« Je suis entouré de femmes »
- Écrit par Nathalie Brochard
Le magistrat genevois Pierre Maudet, en charge notamment des questions d’égalité, a commencé par faire le ménage dans son département. l'émiliE revient sur un début fracassant.
l’émiliE : Vous avez créé la surprise en venant aux 100 ans de l’émiliE, c’est le début de la campagne ?
Pierre Maudet : En politique, la campagne ne s’arrête jamais. J’estimais avoir ma place à cette journée, dans la mesure où mon département est en charge des questions d’égalité. Cela fait d'ailleurs beaucoup de bien de sortir de la caricature du ministre responsable de l'ordre public que je ne suis pas seulement. Je suis également, comme je le l’ai dit cet après-midi-là, le ministre cantonal en charge des droits et des devoirs, des libertés fondamentales et de leur respect. Mais ma présence constituait-elle vraiment une surprise ?
Oui parce que jusqu’à présent les problématiques de genre ont été plutôt absentes de votre rhétorique. Pourquoi d’ailleurs ?
C'est sans doute parce que l'on ne s'attend pas, notamment dans les milieux féministes, à entendre un élu de droite développer à sa façon un discours sur les enjeux actuels de l'égalité. Or jereprésente le Gouvernement, qui est lui-même attentif à ces problématiques. De la même façon que dans le gouvernement où je siégeais précédemment, celui de la Ville de Genève, où cette question était portée par l'ensemble du collège. Comme par exemple dans le cadre de la réforme du statut du personnel de la Ville, dossier dont j'avais la charge partagée, où nous avons introduit des dispositions directement tirées de la Loi sur l’égalité.
Je cherche donc simplement à assumer la fonction qui est la mienne. Et cela est très lié à la formation politique dont je suis issu, le parti radical, qui a toujours eu à cœur d'affirmer l'importance de valeurs humaines telles que la liberté, l'égalité ou encore la responsabilité. Il est tout à l’honneur de l’Etat que d’incarner un rempart contre les discriminations qui découlent de leur oubli.
Alors justement, votre vision des politiques d’équité, quelle est-elle plus précisément ?
Il est important de poser le contexte et de voir l’évolution au cours du XXe siècle qui a imposé l’égalité sur les questions liées aux droits fondamentaux juridiques et politiques, mais aussi à la sexualité, à la santé et plus largement dans la vie quotidienne des gens, comme en témoignent les impressionnantes archives de l'émiliE. A mes yeux, l’égalité est un combat qui demande à être reformulé et adapté au goût du jour et à l'évolution des mœurs. Il ne peut plus, comme par le passé, se limiter à la protection des femmes, mais il doit comprendre la promotion de celles-ci dans les sphères du pouvoir et activement contribuer à atteindre l’égalité salariale. En parallèle, on doit soigner les équilibres en n'oubliant pas le développement nécessaire de l'accès des hommes à la parentalité.
Mais au-delà de l’égalité, l’équité…
L’égalité est une approche de principe qui pose un cadre fort, l’équité est une approche en situation. En tenant compte du contexte, nous devons essayer de traiter sans discrimination des personnes de genre différent, en y intégrant d'ailleurs la question de l’homosexualité et de l’homophobie. Il s'agit d'utiliser une approche qui, sans nier l’individualité, ne fait pas non plus de discrimination positive. En effet, je reste avant tout attaché à la notion d’égalité républicaine.
Avant votre élection, vous laissiez entendre que le service genevois de promotion de l'égalité entre homme et femme était en sureffectif. Vous pensez que l’égalité est réalisée ?
