Rédactrice en chef et féministe
- Écrit par Nathalie Brochard
La nomination de Christiane Pasteur au poste de co-rédactrice en chef du Courrier apporte un souffle frais et dynamique au quotidien indépendant. Féministe, elle porte un regard pertinent sur les rapports sociaux de sexe à l'oeuvre aujourd'hui. Interview.
l'émiliE: Vous avez travaillé onze ans à la Tribune de Genève, pourquoi être passée au Courrier ?
Christiane Pasteur: Parce que j’y crois ! Je crois en ses valeurs, son organisation, sa ligne éditoriale, et l’équipe est formidable. A l’heure du nivellement de l’information par le bas, avoir la chance de travailler dans un journal qui s’engage, offre des articles de fond, de l’enquête et de l’analyse, sans avoir des actionnaires qui décident à votre place de votre avenir, est extrêmement précieux. J’ai au Courrier une liberté d’action et d’expression qui n’existe pour ainsi dire nulle part ailleurs.
Le communiqué qui accompagnait votre nomination insistait sur le fait que vous êtes une femme et que la direction devenait paritaire. Etes-vous arrivée à la rédaction avec une ligne féministe?
C’est effectivement important puisque jusqu’à présent une seule femme en Suisse romande dirigeait un quotidien, à savoir Le Matin. Parce que les quotidiens ont une influence politique et qu’ils rapportent de l’argent aux grands éditeurs. Pour Le Courrier, c’est une première en 144 ans ! En tant que co-rédactrice en chef, j’ai à cœur de mettre en avant les femmes dans le Courrier. L’étude sur les médias suisses de Sylvie Durrer, responsable du Bureau fédéral de l’égalité, démontre que les femmes sont sous-représentées dans les médias. Au sein des rédactions, mais aussi parmi les personnes interrogées. Les femmes sont plus rarement en photo, ou alors pour endosser le rôle de victime ou pour illustrer des sujets «légers».
Vous-même, vous définissez-vous comme féministe?
Oui je suis féministe. Je le revendique. Celles et ceux qui pensent que le féminisme est ringard ou qu’il n’a plus de raison d’être se trompent lourdement. Aujourd’hui encore, les femmes sont plus souvent victimes de violences, elles gagnent moins que les hommes pour le même travail, peinent à obtenir des postes à responsabilité, restent marginalisées en politique, elles sont trop souvent cantonnées au temps partiel, sont obligées d’investir davantage de temps dans l’éducation des enfants, les soins aux parents, les tâches domestiques, sans que cela ne soit choisi ni même reconnu par la société. Sans parler des acquis, obtenus de haute lutte par des décennies de lutte féministe, qui se retrouvent menacés, comme par exemple le droit à l’avortement.
Comment envisagez-vous votre rôle au sein du trio qui dirige la rédaction?
Nous nous complétons parfaitement. Nous partageons le travail et prenons les décisions par consensus. Mon expérience me permet d’apporter un regard neuf et de donner certaines impulsions.
Quel regard portez-vous sur les luttes féministes actuelles, leur expression, leurs limites?
De nouvelles formes de luttes bienvenues sont apparues récemment, sur fond de paysage social moribond. Je pense à la Marche des Salopes ou aux Femen. Elles permettent aux féministes de se faire entendre au niveau médiatique. Mais cela n’est pas suffisant. Le discours ainsi retransmis reste souvent superficiel. Surtout que les jeunes générations n’ont pas toujours conscience des progrès qui ont été réalisés en la matière et du chemin qu’il reste à parcourir. Les médias, la publicité, et plus largement la société de consommation confortent les préjugés sexistes. Pour lutter contre cela, l’école a une tâche immense à remplir. Et les hommes bien sûr ont leur part.