Interview de Maria Roth-Bernasconi
- Écrit par Nathalie Brochard
« Les fondamentalistes menacent la vie des femmes en Suisse», selon Maria Roth-Bernasconi, la conseillère nationale socialiste genevoise, qui revient sur les dessous de l’initiative « Financer l’avortement est une affaire privée ». Elle parle stratégie d’avenir. Interview.
L’initiative « Financer l’avortement est une affaire privée » a été déposée à la Chancellerie fédérale. Quelles sont les prochaines étapes ?
Le Conseil fédéral a une année pour soumettre à l’Assemblée fédérale un message qui propose d’accepter ou de refuser l’initiative, avec ou sans contre-projet. L’initiative sera ensuite discutée à la commission de la sécurité sociale et de la santé du premier conseil (Conseil des Etats ou Conseil national), puis en plénière. Après le passage au deuxième conseil et l’élimination d’éventuelles divergences, l’initiative sera soumise au vote du peuple. Le Parlement a un délai de trente mois maximum dès le dépôt de l’initiative pour faire ce travail. Le Conseil fédéral dispose ensuite de dix mois maximum pour soumettre l’initiative au peuple. Plusieurs mois, voire des années vont donc passer avant que l’on vote sur ce sujet. Personnellement, je pense que cette initiative va être rejetée.
Il semble justement que même l’UDC et le PDC, dont les initiant-e-s sont pourtant proches, sont embarrassés et ne soutiennent pas forcément l’initiative…
Oui, car ce sont les fondamentalistes de l’UDC, du PDC et des radicaux qui sont à l’origine de l’initiative. A savoir les mêmes milieux qui, en 2002, soutenaient l’initiative demandant l’interdiction absolue de l’avortement. Il s’agit donc d’une minorité, mais il nous faut faire attention : les initiant-e-s ont adopté un angle d’attaque qui est populaire, surtout en Suisse alémanique.
Pourquoi surtout en Suisse alémanique ?
Parce que là-bas, on a un autre rapport à l’Etat. En Suisse romande, on s’inspire du modèle français, qui propose une certaine conception du rôle de l’Etat dans la société. Les Alémaniques insistent beaucoup plus sur la responsabilité individuelle. L’initiative peut donc rencontrer un écho en insistant sur cet aspect, ainsi que sur la question des coûts.
Si l’argument financier n’en est pas un, il n’en reste pas moins qu’il fait mouche. Les initiant-e-s ont quitté le terrain moral pour placer le débat sur le terrain du porte-monnaie. Que leur répondez-vous ?
Selon les initiant-e-s, le coût des avortements atteindrait 20 millions de francs. C’est faux : Santésuisse parle de 7 à 10 millions. Soit seulement 0,02% des coûts totaux de la santé (60 milliards) ! Par contre, si l’on en revenait aux avortements clandestins et aux traitements des complications inhérentes, cela coûterait beaucoup plus cher. Sans parler des naissances d’enfants non désirés : une grossesse menée à terme coûte dix fois plus cher qu’un avortement… Cela dit, je ne suis pas sûre que les initiant-e-s aient laissé tomber les arguments de type moral.
Comment se fait-il qu’après la votation populaire sur le régime du délai, ces initiant-e-s veuillent renégocier les termes du débat ? Pourquoi ne placez-vous pas la discussion sur le remboursement de la contraception, par exemple ?
Les milieux dont sont issus les initiant-e-s réactivent sans cesse ce débat parce qu’au fond, ce qu’ils visent, ce n’est pas de réduire les coûts de la santé, mais d’interdire l’avortement. Ce sont des fondamentalistes, qui mettent en danger la vie des femmes en Suisse, sous prétexte de défendre la vie ! Ce genre d’initiative a pour autre effet navrant de désolidariser les hommes et les femmes sur un sujet qui, pourtant, les concerne tout autant. Aucune femme, aucun couple ne prend la décision d’interrompre une grossesse à la légère : dans nos pays, l’IVG n’est pas un moyen de contraception. L’accès à l’avortement, comme à la contraception, doit donc être garanti sans barrière financière.
La stratégie politique des initiant-e-s pourrait s’appliquer à d’autres débats : sous couvert de réduire les déficits publics, on démolit l’Etat social. Quelles solutions proposez-vous ?
En effet, cette stratégie ouvre la porte à d’autres diminutions de prestations dans l’assurance-maladie de base. Que va-t-on faire, demain, des personnes fumeuses ou obèses ? Cette initiative menace aussi les personnes aux revenus modestes, en particulier les femmes migrantes. Les Femmes socialistes ont déposé une contre-proposition au Conseil national demandant la gratuité des moyens contraceptifs. Nous voulons continuer à appliquer le régime du délai : dans les pays où l’avortement a été libéralisé, le nombre d’IVG a baissé. Sans parler de la mortalité maternelle.
Concrètement, chacune et chacun peut voter lors des élections fédérales pour des candidat-e-s ouvert-e-s, qui défendent la cause des femmes. Nous allons faire campagne contre cette initiative aux côtés des femmes radicales et démocrates chrétiennes : les femmes progressistes doivent s’unir pour faire avancer l’égalité et renforcer certains acquis encore fragiles, face à la montée inquiétante du conservatisme ambiant.
Propos recueillis par Nathalie Brochard
© Anne Colliard