Non, je pense que l’égalité est une valeur qui, comme un sillon dans la terre, doit être retracé régulièrement et dans lequel il faut semer en continu. Avant d’entrer dans le vif du sujet, je pensais que le féminisme institutionnel que je représente aujourd'hui était une notion un peu dépassée, que le féminisme s’incarnait mieux dans des associations privées. Cette thèse est aussi défendue à gauche, donc je ne m'inscrivais pas dans un clivage gauche-droite consistant à dire que trop de fonctionnaires s’occupent de l’égalité. Je pense différemment aujourd'hui car je me suis interrogé sur la question, notamment à la faveur de ma venue aux 100 ans de l’émiliE, mais aussi en constatant le travail du bureau de l’égalité et les champs à investir au niveau institutionnel. Toute une réflexion sur l’égalité dans le monde politique a été menée cet automne, que j’ai portée devant le Conseil d’Etat en novembre dernier. Il y a encore du chemin à faire et de ce point de vue, le bureau de l’égalité est peut-être plus attendu, en sa qualité d'organe neutre, que les associations ou les partis sur ce type de projet.
Si à l’époque j’ai pu confondre bureau de l’égalité et office des droits humains (et donc ses effectifs), cela m’a interpellé sur la lisibilité des politiques dans le domaine et les différentes entités qui les portent. D’où la volonté de proximité avec le SPPE qui a retrouvé son nom de bureau de l’égalité entre femmes et hommes, qui indique une notion de transversalité, mais aussi de proximité politique.
La série d’éviction de femmes liée à votre arrivée dans ce département, n’est-ce pas donner un mauvais signal aux femmes en général ?
Quelle série d’éviction des femmes ?! J’ai nommé une directrice générale à la tête de l’office pénitentiaire, ce qui ne s’était jamais vu; la cheffe de la police, Monica Bonfanti, est toujours en place. Ce sont, qui plus est, les offices les plus difficiles à gérer au sein du département de la sécurité. Je suis entouré de femmes dans mon secrétariat général, avec une directrice financière, une directrice administrative ou encore une DRH… de quelle éviction parlez-vous?
Dominique Roulin, par exemple…
Dominique Roulin a démissionné dans un contexte difficile et particulier, mais elle n'était pas la première ni la seule directrice d'un établissement de détention. S’agissant maintenant de Madame Bugnon, ça n'est pas une question de relation par rapport à elle, mais par rapport à l’office dans son ensemble, à son positionnement et à sa lisibilité. Madame Bugnon reste toutefois dans le département avec la charge d'une mission précise.
Ce poste de chargée de mission pour une année, n’est-ce pas juste un moyen d’éteindre la polémique ?
D'abord, pour être honnête, je n'ai pas ressenti de polémique sur le sujet et les réactions ont été aussi parcimonieuses que mesurées. Chacun comprend que l’administration bouge, qu'elle évolue. L’autre message consiste à s’interroger sur la pertinence actuelle de ces dispositifs de type bureau, délégué, etc. qui étaient des structures envisagées dans les années 90. Est-ce un alibi, est-ce une forme de déresponsabilisation du milieu associatif et de la population en général ? Il en va de même pour l’intégration, dont le bureau cherche encore sa place malgré la loi en vigueur. Tout cela doit faire l'objet d'une réflexion, et c'est stimulant.
Vous réorganisez les services pour les piloter en direct, c’est ambitieux. Vous allez pouvoir tout faire ?
Il y a sans doute un risque de ne pas pouvoir tout couvrir, mais en favorisant un accès direct à la direction du département aux directeurs et délégués, sans qu'ils doivent passer par des couches hiérarchiques supplémentaires, je leur permets de mieux jouer leur rôle.
Beaucoup s’inquiètent du sort qui va être réservé à Monica Bonfanti. Ces craintes sont-elles fondées ?
