Avortement, une histoire qui se répète
- Écrit par Nathalie Brochard
Avant que les citoyen-ne-s ne se prononcent à nouveau sur la question de l’accès à l’avortement, les féministes mobilisent leurs troupes comme par le passé. Rina Nissim, membre du Comité pour le droit à l’avortement libre et gratuit revient sur l’importance de cette lutte. Interview.
L'avortement libre et gratuit, est-ce une utopie?
L’avortement libre et gratuit demeure une revendication fondamentale et accessible. L’humanité ne peut survivre sans la capacité de reproduction des femmes. Pour que cela se passe bien pour tout le monde, elles doivent avoir le droit de ne mener à terme que les grossesses qu’elles peuvent assumer. De la même façon, dans les pays appauvris, c’est de l’éducation qu’il faut, avec l’accès aux soins, et non des stérilisations forcées. La question de la gratuité n’est pas utopique mais plus délicate, car il ne faudrait pas que seules les méthodes médicales (pilule, stérilet) soient remboursées tandis que les méthodes douces (préservatifs, diaphragmes) ne nécessitant pas de prescriptions restent à la charge des gens. Les premières ont davantage d’effets secondaires sur la santé, en particulier à long terme.
Le fait que la Suisse ait un des taux d'IVG les plus bas au monde n'incite pas à se mobiliser. A quoi et à qui sert cette loi?
C’est précisément grâce aux luttes des femmes que nous avons en Suisse un bon réseau d’information (plannings familiaux et centres de santé des femmes) avec non seulement un taux d’IVG très bas, mais aussi une mortalité (liée à l’IVG) nulle depuis 30 ans. Il faut rappeler que ce n’était pas le cas avant. C’est suite à la dénonciation, en 1969, par le Professeur Stamm du nombre d’avortements clandestins et de leurs complications que la campagne a été lancée. Les initiants sont non seulement contre le droit à l’avortement, mais aussi contre le subventionnement des plannings et l’éducation sexuelle à l’école.
N'est-ce pas un combat d'arrière-garde entre des féministes nostalgiques et des extrémistes religieux?
Le droit à l’avortement a été gagné en 2002 avec 72 % des voix fédérales, et 86% à Genève, nous représentons donc clairement une majorité.
Vous utilisez les mêmes méthodes et réactivez les mêmes réseaux qu'en 2001 (Marche Mondiale des Femmes, FemCo, USPDA) pour contrer vos adversaires, vous pensez avoir le même succès?
En effet, l’USPDA relance sa campagne avec les plannings et les associations professionnelles (médecins, infirmières), qui sont unanimement contre l’initiative. C’est parce que nous pensons que les initiants s’en prennent directement à l’autonomie des femmes sous le couvert de la question du remboursement de l’avortement par les caisses-maladies que nous réactivons aussi les réseaux féministes. En 2002, c’étaient l’ASDAC (Association Suisse pour la Décriminalisation de l’Avortement et de la Contraception) et la FemCo (Coalition Féministe Suisse), ces deux organisations n’existent plus, mais nous relançons les comités cantonaux, MMF (Marche Mondiale des Femmes) et les centres de santé de femmes peuvent nous servir de réseaux.
Le corps médical dans son entier rejoint les féministes dans ce combat. Ça, c'est une première?
Dans les campagnes précédentes nous avions déjà de nombreux alliés parmi les médecins. La différence cette fois, c'est que c'est carrément l'association professionnelle dans son ensemble qui soutient le droit actuel et le remboursement. Pour rappel, le remboursement a été obtenu dans les années 80 déjà et n'a jamais été remis en question dans le corps médical. L'ASI (Association suisse des infirmières) nous soutient également.
Que vous inspire la loi qui va être votée en Espagne (interdiction d'avorter pour malformation du foetus)? Est-ce la prochaine étape en Suisse?
Il n’y a plus lieu de discuter les conditions qui justifient ou non le droit d’avorter. Ce sont les femmes qui doivent décider avec leurs partenaires. Il est éthiquement impensable de forcer une femme à avoir un enfant malformé, tout autant que de l’empêcher de l’avoir parce que cela coûterait cher à la société, ou tout autre argument.
L'idée d'une assurance complémentaire pour l'IVG ne s'inscrit-elle pas dans la logique de fonctionnement de la société? Tomber de vélo, tomber enceinte serait un accident de parcours contre lequel on s'assure...
Je vois difficilement une femme se dire : je sens que l’année prochaine, je vais faire un écart de contraception, donc je vais m’assurer à l’avance. De plus, cela revient à discriminer les femmes les plus démunies et les renvoyer aux sondes et aux aiguilles à tricoter.
Quelles sont les prochaines actions du Comité pour le droit à l'avortement libre et gratuit?
Nous allons continuer notre travail de conscientisation sur les dangers de cette initiative avec nos tracts et nos chansons mises en scène quartier par quartier. A Genève, nous rencontrons beaucoup d’avis favorables. Il va falloir nous lancer dans une recherche de fonds pour pouvoir refaire comme en 2002 une campagne d’affichage au niveau national en trois langues pour atteindre les régions les plus reculées où les citoyens ont moins accès à l’information.
© Photo Joanna Osbert