cette socialisation différenciée des sexes au départ et tout le système participe au renforcement de l’identité de genre.</p>
<p><strong>Ne devrait-on donc pas justement remettre en cause la construction de ces attentes pour travailler à la racine les questions de socialisation ? </strong></p>
<p>C’est très difficile car c’est à l’intérieur de la famille et comme on a mis cinquante ans de féminisme jusqu’à ce que le viol conjugal soit réglé sous prétexte qu’il concernerait des affaires privées qui se passent à l’intérieur de la famille, je pense que ce n’est pas évident de dicter aux parents ce qu’ils doivent faire. Il y a beaucoup de recherches et d’actions auprès de l’Etat, des enseignant-e-s et du personnel des crèches parce qu’il est difficile de toucher les parents.</p>
<p><strong>Selon votre positionnement, quelles sont les perspectives de recherche et d’action<ins datetime="2011-12-13T11:44" cite="mailto:Martine"> </ins>à mettre en œuvre ? </strong></p>
<p>Je pense qu’il y a beaucoup de choses faisables au niveau des offices d’orientation professionnelle, de l’école, des crèches, où on retrouve d’ailleurs souvent le coin poupées pour les filles et le coin bricolage pour les garçons. Ce qu’il faudrait, c’est arriver à détypifier les métiers plutôt que les gens, plutôt que « dégenrer » les gens. Dégenrer les gens, je ne pense pas que ce soit une priorité absolue mais ce qu’il faut dégenrer, c’est le monde dans lequel on vit.</p>
<p>*Questions au féminin, édition 2011, Les rôles de genre en mutation.</p>
<p>© Photo Joanna Osbert</p>
Le féminisme, un mouvement non-violent
2011-12-10T05:27:53+00:00
2011-12-10T05:27:53+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/306-le-feminisme-le-seul-mouvement-demancipation-qui-nait-jamais-fait-de-victimes
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/stories/d.gardey.jpg" border="0" width="245" height="349" style="margin-left: 10px; margin-right: 10px;" /></p>
<p><strong>Le féminisme : le seul mouvement d'émancipation qui n'ait jamais fait de victimes !</strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p><strong>l’émiliE : Un ouvrage de synthèse, des cycles de débats et d’intervention avec des spécialistes mondialement connus (Judith Butler a confirmé sa venue au printemps 2012), votre département est à l’avant-garde. Ce dynamisme et cette visibilité sont-ils de votre fait ?</strong></p>
<p><strong>Delphine Gardey </strong>: Il est le fait de notre travail collectif, des collaborations que nous avons pu nouer, de notre expérience dans le champ, du cumul de ces expériences et des réseaux qui sont les nôtres au sein de différentes universités, différents pays du monde.</p>
<p><strong>l’émiliE : Le fait que vous soyez à Genève constitue-t-il un atout?</strong></p>
<p><strong>D.G. </strong>: Le cycle de conférences publiques dans son format actuel est un moyen de faire rayonner des questions d'actualité dans le domaine du genre et d'attirer des conférencières et conférenciers de haut niveau. Bien sûr, nous n'avons pas les moyens financiers de faire venir de grands noms tous les mois, mais il y a tout de même de belles invitations. Concrètement pour Butler, j’avais déjà eu l’occasion de la rencontrer dans d’autres circontances par deux reprises à Paris. Nous avons publié dans <em>Travail, genre et sociétés</em>, l'une des premières interview de Judith Butler en français en 2006.</p>
<p><a href="http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=TGS_015_0005">http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=TGS_015_0005</a></p>
<p>Pour cette conférence et ce colloque, elle a tout de suite dit oui. C’est aussi parce que sa traductrice Cynthia Kraus est à Lausanne et qu’elle n’est jamais venue en Suisse. La place Suisse prend ici tout son sens du fait de son plurilinguisme. Il me semble, par ailleurs, que si Judith Butler a d'abord été reçue dans l'espace germanophone, elle est désormais reçue dans l'espace francophone et semble aussi plus investie vis-à-vis de cet espace. Voilà en deux mots.</p>
<p><strong>l’émiliE : Votre équipe est d’horizons et d’origines très variés, elle couvre des champs d’études tout aussi variés. Est-ce pour maintenir un département genre fort et éviter qu’il se dilue en intersectionnalité ailleurs dans la faculté ?</strong></p>
<p><strong>D.G. </strong>: C’est d’abord le fruit d’un héritage, l’unité avait été conçue dans cette optique interdisciplinaire et au sein de la Faculté des sciences économiques et sociales. Le fait de vivre dans une faculté de ce type et de s'y développer a une influence sur le type de disciplines ou d'approches à privilégier. Nous sommes attachées au fait de nous centrer sur des sciences sociales (c'est-à-dire sur des disciplines ou des approches ayant un rapport à l'investigation empirique, qu'il s'agisse de la sociologie, de l'histoire ou de l'anthropologie). Nous pratiquons et enseignons les études genre et la théorie féministe, nous publions dans ces domaines, mais nous sommes plutôt des spécialistes en sciences sociales, en études genre et en théorie féministe. Cela nous différencie, par exemple, d’autres espaces ou d'autres traditions, comme le pôle que constitue Paris 8-Saint-Denis dans ce domaine et la façon dont il s'est historiquement développé, davantage à partir des disciplines littéraires et des sciences du texte. Le département d'études féminines fondé par Hélène Cixous étant le plus ancien de ce type. Nous revendiquons en quelque sorte un ancrage dans les disciplines dans lesquelles nous avons été formées (par exemple l'histoire et la sociologie pour ce qui me concerne) et une façon d'aborder les questions de société et de théoriser à partir des questions de genre et de la théorie féministe.</p>
<p><strong>l’émiliE : Quels sont vos rapports à la militance ? Sortez-vous du cocon académique ? Vous insistez sur la porosité des frontières, mais qu’en est-il réellement sur le terrain ?</strong></p>
<p><strong>D.G. </strong>:<strong> </strong>Je n’ai à titre personnel jamais milité dans une association féministe. Cela ne veut pas dire que je n'ai pas eu d'autres expériences militantes. En fin de compte, concernant les femmes et le féminisme, ma militance aura été de contribuer (avec d'autres) à faire entrer les questions de genre dans le domaine du savoir.</p>
<p><strong> </strong></p>
<p><strong>l’émiliE : Le reste du département entretien un lien étroit avec les associations féministes, LGBTIQ ou autres défenseurs des droits humains…</strong></p>
<p><strong>Lorena Parini </strong>: Je suis venue à la militance plus active après être entrée aux Etudes genre. Avant j’étais féministe mais pas forcément au sein d’associations. Depuis, je suis en lien avec les groupes féministes ou LGBTIQ.</p>
<p><strong>Iulia Hasdeu </strong>: Je me vois dans le même type de positionnement, du fait de mon expérience personnelle qui m’a assez éloignée du militantisme – je fais référence à mon passé dans un pays totalitaire qui imposait une militance de parade (j’ai vécu en Roumanie jusqu’à l’âge de 26 ans) comme j’ai l’habitude de le dire, j’éprouve une espèce de méfiance. Psychologiquement, j’ai encore une certaine distance émotionnelle par rapport à un engagement politique. Mais le savoir académique m’a ouvert les yeux sur toute une série de questionnements politiques et il s’agit ainsi pour moi d’un retour au politique, par le biais des études genre. Pour ce projet de livre, j’ai été très enthousiaste à l’idée que le savoir qu’on produit ne reste pas enfermé mais qu’il puisse servir à des gens afin d’introduire la critique du genre dans leurs préoccupations de tous les jours. C’était une opportunité d’aller vers la cité.</p>
<p><strong>l’émiliE : Vous avez l’impression que les échanges se font dans les deux sens ?</strong></p>
<p><strong>D.G. </strong>: Historiquement, c’est vraiment dans les deux sens puisque toute cette pensée de la différence des sexes, du féminin et du masculin, de l’historicité des sexualités se nourrit profondément des transformations culturelles et sociales de l’après 1968, de l’engagement, des mouvements sociaux, politiques et féministes et lesbiens qui vont être les acteurs-trices principaux pour rendre des questions publiques. Ces questions deviennent du coup des questions de science et de savoir.</p>
<p>Par exemple en Grande-Bretagne, les workshops d’écriture installés dans des quartiers pauvres par des militants, des formateurs pour adultes et des universitaires dans les années 1970-80 ont non seulement transformé la vie de nombre d'adultes inscrits dans ces espaces de formation, mais aussi contribué, par exemple, à modifier les modalités de production du travail académique. C'est en histoire, la revisite de l'histoire sociale par la collecte de sources orales et la valorisation de l'expérience et du récit de vie.. Il y a dans ces cas de figure une sorte de co-construction des savoirs.</p>
<p><strong>L.P</strong>. : Quand je suis arrivée à l’Université à Genève, les questions de genre n’y étaient pas. Je n’ai jamais eu de cours « sciences-po et genre » par exemple. Et quand j’ai intégré le département, tout était à faire. Mais en ce qui concerne nos échanges avec la militance, on constate qu’il y a un savoir extrêmement pointu, surtout dans les groupes LGBTIQ, il y a des gens plus experts que nous notamment sur les questions de transidentités, d’homoparentalité etc. Du fait de leur parcours personnel, de leurs recherches d’informations, il y a une construction de savoirs très pointus. Il existe des ponts entre le travail universitaire et la militance.</p>
<p><strong>D.G. :</strong> Oui, il se passe la même chose, par exemple, avec les groupes de malades qui développent une expertise sur les maladies rares et des chercheurs dans les sphères médicales ou paramédicales qui travaillent là aussi étroitement avec ces personnes dans le cadre d’espaces non-académiques…</p>
<p><strong>l’émiliE : Pourquoi cet ouvrage collectif ?</strong></p>
<p><strong>D.G. </strong>: Parce que c'était une occasion pour travailler ensemble. Par ailleurs, la "Petite encyclopédie critique" est une collection intéressante qui propose un espace intermédiaire entre les mondes académiques et militants ou associatifs. Ecrire ce livre a permis une vraie dynamique collective au sein de l'équipe. Nous étions motivé-e-s par cette volonté de montrer ce qui était créatif et vivant dans le féminisme et cette positivité a accompagné les conditions de réalisation du projet. On pourra toujours nous reprocher d’avoir passé sous silence des zones de conflictualité, d’opposition. Nous sommes conscientes de ces limites et, comme nous essayons de le montrer de façon positive dans le livre, du fait qu'il y énormément de débats au sein des féminismes…</p>
<p><strong>l’émiliE : Pourtant on retrouve quand même de grandes controverses, notamment le féminisme laïc républicain ou l’égalité à travers le seul prisme de la bicatégorie homme/femme…</strong></p>
<p><strong>L.P. </strong>: Comme le titre c’est <em>Le féminisme change-t-il nos vies ?,</em> l’idée c’était de poser les termes de ces débats pour ouvrir vers des réflexions qui feront avancer les choses. Si on n'affronte pas ces questions, on n’avance pas. Si on évite les débats houleux, les questions qui dérangent, on aura toujours une expèce de toile de fond très malsaine.</p>
<p><strong>l’émiliE : Le livre explique en quoi les hommes et les femmes d’aujourd’hui sont empreints de féminisme. Pourquoi l’écrire ?</strong></p>
<p><strong>D.G. </strong>: D’abord parce que c’est sans doute historiquement vrai. De tous les grands –ismes qui ont façonné le XIX<sup>e</sup> et le XX<sup>e</sup> siècle, le féminisme est le seul qui n’a pas tué. C’est pourtant celui qui a le plus transformé nos existences et c’est celui qui est aussi le moins revendicable. En tant que mouvement d'émancipation, le féminisme a une importance et une profondeur qu'on refuse de lui accorder. Oui, c’est important de le dire. Pourquoi devrions-nous avoir honte ?<strong> </strong></p>
<p><strong>L.P. </strong>: Le féminisme est une révolution profonde et pacifique.</p>
<p><strong>D.G. </strong>: Et qui a des conséquences immédiates sur la vie qu’on mène, celle des hommes, des femmes, et de ces autres "autres" mentionnées dans les études post coloniales. Comme le dit Judith Butler : "il s'agit de rendre les vies possibles". Quelle que soit son orientation sexuelle, quels que soient les chemins qu’on peut ou ne pas prendre pour que la vie puisse se réaliser. Quel changement quand même !</p>
<p><strong>l’émiliE : Justement, en cartographiant les espaces où le féminisme s’est imposé, le livre est à double tranchant. Les opposant-e-s ne risquent-ils pas de dire que tout est réglé, acquis sur ces questions ?</strong></p>
<p><strong>D.G. </strong>: C’est comme tous les mouvements sociaux en cours, il y a toujours du travail, toujours des débats. Il y a en effet des espaces de revendications qui ont été surinvestis comme ceux liés à la sexualité et cela a été essentiel et bénéfique. Il y a cependant d'autres questions centrales dans le social, comme le travail, qui ont été désinvesties dans la période récente.</p>
<p><strong>L.P. </strong>: En politique aussi on a désinvesti.</p>
<p><strong>D.G. </strong>: Nous vivons dans une époque libérale, marquée par les deux sens traditionnels du terme : les libertés, le libéralisme. Du politique et du collectif a été recréé à partir du soi (et des revendications de liberté et de choix de vie dans le domaine des sexualités). Une question qui nous incombe, c'est de penser la façon de réarticuler du soi et du nous, et ce dans un contexte néolibéral. Nous devons donc réinvestir les questions sociales plus traditionnelles et regarder comment des causes peuvent être articulées ou réarticulées dans une visée émancipatoire et égalitaire</p>
<p><strong>l’émiliE : Pas si simple en fait…</strong></p>
<p><strong>I.H. </strong>: Non, pas simple mais très excitant. Nous tenons un discours assez inconfortable. Il y a toujours quelque chose de l’ordre de la subversion qui rend notre position d’enseignant-e-s/chercheurs-euses en études genre très<em> </em>scandaleuse<em> </em>d’un point de vue académique et politique. J’aime bien ça.</p>
<p>© Photo Joanna Osbert</p>
<p>Delphine Gardey, directrice du département des Etudes genre à l'Université de Genève</p>
<p><img src="images/stories/d.gardey.jpg" border="0" width="245" height="349" style="margin-left: 10px; margin-right: 10px;" /></p>
<p><strong>Le féminisme : le seul mouvement d'émancipation qui n'ait jamais fait de victimes !</strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p><strong>l’émiliE : Un ouvrage de synthèse, des cycles de débats et d’intervention avec des spécialistes mondialement connus (Judith Butler a confirmé sa venue au printemps 2012), votre département est à l’avant-garde. Ce dynamisme et cette visibilité sont-ils de votre fait ?</strong></p>
<p><strong>Delphine Gardey </strong>: Il est le fait de notre travail collectif, des collaborations que nous avons pu nouer, de notre expérience dans le champ, du cumul de ces expériences et des réseaux qui sont les nôtres au sein de différentes universités, différents pays du monde.</p>
<p><strong>l’émiliE : Le fait que vous soyez à Genève constitue-t-il un atout?</strong></p>
<p><strong>D.G. </strong>: Le cycle de conférences publiques dans son format actuel est un moyen de faire rayonner des questions d'actualité dans le domaine du genre et d'attirer des conférencières et conférenciers de haut niveau. Bien sûr, nous n'avons pas les moyens financiers de faire venir de grands noms tous les mois, mais il y a tout de même de belles invitations. Concrètement pour Butler, j’avais déjà eu l’occasion de la rencontrer dans d’autres circontances par deux reprises à Paris. Nous avons publié dans <em>Travail, genre et sociétés</em>, l'une des premières interview de Judith Butler en français en 2006.</p>
<p><a href="http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=TGS_015_0005">http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=TGS_015_0005</a></p>
<p>Pour cette conférence et ce colloque, elle a tout de suite dit oui. C’est aussi parce que sa traductrice Cynthia Kraus est à Lausanne et qu’elle n’est jamais venue en Suisse. La place Suisse prend ici tout son sens du fait de son plurilinguisme. Il me semble, par ailleurs, que si Judith Butler a d'abord été reçue dans l'espace germanophone, elle est désormais reçue dans l'espace francophone et semble aussi plus investie vis-à-vis de cet espace. Voilà en deux mots.</p>
<p><strong>l’émiliE : Votre équipe est d’horizons et d’origines très variés, elle couvre des champs d’études tout aussi variés. Est-ce pour maintenir un département genre fort et éviter qu’il se dilue en intersectionnalité ailleurs dans la faculté ?</strong></p>
<p><strong>D.G. </strong>: C’est d’abord le fruit d’un héritage, l’unité avait été conçue dans cette optique interdisciplinaire et au sein de la Faculté des sciences économiques et sociales. Le fait de vivre dans une faculté de ce type et de s'y développer a une influence sur le type de disciplines ou d'approches à privilégier. Nous sommes attachées au fait de nous centrer sur des sciences sociales (c'est-à-dire sur des disciplines ou des approches ayant un rapport à l'investigation empirique, qu'il s'agisse de la sociologie, de l'histoire ou de l'anthropologie). Nous pratiquons et enseignons les études genre et la théorie féministe, nous publions dans ces domaines, mais nous sommes plutôt des spécialistes en sciences sociales, en études genre et en théorie féministe. Cela nous différencie, par exemple, d’autres espaces ou d'autres traditions, comme le pôle que constitue Paris 8-Saint-Denis dans ce domaine et la façon dont il s'est historiquement développé, davantage à partir des disciplines littéraires et des sciences du texte. Le département d'études féminines fondé par Hélène Cixous étant le plus ancien de ce type. Nous revendiquons en quelque sorte un ancrage dans les disciplines dans lesquelles nous avons été formées (par exemple l'histoire et la sociologie pour ce qui me concerne) et une façon d'aborder les questions de société et de théoriser à partir des questions de genre et de la théorie féministe.</p>
<p><strong>l’émiliE : Quels sont vos rapports à la militance ? Sortez-vous du cocon académique ? Vous insistez sur la porosité des frontières, mais qu’en est-il réellement sur le terrain ?</strong></p>
<p><strong>D.G. </strong>:<strong> </strong>Je n’ai à titre personnel jamais milité dans une association féministe. Cela ne veut pas dire que je n'ai pas eu d'autres expériences militantes. En fin de compte, concernant les femmes et le féminisme, ma militance aura été de contribuer (avec d'autres) à faire entrer les questions de genre dans le domaine du savoir.</p>
<p><strong> </strong></p>
<p><strong>l’émiliE : Le reste du département entretien un lien étroit avec les associations féministes, LGBTIQ ou autres défenseurs des droits humains…</strong></p>
<p><strong>Lorena Parini </strong>: Je suis venue à la militance plus active après être entrée aux Etudes genre. Avant j’étais féministe mais pas forcément au sein d’associations. Depuis, je suis en lien avec les groupes féministes ou LGBTIQ.</p>
<p><strong>Iulia Hasdeu </strong>: Je me vois dans le même type de positionnement, du fait de mon expérience personnelle qui m’a assez éloignée du militantisme – je fais référence à mon passé dans un pays totalitaire qui imposait une militance de parade (j’ai vécu en Roumanie jusqu’à l’âge de 26 ans) comme j’ai l’habitude de le dire, j’éprouve une espèce de méfiance. Psychologiquement, j’ai encore une certaine distance émotionnelle par rapport à un engagement politique. Mais le savoir académique m’a ouvert les yeux sur toute une série de questionnements politiques et il s’agit ainsi pour moi d’un retour au politique, par le biais des études genre. Pour ce projet de livre, j’ai été très enthousiaste à l’idée que le savoir qu’on produit ne reste pas enfermé mais qu’il puisse servir à des gens afin d’introduire la critique du genre dans leurs préoccupations de tous les jours. C’était une opportunité d’aller vers la cité.</p>
<p><strong>l’émiliE : Vous avez l’impression que les échanges se font dans les deux sens ?</strong></p>
<p><strong>D.G. </strong>: Historiquement, c’est vraiment dans les deux sens puisque toute cette pensée de la différence des sexes, du féminin et du masculin, de l’historicité des sexualités se nourrit profondément des transformations culturelles et sociales de l’après 1968, de l’engagement, des mouvements sociaux, politiques et féministes et lesbiens qui vont être les acteurs-trices principaux pour rendre des questions publiques. Ces questions deviennent du coup des questions de science et de savoir.</p>
<p>Par exemple en Grande-Bretagne, les workshops d’écriture installés dans des quartiers pauvres par des militants, des formateurs pour adultes et des universitaires dans les années 1970-80 ont non seulement transformé la vie de nombre d'adultes inscrits dans ces espaces de formation, mais aussi contribué, par exemple, à modifier les modalités de production du travail académique. C'est en histoire, la revisite de l'histoire sociale par la collecte de sources orales et la valorisation de l'expérience et du récit de vie.. Il y a dans ces cas de figure une sorte de co-construction des savoirs.</p>
<p><strong>L.P</strong>. : Quand je suis arrivée à l’Université à Genève, les questions de genre n’y étaient pas. Je n’ai jamais eu de cours « sciences-po et genre » par exemple. Et quand j’ai intégré le département, tout était à faire. Mais en ce qui concerne nos échanges avec la militance, on constate qu’il y a un savoir extrêmement pointu, surtout dans les groupes LGBTIQ, il y a des gens plus experts que nous notamment sur les questions de transidentités, d’homoparentalité etc. Du fait de leur parcours personnel, de leurs recherches d’informations, il y a une construction de savoirs très pointus. Il existe des ponts entre le travail universitaire et la militance.</p>
<p><strong>D.G. :</strong> Oui, il se passe la même chose, par exemple, avec les groupes de malades qui développent une expertise sur les maladies rares et des chercheurs dans les sphères médicales ou paramédicales qui travaillent là aussi étroitement avec ces personnes dans le cadre d’espaces non-académiques…</p>
<p><strong>l’émiliE : Pourquoi cet ouvrage collectif ?</strong></p>
<p><strong>D.G. </strong>: Parce que c'était une occasion pour travailler ensemble. Par ailleurs, la "Petite encyclopédie critique" est une collection intéressante qui propose un espace intermédiaire entre les mondes académiques et militants ou associatifs. Ecrire ce livre a permis une vraie dynamique collective au sein de l'équipe. Nous étions motivé-e-s par cette volonté de montrer ce qui était créatif et vivant dans le féminisme et cette positivité a accompagné les conditions de réalisation du projet. On pourra toujours nous reprocher d’avoir passé sous silence des zones de conflictualité, d’opposition. Nous sommes conscientes de ces limites et, comme nous essayons de le montrer de façon positive dans le livre, du fait qu'il y énormément de débats au sein des féminismes…</p>
