Avortement: et les mineures enceintes?
- Écrit par Nathalie Brochard
Avortement: le cas particulier des mineures enceintes
Derrière cette réalité plane une zone d’ombre. Alors que les statistiques officielles dressent le tableau d’une situation parfaitement maîtrisée, les fonctionnements entourant l’application de la loi sur l’avortement connaissent quelques ratés. Pourquoi ?
Contrôler le corps des femmes a toujours constitué un enjeu de société. Un corps que les normes esthétiques, morales, sexuelles façonnent et redessinent inlassablement, un corps dont chacune devrait pourtant disposer en totale liberté. Or, les mouvements qui traversent aujourd’hui nos sociétés et qui tentent de remettre en question un droit fondamental comme l’avortement montrent que les femmes restent assignées à leur fonction essentielle : procréer. Dès l’enfance, on leur martèle leur mission future de maman, certaines la remplissent même trop tôt.
Les chiffres officiels disent que le phénomène des grossesses adolescentes n’existe pas en Suisse, à l’inverse de ce qui se passe an Grande-Bretagne, du fait notamment d’une politique de prévention efficace. Anita Cotting directrice du PLANeS Fondation suisse pour la santé sexuelle et reproductive explique que «l'information et l'éducation sexuelle dans les écoles constitue une bonne prévention. De plus, les intervenant-e-s en éducation sexuelle relaient l'information selon laquelle les centres de planning proposent un conseil gratuit et confidentiel en contraception, voire de l'accompagnement». Ce que confirme Lorenza Bettoli, responsable HUG-Service de médecine communautaire et de premier recours/Planning familial qui avance le chiffre de «3’635 entretiens, dont 51% auprès de jeunes» menés en 2010. Pourtant certaines bousculent les statistiques et torpillent cette belle mécanique en tombant enceintes. Que se passe-t-il alors concrètement quand une jeune fille mineure enceinte s’adresse aux professionnel-le-s de la santé? Que lui conseillent le corps médical, le planning familial ? Lorenza Bettoli affirme que «la décision finale, qui n’est jamais facile à prendre, lui appartient. Les professionnel-le-s continuent de proposer un suivi, indépendamment de sa décision d’interrompre ou de garder la grossesse».
Pour sa part, la porte-parole des HUG n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet. Le témoignage des jeunes filles qui racontent les pressions exercées par le corps médical des HUG pour qu’elles mènent leur grossesse à terme laisse néanmoins perplexe. Avant 18 ans a-t-on seulement le choix ? Sans autonomie financière, sans formation, sans recul nécessaire, comment élever un enfant quand on est soi-même une enfant ? La société ne doit-elle pas partager cette énorme responsabilité qui incombe à ces jeunes filles ? Renvoyer le problème à la sphère personnelle, n’est-ce pas une manière détournée pour les praticien-ne-s de se désengager ? Faut-il y voir un mouvement de fond qui remettrait en cause le droit à l'accès à l'avortement légal et sûr?
En Suisse
Comme souvent, la Suisse est à part. Avec un taux d’interruption de grossesse des femmes en âge de procréer parmi les plus bas au monde (7 pour mille en 2008), le pays se veut exemplaire. Lorenza Bettoli précise que «dans la tranche d’âge entre 15-19 ans, les interruptions de grossesse représentent le 10,5% du nombre total. Quant aux moins de 15 ans, leur nombre est infime. Le nombre de grossesses menées à terme par les adolescentes se situe en dessous d’un pourcent et n’est pas en augmentation». Du coup, il est d’autant plus facile d’aborder les grossesses adolescentes sous l’angle de l’exception les ramenant ainsi à des cas individuels et isolés, traités comme tels.
A Genève
Comme souvent, Genève est à part. La loi stipule que les mineures de moins de 16 ans doivent être adressées à un «centre de consultation spécialisé pour mineurs» en plus des rendez-vous médicaux habituels (art. 120 du code pénal). Cinq cantons romands ont désigné les centres de planning familial pour ce faire, tandis que Genève dirige les jeunes filles vers des pédopsychiatres, ce qui, selon la sociologue Eliane Perrin «modifie considérablement le sens symbolique de cette consultation. En effet, adresser ces jeunes femmes à un Centre de Planning familial renvoie à leur capacité ou non de planifier les naissances et aux méthodes contraceptives alors que les adresser à un pédopsychiatre sème le doute sur leurs capacités de discernement, leur «normalité» sexuelle et leur santé mentale. Ce renvoi à la psychiatrie peut également renforcer l’idée qu’avorter peut laisser des séquelles psychologiques graves. Si celles-ci existent effectivement, elles n'affectent heureusement qu'une minorité de femmes et non toutes les femmes». Elle précise encore que «ces deux types de consultation, proposées avec l’intention d’aider les jeunes femmes à prendre une décision, de les protéger et de les soutenir, qu’elles poursuivent leur grossesse ou non, peuvent aussi bien renforcer que diminuer leur culpabilité».
Discours natalistes
On peut s’interroger sur les raisons qui pousseraient des professionnel-le-s de la santé à faire pression sur des mineures pour qu’elles aillent jusqu’au bout de leur grossesse. Pour Eliane Perrin, elles sont multiples : morales, économiques, sociales. Elle explique que «nous traversons une période historique de diminution de la natalité (1,48 enfant par femme en âge de procréer selon l'OFS en 2010), de crainte pour l'avenir des retraites (qui va les payer ?), de peur de l'avenir (crises économiques en série, problèmes écologiques, etc.). Les femmes deviennent mères de plus en plus tard, de plus en plus difficilement (la fécondité diminuant avec l'âge), courant plus de risques pour leur santé et augmentant les risques de malformations». Y-a-t-il une résurgence des discours natalistes ? La sociologue pense que «dans ces périodes, les discours (et plus rarement les politiques) natalistes ressurgissent et, avec eux, la pression sur les femmes pour qu'elles fassent des enfants. Et le plus tôt possible».
Droit à l’objection de conscience des médecins
Pour sa part, Anita Cotting rappelle que parallèlement à l’initiative «Financer l'avortement est une affaire privée», qui atteint déjà 90'000 signatures, et à la motion Föhn qui demande le non-remboursement de la pilule du lendemain, le débat autour du droit à l’objection de conscience des médecins est relancé, notamment au Conseil de l’Europe. Cette même organisation n’a-t-elle pourtant pas inscrit dans sa première convention (la Convention européenne des droits de l’homme, ndlr) l’interdiction de l’esclavage ? Or, la contrainte à enfanter n’est-elle pas une forme d’esclavage ? Qui peut disposer du corps de la femme sinon elle-même? La difficulté pour les femmes et plus encore pour les mineures d’avoir accès au droit à l’avortement sûr et légal rappelle que rien n’est acquis pour toujours. La directrice du PLANeS suggère «d’aménager plus efficacement autour de ce droit les conditions pour l’appliquer et de mettre en place les prestations adéquates». Et probablement d’entendre les femmes, de respecter et d’accompagner leur choix, d’autant plus lorsqu’elles sont mineures.