<p><strong>l’émiliE : Pourtant on retrouve quand même de grandes controverses, notamment le féminisme laïc républicain ou l’égalité à travers le seul prisme de la bicatégorie homme/femme…</strong></p>
<p><strong>L.P. </strong>: Comme le titre c’est <em>Le féminisme change-t-il nos vies ?,</em> l’idée c’était de poser les termes de ces débats pour ouvrir vers des réflexions qui feront avancer les choses. Si on n'affronte pas ces questions, on n’avance pas. Si on évite les débats houleux, les questions qui dérangent, on aura toujours une expèce de toile de fond très malsaine.</p>
<p><strong>l’émiliE : Le livre explique en quoi les hommes et les femmes d’aujourd’hui sont empreints de féminisme. Pourquoi l’écrire ?</strong></p>
<p><strong>D.G. </strong>: D’abord parce que c’est sans doute historiquement vrai. De tous les grands –ismes qui ont façonné le XIX<sup>e</sup> et le XX<sup>e</sup> siècle, le féminisme est le seul qui n’a pas tué. C’est pourtant celui qui a le plus transformé nos existences et c’est celui qui est aussi le moins revendicable. En tant que mouvement d'émancipation, le féminisme a une importance et une profondeur qu'on refuse de lui accorder. Oui, c’est important de le dire. Pourquoi devrions-nous avoir honte ?<strong> </strong></p>
<p><strong>L.P. </strong>: Le féminisme est une révolution profonde et pacifique.</p>
<p><strong>D.G. </strong>: Et qui a des conséquences immédiates sur la vie qu’on mène, celle des hommes, des femmes, et de ces autres "autres" mentionnées dans les études post coloniales. Comme le dit Judith Butler : "il s'agit de rendre les vies possibles". Quelle que soit son orientation sexuelle, quels que soient les chemins qu’on peut ou ne pas prendre pour que la vie puisse se réaliser. Quel changement quand même !</p>
<p><strong>l’émiliE : Justement, en cartographiant les espaces où le féminisme s’est imposé, le livre est à double tranchant. Les opposant-e-s ne risquent-ils pas de dire que tout est réglé, acquis sur ces questions ?</strong></p>
<p><strong>D.G. </strong>: C’est comme tous les mouvements sociaux en cours, il y a toujours du travail, toujours des débats. Il y a en effet des espaces de revendications qui ont été surinvestis comme ceux liés à la sexualité et cela a été essentiel et bénéfique. Il y a cependant d'autres questions centrales dans le social, comme le travail, qui ont été désinvesties dans la période récente.</p>
<p><strong>L.P. </strong>: En politique aussi on a désinvesti.</p>
<p><strong>D.G. </strong>: Nous vivons dans une époque libérale, marquée par les deux sens traditionnels du terme : les libertés, le libéralisme. Du politique et du collectif a été recréé à partir du soi (et des revendications de liberté et de choix de vie dans le domaine des sexualités). Une question qui nous incombe, c'est de penser la façon de réarticuler du soi et du nous, et ce dans un contexte néolibéral. Nous devons donc réinvestir les questions sociales plus traditionnelles et regarder comment des causes peuvent être articulées ou réarticulées dans une visée émancipatoire et égalitaire</p>
<p><strong>l’émiliE : Pas si simple en fait…</strong></p>
<p><strong>I.H. </strong>: Non, pas simple mais très excitant. Nous tenons un discours assez inconfortable. Il y a toujours quelque chose de l’ordre de la subversion qui rend notre position d’enseignant-e-s/chercheurs-euses en études genre très<em> </em>scandaleuse<em> </em>d’un point de vue académique et politique. J’aime bien ça.</p>
<p>© Photo Joanna Osbert</p>
<p>Delphine Gardey, directrice du département des Etudes genre à l'Université de Genève</p>
Quand les féministes se mettent à nu
2011-11-22T07:45:34+00:00
2011-11-22T07:45:34+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/303-quand-les-feministes-tombent-les-vetements
Briana Berg
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/stories/femen rome 2.jpg" border="0" width="180" height="183" style="float: left; margin: 4px 8px;" />Dans toutes les sociétés patriarcales, le corps féminin capable de donner la vie est depuis toujours un point névralgique des rapports sociaux entre hommes et femmes, et par là même, un outil privilégié de l’asservissement de ces dernières. Le vêtement en particulier, qui traduit manifestement cette intention, est ainsi un vecteur favorable au contrôle, l’imposition de la pudeur permettant de limiter moralement, physiquement et sexuellement les femmes.<br /><br />Il est donc logique que les féministes se réapproprient leur corps, en commençant par le truchement de leur tenue vestimentaire, dans leur lutte pour l’égalité. Dans des systèmes où la liberté de la femme est très restreinte, la nudité peut ainsi devenir le seul moyen d’action et d’expression à disposition des femmes. C’est le point de vue que défend le mouvement féministe ukrainien FEMEN.<br /><br />L’Ukraine postsoviétique, comme la majorité des pays de l’ancien bloc de l’Est, est encore très marquée par le patriarcat, malgré l’apparente égalité homme-femme prônée pendant 70 ans par le modèle marxiste. Et paradoxalement, c’est dans ce pays où le vent de démocratie a semblé souffler au printemps 2005, qu’a émergé son expression la plus radicale. <br /><br />En 2008, suite au désenchantement issu de la révolution orange, à l’immobilisme de la classe dirigeante et à une dégradation générale de la condition des femmes en Ukraine, une jeune sociologue, Anna Hutsol, fonde FEMEN, un mouvement féministe radical et provocateur. Leurs premières cibles sont la prostitution et le tourisme sexuel qui prolifèrent en Ukraine depuis 2005, aggravés par la crise économique. Les actions du groupe n’ont pas cessé de se diversifier depuis: défense des droits civiques, de l’environnement, lutte contre les oligarques, contre le harcèlement sexuel dans les universités, etc. Sous cette apparente diversité, les militantes de FEMEN se battent pour deux causes aux nombreuses ramifications sociales : l’amélioration de la condition et de l’image des femmes ukrainiennes, et la démocratisation du pays.<br /><br />FEMEN s’est réellement fait connaître par sa manière d’attirer l’attention des médias, en mettant en avant les attributs féminins des militantes qui se dénudent lors de leurs manifestations. Des symboles nationaux, couronnes de fleurs et jupes folkloriques, côtoient des slogans politiques inscrits à même leur corps. Ayant constaté que l’image de la femme en Ukraine est extrêmement dégradée, ces féministes ont décidé de prendre le contrepied en surjouant de l’hypersexualisation, en la mettant en scène associée à des messages revendicateurs. On peut également y lire une mise en avant de la vulnérabilité sexuelle des Ukrainiennes et des femmes en général. En reprenant cette vulnérabilité à leur compte, en l’exhibant à leur manière et selon leurs règles, et en la liant toujours à un contenu social, elles en prennent la maîtrise au lieu de la subir. La faiblesse assumée devient ainsi une force, qui permet de plus de se faire voir et entendre. <br /><br />Elles dénoncent ainsi publiquement une réalité cachée de l’Ukraine, où la promotion canapé est courante et dont les dirigeants utilisent, voire promeuvent, les charmes des jeunes filles pour renflouer l’économie. Elles utilisent leur corps pour mettre à nu l’hypocrisie de leur gouvernement et des hommes de leur pays, retournant l’arme contre l’agresseur.</p>
<p>C’est aussi une manière d’adapter le féminisme au 21e siècle, caractérisé par la société du divertissement et l’exhibition individuelle. Les FEMEN ont bien saisi les enjeux médiatiques d’une lutte sociale. Elles se mettent en scène, créent le spectacle, attirent l’attention, provoquent. Et se font entendre. Leurs mises en scène sont d’ailleurs pleines d’humour et imaginatives. En ce sens, les militantes de FEMEN sont des performeuses du féminisme, comme l’ont été les Riots Grrrls avant elles. <br /><br />Les FEMEN renvoient aussi une image du féminisme dans lequel les jeunes filles peuvent se retrouver : elles sont jeunes, glamour, courageuses et assurées, et assument un style de féminité caractérisant les stars du cinéma ou de la scène musicale. Elles démontrent qu’un certain type d’apparence souvent dénigré (mais qui fait vendre) peut être associé à l’intelligence et mis au service d’une cause. Elles sont jeunes et belles ? On attend d’elles qu’elles se rendent à l’université en tenues courtes et décolletés sexy ? Au lieu de lutter contre ces données, elles les mettent en scène pour se battre contre l’exploitation des femmes. Constatant le désintérêt des jeunes femmes pour le féminisme, perçu comme féminin, anti-hommes et poussiéreux (ce qui est également le cas en Suisse romande), elles ont choisi cette image avec une conscience aiguë du marketing et du système de médiatisation actuels. Pour ces militantes, tout est utile dans la lutte des femmes pour leurs droits ; selon FEMEN, le féminisme moderne passerait par l’ultra-féminité sexy, celle-là même qui fait vendre. <br /><br />Toutefois, leur stratégie n’est pas sans risques sur le long terme. Les féministes dites topless obtiennent en effet une couverture médiatique peu commune. Lors de leur passage en Suisse, elles ont obtenu des plages audiovisuelles conséquentes et suscité des débats télévisés très animés. <br /><br />Mais elles sont également objectifiées, réduites à une partie de leur corps. Est-ce que leur message est réellement entendu ? Quels résultats obtiennent-elles ? <br /><br />Avec leur tour européen, avec des arrêts très médiatisés chez DSK, le Vatican ou Berlusconi, il est certain que les FEMEN se sont fait remarquer par toutes sortes de tranches de la population en Europe. L’essentiel n’est pas qu’elles fassent l’unanimité, mais que le public perçoive, à divers niveaux, qu’il y a un message, des abus sociaux, une lutte. Les militantes FEMEN ont réussi à attirer l’attention sur les dérives sexuelles en Ukraine. Elles y ont obtenu des résultats, en particulier concernant le chantage, sexuel ou monétaire, dont sont victimes les étudiantes. Leur action a entraîné des sanctions contre certains professeurs, alors que le sujet était jusque-là tabou. Elles ont mis les bâtons dans les roues du tourisme sexuel en Ukraine. <br /><br />Le questionnement même de leur méthode, s’il est nécessaire, reste troublant. Le groupe dominant demande à ces féministes nouveau genre de justifier leurs actions et leurs méthodes, parce qu’elles osent s’attaquer à une injonction fondamentale du patriarcat, sur laquelle repose l’équilibre actuel du système homme-femme. La même nudité mise au service de la publicité dans les magazines ou sur les affiches, à but lucratif uniquement, n’entraîne pas de telles remises en cause. Là où la nudité est choisie par la femme, et mise au service d’une cause, elle doit être justifiée ; là où elle sert le profit du système en place, elle est acceptée. <br /><br />Mais FEMEN marque la division du mouvement des femmes au sens large en mettant en avant des dissensions de tout un pan de féministes abolitionnistes. Nombre d’Ukrainiens ne désirent pas être défendus par elles. La suite des opérations est donc cruciale. Devenir un parti politique, s’assagir, s’organiser de manière plus socialement acceptable, ou un peu de folie et d’action radicale est-il actuellement indispensable pour faire progresser la cause féministe ? <br /><br />Si on peut admirer le courage des jeunes féministes ukrainiennes et comprendre leur posture comme une suite logique de la démarche féministe des premières heures, on peut s’inquiéter de la pérennisation politique de celle-ci. Mais là aussi, leur démarche est réfléchie: les FEMEN ne comptent pas entrer dans un système parlementaire qu’elles estiment corrompu. Elles visent à faire changer les lois de l’extérieur, en devenant un mouvement indépendant assez puissant pour avoir une influence directe et marquée sur le pouvoir en place. On comprend dès lors mieux les raisons de leur tournée internationale. <br /><br />Il y a là un élan féminin, potentiellement capable de faire changer le système en place, au dynamisme sans conteste. Les FEMEN sont un modèle pour les femmes de tous âges, par le courage et la détermination dont elles font preuve, et pour les plus jeunes, à travers leur fierté d’une féminité belle et assumée. Leur façon de militer n’est pas destinée à inciter des jeunes filles à s’exhiber publiquement ; il s’agit d’une méthode d’action et non d’un modèle. Le modèle se situe au niveau de la perception des femmes et leur image - certaines FEMEN, telle Alexandra Chevshenko, sont maintenant des stars dans leur pays.<br /><br />Si toutes les féministes ne sont pas prêtes à adopter leur méthode, reste que les FEMEN ont accompli énormément en tout juste trois ans d’existence. On se prend à rêver à une union des femmes, à une solidarité féminine par-delà les frontières. Incontestablement, un mouvement à suivre.</p>
<p>© Photo DR</p>
<p><img src="images/stories/femen rome 2.jpg" border="0" width="180" height="183" style="float: left; margin: 4px 8px;" />Dans toutes les sociétés patriarcales, le corps féminin capable de donner la vie est depuis toujours un point névralgique des rapports sociaux entre hommes et femmes, et par là même, un outil privilégié de l’asservissement de ces dernières. Le vêtement en particulier, qui traduit manifestement cette intention, est ainsi un vecteur favorable au contrôle, l’imposition de la pudeur permettant de limiter moralement, physiquement et sexuellement les femmes.<br /><br />Il est donc logique que les féministes se réapproprient leur corps, en commençant par le truchement de leur tenue vestimentaire, dans leur lutte pour l’égalité. Dans des systèmes où la liberté de la femme est très restreinte, la nudité peut ainsi devenir le seul moyen d’action et d’expression à disposition des femmes. C’est le point de vue que défend le mouvement féministe ukrainien FEMEN.<br /><br />L’Ukraine postsoviétique, comme la majorité des pays de l’ancien bloc de l’Est, est encore très marquée par le patriarcat, malgré l’apparente égalité homme-femme prônée pendant 70 ans par le modèle marxiste. Et paradoxalement, c’est dans ce pays où le vent de démocratie a semblé souffler au printemps 2005, qu’a émergé son expression la plus radicale. <br /><br />En 2008, suite au désenchantement issu de la révolution orange, à l’immobilisme de la classe dirigeante et à une dégradation générale de la condition des femmes en Ukraine, une jeune sociologue, Anna Hutsol, fonde FEMEN, un mouvement féministe radical et provocateur. Leurs premières cibles sont la prostitution et le tourisme sexuel qui prolifèrent en Ukraine depuis 2005, aggravés par la crise économique. Les actions du groupe n’ont pas cessé de se diversifier depuis: défense des droits civiques, de l’environnement, lutte contre les oligarques, contre le harcèlement sexuel dans les universités, etc. Sous cette apparente diversité, les militantes de FEMEN se battent pour deux causes aux nombreuses ramifications sociales : l’amélioration de la condition et de l’image des femmes ukrainiennes, et la démocratisation du pays.<br /><br />FEMEN s’est réellement fait connaître par sa manière d’attirer l’attention des médias, en mettant en avant les attributs féminins des militantes qui se dénudent lors de leurs manifestations. Des symboles nationaux, couronnes de fleurs et jupes folkloriques, côtoient des slogans politiques inscrits à même leur corps. Ayant constaté que l’image de la femme en Ukraine est extrêmement dégradée, ces féministes ont décidé de prendre le contrepied en surjouant de l’hypersexualisation, en la mettant en scène associée à des messages revendicateurs. On peut également y lire une mise en avant de la vulnérabilité sexuelle des Ukrainiennes et des femmes en général. En reprenant cette vulnérabilité à leur compte, en l’exhibant à leur manière et selon leurs règles, et en la liant toujours à un contenu social, elles en prennent la maîtrise au lieu de la subir. La faiblesse assumée devient ainsi une force, qui permet de plus de se faire voir et entendre. <br /><br />Elles dénoncent ainsi publiquement une réalité cachée de l’Ukraine, où la promotion canapé est courante et dont les dirigeants utilisent, voire promeuvent, les charmes des jeunes filles pour renflouer l’économie. Elles utilisent leur corps pour mettre à nu l’hypocrisie de leur gouvernement et des hommes de leur pays, retournant l’arme contre l’agresseur.</p>
<p>C’est aussi une manière d’adapter le féminisme au 21e siècle, caractérisé par la société du divertissement et l’exhibition individuelle. Les FEMEN ont bien saisi les enjeux médiatiques d’une lutte sociale. Elles se mettent en scène, créent le spectacle, attirent l’attention, provoquent. Et se font entendre. Leurs mises en scène sont d’ailleurs pleines d’humour et imaginatives. En ce sens, les militantes de FEMEN sont des performeuses du féminisme, comme l’ont été les Riots Grrrls avant elles. <br /><br />Les FEMEN renvoient aussi une image du féminisme dans lequel les jeunes filles peuvent se retrouver : elles sont jeunes, glamour, courageuses et assurées, et assument un style de féminité caractérisant les stars du cinéma ou de la scène musicale. Elles démontrent qu’un certain type d’apparence souvent dénigré (mais qui fait vendre) peut être associé à l’intelligence et mis au service d’une cause. Elles sont jeunes et belles ? On attend d’elles qu’elles se rendent à l’université en tenues courtes et décolletés sexy ? Au lieu de lutter contre ces données, elles les mettent en scène pour se battre contre l’exploitation des femmes. Constatant le désintérêt des jeunes femmes pour le féminisme, perçu comme féminin, anti-hommes et poussiéreux (ce qui est également le cas en Suisse romande), elles ont choisi cette image avec une conscience aiguë du marketing et du système de médiatisation actuels. Pour ces militantes, tout est utile dans la lutte des femmes pour leurs droits ; selon FEMEN, le féminisme moderne passerait par l’ultra-féminité sexy, celle-là même qui fait vendre. <br /><br />Toutefois, leur stratégie n’est pas sans risques sur le long terme. Les féministes dites topless obtiennent en effet une couverture médiatique peu commune. Lors de leur passage en Suisse, elles ont obtenu des plages audiovisuelles conséquentes et suscité des débats télévisés très animés. <br /><br />Mais elles sont également objectifiées, réduites à une partie de leur corps. Est-ce que leur message est réellement entendu ? Quels résultats obtiennent-elles ? <br /><br />Avec leur tour européen, avec des arrêts très médiatisés chez DSK, le Vatican ou Berlusconi, il est certain que les FEMEN se sont fait remarquer par toutes sortes de tranches de la population en Europe. L’essentiel n’est pas qu’elles fassent l’unanimité, mais que le public perçoive, à divers niveaux, qu’il y a un message, des abus sociaux, une lutte. Les militantes FEMEN ont réussi à attirer l’attention sur les dérives sexuelles en Ukraine. Elles y ont obtenu des résultats, en particulier concernant le chantage, sexuel ou monétaire, dont sont victimes les étudiantes. Leur action a entraîné des sanctions contre certains professeurs, alors que le sujet était jusque-là tabou. Elles ont mis les bâtons dans les roues du tourisme sexuel en Ukraine. <br /><br />Le questionnement même de leur méthode, s’il est nécessaire, reste troublant. Le groupe dominant demande à ces féministes nouveau genre de justifier leurs actions et leurs méthodes, parce qu’elles osent s’attaquer à une injonction fondamentale du patriarcat, sur laquelle repose l’équilibre actuel du système homme-femme. La même nudité mise au service de la publicité dans les magazines ou sur les affiches, à but lucratif uniquement, n’entraîne pas de telles remises en cause. Là où la nudité est choisie par la femme, et mise au service d’une cause, elle doit être justifiée ; là où elle sert le profit du système en place, elle est acceptée. <br /><br />Mais FEMEN marque la division du mouvement des femmes au sens large en mettant en avant des dissensions de tout un pan de féministes abolitionnistes. Nombre d’Ukrainiens ne désirent pas être défendus par elles. La suite des opérations est donc cruciale. Devenir un parti politique, s’assagir, s’organiser de manière plus socialement acceptable, ou un peu de folie et d’action radicale est-il actuellement indispensable pour faire progresser la cause féministe ? <br /><br />Si on peut admirer le courage des jeunes féministes ukrainiennes et comprendre leur posture comme une suite logique de la démarche féministe des premières heures, on peut s’inquiéter de la pérennisation politique de celle-ci. Mais là aussi, leur démarche est réfléchie: les FEMEN ne comptent pas entrer dans un système parlementaire qu’elles estiment corrompu. Elles visent à faire changer les lois de l’extérieur, en devenant un mouvement indépendant assez puissant pour avoir une influence directe et marquée sur le pouvoir en place. On comprend dès lors mieux les raisons de leur tournée internationale. <br /><br />Il y a là un élan féminin, potentiellement capable de faire changer le système en place, au dynamisme sans conteste. Les FEMEN sont un modèle pour les femmes de tous âges, par le courage et la détermination dont elles font preuve, et pour les plus jeunes, à travers leur fierté d’une féminité belle et assumée. Leur façon de militer n’est pas destinée à inciter des jeunes filles à s’exhiber publiquement ; il s’agit d’une méthode d’action et non d’un modèle. Le modèle se situe au niveau de la perception des femmes et leur image - certaines FEMEN, telle Alexandra Chevshenko, sont maintenant des stars dans leur pays.<br /><br />Si toutes les féministes ne sont pas prêtes à adopter leur méthode, reste que les FEMEN ont accompli énormément en tout juste trois ans d’existence. On se prend à rêver à une union des femmes, à une solidarité féminine par-delà les frontières. Incontestablement, un mouvement à suivre.</p>
<p>© Photo DR</p>
Le maquillage augmente les compétences
2011-10-25T08:09:53+00:00
2011-10-25T08:09:53+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/293-le-maquillage-augmente-les-competences
Christelle Gérand
[email protected]
<p> </p>
<p><img src="http://lemilie.org/images/stories/journal.pone.0025656.g001.jpg" border="0" width="290" /></p>
<p><strong>Des chercheurs de l’université de Boston se sont intéressés à la façon dont le maquillage augmente les compétences… du moins en apparence. </strong></p>
<p>Une équipe de chercheurs de Boston vient de découvrir la clé du succès : le maquillage. Après l’effet «ce qui est beau est bon», scientifiquement prouvé lui aussi, qui veut que les personnes charmantes trouvent plus facilement un emploi, et sont mieux payées que celles dont le nez est un peu trop grand ou les yeux un peu trop tombants, la revue scientifique Plos One publie une étude sur les bienfaits du maquillage. Un trait d’eye-liner et un peu de rouge sur les lèvres et hop, on a tout de suite l’air plus compétente. Mais attention, pas question de trop en faire non plus, sinon l’effet est loupé.</p>
<p>Vingt-cinq femmes ont été prises en photo au naturel, façon «professionnelle», et «glamour- passons sur les présupposés des dénominations elles-mêmes, qui veulent qu’une femme sans maquillage n’est pas séduisante. Que les 149 observateurs, dont 61 hommes, regardent les clichés pendant 250 millisecondes ou durant le temps qu’ils voulaient, ils en arrivaient à la même conclusion : les femmes maquillées semblent plus compétentes. Procter&Gamble, qui vend les produits cosmétiques Dolce&Gabbana notamment, et a financé l’étude, a dû être satisfait du résultat.</p>
<p>En un coup d’œil rapide, les femmes maquillées gagnent sur tous les tableaux. Par contre, en y regardant de plus près, les femmes «glamour», soit celles les plus maquillées, sont vues comme moins fiables que les femmes «au naturel», mais toujours plus compétentes.</p>
<p>Sarah Vickery, l’une des auteurs de l’étude, affirme : «Parfois, les femmes veulent montrer qu’elles sont le chef, et ne doivent pas être effrayées que cela passe par le maquillage.» En attendant une étude qui montrera que les hommes qui coordonnent leur paire de chaussettes avec leur cravate inspirent davantage confiance en affaires ou que les cheveux grisonnants font plus sérieux, les femmes sont invitées à user de tous les atours de la féminité pour augmenter leurs chances de trouver un emploi.</p>
<p> </p>
<p>Lien vers l’étude : <a href="http://www.plosone.org/article/info:doi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0025656">http://www.plosone.org/article/info:doi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0025656</a></p>
<p> </p>
<p> </p>
<p> </p>
<p> </p>
<p> </p>
<p><img src="images/stories/journal.pone.0025656.g001.jpg" border="0" width="290" /></p>
<p><strong>Des chercheurs de l’université de Boston se sont intéressés à la façon dont le maquillage augmente les compétences… du moins en apparence. </strong></p>
<p>Une équipe de chercheurs de Boston vient de découvrir la clé du succès : le maquillage. Après l’effet «ce qui est beau est bon», scientifiquement prouvé lui aussi, qui veut que les personnes charmantes trouvent plus facilement un emploi, et sont mieux payées que celles dont le nez est un peu trop grand ou les yeux un peu trop tombants, la revue scientifique Plos One publie une étude sur les bienfaits du maquillage. Un trait d’eye-liner et un peu de rouge sur les lèvres et hop, on a tout de suite l’air plus compétente. Mais attention, pas question de trop en faire non plus, sinon l’effet est loupé.</p>
<p>Vingt-cinq femmes ont été prises en photo au naturel, façon «professionnelle», et «glamour- passons sur les présupposés des dénominations elles-mêmes, qui veulent qu’une femme sans maquillage n’est pas séduisante. Que les 149 observateurs, dont 61 hommes, regardent les clichés pendant 250 millisecondes ou durant le temps qu’ils voulaient, ils en arrivaient à la même conclusion : les femmes maquillées semblent plus compétentes. Procter&Gamble, qui vend les produits cosmétiques Dolce&Gabbana notamment, et a financé l’étude, a dû être satisfait du résultat.</p>
<p>En un coup d’œil rapide, les femmes maquillées gagnent sur tous les tableaux. Par contre, en y regardant de plus près, les femmes «glamour», soit celles les plus maquillées, sont vues comme moins fiables que les femmes «au naturel», mais toujours plus compétentes.</p>
<p>Sarah Vickery, l’une des auteurs de l’étude, affirme : «Parfois, les femmes veulent montrer qu’elles sont le chef, et ne doivent pas être effrayées que cela passe par le maquillage.» En attendant une étude qui montrera que les hommes qui coordonnent leur paire de chaussettes avec leur cravate inspirent davantage confiance en affaires ou que les cheveux grisonnants font plus sérieux, les femmes sont invitées à user de tous les atours de la féminité pour augmenter leurs chances de trouver un emploi.</p>
<p> </p>
<p>Lien vers l’étude : <a href="http://www.plosone.org/article/info:doi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0025656">http://www.plosone.org/article/info:doi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0025656</a></p>
<p> </p>
<p> </p>
<p> </p>
<p> </p>
Porno et féministes
2011-10-12T03:41:57+00:00
2011-10-12T03:41:57+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/289-porno-et-feministes
Caroline Dayer
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/stories/dirtydiaries_flashergirl_metro.jpg" border="0" /></p>
<p align="left"><strong>Porno : pourquoi les féministes en viennent aux mains.</strong></p>
<p align="left"><strong> </strong></p>
<p align="left"><strong>La pornographie constitue une des principales controverses féministes. Afin de dépasser une lecture morale (c’est bien/c’est mal) ou une interprétation personnelle (j’aime/j’aime pas) de la thématique, l’émiliE revient sur les différents points de tension qui la traversent. Décodage.</strong></p>
<p align="left"><strong> </strong></p>
<p align="left"><strong>Féminisme et pornographie : un oxymore ? </strong></p>
<p align="left"> </p>
<p align="left">Deux principaux camps se sont dessinés parmi les féministes. D’un côté, certaines se positionnent contre la pornographie en argumentant que cette dernière est dégradante pour les femmes et renvoie par essence à la subordination sexiste. Selon cette conception, la pornographie doit être interdite. D’un autre côté, les féministes pro-porno avancent la nécessité d’investir ce domaine et de se le réapproprier. Selon cette vision, la pornographie est un outil politique afin de donner à voir une multiplicité de pratiques.</p>
<p align="left">Ces deux perspectives s’opposent dans leur manière d’appréhender la pornographie, et par conséquent, dans la façon de proposer des pistes d’action. Elles se distinguent aussi dans la façon d’envisager les personnes et leurs interactions. D’un côté, les hommes domineraient forcément les femmes et, de l’autre, les femmes seraient capables de discernement et de propositions. Un tel conflit renvoie également à une conception particulière du féminisme. Si d’un point de vue, il est impensable qu’une personne ou un collectif féministe ne s’insurge pas contre la pornographie, de l’autre point de vue, il est antiféministe de penser à la place d’autres femmes qui seraient perçues comme aliénées, ayant intériorisé l’oppression masculine. Loin de nier les rapports de force en jeu, l’idée consiste dans ce cas à en dégager les marges de manœuvre et à lutter, en tant que féministe, également dans le champ de la pornographie pour davantage d’émancipation.</p>
<p align="left">Par contre, ces perspectives se rejoignent à travers la critique d’une pornographie hétérosexiste, produites par des hommes et adressées à des hommes. Dans ce sens, certains mouvements investissent ce domaine en créant une pornographie féministe. Pornographie et féminisme, dans cette perspective, ne constituent pas les deux termes d’un oxymore, mais d’une alliance non seulement de résistance mais surtout de création, en proposant des formes inédites de sexualités et de genre.</p>
<p align="left"><strong>Quel genre de pornographie ?</strong></p>
<p align="left">La question du genre est en effet au cœur du post-porno en ce que les représentations conventionnelles des attributs et des rôles de ce qui est considéré comme masculin ou féminin sont déjouées, montrant par là même leur construction et mettant à mal leur apparence soi-disant naturelle.</p>
<p align="left">Il s’agit également du rapport au corps, au sien et à celui d’autrui. Et dans le post-porno, ces corps ne sont plus exclusivement blancs, jeunes et correspondant au canons en vigueur. La pornographie classique est critiquée, dépassée, transgressée. C’est en détrônant la suprématie de ce genre de pornographie que des représentations non sexistes, non homophobes, non racistes peuvent voir le jour. L’intrication entre ces dimensions est démantelée pour faire éclater la diversité.</p>
<p align="left">Un des problèmes central réside bien dans les mécanismes mis en place pour faire croire que la pornographie de masse, qu’elle soit industrielle ou amatrice, présente ce qu’est vraiment la sexualité, ce que faire du sexe veut dire. Et cette pornographie-là, figée et univoque, est effectivement violente dans son dogmatisme, d’autant plus pour les jeunes qui la regardent et l’utilisent comme support d’apprentissage. Deux alternatives s’esquissent face à ce genre de socialisation sexuelle : soit nier qu’elle existe, soit agir dans ce domaine, et c’est ce qu’ont fait différentes personnes qui se revendiquent comme féministes, issues du domaine de la pornographie ou non, des théoriciennes aux performeuses, des actrices aux artistes activistes.</p>
<p align="left">La remise en cause des frontières du genre, des limites de l’assignation des rôles et de la normalisation des corps est au cœur de certains films pornographiques féministes et queer, qui détournent des codes et en inventent de nouveaux, qui sortent de l’ombre la diversité des plaisirs et mettent sous le projecteur la fluidité des désirs. Ce type de production se veut également anticapitaliste, en rendant les films accessibles, autant en termes économiques que pratiques.</p>
<p align="left">Différents films produits par des personnes ou des collectifs féministes ont vu le jour en portant leur attention autant sur les conditions de production et de travail que sur les images qui sont proposées. Sur un plan esthétique, certains films post-porno renvoient à une démarche artistique ; le cadrage est repensé et ne se focalise pas seulement sur le morcellement des corps, les limites spatiales et temporelles ne se cantonnent pas uniquement à l’orgasme masculin et le champ de vision éclaire des zones d’ombre. Le fond comme la forme sont travaillés et jouent un rôle subversif envers les normes sexuelles imposées, ainsi qu’un rôle politique contre la police des fantasmes et des pratiques sexuelles dont les lois sont révélatrices des règles de contrôle d’une époque donnée.</p>
<p align="left">Aujourd’hui, il ne s’agit pas de brandir la pornographie comme un fer de lance du féminisme, mais plutôt de la penser comme un domaine qui, comme d’autres, est traversé par des rapports de pouvoir – avec ses écueils et ses leviers d’action – et qui invite donc à être travaillé et réinventé.</p>
<p align="left"> </p>
<p align="left">© Photo extraite du film <em>Dirty diaries</em> de la réalisatrice féministe Mia Engberg</p>
<p><img src="images/stories/dirtydiaries_flashergirl_metro.jpg" border="0" /></p>
<p align="left"><strong>Porno : pourquoi les féministes en viennent aux mains.</strong></p>
<p align="left"><strong> </strong></p>
<p align="left"><strong>La pornographie constitue une des principales controverses féministes. Afin de dépasser une lecture morale (c’est bien/c’est mal) ou une interprétation personnelle (j’aime/j’aime pas) de la thématique, l’émiliE revient sur les différents points de tension qui la traversent. Décodage.</strong></p>
<p align="left"><strong> </strong></p>
<p align="left"><strong>Féminisme et pornographie : un oxymore ? </strong></p>
<p align="left"> </p>
<p align="left">Deux principaux camps se sont dessinés parmi les féministes. D’un côté, certaines se positionnent contre la pornographie en argumentant que cette dernière est dégradante pour les femmes et renvoie par essence à la subordination sexiste. Selon cette conception, la pornographie doit être interdite. D’un autre côté, les féministes pro-porno avancent la nécessité d’investir ce domaine et de se le réapproprier. Selon cette vision, la pornographie est un outil politique afin de donner à voir une multiplicité de pratiques.</p>
<p align="left">Ces deux perspectives s’opposent dans leur manière d’appréhender la pornographie, et par conséquent, dans la façon de proposer des pistes d’action. Elles se distinguent aussi dans la façon d’envisager les personnes et leurs interactions. D’un côté, les hommes domineraient forcément les femmes et, de l’autre, les femmes seraient capables de discernement et de propositions. Un tel conflit renvoie également à une conception particulière du féminisme. Si d’un point de vue, il est impensable qu’une personne ou un collectif féministe ne s’insurge pas contre la pornographie, de l’autre point de vue, il est antiféministe de penser à la place d’autres femmes qui seraient perçues comme aliénées, ayant intériorisé l’oppression masculine. Loin de nier les rapports de force en jeu, l’idée consiste dans ce cas à en dégager les marges de manœuvre et à lutter, en tant que féministe, également dans le champ de la pornographie pour davantage d’émancipation.</p>
<p align="left">Par contre, ces perspectives se rejoignent à travers la critique d’une pornographie hétérosexiste, produites par des hommes et adressées à des hommes. Dans ce sens, certains mouvements investissent ce domaine en créant une pornographie féministe. Pornographie et féminisme, dans cette perspective, ne constituent pas les deux termes d’un oxymore, mais d’une alliance non seulement de résistance mais surtout de création, en proposant des formes inédites de sexualités et de genre.</p>
<p align="left"><strong>Quel genre de pornographie ?</strong></p>
<p align="left">La question du genre est en effet au cœur du post-porno en ce que les représentations conventionnelles des attributs et des rôles de ce qui est considéré comme masculin ou féminin sont déjouées, montrant par là même leur construction et mettant à mal leur apparence soi-disant naturelle.</p>
<p align="left">Il s’agit également du rapport au corps, au sien et à celui d’autrui. Et dans le post-porno, ces corps ne sont plus exclusivement blancs, jeunes et correspondant au canons en vigueur. La pornographie classique est critiquée, dépassée, transgressée. C’est en détrônant la suprématie de ce genre de pornographie que des représentations non sexistes, non homophobes, non racistes peuvent voir le jour. L’intrication entre ces dimensions est démantelée pour faire éclater la diversité.</p>
<p align="left">Un des problèmes central réside bien dans les mécanismes mis en place pour faire croire que la pornographie de masse, qu’elle soit industrielle ou amatrice, présente ce qu’est vraiment la sexualité, ce que faire du sexe veut dire. Et cette pornographie-là, figée et univoque, est effectivement violente dans son dogmatisme, d’autant plus pour les jeunes qui la regardent et l’utilisent comme support d’apprentissage. Deux alternatives s’esquissent face à ce genre de socialisation sexuelle : soit nier qu’elle existe, soit agir dans ce domaine, et c’est ce qu’ont fait différentes personnes qui se revendiquent comme féministes, issues du domaine de la pornographie ou non, des théoriciennes aux performeuses, des actrices aux artistes activistes.</p>
<p align="left">La remise en cause des frontières du genre, des limites de l’assignation des rôles et de la normalisation des corps est au cœur de certains films pornographiques féministes et queer, qui détournent des codes et en inventent de nouveaux, qui sortent de l’ombre la diversité des plaisirs et mettent sous le projecteur la fluidité des désirs. Ce type de production se veut également anticapitaliste, en rendant les films accessibles, autant en termes économiques que pratiques.</p>
<p align="left">Différents films produits par des personnes ou des collectifs féministes ont vu le jour en portant leur attention autant sur les conditions de production et de travail que sur les images qui sont proposées. Sur un plan esthétique, certains films post-porno renvoient à une démarche artistique ; le cadrage est repensé et ne se focalise pas seulement sur le morcellement des corps, les limites spatiales et temporelles ne se cantonnent pas uniquement à l’orgasme masculin et le champ de vision éclaire des zones d’ombre. Le fond comme la forme sont travaillés et jouent un rôle subversif envers les normes sexuelles imposées, ainsi qu’un rôle politique contre la police des fantasmes et des pratiques sexuelles dont les lois sont révélatrices des règles de contrôle d’une époque donnée.</p>
<p align="left">Aujourd’hui, il ne s’agit pas de brandir la pornographie comme un fer de lance du féminisme, mais plutôt de la penser comme un domaine qui, comme d’autres, est traversé par des rapports de pouvoir – avec ses écueils et ses leviers d’action – et qui invite donc à être travaillé et réinventé.</p>
<p align="left"> </p>
<p align="left">© Photo extraite du film <em>Dirty diaries</em> de la réalisatrice féministe Mia Engberg</p>
Sexe et nation
2011-09-12T07:04:18+00:00
2011-09-12T07:04:18+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/277-sexe-et-nation
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/stories/svt-1.jpg" border="0" style="border: 0pt none; float: left; margin-right: 5px; margin-left: 5px;" /></p>
<p>La rentrée scolaire française a été marquée par une bataille d'arrière-cour menée par les catholiques et quelque 80 députés de la majorité. L'objet en est le nouveau contenu d'un manuel de biologie destiné aux élèves de première (16 ans). Y figure un chapitre consacré à la théorie du genre qui tente d'expliquer, avec plus ou moins de bonheur, la différence entre sexe biologique et sexe social.</p>
<p>Il est intéressant de constater que la controverse ressuscite ceux-là même qui s'opposaient au PACS en 2000. La droite conservatrice gardienne des traditions, de la civilisation et de la morale résistait alors bec et ongles à la rhétorique progressiste synonyme pour ses tenants d'immigration massive et de débauche effrénée. Puis il y eut le 11-Septembre et en filigrane, l'esprit des croisades. L'Occident était menacé par des terroristes islamistes obscurantistes qui s'attaquaient aux fondements de nos sociétés modernes.</p>
<p>Du coup, les droites européennes ont dû évoluer sur la question de la sexualité et du droit des femmes. Plus question de se prévaloir des traditions sous peine d'être comparées aux intégristes musulmans. En matière de sexisme et d'homophobie, il y a désormais le "eux" et le "nous". On se souvient des propos de Marine Le Pen au Congrès de Tours en janvier 2011 qui disait que dans "<span style="line-height: 150%;"><em>certains quartiers, </em><em>il ne fait pas bon être femme, ni homosexuel ". </em></span>Le dernier clip de l'UDC recourt à des mécanismes similaires quand il s'agit de montrer que des femmes suisses pourraient séduire, voire plus si affinités (les images sont assez explicites), un bel inconnu. Elles renoncent après avoir découvert que celui-ci a un linge de bain aux couleurs de l'Europe. Il y a "nous" et "les autres", mais pour autant les Suissesses sont des femmes émancipées et donc modernes. Le slogan "L'heure des vraies valeurs est venue. Les Suissesses votent UDC" tend à réconcilier identité nationale et sexe.</p>
<p>Ces extrêmes droites décomplexées sont-elles pour autant cohérentes? Quelles sont les vraies valeurs dont parle l'UDC? Que se serait-il passé si l'inconnu du clip avait sorti un linge à croix blanche? Est-ce que l'UDC assume son discours en matière d'émancipation des femmes ou n'est-ce qu'un moyen au service d'une propagande comme pour ces députés de l'UMP qui s'engagent dans des combats rétrogrades contre quelques pages d'un manuel scolaire ? Nos intégristes ne sont pas plus évolués, pas plus ouverts que ceux d'ailleurs. Et puis à propos d'évolution, estimons-nous heureux-ses qu'on puisse encore l'étudier dans les manuels scolaires et que les intégristes religieux n'y substituent pas le créationnisme.</p>
<p><span style="line-height: 150%;"><em><br /></em></span></p>
<p><img src="images/stories/svt-1.jpg" border="0" style="border: 0pt none; float: left; margin-right: 5px; margin-left: 5px;" /></p>
<p>La rentrée scolaire française a été marquée par une bataille d'arrière-cour menée par les catholiques et quelque 80 députés de la majorité. L'objet en est le nouveau contenu d'un manuel de biologie destiné aux élèves de première (16 ans). Y figure un chapitre consacré à la théorie du genre qui tente d'expliquer, avec plus ou moins de bonheur, la différence entre sexe biologique et sexe social.</p>
<p>Il est intéressant de constater que la controverse ressuscite ceux-là même qui s'opposaient au PACS en 2000. La droite conservatrice gardienne des traditions, de la civilisation et de la morale résistait alors bec et ongles à la rhétorique progressiste synonyme pour ses tenants d'immigration massive et de débauche effrénée. Puis il y eut le 11-Septembre et en filigrane, l'esprit des croisades. L'Occident était menacé par des terroristes islamistes obscurantistes qui s'attaquaient aux fondements de nos sociétés modernes.</p>
<p>Du coup, les droites européennes ont dû évoluer sur la question de la sexualité et du droit des femmes. Plus question de se prévaloir des traditions sous peine d'être comparées aux intégristes musulmans. En matière de sexisme et d'homophobie, il y a désormais le "eux" et le "nous". On se souvient des propos de Marine Le Pen au Congrès de Tours en janvier 2011 qui disait que dans "<span style="line-height: 150%;"><em>certains quartiers, </em><em>il ne fait pas bon être femme, ni homosexuel ". </em></span>Le dernier clip de l'UDC recourt à des mécanismes similaires quand il s'agit de montrer que des femmes suisses pourraient séduire, voire plus si affinités (les images sont assez explicites), un bel inconnu. Elles renoncent après avoir découvert que celui-ci a un linge de bain aux couleurs de l'Europe. Il y a "nous" et "les autres", mais pour autant les Suissesses sont des femmes émancipées et donc modernes. Le slogan "L'heure des vraies valeurs est venue. Les Suissesses votent UDC" tend à réconcilier identité nationale et sexe.</p>
<p>Ces extrêmes droites décomplexées sont-elles pour autant cohérentes? Quelles sont les vraies valeurs dont parle l'UDC? Que se serait-il passé si l'inconnu du clip avait sorti un linge à croix blanche? Est-ce que l'UDC assume son discours en matière d'émancipation des femmes ou n'est-ce qu'un moyen au service d'une propagande comme pour ces députés de l'UMP qui s'engagent dans des combats rétrogrades contre quelques pages d'un manuel scolaire ? Nos intégristes ne sont pas plus évolués, pas plus ouverts que ceux d'ailleurs. Et puis à propos d'évolution, estimons-nous heureux-ses qu'on puisse encore l'étudier dans les manuels scolaires et que les intégristes religieux n'y substituent pas le créationnisme.</p>
<p><span style="line-height: 150%;"><em><br /></em></span></p>
Religions et féminismes: quelle équation?
2011-08-17T07:12:41+00:00
2011-08-17T07:12:41+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/272-religions-et-feminismes-limpossible-equation
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/stories/Rubriques/genrefeminismes/2011/images-1.jpg" border="0" align="left" /></p>
<p>Féminisme rime avec laïcité, pense-t-on en général. En Occident, les mouvements d'émancipation des femmes se sont en effet largement construits sans les croyantes, et parfois contre elles. L'approche politique et anticléricale de la critique féministe était en opposition totale avec la vision chrétienne ou judaïque. Que ce soit lors de la première vague féministe (1900-1914) ou de la seconde (1960-1980), les femmes qui se réclament à la fois du féminisme et du religieux sont peu nombreuses. Pourtant certaines militantes essaient de (ré)concilier les deux avec plus ou moins de bonheur, notamment en matière de contraception et d'avortement comme les activistes de Prolife feminism. La problématique titille: colloques, associations, ouvrages traitant du sujet pullulent. Du côté de l'islam, et à la faveur des révolutions arabes, les choses bougent et les féministes cherchent des aménagements pour mettre en place un début de respect et d'égalité.</p>
<p><em>l'émiliE dresse ici un état des lieux non exhaustif de ce vaste mouvement aux origines et aux motivations variées.</em></p>
<p> </p>
<p><strong><span style="font-family: Verdana; color: #0000ff;"><em>Associations chrétiennes</em></span></strong></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;"><strong>Femmes et Hommes en Église</strong> <br />Groupe international fondé en 1970 à Bruxelles. Composé de femmes et d'hommes laïcs, religieux, religieuses et prêtres, il concentre principalement ses efforts sur des démarches auprès des différentes instances d'Église et a présenté des travaux lors des Synodes des évêques</span><span style="font-family: Verdana;">.</span><a href="http://www.fhe.asso.fr/" target="_blank"><span style="font-family: Verdana;"> www.fhe.asso.fr</span></a></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;"><strong>Femmes et Hommes en Église</strong> a créé avec la bibliothèque du Saulchoir une unité de recherche et de documentation sur le thème "Genre en christianisme". </span><a href="http://www.bibliothequedusaulchoir.org/" target="_blank"><span style="font-family: Verdana;">www.bibliothequedusaulchoir.org</span></a></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;"><strong>L'Autre Parole</strong><br />L'Autre Parole est un collectif de femmes féministes et chrétiennes, actives au Québec depuis 1976. <br /></span><a href="http://www.er.uqam.ca/nobel/r22734/" target="_blank"><span style="font-family: Verdana;"><br /></span></a><span style="font-family: Verdana;"> </span></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;"><strong>Tsimtsoum</strong></span><span style="font-family: Verdana;">Site d'un collectif de femmes protestantes, étudiant "la Bible au féminin". "Tsimtsoum" est un mot de la tradition mystique juive désignant "un retrait créateur de Dieu".</span><a href="http://www.tsimtsoum.org/" target="_blank"><span style="font-family: Verdana;">www.tsimtsoum.org</span></a></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;"><strong>Le Groupe Orsay</strong> <br />Le Groupe Orsay regroupe une centaine de femmes protestantes développant une réflexion sur la base des théologies féministes. Il publie un bulletin <em>Le Passouvent Tantattendu</em> et des ouvrages féministes.</span><a href="http://monsite.wanadoo.fr/groupe-orsay/" target="_blank"><span style="font-family: Verdana;"> </span></a></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;"><strong>Pour des femmes prêtres</strong></span><span style="font-family: Verdana;">Site international militant pour l'ordination des femmes dans l'Eglise catholique. S'y trouve un millier de textes en anglais, présentés dans quinze langues (du latin au coréen, en passant par le français). Avec une bibliographie, un forum, des documents originaux, et même un cours...</span><a href="http://www.womenpriests.org/" target="_blank"><span style="font-family: Verdana;"> www.womenpriests.org</span></a></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;"><strong>Catholics for a free choice</strong><br />Les catholiques pour le libre choix en matière de contraception et d'avortement. CFFC soutient une éthique sexuelle et reproductrice fondée sur un engagement pour le bien-être des femmes et affirment la capacité morale des femmes et des hommes de prendre des décisions saines au sujet de leurs vies. CFFC publie le journal <em>Conscience</em><span style="color: #000000;">.<br /></span></span><a href="http://www.catholicsforchoice.org/" target="_blank"><span style="font-family: Verdana;">www.catholicsforchoice.org</span></a></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;"><strong>Des préservatifs pour la vie</strong><br />"Les bons catholiques utilisent des préservatifs" affirme, en anglais, le site "Comdoms for Life".<br /></span><a href="http://www.condoms4life.org/" target="_blank"><span style="font-family: Verdana;">www.condoms4life.org</span></a></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;"><strong><br /></strong></span><a href="http://slv80.tripod.com/" target="_blank"></a></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><strong><span style="font-family: Verdana; color: #0000ff;">Associations juives</span></strong></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;"><strong>Femmes et judaïsme</strong>.</span></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;">Le blog de la sociologue Sonia Sarah Lipsyc offre des informations sur le sujet. Elle a en particulier dirigé une grande enquête : <em>"Femmes et judaïsme en France, un état des lieux : 2005-2006</em>" dans le cadre de la WIZO, portant notamment sur le divorce religieux (guet), les violences faites aux femmes, la parité dans les institutions communautaires, la mixité dans les communautés juives. <br /></span><a href="http://soniasarahlipsyc.canalblog.com/" target="_blank"><span style="font-family: Verdana;">http://soniasarahlipsyc.canalblog.com</span></a><br /><span style="font-family: Verdana;">Les principaux résultats de l'enquête WIZO </span><a href="http://www.wizo.asso.fr/-Femme-et-Judaisme-.html" target="_blank"><span style="font-family: Verdana;">http://www.wizo.asso.fr/-Femme-et-Judaisme-.html</span></a></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;"><strong>WIZO Organisation internationale de Femmes Sionistes<br /></strong>La WIZO (Women International Zionist Organisation) est une "organisation internationale des femmes sionistes pour une société meilleure en Israël". Elle regroupe 250.000 femmes dans le monde. <br />Site de la WIZO-France : </span><a href="http://www.wizo.asso.fr/" target="_blank"><span style="font-family: Verdana;">www.wizo.asso.fr</span></a></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;"><strong>Akadem</strong> </span><span style="font-family: Verdana;">Le "campus numérique juif"</span> diffuse en audio ou vidéo les conférences données dans les différentes associations juives.<br /><span style="font-family: Verdana;">www.akadem.org<br /></span><a href="http://www.akadem.org/sommaire/themes/liturgie/5/1/module_846.php" target="_blank"></a></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><strong><span style="font-family: Verdana; color: #0000ff;">Associations musulmanes</span></strong></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;"><strong>Le Collectif des Féministes pour l’Egalité</strong> </span></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;">Né suite à la pétition "Un voile sur les discriminations" (contre la loi de 2004 sur les signes religieux) parue dans Le Monde du 9 décembre 2004.<br />Le blog du Collectif </span><a href="http://www.cfpe2004.org/" target="_blank"><span style="font-family: Verdana;">www.cfpe2004.org</span></a><br /><span style="font-family: Verdana;"><br /></span></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;"><strong>Femmes Sous Lois Musulmanes<br /></strong>Femmes Sous Lois Musulmanes (Women living under muslim laws, WLUML) est un réseau international de solidarité qui offre information, solidarité et soutien aux femmes dont la vie est régie ou conditionnée par les lois et les coutumes présentées comme étant islamiques. <br />En français, en anglais et en arabe. </span><a href="http://www.wluml.org/" target="_blank"><span style="font-family: Verdana;">www.wluml.org</span></a></p>
<p><img src="images/stories/Rubriques/genrefeminismes/2011/images-1.jpg" border="0" align="left" /></p>
<p>Féminisme rime avec laïcité, pense-t-on en général. En Occident, les mouvements d'émancipation des femmes se sont en effet largement construits sans les croyantes, et parfois contre elles. L'approche politique et anticléricale de la critique féministe était en opposition totale avec la vision chrétienne ou judaïque. Que ce soit lors de la première vague féministe (1900-1914) ou de la seconde (1960-1980), les femmes qui se réclament à la fois du féminisme et du religieux sont peu nombreuses. Pourtant certaines militantes essaient de (ré)concilier les deux avec plus ou moins de bonheur, notamment en matière de contraception et d'avortement comme les activistes de Prolife feminism. La problématique titille: colloques, associations, ouvrages traitant du sujet pullulent. Du côté de l'islam, et à la faveur des révolutions arabes, les choses bougent et les féministes cherchent des aménagements pour mettre en place un début de respect et d'égalité.</p>
<p><em>l'émiliE dresse ici un état des lieux non exhaustif de ce vaste mouvement aux origines et aux motivations variées.</em></p>
<p> </p>
<p><strong><span style="font-family: Verdana; color: #0000ff;"><em>Associations chrétiennes</em></span></strong></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;"><strong>Femmes et Hommes en Église</strong> <br />Groupe international fondé en 1970 à Bruxelles. Composé de femmes et d'hommes laïcs, religieux, religieuses et prêtres, il concentre principalement ses efforts sur des démarches auprès des différentes instances d'Église et a présenté des travaux lors des Synodes des évêques</span><span style="font-family: Verdana;">.</span><a href="http://www.fhe.asso.fr/" target="_blank"><span style="font-family: Verdana;"> www.fhe.asso.fr</span></a></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;"><strong>Femmes et Hommes en Église</strong> a créé avec la bibliothèque du Saulchoir une unité de recherche et de documentation sur le thème "Genre en christianisme". </span><a href="http://www.bibliothequedusaulchoir.org/" target="_blank"><span style="font-family: Verdana;">www.bibliothequedusaulchoir.org</span></a></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;"><strong>L'Autre Parole</strong><br />L'Autre Parole est un collectif de femmes féministes et chrétiennes, actives au Québec depuis 1976. <br /></span><a href="http://www.er.uqam.ca/nobel/r22734/" target="_blank"><span style="font-family: Verdana;"><br /></span></a><span style="font-family: Verdana;"> </span></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;"><strong>Tsimtsoum</strong></span><span style="font-family: Verdana;">Site d'un collectif de femmes protestantes, étudiant "la Bible au féminin". "Tsimtsoum" est un mot de la tradition mystique juive désignant "un retrait créateur de Dieu".</span><a href="http://www.tsimtsoum.org/" target="_blank"><span style="font-family: Verdana;">www.tsimtsoum.org</span></a></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;"><strong>Le Groupe Orsay</strong> <br />Le Groupe Orsay regroupe une centaine de femmes protestantes développant une réflexion sur la base des théologies féministes. Il publie un bulletin <em>Le Passouvent Tantattendu</em> et des ouvrages féministes.</span><a href="http://monsite.wanadoo.fr/groupe-orsay/" target="_blank"><span style="font-family: Verdana;"> </span></a></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;"><strong>Pour des femmes prêtres</strong></span><span style="font-family: Verdana;">Site international militant pour l'ordination des femmes dans l'Eglise catholique. S'y trouve un millier de textes en anglais, présentés dans quinze langues (du latin au coréen, en passant par le français). Avec une bibliographie, un forum, des documents originaux, et même un cours...</span><a href="http://www.womenpriests.org/" target="_blank"><span style="font-family: Verdana;"> www.womenpriests.org</span></a></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;"><strong>Catholics for a free choice</strong><br />Les catholiques pour le libre choix en matière de contraception et d'avortement. CFFC soutient une éthique sexuelle et reproductrice fondée sur un engagement pour le bien-être des femmes et affirment la capacité morale des femmes et des hommes de prendre des décisions saines au sujet de leurs vies. CFFC publie le journal <em>Conscience</em><span style="color: #000000;">.<br /></span></span><a href="http://www.catholicsforchoice.org/" target="_blank"><span style="font-family: Verdana;">www.catholicsforchoice.org</span></a></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;"><strong>Des préservatifs pour la vie</strong><br />"Les bons catholiques utilisent des préservatifs" affirme, en anglais, le site "Comdoms for Life".<br /></span><a href="http://www.condoms4life.org/" target="_blank"><span style="font-family: Verdana;">www.condoms4life.org</span></a></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;"><strong><br /></strong></span><a href="http://slv80.tripod.com/" target="_blank"></a></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><strong><span style="font-family: Verdana; color: #0000ff;">Associations juives</span></strong></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;"><strong>Femmes et judaïsme</strong>.</span></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;">Le blog de la sociologue Sonia Sarah Lipsyc offre des informations sur le sujet. Elle a en particulier dirigé une grande enquête : <em>"Femmes et judaïsme en France, un état des lieux : 2005-2006</em>" dans le cadre de la WIZO, portant notamment sur le divorce religieux (guet), les violences faites aux femmes, la parité dans les institutions communautaires, la mixité dans les communautés juives. <br /></span><a href="http://soniasarahlipsyc.canalblog.com/" target="_blank"><span style="font-family: Verdana;">http://soniasarahlipsyc.canalblog.com</span></a><br /><span style="font-family: Verdana;">Les principaux résultats de l'enquête WIZO </span><a href="http://www.wizo.asso.fr/-Femme-et-Judaisme-.html" target="_blank"><span style="font-family: Verdana;">http://www.wizo.asso.fr/-Femme-et-Judaisme-.html</span></a></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;"><strong>WIZO Organisation internationale de Femmes Sionistes<br /></strong>La WIZO (Women International Zionist Organisation) est une "organisation internationale des femmes sionistes pour une société meilleure en Israël". Elle regroupe 250.000 femmes dans le monde. <br />Site de la WIZO-France : </span><a href="http://www.wizo.asso.fr/" target="_blank"><span style="font-family: Verdana;">www.wizo.asso.fr</span></a></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;"><strong>Akadem</strong> </span><span style="font-family: Verdana;">Le "campus numérique juif"</span> diffuse en audio ou vidéo les conférences données dans les différentes associations juives.<br /><span style="font-family: Verdana;">www.akadem.org<br /></span><a href="http://www.akadem.org/sommaire/themes/liturgie/5/1/module_846.php" target="_blank"></a></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><strong><span style="font-family: Verdana; color: #0000ff;">Associations musulmanes</span></strong></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;"><strong>Le Collectif des Féministes pour l’Egalité</strong> </span></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;">Né suite à la pétition "Un voile sur les discriminations" (contre la loi de 2004 sur les signes religieux) parue dans Le Monde du 9 décembre 2004.<br />Le blog du Collectif </span><a href="http://www.cfpe2004.org/" target="_blank"><span style="font-family: Verdana;">www.cfpe2004.org</span></a><br /><span style="font-family: Verdana;"><br /></span></p>
<p style="font-size: 10pt;" align="justify"><span style="font-family: Verdana;"><strong>Femmes Sous Lois Musulmanes<br /></strong>Femmes Sous Lois Musulmanes (Women living under muslim laws, WLUML) est un réseau international de solidarité qui offre information, solidarité et soutien aux femmes dont la vie est régie ou conditionnée par les lois et les coutumes présentées comme étant islamiques. <br />En français, en anglais et en arabe. </span><a href="http://www.wluml.org/" target="_blank"><span style="font-family: Verdana;">www.wluml.org</span></a></p>
14 juin d'hier et d'aujourd'hui
2011-06-21T14:35:34+00:00
2011-06-21T14:35:34+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/266-14-juin-81-91-2011
Briana Berg
[email protected]
<p><strong>14 juin 1981, 1991, 2011 : paroles de l’émiliE.</strong><br /><br /></p>
<p>Le 14 juin fait date en Suisse. C’est en effet le 14 juin 1981 que l’égalité des droits est inscrite dans la Constitution ; ce même jour, en 1991, les femmes entament une grève nationale pour que cette égalité soit effective dans leur réalité quotidienne. En 2011, vingt ans après, face à la persistance des inégalités, cette journée emblématique demeure encore un temps de revendication.<br />Et si on se rafraîchissait la mémoire en plongeant dans les archives de l’émiliE ?</p>
<p><strong>1981 : L’abc de l’égalité </strong><br />En avril 1981, en vue des votations fédérales sur l’égalité entre hommes et femmes, la rédaction de <em>l’émiliE</em>, alors <em>Femmes Suisses</em>, s’est fendue d’un tiré à part spécial, un long abécédaire humoristique. Quelques extraits choisis en reflètent l’état d’esprit : <br /><br /><em><span style="text-decoration: underline;"><img src="http://lemilie.org/images/stories/lemilie_19810401-2_page_01.jpg" border="0" width="150" height="212" style="float: left; margin: 4px;" />ASSURANCE MATERNITÉ </span>: Mentionnée dans la Constitution depuis 1945, l'assurance maternité n'existe pas comme loi fédérale. La maternité est toujours juridiquement assimilée à une maladie. "Jusqu'à quand?" demandent les 135 000 femmes qui ont signé l'initiative constitutionnelle pour une assurance maternité.<br /><br /><span style="text-decoration: underline;">BOURGEOISIE</span> (Droit de cité) : La femme perd automatiquement en se mariant son appartenance à sa commune d'origine, elle devient bourgeoise de la commune de son mari. Une inégalité à effacer.<br /><br /><span style="text-decoration: underline;">CARRIERE</span> : Notion essentiellement masculine, même si le genre en est féminin. La femme mariée qui veut faire carrière doit avoir une santé excellente, un mari compréhensif, un sens aigu de l’organisation. Tout en grimpant les échelons de la hiérarchie professionnelle, elle doit rester «bonne ménagère», «bonne éducatrice», «bonne cuisinière», tâches où l’homme refuse encore de faire carrière. <br /></em><br />Où l’on se rend compte qu’il y a du progrès: de la maternit</p>
<p>é comme maladie non remboursable, nous en sommes aujourd’hui à demander le congé paternité et parental. La «bourgeoise», elle, est devenue quelque peu schizophrène, originaire à la fois de son lieu de naissance et de celui de son mari. Quant à la carrière, si le premier constat reste d’actualité dans les cas où un deuxième salaire n’est pas indispensable à la survie du ménage, la notion du partage des tâches domestiques et éducatives montre une (lente) évolution des mentalités.</p>
<p><strong>1991 : petit historique des grèves au féminin</strong><br />A l’occasion de la mobilisation du 14 juin 1991, <em>Femmes Suisses</em> s’est penchée sur l’histoire des grèves féminines au cours des siècles. L’analyse de Corinne Chapponière, Michèle Michellod et Perle Bugnion-Secrétan démontre la rareté du phénomène, mais aussi sa portée. Le journal évoque quatre grèves majeures des femmes : la première est littéraire et provient d’Aristophane ; viennent ensuite la grève des chemisières en 1909 à New York, le ralliement massif des Islandaises en 1975, et la protestation des Bâloises suite au refus des Suisses d’accorder le suffrage aux femmes en 1959. Quatre grèves, autant dire une goutte d’eau dans l’océan. Mais elles ne passent pas inaperçues pour autant. Lorsque les femmes sont excédées de ne pas être prises en compte, après avoir demandé le changement de toutes les manières possibles, l’arrêt total d’activité devient l’arme qui leur permet de se faire entendre.<br /><br />La mobilisation féminine mise en scène par Aristophane dans <em>Lysistrata</em> est une grève du sexe des Athéniennes pour mettre fin à la guerre avec Sparte. Concluante pour les Athéniennes du 5e siècle avant notre ère, il semblerait que l’abstinence féminine soit une arme à laquelle les femmes ont recours de par le monde, sur les plans individuel et collectif. Elle a récemment été utilisée comme moyen de pression politique par les Colombiennes (2006), les Kényanes (2009), et comme blague en demi-teinte par les Belges (2011). <br /><br />Lorsqu’il est lié à des revendications précises, le débrayage au féminin tourne essentiellement autour des droits civiques et de l’égalité. La grève des 20'000 à 30'000 chemisières new-yorkaises en 1909 (à laquelle ont participé un 20% estimé de chemisiers) portait sur l’obtention de droits élémentaires : ne pas être sous-payées et être admises aux urnes. Cette prise de position historique dura plusieurs mois.</p>
<p><br />Côté européen, le ralliement massif des Islandaises en 1975, déclarée année de «la femme» par l’ONU, démontra que la société ne pouvait fonctionner sans elles : communications, finance, commerce, arts de la scène, tous les secteurs furent touchés, à tel point qu’aucun journal ne put être édité le temps de leur protestation. <br /><br />Chez nous, les Bâloises se mobilisèrent après le refus des Suisses d’accorder le suffrage aux femmes en 1959. Il faudra encore douze ans pour que les résultats prennent effet au niveau national, contre sept ans seulement à Bâle. A l’inverse, le canton d’Appenzell Rhodes-Intérieures renâclera jusqu’en 1990, date à laquelle le Tribunal fédéral finira par les mettre au pas national.<br /><br />Il faut également rappeler ici la grève des ouvrières russes qui eut lieu à Pétrograd le 8 mars 1917 ; les femmes, travailleuses ou non, se rassemblèrent pour protester contre un coût de vie trop élevé et exiger le retour des hommes du front. La police n’aurait pas osé les charger.<br /><br /><strong>1971, 1981, 1991</strong><br />Le débrayage au féminin peut ainsi être symbolique ou lié à des revendications précises. Dix ans après la législation sur l’égalité, face à la persistance des inégalités sociales, les féministes suisses décident d’organiser une grève nationale. Du mot d’ordre initial prévoyant que «le 14 juin 1991, les femmes refuseront catégoriquement d’exécuter tout travail à la maison et à leur poste de travail», la grève va prendre une dimension plus symbolique, car ce terme ne convient pas à toutes les femmes. <br /><br />Les opinions personnelles publiées dans <em>Femmes Suisses </em>montrent la variété des sentiments. Perle Bugnion-Secrétan, rédactrice du journal, «regrette qu'en négligeant depuis si longtemps de faire droit à leurs demandes en matière d'égalité, notamment de salaires, on ait acculé les femmes à recourir finalement au moyen de la grève, qu'elle soit symbolique ou d'avertissement. En principe, je n'aime pas ce moyen, mais je comprends que les femmes désespèrent devant l'inertie qu'on leur oppose. Je souhaite que la tentative du 14 juin réussisse, afin qu'il ne soit plus nécessaire d'aller plus loin une autre fois.»<br /><br />Manuelle Pernoud, journaliste au TJ, prône l’information du public avant tout. «Je ne resterai pas les bras croisés le 14 juin, même s'il est absolument légitime que les femmes crient haut et fort leur impatience. Mais la grève est un moyen à double tranchant : il est si extrême, si provocateur dans ce contexte de paix du travail qu'en le choisissant, on prenait le risque que beaucoup de femmes y renoncent. Conséquence d'une grève peu suivie : les revendications sont alors aisément méprisées, parce qu'elles dérangent, certains employeurs auront beau jeu de ricaner.»<br /><br />Pour Yvette Jaggi, alors syndique de Lausanne, il fallait oser ce</p>
<p>terme : «La provocation a marché.»<br /><br /><strong>2011 : constats contemporains</strong><br />Dans la page de <em>l’émiliE</em> publiée le 9 mai 2011 dans <em>Le Courrier</em>, Nathalie Brochard rapporte la <em>class action</em> la plus importante jamais entreprise. Initiée par six femmes au nom de 1.6 millions d’employées, elle revendique l’égalité des salaires à compétences égales. Et ce aux Etats-Unis, où le Congrès a adopté en 1963 la <em>Equal Pay Act</em> interdisant les écarts salariaux basés sur le genre.<br /><br />Ainsi, l’égalité effective des femmes n’en est encore qu’à ses débuts. Etre entendues, être reconnues, il faut maintenant être considérées au quotidien, en attendant que le monde, hommes et femmes compris-e-s, pense d’abord en termes d’humains avant de penser le genre. Ou comme l’a joliment dit Stendhal : «L'admission des femmes à l'égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation, et elle doublerait les forces intellectuelles du genre humain.» <br /><br /><br /></p>
<p><img src="http://lemilie.org/images/stories/strip-miche-2little.jpg" border="0" width="630" height="197" style="border: 0pt none; margin: 4px; float: left;" /></p>
<p><br /><br /><br /></p>
<p><strong>14 juin 1981, 1991, 2011 : paroles de l’émiliE.</strong><br /><br /></p>
<p>Le 14 juin fait date en Suisse. C’est en effet le 14 juin 1981 que l’égalité des droits est inscrite dans la Constitution ; ce même jour, en 1991, les femmes entament une grève nationale pour que cette égalité soit effective dans leur réalité quotidienne. En 2011, vingt ans après, face à la persistance des inégalités, cette journée emblématique demeure encore un temps de revendication.<br />Et si on se rafraîchissait la mémoire en plongeant dans les archives de l’émiliE ?</p>
<p><strong>1981 : L’abc de l’égalité </strong><br />En avril 1981, en vue des votations fédérales sur l’égalité entre hommes et femmes, la rédaction de <em>l’émiliE</em>, alors <em>Femmes Suisses</em>, s’est fendue d’un tiré à part spécial, un long abécédaire humoristique. Quelques extraits choisis en reflètent l’état d’esprit : <br /><br /><em><span style="text-decoration: underline;"><img src="images/stories/lemilie_19810401-2_page_01.jpg" border="0" width="150" height="212" style="float: left; margin: 4px;" />ASSURANCE MATERNITÉ </span>: Mentionnée dans la Constitution depuis 1945, l'assurance maternité n'existe pas comme loi fédérale. La maternité est toujours juridiquement assimilée à une maladie. "Jusqu'à quand?" demandent les 135 000 femmes qui ont signé l'initiative constitutionnelle pour une assurance maternité.<br /><br /><span style="text-decoration: underline;">BOURGEOISIE</span> (Droit de cité) : La femme perd automatiquement en se mariant son appartenance à sa commune d'origine, elle devient bourgeoise de la commune de son mari. Une inégalité à effacer.<br /><br /><span style="text-decoration: underline;">CARRIERE</span> : Notion essentiellement masculine, même si le genre en est féminin. La femme mariée qui veut faire carrière doit avoir une santé excellente, un mari compréhensif, un sens aigu de l’organisation. Tout en grimpant les échelons de la hiérarchie professionnelle, elle doit rester «bonne ménagère», «bonne éducatrice», «bonne cuisinière», tâches où l’homme refuse encore de faire carrière. <br /></em><br />Où l’on se rend compte qu’il y a du progrès: de la maternit</p>
<p>é comme maladie non remboursable, nous en sommes aujourd’hui à demander le congé paternité et parental. La «bourgeoise», elle, est devenue quelque peu schizophrène, originaire à la fois de son lieu de naissance et de celui de son mari. Quant à la carrière, si le premier constat reste d’actualité dans les cas où un deuxième salaire n’est pas indispensable à la survie du ménage, la notion du partage des tâches domestiques et éducatives montre une (lente) évolution des mentalités.</p>
<p><strong>1991 : petit historique des grèves au féminin</strong><br />A l’occasion de la mobilisation du 14 juin 1991, <em>Femmes Suisses</em> s’est penchée sur l’histoire des grèves féminines au cours des siècles. L’analyse de Corinne Chapponière, Michèle Michellod et Perle Bugnion-Secrétan démontre la rareté du phénomène, mais aussi sa portée. Le journal évoque quatre grèves majeures des femmes : la première est littéraire et provient d’Aristophane ; viennent ensuite la grève des chemisières en 1909 à New York, le ralliement massif des Islandaises en 1975, et la protestation des Bâloises suite au refus des Suisses d’accorder le suffrage aux femmes en 1959. Quatre grèves, autant dire une goutte d’eau dans l’océan. Mais elles ne passent pas inaperçues pour autant. Lorsque les femmes sont excédées de ne pas être prises en compte, après avoir demandé le changement de toutes les manières possibles, l’arrêt total d’activité devient l’arme qui leur permet de se faire entendre.<br /><br />La mobilisation féminine mise en scène par Aristophane dans <em>Lysistrata</em> est une grève du sexe des Athéniennes pour mettre fin à la guerre avec Sparte. Concluante pour les Athéniennes du 5e siècle avant notre ère, il semblerait que l’abstinence féminine soit une arme à laquelle les femmes ont recours de par le monde, sur les plans individuel et collectif. Elle a récemment été utilisée comme moyen de pression politique par les Colombiennes (2006), les Kényanes (2009), et comme blague en demi-teinte par les Belges (2011). <br /><br />Lorsqu’il est lié à des revendications précises, le débrayage au féminin tourne essentiellement autour des droits civiques et de l’égalité. La grève des 20'000 à 30'000 chemisières new-yorkaises en 1909 (à laquelle ont participé un 20% estimé de chemisiers) portait sur l’obtention de droits élémentaires : ne pas être sous-payées et être admises aux urnes. Cette prise de position historique dura plusieurs mois.</p>
<p><br />Côté européen, le ralliement massif des Islandaises en 1975, déclarée année de «la femme» par l’ONU, démontra que la société ne pouvait fonctionner sans elles : communications, finance, commerce, arts de la scène, tous les secteurs furent touchés, à tel point qu’aucun journal ne put être édité le temps de leur protestation. <br /><br />Chez nous, les Bâloises se mobilisèrent après le refus des Suisses d’accorder le suffrage aux femmes en 1959. Il faudra encore douze ans pour que les résultats prennent effet au niveau national, contre sept ans seulement à Bâle. A l’inverse, le canton d’Appenzell Rhodes-Intérieures renâclera jusqu’en 1990, date à laquelle le Tribunal fédéral finira par les mettre au pas national.<br /><br />Il faut également rappeler ici la grève des ouvrières russes qui eut lieu à Pétrograd le 8 mars 1917 ; les femmes, travailleuses ou non, se rassemblèrent pour protester contre un coût de vie trop élevé et exiger le retour des hommes du front. La police n’aurait pas osé les charger.<br /><br /><strong>1971, 1981, 1991</strong><br />Le débrayage au féminin peut ainsi être symbolique ou lié à des revendications précises. Dix ans après la législation sur l’égalité, face à la persistance des inégalités sociales, les féministes suisses décident d’organiser une grève nationale. Du mot d’ordre initial prévoyant que «le 14 juin 1991, les femmes refuseront catégoriquement d’exécuter tout travail à la maison et à leur poste de travail», la grève va prendre une dimension plus symbolique, car ce terme ne convient pas à toutes les femmes. <br /><br />Les opinions personnelles publiées dans <em>Femmes Suisses </em>montrent la variété des sentiments. Perle Bugnion-Secrétan, rédactrice du journal, «regrette qu'en négligeant depuis si longtemps de faire droit à leurs demandes en matière d'égalité, notamment de salaires, on ait acculé les femmes à recourir finalement au moyen de la grève, qu'elle soit symbolique ou d'avertissement. En principe, je n'aime pas ce moyen, mais je comprends que les femmes désespèrent devant l'inertie qu'on leur oppose. Je souhaite que la tentative du 14 juin réussisse, afin qu'il ne soit plus nécessaire d'aller plus loin une autre fois.»<br /><br />Manuelle Pernoud, journaliste au TJ, prône l’information du public avant tout. «Je ne resterai pas les bras croisés le 14 juin, même s'il est absolument légitime que les femmes crient haut et fort leur impatience. Mais la grève est un moyen à double tranchant : il est si extrême, si provocateur dans ce contexte de paix du travail qu'en le choisissant, on prenait le risque que beaucoup de femmes y renoncent. Conséquence d'une grève peu suivie : les revendications sont alors aisément méprisées, parce qu'elles dérangent, certains employeurs auront beau jeu de ricaner.»<br /><br />Pour Yvette Jaggi, alors syndique de Lausanne, il fallait oser ce</p>
<p>terme : «La provocation a marché.»<br /><br /><strong>2011 : constats contemporains</strong><br />Dans la page de <em>l’émiliE</em> publiée le 9 mai 2011 dans <em>Le Courrier</em>, Nathalie Brochard rapporte la <em>class action</em> la plus importante jamais entreprise. Initiée par six femmes au nom de 1.6 millions d’employées, elle revendique l’égalité des salaires à compétences égales. Et ce aux Etats-Unis, où le Congrès a adopté en 1963 la <em>Equal Pay Act</em> interdisant les écarts salariaux basés sur le genre.<br /><br />Ainsi, l’égalité effective des femmes n’en est encore qu’à ses débuts. Etre entendues, être reconnues, il faut maintenant être considérées au quotidien, en attendant que le monde, hommes et femmes compris-e-s, pense d’abord en termes d’humains avant de penser le genre. Ou comme l’a joliment dit Stendhal : «L'admission des femmes à l'égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation, et elle doublerait les forces intellectuelles du genre humain.» <br /><br /><br /></p>
<p><img src="images/stories/strip-miche-2little.jpg" border="0" width="630" height="197" style="border: 0pt none; margin: 4px; float: left;" /></p>
<p><br /><br /><br /></p>
Recto-verso, injonctions contradictoires
2011-05-07T15:14:09+00:00
2011-05-07T15:14:09+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/245-genre-recto-verso-quand-les-representations-publicitaires-envoient-des-injonctions-contradictoires
Briana Berg
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/2011/photo-maison-close.jpg" border="0" width="397" height="298" style="margin-left: 2px; margin-right: 2px; float: left; border: 0;" /><strong>Quand les représentations publicitaires envoient des injonctions contradictoires aux femmes, rien n’est dû au hasard. Et si c’était pour mieux garantir l’ordre symbolique et… économique ?</strong></p>
<p><strong>Schizophrénie publicitaire</strong></p>
<p>A l’automne 2010, on pouvait voir ces deux affiches, très différentes, sur le même panneau d’un quai de gare genevois. D'un côté, une campagne de sensibilisation sur les droits des femmes, de l'autre une publicité pour la série télévisée française <em>Maison close</em>. Si leurs objectifs et leur message diffèrent, les outils pour leur communication restent les mêmes. <br /><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/2011/photo-lapidation.jpg" border="0" width="397" height="298" style="float: left; border: 0; margin: 2px;" /><br />Les mouvements féministes ont lutté de longue date contre l’instrumentalisation du corps des femmes, notamment véhiculée par la publicité. Il est en effet commun de voir exposés des corps dénudés, dans des positions lascives, juste pour faire vendre des produits de consommation. Les incitations à la maigreur ou l'imposition de normes en matière de beauté sont monnaie courante. Les slogans ou les mots utilisés, parfois simplifiés à l'extrême, peuvent aussi véhiculer des messages violents ou stigmatisants pour les femmes. Les hommes ne sont d’ailleurs plus épargnés par ce phénomène. <br /><br /></p>
<p> </p>
<p>Une analyse critique des supports de communication est plus que jamais d’actualité. Pour Stella Jegher, cheffe de campagne chez Amnesty International (Section suisse), «Il se joue aujourd'hui une véritable bataille pour attirer l’attention du public. Pour être présent, il faut être <em>bold</em> comme disent les anglophones [visible, ndlr]. Or, il y a des limites – de l’éthique, de la cohérence». <br /><br />Tout sépare ces deux affiches : l'une a été réalisée par une organisation non gouvernementale mondialement reconnue dans le domaine des droits humains, l'autre par une chaîne de télévision française. L’objectif, tout comme le public visé, ne se ressemblent pas. Les deux ont néanmoins en commun un certain regard porté sur la gent féminine, empreint de fantasmes et de représentations liés au corps des femmes et à leur sexualité. Comment réagir face à de tels messages, comment réconcilier ces espaces que tout semble opposer ?<br /><br />Recto, la série télévisée <em>Maison close</em>, produite par Canal+. Invitation à entrer dans l’univers d’un bordel parisien à la fin du XIXème siècle, duquel trois héroïnes romanesques essaient de s’échapper. <br />Verso, la campagne d’Amnesty International. Presque impensable ici – Une réalité en Iran dénonce les violations des droits humains faites aux femmes en Iran, mises à mort pour un acte qui en Suisse pourrait passer relativement inaperçu, l’adultère.<br /><br /><strong>Féminisme et marketing : bon ménage ?</strong><br />Pour la plupart des consommatrices que nous sommes devenues, ces images ne traverseront que brièvement notre conscience. Pile, mon désir de travailler pour Amnesty va refaire surface ; face, je pesterai contre cette nouvelle formule d’objectification des femmes. Les deux pensées dureront plus ou moins longtemps selon l’espace mental que j’aurai à leur consacrer. Nous avons acquis une indifférence blasée tant aux malheurs des autres qu’à notre propre dépendance au marketing omniprésent.<br /><br />Si la publicité impose des normes en matière de masculinité et de féminité, le «marketing militant» permet l’empathie et l’identification à des «victimes». Ce qui n’est pas sans soulever de questionnements. «Il est parfois très difficile de dénoncer des violations des droits humains sans tomber dans le piège du renforcement des préjugés. Cela ne doit pourtant pas nous empêcher de les dénoncer», estime Stella Jegher.<br /> <br /><strong>Solidarité ou essentialisme ?</strong><br />Dans la campagne d'Amnesty International, la réalité en Iran est présentée en opposition par rapport à la situation suisse, tout de même nuancée. Ce qui pourrait laisser croire que toutes les femmes iraniennes vivent sous le joug d’un asservissement qui n’aurait pas d’équivalent en terre helvétique. Pas vraiment, selon Jean-François Staszak, professeur ordinaire au département de géographie de l’Université de Genève. «J’y ai vu un appel à la solidarité et le rappel que, si un certain nombre de questions sont réglées ici, elles ne le sont pas partout». Il souligne cependant le risque de «se focaliser sur le sort des femmes d’ailleurs, qui fait oublier ou considérer comme négligeables les problèmes qui se posent ici».<br /> <br />Cette opposition entre un «ici» et un «là-bas» sexualisé est également ce qui a frappé Fenneke Reysoo, chargée de cours à l’Institut de hautes études internationales et du développement de Genève et coresponsable du Pôle Genre et Développement. Alors qu’elle condamne fermement la lapidation pour adultère, sa lecture du sous-titre amnestien se situe au niveau de la représentation bipolarisée. Selon elle, on est en plein dans une vision quasi-orientaliste. Les femmes de là-bas seraient mises à mort par des sauvages, des barbares. Alors que nous, l’Occident blanc et privilégié, serions assez civilisés et débarrassés de sexisme à l’égard des femmes».<br /> <br />Pour Jean-François Staszak, «ce risque d'une stigmatisation ambivalente semble plutôt évité par cette publicité qui met au premier plan le sort fait aux femmes, au second plan le pays où cela a lieu. J'aurais été plus méfiant face à une publicité dénonçant le sort des femmes iraniennes en tant que telles. La fameuse affiche de l'UDC contre les minarets qui montre en premier plan une femme (autant qu'on sache) en burqa me semble bien plus manipulatrice en la matière. Elle suggère que l'oppression des femmes est le fait des autres, et nous invite à les rejeter - hommes et femmes compris». <br /> <br /><strong>L’interdit érotisé </strong><br />Le texte d’introduction à <em>Maison close</em> serait tout aussi ambigu. La série de Canal+ entrouvre les portes d’un univers où les hommes rêvent d'entrer, les femmes se battent pour en sortir». L’interdit érotisé, auparavant caché et honteux, est aujourd’hui placardé aux yeux du public. A noter que la série a été conçue, réalisée, et en majeure partie scénarisée par des hommes . <br /><br />En soulignant la capacité d’agir, même limitée, de ces courtisanes de luxe, la série évite le stigmate de «putain». Le pouvoir de la matrone, lesbienne, brise également certains tabous. De manière répétée, ces femmes sont néanmoins présentées comme des victimes sous un regard qui frise le voyeurisme. La violence se pare d’un emballage glamour. N’est-ce là qu’un prétexte pour faire grimper l’audimat ?<br /><br />Le scénario, tout comme la publicité, reproduisent certains fantasmes de domination masculine : les «portes ouvertes» sont celles des femmes, leur corps ouvert sous l’égide du contrôle patriarcal – la maison close. «La série est complaisante et dépolitisée», abonde Jean-François Staszak. «Sous couvert d'une dénonciation assez molle de la prostitution, la série reproduit des stéréotypes en évoquant un prétendu âge d'or des maisons closes destinées à des bourgeois raffinés. On est loin de la réalité de ce qu'était le sordide quotidien de la plupart des travailleuses du sexe à la fin du XIXe siècle».</p>
<p><strong>Ces autres qui nous définissent</strong></p>
<p>Ces deux publicités opèrent une même mise en abîme dans l’altérité. Face à l’autre, relève Fenneke Reysoo, les femmes «se constituent en sujets heureux, non discriminés. Elles ont besoin de passer par l’autre opprimé pour se sentir heureuses elles-mêmes». Au final, nous serions plus libres que les femmes ne le sont dans d’autres pays, qu’elles ne l’étaient à d’autres époques. Ou comment tuer dans l’œuf toute revendication féministe… Par ce biais, l’ordre symbolique n’est pas remis en cause, et nous sommes rassuré-e-s de vivre dans notre beau pays. Dans ces conditions, l’essentiel est sauf, la paix sociale est préservée et nous pouvons continuer à faire ce qu’on fait depuis des lustres : consommer. Sauf que face à ces campagnes de publicité, chacun-e doit déclencher son alarme et dégainer son arsenal critique pour réagir au lieu de subir.<br /><br />Briana Berg<br />Irina Inostroza</p>
<p>Photos: Alain Bergala</p>
<p><img src="images/genresfeminismes/2011/photo-maison-close.jpg" border="0" width="397" height="298" style="margin-left: 2px; margin-right: 2px; float: left; border: 0;" /><strong>Quand les représentations publicitaires envoient des injonctions contradictoires aux femmes, rien n’est dû au hasard. Et si c’était pour mieux garantir l’ordre symbolique et… économique ?</strong></p>
<p><strong>Schizophrénie publicitaire</strong></p>
<p>A l’automne 2010, on pouvait voir ces deux affiches, très différentes, sur le même panneau d’un quai de gare genevois. D'un côté, une campagne de sensibilisation sur les droits des femmes, de l'autre une publicité pour la série télévisée française <em>Maison close</em>. Si leurs objectifs et leur message diffèrent, les outils pour leur communication restent les mêmes. <br /><img src="images/genresfeminismes/2011/photo-lapidation.jpg" border="0" width="397" height="298" style="float: left; border: 0; margin: 2px;" /><br />Les mouvements féministes ont lutté de longue date contre l’instrumentalisation du corps des femmes, notamment véhiculée par la publicité. Il est en effet commun de voir exposés des corps dénudés, dans des positions lascives, juste pour faire vendre des produits de consommation. Les incitations à la maigreur ou l'imposition de normes en matière de beauté sont monnaie courante. Les slogans ou les mots utilisés, parfois simplifiés à l'extrême, peuvent aussi véhiculer des messages violents ou stigmatisants pour les femmes. Les hommes ne sont d’ailleurs plus épargnés par ce phénomène. <br /><br /></p>
<p> </p>
<p>Une analyse critique des supports de communication est plus que jamais d’actualité. Pour Stella Jegher, cheffe de campagne chez Amnesty International (Section suisse), «Il se joue aujourd'hui une véritable bataille pour attirer l’attention du public. Pour être présent, il faut être <em>bold</em> comme disent les anglophones [visible, ndlr]. Or, il y a des limites – de l’éthique, de la cohérence». <br /><br />Tout sépare ces deux affiches : l'une a été réalisée par une organisation non gouvernementale mondialement reconnue dans le domaine des droits humains, l'autre par une chaîne de télévision française. L’objectif, tout comme le public visé, ne se ressemblent pas. Les deux ont néanmoins en commun un certain regard porté sur la gent féminine, empreint de fantasmes et de représentations liés au corps des femmes et à leur sexualité. Comment réagir face à de tels messages, comment réconcilier ces espaces que tout semble opposer ?<br /><br />Recto, la série télévisée <em>Maison close</em>, produite par Canal+. Invitation à entrer dans l’univers d’un bordel parisien à la fin du XIXème siècle, duquel trois héroïnes romanesques essaient de s’échapper. <br />Verso, la campagne d’Amnesty International. Presque impensable ici – Une réalité en Iran dénonce les violations des droits humains faites aux femmes en Iran, mises à mort pour un acte qui en Suisse pourrait passer relativement inaperçu, l’adultère.<br /><br /><strong>Féminisme et marketing : bon ménage ?</strong><br />Pour la plupart des consommatrices que nous sommes devenues, ces images ne traverseront que brièvement notre conscience. Pile, mon désir de travailler pour Amnesty va refaire surface ; face, je pesterai contre cette nouvelle formule d’objectification des femmes. Les deux pensées dureront plus ou moins longtemps selon l’espace mental que j’aurai à leur consacrer. Nous avons acquis une indifférence blasée tant aux malheurs des autres qu’à notre propre dépendance au marketing omniprésent.<br /><br />Si la publicité impose des normes en matière de masculinité et de féminité, le «marketing militant» permet l’empathie et l’identification à des «victimes». Ce qui n’est pas sans soulever de questionnements. «Il est parfois très difficile de dénoncer des violations des droits humains sans tomber dans le piège du renforcement des préjugés. Cela ne doit pourtant pas nous empêcher de les dénoncer», estime Stella Jegher.<br /> <br /><strong>Solidarité ou essentialisme ?</strong><br />Dans la campagne d'Amnesty International, la réalité en Iran est présentée en opposition par rapport à la situation suisse, tout de même nuancée. Ce qui pourrait laisser croire que toutes les femmes iraniennes vivent sous le joug d’un asservissement qui n’aurait pas d’équivalent en terre helvétique. Pas vraiment, selon Jean-François Staszak, professeur ordinaire au département de géographie de l’Université de Genève. «J’y ai vu un appel à la solidarité et le rappel que, si un certain nombre de questions sont réglées ici, elles ne le sont pas partout». Il souligne cependant le risque de «se focaliser sur le sort des femmes d’ailleurs, qui fait oublier ou considérer comme négligeables les problèmes qui se posent ici».<br /> <br />Cette opposition entre un «ici» et un «là-bas» sexualisé est également ce qui a frappé Fenneke Reysoo, chargée de cours à l’Institut de hautes études internationales et du développement de Genève et coresponsable du Pôle Genre et Développement. Alors qu’elle condamne fermement la lapidation pour adultère, sa lecture du sous-titre amnestien se situe au niveau de la représentation bipolarisée. Selon elle, on est en plein dans une vision quasi-orientaliste. Les femmes de là-bas seraient mises à mort par des sauvages, des barbares. Alors que nous, l’Occident blanc et privilégié, serions assez civilisés et débarrassés de sexisme à l’égard des femmes».<br /> <br />Pour Jean-François Staszak, «ce risque d'une stigmatisation ambivalente semble plutôt évité par cette publicité qui met au premier plan le sort fait aux femmes, au second plan le pays où cela a lieu. J'aurais été plus méfiant face à une publicité dénonçant le sort des femmes iraniennes en tant que telles. La fameuse affiche de l'UDC contre les minarets qui montre en premier plan une femme (autant qu'on sache) en burqa me semble bien plus manipulatrice en la matière. Elle suggère que l'oppression des femmes est le fait des autres, et nous invite à les rejeter - hommes et femmes compris». <br /> <br /><strong>L’interdit érotisé </strong><br />Le texte d’introduction à <em>Maison close</em> serait tout aussi ambigu. La série de Canal+ entrouvre les portes d’un univers où les hommes rêvent d'entrer, les femmes se battent pour en sortir». L’interdit érotisé, auparavant caché et honteux, est aujourd’hui placardé aux yeux du public. A noter que la série a été conçue, réalisée, et en majeure partie scénarisée par des hommes . <br /><br />En soulignant la capacité d’agir, même limitée, de ces courtisanes de luxe, la série évite le stigmate de «putain». Le pouvoir de la matrone, lesbienne, brise également certains tabous. De manière répétée, ces femmes sont néanmoins présentées comme des victimes sous un regard qui frise le voyeurisme. La violence se pare d’un emballage glamour. N’est-ce là qu’un prétexte pour faire grimper l’audimat ?<br /><br />Le scénario, tout comme la publicité, reproduisent certains fantasmes de domination masculine : les «portes ouvertes» sont celles des femmes, leur corps ouvert sous l’égide du contrôle patriarcal – la maison close. «La série est complaisante et dépolitisée», abonde Jean-François Staszak. «Sous couvert d'une dénonciation assez molle de la prostitution, la série reproduit des stéréotypes en évoquant un prétendu âge d'or des maisons closes destinées à des bourgeois raffinés. On est loin de la réalité de ce qu'était le sordide quotidien de la plupart des travailleuses du sexe à la fin du XIXe siècle».</p>
<p><strong>Ces autres qui nous définissent</strong></p>
<p>Ces deux publicités opèrent une même mise en abîme dans l’altérité. Face à l’autre, relève Fenneke Reysoo, les femmes «se constituent en sujets heureux, non discriminés. Elles ont besoin de passer par l’autre opprimé pour se sentir heureuses elles-mêmes». Au final, nous serions plus libres que les femmes ne le sont dans d’autres pays, qu’elles ne l’étaient à d’autres époques. Ou comment tuer dans l’œuf toute revendication féministe… Par ce biais, l’ordre symbolique n’est pas remis en cause, et nous sommes rassuré-e-s de vivre dans notre beau pays. Dans ces conditions, l’essentiel est sauf, la paix sociale est préservée et nous pouvons continuer à faire ce qu’on fait depuis des lustres : consommer. Sauf que face à ces campagnes de publicité, chacun-e doit déclencher son alarme et dégainer son arsenal critique pour réagir au lieu de subir.<br /><br />Briana Berg<br />Irina Inostroza</p>
<p>Photos: Alain Bergala</p>
Anorexie: les garçons s'y mettent aussi.
2011-04-07T08:16:58+00:00
2011-04-07T08:16:58+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/211-anorexie-les-garcons-sy-mettent-aussi
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/2010/anorexie.jpg" border="2" width="342" height="513" style="float: right; border: 2pxpx solid black;" /><strong>Nouvelle tendance parmi les ados : les garçons s’affament pour avoir une silhouette filiforme. Questions</strong></p>
<p> </p>
<div id="apDiv75">C’est au cœur des villes branchées qu’est née cette mode. A Paris, Londres, New York, Tokyo ou Milan, vous croisez quantité de ces jeunes à l’allure squelettique flottant presque dans leur slim. Pour William, 19 ans, étudiant dans une <em>art school</em> londonienne, «c’est une question de goût, je préfère me voir maigre». Soit, et quand on lui demande de quoi se compose son repas, ce sont ses copines qui répondent : «Parfois, il mange un chewing-gum dans la journée et ça lui suffit». Ah… combien de temps peut-on tenir à ce régime ? Les filles, à la pointe dans ce domaine, continuent de parler pour lui : «Certains garçons finissent à l’hôpital, c’est comme pour les filles». Selon elles, il existerait une compétition fille/garçon sur ce terrain. Pour Iulia Hasdeu, anthropologue à l’Université de Genève, «si les créateurs de mode parient sur une indifférenciation des corps, c’est bien un nouveau terrain de contestation réciproque qui apparaît ici et qui renforce plutôt la différence de genre».
<p>Les garçons refuseraient-ils de se conformer à la norme virile d’un corps musclé ? Il semble que le diktat de la mode tend à l’inverser puisque les ados <em>fashion</em> transgressent leur genre pour s’approcher de l’idéal corporel féminin : la maigreur. Leur modèle serait plutôt Kate Moss que Didier Cuche. Ceux qui font les tendances et les diffusent, à savoir les gays, désertent les fitness et se mettent à la diète : «On peut mettre toutes les fringues, y compris celles de nos copines», dixit William. Après avoir adopté les codes vestimentaires des homos, les hétéros versent dans l’inappétence pour se donner un genre. De leur propre aveu, ils ne veulent pas passer pour <em>has-been</em>, selon notre étudiant qui assène, radical : «Le muscle, le sport, c’est pour les ringards». Iulia Hasdeu estime pour sa part qu’il y a «davantage de mise en scène des corps et des sexualités et que ce nouveau régime de visibilité expliquerait ce type d’extrémité chez les ados». Et quand on sait que corps svelte et nourriture saine sont l’apanage des nantis, cette posture ne traduit-elle pas une nouvelle forme d’élitisme ?</p>
<p align="right"><em>Nathalie Brochard</em></p>
</div>
<p><img src="images/genresfeminismes/2010/anorexie.jpg" border="2" width="342" height="513" style="float: right; border: 2pxpx solid black;" /><strong>Nouvelle tendance parmi les ados : les garçons s’affament pour avoir une silhouette filiforme. Questions</strong></p>
<p> </p>
<div id="apDiv75">C’est au cœur des villes branchées qu’est née cette mode. A Paris, Londres, New York, Tokyo ou Milan, vous croisez quantité de ces jeunes à l’allure squelettique flottant presque dans leur slim. Pour William, 19 ans, étudiant dans une <em>art school</em> londonienne, «c’est une question de goût, je préfère me voir maigre». Soit, et quand on lui demande de quoi se compose son repas, ce sont ses copines qui répondent : «Parfois, il mange un chewing-gum dans la journée et ça lui suffit». Ah… combien de temps peut-on tenir à ce régime ? Les filles, à la pointe dans ce domaine, continuent de parler pour lui : «Certains garçons finissent à l’hôpital, c’est comme pour les filles». Selon elles, il existerait une compétition fille/garçon sur ce terrain. Pour Iulia Hasdeu, anthropologue à l’Université de Genève, «si les créateurs de mode parient sur une indifférenciation des corps, c’est bien un nouveau terrain de contestation réciproque qui apparaît ici et qui renforce plutôt la différence de genre».
<p>Les garçons refuseraient-ils de se conformer à la norme virile d’un corps musclé ? Il semble que le diktat de la mode tend à l’inverser puisque les ados <em>fashion</em> transgressent leur genre pour s’approcher de l’idéal corporel féminin : la maigreur. Leur modèle serait plutôt Kate Moss que Didier Cuche. Ceux qui font les tendances et les diffusent, à savoir les gays, désertent les fitness et se mettent à la diète : «On peut mettre toutes les fringues, y compris celles de nos copines», dixit William. Après avoir adopté les codes vestimentaires des homos, les hétéros versent dans l’inappétence pour se donner un genre. De leur propre aveu, ils ne veulent pas passer pour <em>has-been</em>, selon notre étudiant qui assène, radical : «Le muscle, le sport, c’est pour les ringards». Iulia Hasdeu estime pour sa part qu’il y a «davantage de mise en scène des corps et des sexualités et que ce nouveau régime de visibilité expliquerait ce type d’extrémité chez les ados». Et quand on sait que corps svelte et nourriture saine sont l’apanage des nantis, cette posture ne traduit-elle pas une nouvelle forme d’élitisme ?</p>
<p align="right"><em>Nathalie Brochard</em></p>
</div>
Vinila von Bismarck
2011-04-07T08:10:21+00:00
2011-04-07T08:10:21+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/210-vinila-von-bismarck
Administrator
[email protected]
<h2><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/2010/vinilainterview.jpg" border="0" width="342" height="513" style="float: left; margin-left: 5px; margin-right: 5px;" />Icône burlesque à la pointe</h2>
<p> </p>
<div id="apDiv99"><strong>A l’heure où le Burlesque redresse du téton, que ce soit dans la Tournée de Mathieu Amalric, le Burlesquede Steven Antin avec Cher et Christina Aguilera, ou version olive pasteurisée dans le martini géant de Dita von Teese, rencontre avec l’égérie espagnole du genre. </strong></div>
<p> </p>
<div id="apDiv75">
<p>Née Irene Lòpez Mañas dans le village granadin de Peligros (« dangers » en français !), Vinila von Bismark promène depuis l’adolescence ses multiples talents de théatres alternatifs en discothéques trendy, et de bars louches en émissions bien vues. Blonde aux platines, bombe sur papier couché, elle explose littéralement sur scène, comme portée par l’esprit conquérant de ses prédécesseuresl. Comment cette « Reina del Burlesque » se situe-t-elle par rapport au féminisme ? Présentation, et réponses.</p>
<p><strong><em>Vinila Von Bismark, comment-vous définiriez-vous ?</em></strong></p>
<p>Je me définis comme une artiste pluridisciplinaire : chanteuse, djette, artiste de Burlesque… très travailleuse et désireuse de faire connaître son art. Mais je me définis avant tout comme une femme libre, qui s’est battue pour le rester, autant dans l’expression de son art, que dans ses relations amoureuses.</p>
<p><em><strong>Comment avez-vous choisi votre nom de scène ?</strong></em></p>
<p>Depuis petite je suis fan de vinyl, d’où le « Vinila ». Le « Von Bismark » provient de ma passion pour l’esthétique allemande de l’entre-deux-guerres, si élégante, martiale, pleine de panache, et du cabaret berlinois.</p>
<p><em><strong>Qu’est-ce qui vous a attiré au Burlesque ?</strong></em></p>
<p>Ce sont les femmes exubérantes de l’époque, celles qui ont marqué les débuts du genre, leur féminité extrême. Leur façon si élégante de se moquer du monde à travers leurs spectacles. Et aussi le fait de pouvoir m’exprimer avec une liberté totale.</p>
<p>Voyez-vous le Burlesque comme un mode d’expression féministe ? Ou plutôt comme une façon de subvertir les normes sociales de tous genres ?</p>
<p>Pour moi, le Burlesque est l’expression maximum du pouvoir de la femme à travers la chair et le désir, qui s’employait et s’emploie toujours à subvertir les normes ou rire des classes supérieures.</p>
<p><em><strong>Quelle est votre relation au féminisme ?</strong></em></p>
<p>J’ai 24 ans, et le féminisme qui me touche est celui de notre époque, cet ’élan féministe plus contemporain qui nous permet de mener l’existence que nous avons choisie. Je suis DJ depuis que j’ai 14 ans, j’ai travaillé avec des troupes d’art-performance et de théâtre alternatif et j’ai dû, depuis très jeune, affronter des attitudes machistes dignes de l’âge des cavernes ! Mais grace à mes principes et à la force de mes convictions j’ai réussi à m’imposer. Je suis la patronne de ma propre vie !</p>
<p><em><strong>Quelles sont les personnes qui vous ont le plus influencé ?</strong></em></p>
<p>Mes influences vont de Candy Barr à Johnny Cash en passant par Mamie Van Doren, Marlène Dietrich et Joséphine Baker.</p>
<p><em><strong>Votre public de Burlesque est-il le même que celui de vos concerts ?</strong></em></p>
<p>Le public qui me suit dans ma carrière musicale connaît mes interprétations burlesques, mais il est aussi très ouvert à d’autres genres, ce n’est pas un public « spécialisé », il est plutôt éclectique. (n.d.l.r, cf article « Vinila de Noche »).</p>
<p>Une dernière question : vous vous êtes produite comme DJ à Berlin tout récemment, à quand Vinila « on the road » à travers la Suisse ?</p>
<p>Après mes performances à Berlin, en Lituanie et en France, j’adorerais monter sur scène en Suisse ! J’attends vos propositions…</p>
<div>
<p style="text-align: right;"><em>Interview et adaptation française :</em></p>
<p style="text-align: right;"><em>Leo Williams</em></p>
</div>
<p>Liens:</p>
<p><a href="http://www.vinilavonbismark.com/">www.vinilavonbismark.com</a> / Vinila Von Bismark and The Lucky Dados, The Secret Carnival CD, 2010 Subterfuge Records</p>
</div>
<h2><img src="images/genresfeminismes/2010/vinilainterview.jpg" border="0" width="342" height="513" style="float: left; margin-left: 5px; margin-right: 5px;" />Icône burlesque à la pointe</h2>
<p> </p>
<div id="apDiv99"><strong>A l’heure où le Burlesque redresse du téton, que ce soit dans la Tournée de Mathieu Amalric, le Burlesquede Steven Antin avec Cher et Christina Aguilera, ou version olive pasteurisée dans le martini géant de Dita von Teese, rencontre avec l’égérie espagnole du genre. </strong></div>
<p> </p>
<div id="apDiv75">
<p>Née Irene Lòpez Mañas dans le village granadin de Peligros (« dangers » en français !), Vinila von Bismark promène depuis l’adolescence ses multiples talents de théatres alternatifs en discothéques trendy, et de bars louches en émissions bien vues. Blonde aux platines, bombe sur papier couché, elle explose littéralement sur scène, comme portée par l’esprit conquérant de ses prédécesseuresl. Comment cette « Reina del Burlesque » se situe-t-elle par rapport au féminisme ? Présentation, et réponses.</p>
<p><strong><em>Vinila Von Bismark, comment-vous définiriez-vous ?</em></strong></p>
<p>Je me définis comme une artiste pluridisciplinaire : chanteuse, djette, artiste de Burlesque… très travailleuse et désireuse de faire connaître son art. Mais je me définis avant tout comme une femme libre, qui s’est battue pour le rester, autant dans l’expression de son art, que dans ses relations amoureuses.</p>
<p><em><strong>Comment avez-vous choisi votre nom de scène ?</strong></em></p>
<p>Depuis petite je suis fan de vinyl, d’où le « Vinila ». Le « Von Bismark » provient de ma passion pour l’esthétique allemande de l’entre-deux-guerres, si élégante, martiale, pleine de panache, et du cabaret berlinois.</p>
<p><em><strong>Qu’est-ce qui vous a attiré au Burlesque ?</strong></em></p>
<p>Ce sont les femmes exubérantes de l’époque, celles qui ont marqué les débuts du genre, leur féminité extrême. Leur façon si élégante de se moquer du monde à travers leurs spectacles. Et aussi le fait de pouvoir m’exprimer avec une liberté totale.</p>
<p>Voyez-vous le Burlesque comme un mode d’expression féministe ? Ou plutôt comme une façon de subvertir les normes sociales de tous genres ?</p>
<p>Pour moi, le Burlesque est l’expression maximum du pouvoir de la femme à travers la chair et le désir, qui s’employait et s’emploie toujours à subvertir les normes ou rire des classes supérieures.</p>
<p><em><strong>Quelle est votre relation au féminisme ?</strong></em></p>
<p>J’ai 24 ans, et le féminisme qui me touche est celui de notre époque, cet ’élan féministe plus contemporain qui nous permet de mener l’existence que nous avons choisie. Je suis DJ depuis que j’ai 14 ans, j’ai travaillé avec des troupes d’art-performance et de théâtre alternatif et j’ai dû, depuis très jeune, affronter des attitudes machistes dignes de l’âge des cavernes ! Mais grace à mes principes et à la force de mes convictions j’ai réussi à m’imposer. Je suis la patronne de ma propre vie !</p>
<p><em><strong>Quelles sont les personnes qui vous ont le plus influencé ?</strong></em></p>
<p>Mes influences vont de Candy Barr à Johnny Cash en passant par Mamie Van Doren, Marlène Dietrich et Joséphine Baker.</p>
<p><em><strong>Votre public de Burlesque est-il le même que celui de vos concerts ?</strong></em></p>
<p>Le public qui me suit dans ma carrière musicale connaît mes interprétations burlesques, mais il est aussi très ouvert à d’autres genres, ce n’est pas un public « spécialisé », il est plutôt éclectique. (n.d.l.r, cf article « Vinila de Noche »).</p>
<p>Une dernière question : vous vous êtes produite comme DJ à Berlin tout récemment, à quand Vinila « on the road » à travers la Suisse ?</p>
<p>Après mes performances à Berlin, en Lituanie et en France, j’adorerais monter sur scène en Suisse ! J’attends vos propositions…</p>
<div>
<p style="text-align: right;"><em>Interview et adaptation française :</em></p>
<p style="text-align: right;"><em>Leo Williams</em></p>
</div>
<p>Liens:</p>
<p><a href="http://www.vinilavonbismark.com/">www.vinilavonbismark.com</a> / Vinila Von Bismark and The Lucky Dados, The Secret Carnival CD, 2010 Subterfuge Records</p>
</div>
Masculinités
2011-04-04T22:00:00+00:00
2011-04-04T22:00:00+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/203-mascul
Nathalie Brochard
[email protected]
<h2><strong>Enseignant au département des Etudes genre de l'Université de Genève, Christian Schiess revient sur les rapports sociaux de sexe et la prétendue crise de la masculinité.</strong></h2>
<p><strong><em>Comment en êtes-vous arrivé là ?</em></strong></p>
<p>Après une licence en relations internationales, j’ai travaillé quelques années et c’est par la formation continue « Aspects sociaux et culturels du féminin et du masculin » que je suis arrivé aux études genre de Genève en 2002. Ce qui m’a attiré immédiatement dans cette formation, c’est qu’elle détonnait au milieu d’une offre de formations appliquées à la gestion et au marketing. C’était une occasion de de me replonger dans le bain universitaire, de déconstruire les idées reçues dont on nous abreuve en matière de sexe et de sexualité, de réfléchir sur moi-même aussi. Je n’ai donc pas hésité une seconde. Après cette formation continue, j’ai enchaîné avec un DEA en sociologie et j’ai consacré mon mémoire à la construction sociale du masculin, avant d’occuper un poste d’assistant puis de chargé d’enseignement en études genre.</p>
<p><strong><em>Quand vous vous levez le matin, que voyez-vous dans votre miroir ?</em></strong></p>
<p>Euh… je me vois moi. Vous voulez savoir si je me vois en tant qu’homme d’abord?</p>
<p><strong><em>Vous vous définissez comment ?</em></strong></p>
<p>Oui forcément, je suis un homme forcément.</p>
<p><em><strong>Oh belle définition, « je suis un homme forcément »…</strong></em></p>
<p>Si je dis forcément, c’estqu’on m’a d’abord défini comme tel et que j’ai fait à peu près ce qui fallait pour qu’il n’y ait pas trop de doutes là-dessus. Je n’ai pas développé de stratégies de brouillage particulières, je ne suis pas très queer dans mon genre, donc forcément pour ces raisons je suis un homme. C’est mon état civil, c’est ce qu’on dit les médecins à ma naissance, les gens me reconnaissent comme tel, avec les privilèges et les ogligations que ça implique.</p>
<p><em><strong>L’idée d’être un homme est-ce un faux privilège ?</strong></em></p>
<p>C’est bel et bien un privilège dans la mesure une position d’homme procure un accès prioritaire aux ressources matérielles et symboliques, par exemple à un travail mieux payé et mieux reconnu, ou encore à une plus grande liberté dans l’usage des espaces publics. Les hommes développent diverses stratégies pour accéder à ces privilèges, même si ces stratégies ne sont pas toujours conscientes. Le pouvoir dont disposent les hommes n’est d’ailleurs le plus souvent pas perçu comme un pouvoir, mais comme un mérite ou comme un droit, voire comme une seconde nature : « être un homme, <em>tout simplement</em> ». Mais derrière ce « tout simplement » se cache en fait un travail d’arrache pied qui se fait dès le plus jeune âge et qui consiste à se distinguer des filles qui sont activement consituées en êtres dévalorisés. C’est pour cette raison qu’il n’est souvent pas aisé de se reconnaître ensuite comme un dominant, surtout dans les classes supérieures diplômées.</p>
<p><em><strong>Justement les hommes souffrent-ils de normalité ? </strong> </em></p>
<p>Les hommes souffrent, mais sans doute pas de normalité. La normalité, comme conformité à la norme dominante, est plutôt porteuse de privilèges. Mais elle a en effet un coût. Le prix à payer pour devenir un homme est assez élevé, comme l’illustre de manière vertigineuse le célèbre poème de Kipling, <em>If</em>, qui se termine par « Sois un homme mon fils » . Pour une fille, cet énoncé ne ferait pas sens. Si on devient homme, il faut accepter une part de souffrance mais au final il y a ces privilèges, voilà ce que dit l’énoncé. Dans ce cheminement, il y a toute une série de laissés-pour-compte. Si l’homme idéal dans nos sociétés libérales et capitalistes, c’est l’homme manager, il y a ceux qui ont les moyens matériels et culturels de mener à ce projet de masculinité et il y a nécessairement des laissés-pour-compte puisque tous les hommes ne concourent pas à armes égales. Et l’ouvrage doit toujours être remis sur le métier, car le risque d’une relégation dans la catégorie du féminin est encouru constamment. Etre un homme n’est jamais acquis, puisque c’est une norme précisément. On comprend qu’en raison des investissements consentis, renoncer aux privilèges acquis devient de plus en plus coûteux et improbable avec les années.</p>
<p>Mais pour en revenir à la souffrance des hommes, il est vrai que c’est un phénomène de plus en plus thématisé dans les médias et dans certains groupes d’hommes que l’on qualifie parfois de masculinistes. L’ennui, c’est que lorsque l’on parle des hommes comme d’un groupe homogène, on ne sait plus vraiment à quoi on se réfère. Si je dis : « les hommes souffrent », en insistant sur cette souffrance collective je sous-entends nécessairement que les femmes souffriraient moins, ou alors qu’elles auraient déjà suffisamment parlé de leurs souffrances, voire qu’elles seraient collectivement responsables de la souffrance des hommes. C’est un discours sournois, celui de la « crise de la masculinité », qui peut parfois être franchement réactionnaire. Et c’est justement un des privilèges des groupes dominants d’attirer la compassion vers eux. La vraie question pour moi n’est pas de savoir si « les hommes » souffrent ou non, mais d’analyser la capacité des différents groupes sociaux à faire valoir et reconnaître leur souffrance dans l’espace public. On peut penser à l’immense asymétrie compassionnelle dans le traitement médiatique des victimes civiles des attentats du 11 septembre 2001 et des guerres en Afghanistan et en Irak qui s’en sont suivies. Il est probable que la même logique vaille en matière de genre. Les groupes d’hommes qui se sont constitués autour d’un discours de crise sont composés d’individus plutôt diplômés, blancs et hétérosexuels, c’est-à-dire dominants parmi les dominants. Pendant ce temps, la souffrance des ouvriers (et a fortiori des ouvrières) est de moins en moins visibilsée de par la décomposition des collectifs syndicaux. Quand on sait que l’identité virile est étroitement liée à celle de travailleur (ouvrier notamment), on comprend la complexité des situations vécues, et du même coup la tentation d’attribuer un peu rapidement aux femmes (ou aux féministes) la responsabilité des souffrances générées par des transformations sociales qui ne sont souvent pas propres aux rapports sociaux de sexes, comme la précarisation engendrée par le néolibéralisme.</p>
<p>Bien sûr, ce souci de clarification vaut aussi lorsque l’on parle du pouvoir des hommes : affirmer que les hommes disposent de pouvoir en tant qu’hommes ne signifie pas que chaque homme serait privilégié par rapport à chaque femme, ce qui serait aberrant. Les luttes féministes et les études genre ont mis au jour l’existence de certains privilèges propres à la domination masculine, tout en montrant que les rapports sociaux de sexe sont imbriqués dans d’autres rapports sociaux. On n’est jamais qu’un homme ou qu’une femme. Pourtant, les énoncés du type « les hommes sont ceci » ou « les hommes sont cela » sont omniprésents dans les discours médiatiques mais aussi scientifiques. Dès qu’on parle des hommes, il faut préciser de qui on veut parler. Je commence d’ailleurs chaque année le séminaire en expliquant que les hommes n’existent pas !</p>
<p><strong><em>N’est-ce pas quand même parce que vous vous sentez discriminé d’une manière ou d’une autre que vous avez développé un intérêt pour les rapports sociaux de sexe ?</em></strong></p>
<p>Oui bien sûr, les objets d’étude nous choisissent autant qu’on les choisit. C’est aussi parce que j’étais en porte-à-faux par rapport à certaines normes de la masculinité et ça doit être le cas pour la plupart des hommes qui s’impliquent dans les <em>men studies</em>. Ce sont des hommes qui ont trouvé dans les théories féministes des moyens, des outils pour déconstruire et comprendre ce qui leur arrive personnellement. Dans mon cas, cela a eu un effet émancipateur. Ce que montrent finalement les <em>men studies</em> c’est que très peu d’hommes correspondent à l’idéal masculin. C’est l’idée de masculinité hégémonique de Connell. C’est un modèle idéologique très puissant qui fait courir les hommes dans un même sens, celui qui les conduits à être reconnus comme des hommes hétérosexuels.</p>
<p><strong><em>C’est « sois un homme mon fils » tandis que pour les femmes c’est « sois belle et tais-toi »…Comment amener les hommes à se pencher sur ce sujet sensible ?</em></strong></p>
<p>En tant qu’enseignant avec quelques dizaines d’étudiant-e-s par année, je n’ai pas une grande influence, mais en même temps c’est une fonction privilégiée. J’essaie de les familiariser avec les méthodes de la déconstruction critique et logique de ces catégories binaires, toutes faites, qui s’imposent à nous et qui sont en bonne partie transmises par le système scolaire et universitaire. J’y donne un sens à la fois sociologique et politique. Le lien féminismes/ études genre est pour moi évident, même si certain-e-s préfèrent le nier (une autre affaire de privilèges…). La déconstruction des catégories de pensée a permis aux mouvements féministes d’alimenter leur critique sociale. A l’échelle de mon enseignement, j’essaie de m’inscrire à ma façon dans ce mouvement. Mais il y a parfois des désillusions, comme lorsqu’au terme d’un semestre, des étudiant-e-s assènent sans autre argumentation que la biologie est la première explication des différences sociales entre femmes et hommes et qu’il serait donc inutile de trop y réfléchir…</p>
<p><em><strong>Quelle est la proportion d’hommes qui assistent à vos cours ?</strong></em></p>
<p>Environ un quart d’hommes pour trois quarts de femmes. C’est clairement plus que dans les autres cours en études genre. Sans doute que le fait que j’y traite du masculin, et que l’enseignant soit un homme y est pour beaucoup.</p>
<p><em><strong>Quelle légitimité avez-vous au sein d’un département d’études genre ?</strong></em></p>
<p>Ce n’est pas à moi qu’il appartient de répondre à cette question, même si je viens déjà d’y répondre partiellement. Le fait qu’il y ait très peu d’hommes dans ce champ joue sans doute en faveur. Mais il y a aussi une dimension plus structurelle. Dans le monde universitaire comme ailleurs, la parole des hommes est perçue comme plus légitime que celles des femmes, et c’est un mécanisme avec lequel je suis nécessairement amené à composer.</p>
<p><em><strong>Comment faites-vous ?</strong></em></p>
<p>D’abord en essayant de pas me cacher le fait que ma situation aux études genre est paradoxale, puis en en parlant avec mes collègues pour essayer de le gérer au mieux. D’une manière plus générale les attitudes à mon égard oscillent entre la curiosité et la bienveillance. J’ai rencontré parfois des réactions de mépris, mais ça reste exceptionnel. Je suis en général surpris par l’enthousiasme qui prévaut à la simple idée qu’un homme s’intéresse aux études genre. Cela est plus fréquent dans les pays anglo-saxons et scandinaves ou leurs contributions sont plus anciennes, mais reste encore plus rare dans le monde universitaire francophone. On y observe cependant depuis quelques années une augmentation des publications sur les hommes et la virilité, notamment en histoire et dans les études du sport.</p>
<p align="right"><em>Propos recueillis par Nathalie Brochard</em></p>
<h2><strong>Enseignant au département des Etudes genre de l'Université de Genève, Christian Schiess revient sur les rapports sociaux de sexe et la prétendue crise de la masculinité.</strong></h2>
<p><strong><em>Comment en êtes-vous arrivé là ?</em></strong></p>
<p>Après une licence en relations internationales, j’ai travaillé quelques années et c’est par la formation continue « Aspects sociaux et culturels du féminin et du masculin » que je suis arrivé aux études genre de Genève en 2002. Ce qui m’a attiré immédiatement dans cette formation, c’est qu’elle détonnait au milieu d’une offre de formations appliquées à la gestion et au marketing. C’était une occasion de de me replonger dans le bain universitaire, de déconstruire les idées reçues dont on nous abreuve en matière de sexe et de sexualité, de réfléchir sur moi-même aussi. Je n’ai donc pas hésité une seconde. Après cette formation continue, j’ai enchaîné avec un DEA en sociologie et j’ai consacré mon mémoire à la construction sociale du masculin, avant d’occuper un poste d’assistant puis de chargé d’enseignement en études genre.</p>
<p><strong><em>Quand vous vous levez le matin, que voyez-vous dans votre miroir ?</em></strong></p>
<p>Euh… je me vois moi. Vous voulez savoir si je me vois en tant qu’homme d’abord?</p>
<p><strong><em>Vous vous définissez comment ?</em></strong></p>
<p>Oui forcément, je suis un homme forcément.</p>
<p><em><strong>Oh belle définition, « je suis un homme forcément »…</strong></em></p>
<p>Si je dis forcément, c’estqu’on m’a d’abord défini comme tel et que j’ai fait à peu près ce qui fallait pour qu’il n’y ait pas trop de doutes là-dessus. Je n’ai pas développé de stratégies de brouillage particulières, je ne suis pas très queer dans mon genre, donc forcément pour ces raisons je suis un homme. C’est mon état civil, c’est ce qu’on dit les médecins à ma naissance, les gens me reconnaissent comme tel, avec les privilèges et les ogligations que ça implique.</p>
<p><em><strong>L’idée d’être un homme est-ce un faux privilège ?</strong></em></p>
<p>C’est bel et bien un privilège dans la mesure une position d’homme procure un accès prioritaire aux ressources matérielles et symboliques, par exemple à un travail mieux payé et mieux reconnu, ou encore à une plus grande liberté dans l’usage des espaces publics. Les hommes développent diverses stratégies pour accéder à ces privilèges, même si ces stratégies ne sont pas toujours conscientes. Le pouvoir dont disposent les hommes n’est d’ailleurs le plus souvent pas perçu comme un pouvoir, mais comme un mérite ou comme un droit, voire comme une seconde nature : « être un homme, <em>tout simplement</em> ». Mais derrière ce « tout simplement » se cache en fait un travail d’arrache pied qui se fait dès le plus jeune âge et qui consiste à se distinguer des filles qui sont activement consituées en êtres dévalorisés. C’est pour cette raison qu’il n’est souvent pas aisé de se reconnaître ensuite comme un dominant, surtout dans les classes supérieures diplômées.</p>
<p><em><strong>Justement les hommes souffrent-ils de normalité ? </strong> </em></p>
<p>Les hommes souffrent, mais sans doute pas de normalité. La normalité, comme conformité à la norme dominante, est plutôt porteuse de privilèges. Mais elle a en effet un coût. Le prix à payer pour devenir un homme est assez élevé, comme l’illustre de manière vertigineuse le célèbre poème de Kipling, <em>If</em>, qui se termine par « Sois un homme mon fils » . Pour une fille, cet énoncé ne ferait pas sens. Si on devient homme, il faut accepter une part de souffrance mais au final il y a ces privilèges, voilà ce que dit l’énoncé. Dans ce cheminement, il y a toute une série de laissés-pour-compte. Si l’homme idéal dans nos sociétés libérales et capitalistes, c’est l’homme manager, il y a ceux qui ont les moyens matériels et culturels de mener à ce projet de masculinité et il y a nécessairement des laissés-pour-compte puisque tous les hommes ne concourent pas à armes égales. Et l’ouvrage doit toujours être remis sur le métier, car le risque d’une relégation dans la catégorie du féminin est encouru constamment. Etre un homme n’est jamais acquis, puisque c’est une norme précisément. On comprend qu’en raison des investissements consentis, renoncer aux privilèges acquis devient de plus en plus coûteux et improbable avec les années.</p>
<p>Mais pour en revenir à la souffrance des hommes, il est vrai que c’est un phénomène de plus en plus thématisé dans les médias et dans certains groupes d’hommes que l’on qualifie parfois de masculinistes. L’ennui, c’est que lorsque l’on parle des hommes comme d’un groupe homogène, on ne sait plus vraiment à quoi on se réfère. Si je dis : « les hommes souffrent », en insistant sur cette souffrance collective je sous-entends nécessairement que les femmes souffriraient moins, ou alors qu’elles auraient déjà suffisamment parlé de leurs souffrances, voire qu’elles seraient collectivement responsables de la souffrance des hommes. C’est un discours sournois, celui de la « crise de la masculinité », qui peut parfois être franchement réactionnaire. Et c’est justement un des privilèges des groupes dominants d’attirer la compassion vers eux. La vraie question pour moi n’est pas de savoir si « les hommes » souffrent ou non, mais d’analyser la capacité des différents groupes sociaux à faire valoir et reconnaître leur souffrance dans l’espace public. On peut penser à l’immense asymétrie compassionnelle dans le traitement médiatique des victimes civiles des attentats du 11 septembre 2001 et des guerres en Afghanistan et en Irak qui s’en sont suivies. Il est probable que la même logique vaille en matière de genre. Les groupes d’hommes qui se sont constitués autour d’un discours de crise sont composés d’individus plutôt diplômés, blancs et hétérosexuels, c’est-à-dire dominants parmi les dominants. Pendant ce temps, la souffrance des ouvriers (et a fortiori des ouvrières) est de moins en moins visibilsée de par la décomposition des collectifs syndicaux. Quand on sait que l’identité virile est étroitement liée à celle de travailleur (ouvrier notamment), on comprend la complexité des situations vécues, et du même coup la tentation d’attribuer un peu rapidement aux femmes (ou aux féministes) la responsabilité des souffrances générées par des transformations sociales qui ne sont souvent pas propres aux rapports sociaux de sexes, comme la précarisation engendrée par le néolibéralisme.</p>
<p>Bien sûr, ce souci de clarification vaut aussi lorsque l’on parle du pouvoir des hommes : affirmer que les hommes disposent de pouvoir en tant qu’hommes ne signifie pas que chaque homme serait privilégié par rapport à chaque femme, ce qui serait aberrant. Les luttes féministes et les études genre ont mis au jour l’existence de certains privilèges propres à la domination masculine, tout en montrant que les rapports sociaux de sexe sont imbriqués dans d’autres rapports sociaux. On n’est jamais qu’un homme ou qu’une femme. Pourtant, les énoncés du type « les hommes sont ceci » ou « les hommes sont cela » sont omniprésents dans les discours médiatiques mais aussi scientifiques. Dès qu’on parle des hommes, il faut préciser de qui on veut parler. Je commence d’ailleurs chaque année le séminaire en expliquant que les hommes n’existent pas !</p>
<p><strong><em>N’est-ce pas quand même parce que vous vous sentez discriminé d’une manière ou d’une autre que vous avez développé un intérêt pour les rapports sociaux de sexe ?</em></strong></p>
<p>Oui bien sûr, les objets d’étude nous choisissent autant qu’on les choisit. C’est aussi parce que j’étais en porte-à-faux par rapport à certaines normes de la masculinité et ça doit être le cas pour la plupart des hommes qui s’impliquent dans les <em>men studies</em>. Ce sont des hommes qui ont trouvé dans les théories féministes des moyens, des outils pour déconstruire et comprendre ce qui leur arrive personnellement. Dans mon cas, cela a eu un effet émancipateur. Ce que montrent finalement les <em>men studies</em> c’est que très peu d’hommes correspondent à l’idéal masculin. C’est l’idée de masculinité hégémonique de Connell. C’est un modèle idéologique très puissant qui fait courir les hommes dans un même sens, celui qui les conduits à être reconnus comme des hommes hétérosexuels.</p>
<p><strong><em>C’est « sois un homme mon fils » tandis que pour les femmes c’est « sois belle et tais-toi »…Comment amener les hommes à se pencher sur ce sujet sensible ?</em></strong></p>
<p>En tant qu’enseignant avec quelques dizaines d’étudiant-e-s par année, je n’ai pas une grande influence, mais en même temps c’est une fonction privilégiée. J’essaie de les familiariser avec les méthodes de la déconstruction critique et logique de ces catégories binaires, toutes faites, qui s’imposent à nous et qui sont en bonne partie transmises par le système scolaire et universitaire. J’y donne un sens à la fois sociologique et politique. Le lien féminismes/ études genre est pour moi évident, même si certain-e-s préfèrent le nier (une autre affaire de privilèges…). La déconstruction des catégories de pensée a permis aux mouvements féministes d’alimenter leur critique sociale. A l’échelle de mon enseignement, j’essaie de m’inscrire à ma façon dans ce mouvement. Mais il y a parfois des désillusions, comme lorsqu’au terme d’un semestre, des étudiant-e-s assènent sans autre argumentation que la biologie est la première explication des différences sociales entre femmes et hommes et qu’il serait donc inutile de trop y réfléchir…</p>
<p><em><strong>Quelle est la proportion d’hommes qui assistent à vos cours ?</strong></em></p>
<p>Environ un quart d’hommes pour trois quarts de femmes. C’est clairement plus que dans les autres cours en études genre. Sans doute que le fait que j’y traite du masculin, et que l’enseignant soit un homme y est pour beaucoup.</p>
<p><em><strong>Quelle légitimité avez-vous au sein d’un département d’études genre ?</strong></em></p>
<p>Ce n’est pas à moi qu’il appartient de répondre à cette question, même si je viens déjà d’y répondre partiellement. Le fait qu’il y ait très peu d’hommes dans ce champ joue sans doute en faveur. Mais il y a aussi une dimension plus structurelle. Dans le monde universitaire comme ailleurs, la parole des hommes est perçue comme plus légitime que celles des femmes, et c’est un mécanisme avec lequel je suis nécessairement amené à composer.</p>
<p><em><strong>Comment faites-vous ?</strong></em></p>
<p>D’abord en essayant de pas me cacher le fait que ma situation aux études genre est paradoxale, puis en en parlant avec mes collègues pour essayer de le gérer au mieux. D’une manière plus générale les attitudes à mon égard oscillent entre la curiosité et la bienveillance. J’ai rencontré parfois des réactions de mépris, mais ça reste exceptionnel. Je suis en général surpris par l’enthousiasme qui prévaut à la simple idée qu’un homme s’intéresse aux études genre. Cela est plus fréquent dans les pays anglo-saxons et scandinaves ou leurs contributions sont plus anciennes, mais reste encore plus rare dans le monde universitaire francophone. On y observe cependant depuis quelques années une augmentation des publications sur les hommes et la virilité, notamment en histoire et dans les études du sport.</p>
<p align="right"><em>Propos recueillis par Nathalie Brochard</em></p>
Coming out féministe
2011-04-05T22:00:00+00:00
2011-04-05T22:00:00+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/202-comeoutfem
Caroline Dayer
[email protected]
<h2><strong><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/2010/comingoutfeministe.jpg" border="0" style="float: right; border: 0; margin-left: 5px; margin-right: 5px;" />« La ménagère sort du placard. Un réjouissant coming out… » <em>(Femina, 8 janvier 2006).</em></strong></h2>
<p><em><br /></em></p>
<p>Quels sont les contours de ce placard ? En quoi cette sortie se rapprocherait-elle d’un coming out ?</p>
<div id="apDiv75">
<p align="left">Si l’expression <em>coming out of the closet</em> (sortir du placard) renvoie au fait d’exprimer son homosexualité, pourquoi ne pas utiliser cette métaphore pour appréhender d’autres expériences vécues en termes de sortie de placard (Dayer, 2010) ?</p>
<p align="left">Non seulement cette notion est employée dans le sens commun et dans des contextes divers - à l’instar de l’exemple de coupure de presse ci-dessous - mais surtout elle comporte une utilité sociale et épistémique en permettant de formuler l’idée d’un passage de l’ombre à la lumière, du cloisonnement à la libération.</p>
<p align="left">Interrogeons donc cette réappropriation et cette extension de la métaphore du coming out hors de son contexte d’émergence - sans occulter les spécificités de ce dernier - en abordant un autre domaine d’investigation, celui du féminisme.</p>
<p align="left">Qu’en est-il du coming out (de la sortie du placard) féministe ? En d’autres termes, qu’en est-il du fait d’exprimer son féminisme ?</p>
<h2><strong>Etymologie du placard</strong></h2>
<p align="left">Une perspective étymologique permet de découvrir que la notion de placard [(plakar) n.m. 1364] (Rey, 2004) est formée sur le radical de <em>plaquer</em>, rattaché à la racine indoeuropéenne <em>frapper</em> qui renvoie aux expressions latines <em>plaga</em> (plaie) et <em>plangere</em> (plaindre). Si <em>plaquer</em> est utilisé en diplomatie dans le sens d’<em>Appliquer un sceau à</em>, il a ensuite désigné un écrit diffamatoire affiché sur un panneau pour donner un avis au public. Cette idée d’application au mur a donné lieu à l’acception d’un assemblage de menuiserie (1572) qui s’élève jusqu’au plafond puis d’un enfoncement ou recoin de cloison constituant une armoire fixe (1748). De cette signification proviennent les usages contemporains tels que l’emploi argotique pour <em>Prison</em>, l’expression familière <em>Mettre au placard</em> qui correspond à une mise à l’écart ou la locution familière <em>Avoir un cadavre dans le placard</em> qui se rapporte à une affaire que l’on ne tient pas à divulguer.</p>
<p align="left">Le placard renvoie ainsi autant à une dimension d’invisibilisation (garder une affaire cachée) que de visibilisation (donner un avis au public). Il réfère autant au contenant d’un secret qu’au support d’une révélation. Cette double acception peut renvoyer autant à l’invisibilisation des femmes qu’aux avis publics de chasse aux sorcières.</p>
<p align="left">De plus, l’idée de <em>frapper</em> et d’<em>appliquer un sceau</em> ainsi que celle de <em>plaie</em> et de <em>plainte</em> peuvent être rapprochées de celle de stigmate. Provenant de la notion de piqûre, Goffman (1975) relève que ce dernier désigne des marques servant à exposer le caractère inhabituel et détestable du statut moral de la personne ainsi signalée.</p>
<p align="left">Le stigmate - visible ou non de prime abord - incarne donc les aspects de <em>diffamation</em> et de <em>mise à l’écart</em>, alimentés par la production et la reconduction de stéréotypes dévalorisants. Certains discours conçoivent le féminisme comme une plaie (<em>plaga</em>) ou le vecteur d’éternelles plaintes (<em>plangere</em>). Les personnes se revendiquant féministes sont marquées par un sceau, un signe diffamatoire qui marque le stigmate ; elles seraient des hystériques, des frustrées, détestant les hommes. Ce sont pourtant principalement des femmes qui se retrouvent confinées dans des recoins, cantonnées dans des armoires étouffantes, des prisons domestiques ou des cages dorées - autrement dit, qui sont mises à l’écart. Et le féminisme se rapporte à ce cadavre dans le placard, à cette affaire qu’il est préférable de ne pas divulguer.</p>
<p align="left">La logique du placard est ambivalente (Dayer, 2005). D’une part, il peut constituer une protection contre des manifestations discriminatoires et faire office de refuge ; il érige ses remparts et protège des attaques extérieures. Il est aussi source d’énergie créatrice à l’abri des regards inquisiteurs. D’autre part, traversé de failles, le placard offre une sécurité fragile et illusoire. Il génère également de la souffrance ; coupé du monde, il se transforme en piège. L’efficace du placard correspond moins à une armoire fixe qu’à un « ghetto psychologique » (Eribon, 1999) qui marque les limites à ne pas franchir quel que soit ; elle dissuade de s’aventurer en territoire hostile et elle étouffe le désir d’affirmation par crainte des représailles.</p>
<p lang="fr-CH" align="left">Le coming out féministe peut s’entendre comme un refus du placard sexiste qui dicte ce qui acceptable ou non, comme une insurrection face à l’assignation à une place infériorisée, face à la réduction à des catégories dominantes et réifiantes. Il défie l’obscurité comme l’obscurantisme, il brise le silence et fait éclater les verrous de l’oppression, il retourne le stigmate et remet en cause l’ordre établi ; il franchit les seuils injustes. Toutefois, la clé est-elle définitivement mise sous le paillasson ?</p>
<h2><strong>Epistémologie du placard </strong></h2>
<p align="left">Oser son féminisme ne se réfère pas uniquement à un instant ponctuel et le seuil du placard n’est pas franchi une fois pour toutes, partout, auprès de n’importe qui et par le même procédé. Le coming out se décline au pluriel, il est précédé de cheminements et constitue une entreprise reconduite en permanence, une modulation perpétuelle du jeu que la personne opère entre ce qu’elle cache et ce qu’elle montre, selon les interactions, les contextes et les temporalités.</p>
<p align="left">Le passage de la honte à la fierté s’opère à travers une réappropriation identitaire, individuelle et collective. Les manifestations de rue des mouvements de libération des femmes peuvent en effet être envisagées comme un coming out collectif, traversant les niveaux intrapersonnel, interpersonnel et sociétal, le privé se faisant politique. Ces processus d’affirmation et de visibilisation travaillent les tensions entre un « dedans » marginalisé et un « dehors » légitimé.</p>
<p align="left">Les expériences de coming out, vécues comme une transformation identitaire et un changement de rapport au monde, remettent fondamentalement en cause des oppositions telles que (avant/après, dehors/dedans, public/privé, homme/femme, masculin/féminin, hétérosexualité/homosexualité, etc.). Ces dualismes, intégrés dans un système de division qui les naturalise, sont porteurs d’enjeux de pouvoir et davantage de légitimité est octroyée à un des termes de l’opposition.</p>
<p align="left">Sedgwick (1990) - à travers son ouvrage <em>Epistemology of the closet</em> (<em>Epistémologie du placard</em>) - souligne d’ailleurs qu’aucun champ n’a échappé aux incohérences de l’assignation de chaque personne dans une identité binaire et qu’à l’instar de la pensée féministe qui interroge le genre et son binôme mâle/femelle, une analyse critique de toute dichotomie se montre nécessaire.</p>
<h2><strong><img src="http://lemilie.org/images/stories/tumblr_lfrebimafi1qba7dmo1_500.jpg" border="0" width="229" height="297" /></strong></h2>
<h2><strong>Placard hétérosexiste</strong></h2>
<p align="left">Le placard sexiste est notamment déconstruit par Delphy (1998) lorsqu’elle décortique l’économie politique du patriarcat. Dans le même sens, Wittig (1992) remet en cause les fondements de <em>La pensée straight</em> en montrant que l’hétéronormativité fonctionne comme un système politique et Rich (1981) dénonce la contrainte à l’hétérosexualité.</p>
<p align="left">Ces critiques remettent justement en question la production de dichotomies en soulignant le caractère construit de ces catégories et les rapports de domination qui les sous-tendent<a id="sdfootnote1anc" name="sdfootnote1anc" href="http://lemilie.org/genreetfeminismes_coming_out_feministe.html#sdfootnote1sym">1</a>. Les placards sexiste et homophobe s’articulent et sont sous-tendus par une même logique, hétérosexiste (Dayer, sous presse). L’hétérosexisme renvoie non seulement à la suprématie de l’hétérosexualité sur l’homosexualité mais également à « un système de pensée qui, par la conjugalité et la maternité, confirme la domination masculine dans les rapports de sexe. […] L’hétérosexisme se trouve à la fois à la racine de l’homophobie (envers les homosexuels), du sexisme (envers les femmes), mais aussi bien, de façon plus générale, quoique plus lointaine, à la racine de très nombreux actes de violence (envers toute personne, quelle qu’elle soit) dont les liens avec cette culture de l’identité masculine et de la force virile n’apparaissent pas à première vue » (Tin, 2003, pp. 208-210).</p>
<h2><strong>Parce que sortir du placard est encore difficile </strong></h2>
<p align="left">L’exemple de la ménagère illustre l’utilisation de la notion de coming out pour rendre compte du refus de rester dans l’obscurité d’un placard imposé et étriqué. Plus généralement, cette métaphore permet d’éclairer l’architecture du placard sexiste et les processus de stigmatisation du féminisme. Elle rend compte d’une dialectique entre assignation et affirmation, invisibilisation et reconnaissance, d’un passage du silence à la prise de parole, de l’enfermement à l’émancipation.</p>
<p align="left">Parce que sortir du placard est encore difficile, parce que se dire et être féministe est encore stigmatisé, sortons les archives des armoires, ravivons la mémoire et écrivons l’histoire.</p>
<p align="left">Parce que le coming out féministe est une question de tous les jours et une entreprise incessante, veillons contre des retours au placard ; ouvrons les portes closes, cassons leurs cadenas, déverrouillons leurs serrures ; décelons et déjouons toute forme de placard, ici et ailleurs.</p>
<p align="left">Parce que les placards sexistes perdurent et se transforment, donnons la voix aux expressions du féminisme, multiples et mouvantes.</p>
<div id="sdfootnote3">
<p align="left"><a id="sdfootnote1sym2" name="sdfootnote1sym" href="http://lemilie.org/genreetfeminismes_coming_out_feministe.html#sdfootnote1anc">1</a> Cette naturalisation des catégories est également remise en cause par la perspective queer (i.a. Butler, 2005 ; Sedgwick, 1998) qui développe notamment l’idée de performativité.</p>
<p align="right"><em>Caroline Dayer</em></p>
<p align="left"> </p>
</div>
</div>
<h2><strong><img src="images/genresfeminismes/2010/comingoutfeministe.jpg" border="0" style="float: right; border: 0; margin-left: 5px; margin-right: 5px;" />« La ménagère sort du placard. Un réjouissant coming out… » <em>(Femina, 8 janvier 2006).</em></strong></h2>
<p><em><br /></em></p>
<p>Quels sont les contours de ce placard ? En quoi cette sortie se rapprocherait-elle d’un coming out ?</p>
<div id="apDiv75">
<p align="left">Si l’expression <em>coming out of the closet</em> (sortir du placard) renvoie au fait d’exprimer son homosexualité, pourquoi ne pas utiliser cette métaphore pour appréhender d’autres expériences vécues en termes de sortie de placard (Dayer, 2010) ?</p>
<p align="left">Non seulement cette notion est employée dans le sens commun et dans des contextes divers - à l’instar de l’exemple de coupure de presse ci-dessous - mais surtout elle comporte une utilité sociale et épistémique en permettant de formuler l’idée d’un passage de l’ombre à la lumière, du cloisonnement à la libération.</p>
<p align="left">Interrogeons donc cette réappropriation et cette extension de la métaphore du coming out hors de son contexte d’émergence - sans occulter les spécificités de ce dernier - en abordant un autre domaine d’investigation, celui du féminisme.</p>
<p align="left">Qu’en est-il du coming out (de la sortie du placard) féministe ? En d’autres termes, qu’en est-il du fait d’exprimer son féminisme ?</p>
<h2><strong>Etymologie du placard</strong></h2>
<p align="left">Une perspective étymologique permet de découvrir que la notion de placard [(plakar) n.m. 1364] (Rey, 2004) est formée sur le radical de <em>plaquer</em>, rattaché à la racine indoeuropéenne <em>frapper</em> qui renvoie aux expressions latines <em>plaga</em> (plaie) et <em>plangere</em> (plaindre). Si <em>plaquer</em> est utilisé en diplomatie dans le sens d’<em>Appliquer un sceau à</em>, il a ensuite désigné un écrit diffamatoire affiché sur un panneau pour donner un avis au public. Cette idée d’application au mur a donné lieu à l’acception d’un assemblage de menuiserie (1572) qui s’élève jusqu’au plafond puis d’un enfoncement ou recoin de cloison constituant une armoire fixe (1748). De cette signification proviennent les usages contemporains tels que l’emploi argotique pour <em>Prison</em>, l’expression familière <em>Mettre au placard</em> qui correspond à une mise à l’écart ou la locution familière <em>Avoir un cadavre dans le placard</em> qui se rapporte à une affaire que l’on ne tient pas à divulguer.</p>
<p align="left">Le placard renvoie ainsi autant à une dimension d’invisibilisation (garder une affaire cachée) que de visibilisation (donner un avis au public). Il réfère autant au contenant d’un secret qu’au support d’une révélation. Cette double acception peut renvoyer autant à l’invisibilisation des femmes qu’aux avis publics de chasse aux sorcières.</p>
<p align="left">De plus, l’idée de <em>frapper</em> et d’<em>appliquer un sceau</em> ainsi que celle de <em>plaie</em> et de <em>plainte</em> peuvent être rapprochées de celle de stigmate. Provenant de la notion de piqûre, Goffman (1975) relève que ce dernier désigne des marques servant à exposer le caractère inhabituel et détestable du statut moral de la personne ainsi signalée.</p>
<p align="left">Le stigmate - visible ou non de prime abord - incarne donc les aspects de <em>diffamation</em> et de <em>mise à l’écart</em>, alimentés par la production et la reconduction de stéréotypes dévalorisants. Certains discours conçoivent le féminisme comme une plaie (<em>plaga</em>) ou le vecteur d’éternelles plaintes (<em>plangere</em>). Les personnes se revendiquant féministes sont marquées par un sceau, un signe diffamatoire qui marque le stigmate ; elles seraient des hystériques, des frustrées, détestant les hommes. Ce sont pourtant principalement des femmes qui se retrouvent confinées dans des recoins, cantonnées dans des armoires étouffantes, des prisons domestiques ou des cages dorées - autrement dit, qui sont mises à l’écart. Et le féminisme se rapporte à ce cadavre dans le placard, à cette affaire qu’il est préférable de ne pas divulguer.</p>
<p align="left">La logique du placard est ambivalente (Dayer, 2005). D’une part, il peut constituer une protection contre des manifestations discriminatoires et faire office de refuge ; il érige ses remparts et protège des attaques extérieures. Il est aussi source d’énergie créatrice à l’abri des regards inquisiteurs. D’autre part, traversé de failles, le placard offre une sécurité fragile et illusoire. Il génère également de la souffrance ; coupé du monde, il se transforme en piège. L’efficace du placard correspond moins à une armoire fixe qu’à un « ghetto psychologique » (Eribon, 1999) qui marque les limites à ne pas franchir quel que soit ; elle dissuade de s’aventurer en territoire hostile et elle étouffe le désir d’affirmation par crainte des représailles.</p>
<p lang="fr-CH" align="left">Le coming out féministe peut s’entendre comme un refus du placard sexiste qui dicte ce qui acceptable ou non, comme une insurrection face à l’assignation à une place infériorisée, face à la réduction à des catégories dominantes et réifiantes. Il défie l’obscurité comme l’obscurantisme, il brise le silence et fait éclater les verrous de l’oppression, il retourne le stigmate et remet en cause l’ordre établi ; il franchit les seuils injustes. Toutefois, la clé est-elle définitivement mise sous le paillasson ?</p>
<h2><strong>Epistémologie du placard </strong></h2>
<p align="left">Oser son féminisme ne se réfère pas uniquement à un instant ponctuel et le seuil du placard n’est pas franchi une fois pour toutes, partout, auprès de n’importe qui et par le même procédé. Le coming out se décline au pluriel, il est précédé de cheminements et constitue une entreprise reconduite en permanence, une modulation perpétuelle du jeu que la personne opère entre ce qu’elle cache et ce qu’elle montre, selon les interactions, les contextes et les temporalités.</p>
<p align="left">Le passage de la honte à la fierté s’opère à travers une réappropriation identitaire, individuelle et collective. Les manifestations de rue des mouvements de libération des femmes peuvent en effet être envisagées comme un coming out collectif, traversant les niveaux intrapersonnel, interpersonnel et sociétal, le privé se faisant politique. Ces processus d’affirmation et de visibilisation travaillent les tensions entre un « dedans » marginalisé et un « dehors » légitimé.</p>
<p align="left">Les expériences de coming out, vécues comme une transformation identitaire et un changement de rapport au monde, remettent fondamentalement en cause des oppositions telles que (avant/après, dehors/dedans, public/privé, homme/femme, masculin/féminin, hétérosexualité/homosexualité, etc.). Ces dualismes, intégrés dans un système de division qui les naturalise, sont porteurs d’enjeux de pouvoir et davantage de légitimité est octroyée à un des termes de l’opposition.</p>
<p align="left">Sedgwick (1990) - à travers son ouvrage <em>Epistemology of the closet</em> (<em>Epistémologie du placard</em>) - souligne d’ailleurs qu’aucun champ n’a échappé aux incohérences de l’assignation de chaque personne dans une identité binaire et qu’à l’instar de la pensée féministe qui interroge le genre et son binôme mâle/femelle, une analyse critique de toute dichotomie se montre nécessaire.</p>
<h2><strong><img src="images/stories/tumblr_lfrebimafi1qba7dmo1_500.jpg" border="0" width="229" height="297" /></strong></h2>
<h2><strong>Placard hétérosexiste</strong></h2>
<p align="left">Le placard sexiste est notamment déconstruit par Delphy (1998) lorsqu’elle décortique l’économie politique du patriarcat. Dans le même sens, Wittig (1992) remet en cause les fondements de <em>La pensée straight</em> en montrant que l’hétéronormativité fonctionne comme un système politique et Rich (1981) dénonce la contrainte à l’hétérosexualité.</p>
<p align="left">Ces critiques remettent justement en question la production de dichotomies en soulignant le caractère construit de ces catégories et les rapports de domination qui les sous-tendent<a id="sdfootnote1anc" name="sdfootnote1anc" href="genreetfeminismes_coming_out_feministe.html#sdfootnote1sym">1</a>. Les placards sexiste et homophobe s’articulent et sont sous-tendus par une même logique, hétérosexiste (Dayer, sous presse). L’hétérosexisme renvoie non seulement à la suprématie de l’hétérosexualité sur l’homosexualité mais également à « un système de pensée qui, par la conjugalité et la maternité, confirme la domination masculine dans les rapports de sexe. […] L’hétérosexisme se trouve à la fois à la racine de l’homophobie (envers les homosexuels), du sexisme (envers les femmes), mais aussi bien, de façon plus générale, quoique plus lointaine, à la racine de très nombreux actes de violence (envers toute personne, quelle qu’elle soit) dont les liens avec cette culture de l’identité masculine et de la force virile n’apparaissent pas à première vue » (Tin, 2003, pp. 208-210).</p>
<h2><strong>Parce que sortir du placard est encore difficile </strong></h2>
<p align="left">L’exemple de la ménagère illustre l’utilisation de la notion de coming out pour rendre compte du refus de rester dans l’obscurité d’un placard imposé et étriqué. Plus généralement, cette métaphore permet d’éclairer l’architecture du placard sexiste et les processus de stigmatisation du féminisme. Elle rend compte d’une dialectique entre assignation et affirmation, invisibilisation et reconnaissance, d’un passage du silence à la prise de parole, de l’enfermement à l’émancipation.</p>
<p align="left">Parce que sortir du placard est encore difficile, parce que se dire et être féministe est encore stigmatisé, sortons les archives des armoires, ravivons la mémoire et écrivons l’histoire.</p>
<p align="left">Parce que le coming out féministe est une question de tous les jours et une entreprise incessante, veillons contre des retours au placard ; ouvrons les portes closes, cassons leurs cadenas, déverrouillons leurs serrures ; décelons et déjouons toute forme de placard, ici et ailleurs.</p>
<p align="left">Parce que les placards sexistes perdurent et se transforment, donnons la voix aux expressions du féminisme, multiples et mouvantes.</p>
<div id="sdfootnote3">
<p align="left"><a id="sdfootnote1sym2" name="sdfootnote1sym" href="genreetfeminismes_coming_out_feministe.html#sdfootnote1anc">1</a> Cette naturalisation des catégories est également remise en cause par la perspective queer (i.a. Butler, 2005 ; Sedgwick, 1998) qui développe notamment l’idée de performativité.</p>
<p align="right"><em>Caroline Dayer</em></p>
<p align="left"> </p>
</div>
</div>
Le New Burlesque : revues et négligés
2011-04-05T22:00:00+00:00
2011-04-05T22:00:00+00:00
http://lemilie.org/index.php/genreafeminismes/199-le-new-burlesque-revues-et-negliges
Nathalie Brochard
[email protected]
<p><a><img src="http://lemilie.org/images/genresfeminismes/2010/neoburlesque.jpg" border="0" alt="Vinila Von Bismark" style="border: 0; float: right; margin-left: 5px; margin-right: 5px;" /></a>Si je vous dis Dita von Teese, tout de suite vous pensez pin-up et strip-tease, mais si je vous parle de Vinila von Bismarck, vous pencherez probablement pour héritière d’une marque de casques à pointe et jet-setteuse à ses heures perdues. Pourtant, ces deux femmes ont un point commun : le New Burlesque dont elles se revendiquent. Et si vous connaissez la première, c’est que les médias généralistes en ont fait leurs choux gras tandis que la seconde a peu accès au papier glacé en raison des « messages non conformes aux normes <em>mainstream</em> qu’elle véhicule et de fait peu vendeurs », comme beaucoup de ses consoeurs, dixit la performeuse féministe Darlinda just Darlinda.</p>
<h2><strong>Populaire</strong></h2>
<p>A l’origine, le burlesque est un genre populaire de divertissement, né à la fin du XIXe siècle aux Etats-Unis, qui emprunte aux spectacles de cabarets européens. Itinérants, ces shows mettent en scène des femmes à la personnalité affirmée et des freaks humains dans une ambiance de foire. Le mélange inédit satire sociale-numéros musicaux-grivoiseries attire alors un public extrêmement varié. Après-guerre, les pin-up marquent l’apogée des numéros légers et ce, jusque dans les années 60 où une plus grande liberté sexuelle les ringardise. C’est en 1995 que Michelle Carr fonde la troupe du Velvet Hammer dans la salle de concert dont elle est propriétaire à Los Angeles, lieu de rencontre des groupes underground et des figures de la contre culture. Son idée : faire revivre le burlesque en ajoutant au strip-tease le théâtre, la chorégraphie, l’humour et l’exagération, en réaction à un monde pétri par l’uniformité du modèle esthétique hollywoodien. Pour cela, elle recrute, selon ses propres termes, « des danseuses de toutes tailles et de toutes corpulences ».</p>
<h2><strong>Révolutionnaire</strong></h2>
<p>Darlinda just Darlinda explique que « le simple fait de mettre en scène des personnes en surpoids est un acte politique. Ajoutez la danse, puis la sexualité et vous avez un acte révolutionnaire ». Quand on évoque les tenues légères des artistes burlesques, ou l’exploitation du corps des femmes, elle s’insurge : « ça n’a rien à voir avec la danse contact ou le pole dance, nous ne sommes jamais nues sur scène »… Astuce de langage, on parle en effet d’« effeuillage » et non pas de strip-tease. Notre performeuse précise que « le public est essentiellement féminin et que la salle est très éclairée contrairement à ce qui se fait dans les sex-shows », ce qui d’après elle, « décourage les voyeurs ».</p>
<h2><strong>Volontaire</strong></h2>
<p>La nouvelle vague burlesque explore en effet les questions d’identités sexuelles et la place du corps dans la société. Les performeuses Dirty Martini, Juliette Dragon ou Wendy Delorme revendiquent une liberté totale. Pour elles, pas question de cacher ce sein qu’« on » ne saurait voir. Quant au discours sur l’exploitation du corps féminin, il renvoie, selon elles, à l’ordre patriarcal qui cherche à contrôler les femmes, à les rendre invisible. Les artistes burlesques maîtrisent la chaîne de production de A à Z et s’engagent dans une énième tentative de libération des corps, d’affranchissement des normes physiques et des injonctions idéologiques, y compris celles de leurs aînées. Demandez le programme !</p>
<p align="right"><em>Nathalie Brochard</em></p>
<p><a><img src="images/genresfeminismes/2010/neoburlesque.jpg" border="0" alt="Vinila Von Bismark" style="border: 0; float: right; margin-left: 5px; margin-right: 5px;" /></a>Si je vous dis Dita von Teese, tout de suite vous pensez pin-up et strip-tease, mais si je vous parle de Vinila von Bismarck, vous pencherez probablement pour héritière d’une marque de casques à pointe et jet-setteuse à ses heures perdues. Pourtant, ces deux femmes ont un point commun : le New Burlesque dont elles se revendiquent. Et si vous connaissez la première, c’est que les médias généralistes en ont fait leurs choux gras tandis que la seconde a peu accès au papier glacé en raison des « messages non conformes aux normes <em>mainstream</em> qu’elle véhicule et de fait peu vendeurs », comme beaucoup de ses consoeurs, dixit la performeuse féministe Darlinda just Darlinda.</p>
<h2><strong>Populaire</strong></h2>
<p>A l’origine, le burlesque est un genre populaire de divertissement, né à la fin du XIXe siècle aux Etats-Unis, qui emprunte aux spectacles de cabarets européens. Itinérants, ces shows mettent en scène des femmes à la personnalité affirmée et des freaks humains dans une ambiance de foire. Le mélange inédit satire sociale-numéros musicaux-grivoiseries attire alors un public extrêmement varié. Après-guerre, les pin-up marquent l’apogée des numéros légers et ce, jusque dans les années 60 où une plus grande liberté sexuelle les ringardise. C’est en 1995 que Michelle Carr fonde la troupe du Velvet Hammer dans la salle de concert dont elle est propriétaire à Los Angeles, lieu de rencontre des groupes underground et des figures de la contre culture. Son idée : faire revivre le burlesque en ajoutant au strip-tease le théâtre, la chorégraphie, l’humour et l’exagération, en réaction à un monde pétri par l’uniformité du modèle esthétique hollywoodien. Pour cela, elle recrute, selon ses propres termes, « des danseuses de toutes tailles et de toutes corpulences ».</p>
<h2><strong>Révolutionnaire</strong></h2>
<p>Darlinda just Darlinda explique que « le simple fait de mettre en scène des personnes en surpoids est un acte politique. Ajoutez la danse, puis la sexualité et vous avez un acte révolutionnaire ». Quand on évoque les tenues légères des artistes burlesques, ou l’exploitation du corps des femmes, elle s’insurge : « ça n’a rien à voir avec la danse contact ou le pole dance, nous ne sommes jamais nues sur scène »… Astuce de langage, on parle en effet d’« effeuillage » et non pas de strip-tease. Notre performeuse précise que « le public est essentiellement féminin et que la salle est très éclairée contrairement à ce qui se fait dans les sex-shows », ce qui d’après elle, « décourage les voyeurs ».</p>
<h2><strong>Volontaire</strong></h2>
<p>La nouvelle vague burlesque explore en effet les questions d’identités sexuelles et la place du corps dans la société. Les performeuses Dirty Martini, Juliette Dragon ou Wendy Delorme revendiquent une liberté totale. Pour elles, pas question de cacher ce sein qu’« on » ne saurait voir. Quant au discours sur l’exploitation du corps féminin, il renvoie, selon elles, à l’ordre patriarcal qui cherche à contrôler les femmes, à les rendre invisible. Les artistes burlesques maîtrisent la chaîne de production de A à Z et s’engagent dans une énième tentative de libération des corps, d’affranchissement des normes physiques et des injonctions idéologiques, y compris celles de leurs aînées. Demandez le programme !</p>
<p align="right"><em>Nathalie Brochard</em></p>