Là aussi, vous m'étonnez par cette préoccupation dont je peine à discerner les fondements rationnels.Il y aura en effet toujours besoin d’un ou d’une cheffe de la police! C’est un poste extraordinairement compliqué parce qu’il se situe à l’articulation entre le pouvoir politique, la responsabilité stratégique d’envisager les développements de la criminalité et la responsabilité opérationnelle de la police. Il exige des compétences très particulières qui font que son ou sa titulaire relève du mouton à cinq pattes. Le fait que Madame Bonfanti soit une femme a certes contribué à une meilleure prise en compte d’une série de problématiques, comme par exemple celle des violences domestiques. Cela a sans doute contribué aussi à faire évoluer la profession même de policier et son image. Maintenant, je n'interagis pas différemment avec elle qu'avec un homme directeur général d’office. Comme tout magistrat, toute personne dirigeant une entité administrative passe la main un jour. Ce jour arrivera aussi pour Mme Bonfanti, indépendamment de son genre. Pour moi, ce qui est important, c'est la capacité d'une personne de direction, chargée d'incarner une forme d'autorité, d'assumer ses responsabilités. Dans mon poste précédent, j’ai tout fait pour préparer l’arrivée des femmes dans la Voirie. J’ai aussi été le premier à nommer une femme sapeuse pompière professionnelle et une cheffe de poste de la police municipale aux Pâquis, parce que j'étais convaincu de leur valeur respective, indépendamment de leur sexe.
En direct sur les dossiers, allez-vous intégrer les problématiques homo-lesbo-transphobes jusque-là ignorées par le défunt ODH ?
Oui, pour moi c’est une réelle préoccupation. De la même façon que le sont les droits des handicapé-e-s, qui sont exprimés de manière assez claire à travers la nouvelle Constitution. La mission de Madame Bugnon témoigne de l’intérêt du gouvernement sur ces questions : on part de la nouvelle Constitution pour imaginer une structure souple et efficace, capable non plus seulement de faire de la promotion, ce que font les bureaux ordinaires aujourd’hui, mais de passer dans une ère nouvelle que Zurich connaît depuis 40 ans avec la fonction d'«ombudsperson». L’idée est d’être dans une logique qui va certes nous faire gagner du temps et de l’argent, mais surtout de la satisfaction citoyenne. Sans avoir besoin à tout prix de rationaliser les moyens, mais en les redéployant différemment.
Que pensez-vous de l’appel de Lorella Bertani pour un relèvement de la peine-plancher pour les violeurs ?
Chaque matin, je reçois la main courante de la police et je suis surpris du nombre important de violences domestiques. On sait aussi qu’on parle d’un chiffre noir dans ce domaine. Je pense qu’une réflexion et une discussion sur le Code pénal par rapport à la notion d’auteur et de victime, à un relèvement et à un durcissement des peines, sont tout à fait adéquates. Donc, oui, je suis favorable au relèvement de la peine-plancher pour les auteurs, mais aussi à la reprise intégrale de la définition du viol, trop limitatif aujourd'hui.
Vos résolutions pour les femmes en 2013 ?
Mon premier souci pour 2013 concernera leur participation politique au sens large. Pour les femmes, la capacité à figurer sur des listes est fondamentale. C’est la première démarche qui a été lancée sur la base d’un travail important mené par les groupes de femmes de tous les partis, présentée au Conseil d’Etat par mes soins et qui fait maintenant l’objet d’une diffusion auprès des cercles politiques. C’est important car cela tombe précisément au moment où les partis sont en train de constituer leurs listes.
Toujours en lien avec le champ politique, les atteintes faites aux élues représente pour moi un enjeu majeur. Je pense aux remarques sexistes – et le mot est encore faible – que l'on entend aujourd'hui, à la misogynie ambiante, inadmissible au XXIe siècle, qui constituent aussi une atteinte à l’autorité. A cet égard, je ne suis pas très optimiste sur la campagne qui s’annonce...
Mon second chantier englobe la thématique des violences au sens large et en particulier celles faites aux plus vulnérables (personnes âgées, enfants, femmes), pas seulement dans le cadre domestique mais je pense aussi à la violence de rue. A ce niveau, le travail doit être renforcé. Nous allons également améliorer les actions de prévention et de prise en charge des situations de mariages forcés, de lutte contre la prostitution illégale et la traite des êtres humains, en lien avec la Confédération.
Le troisième aspect concerne le domaine du travail. Je suis très attaché à l’idée du partenariat social avec un Etat arbitre et superviseur, mais qui soit aussi à même de soutenir et de conseiller les organisations souhaitant aller de l'avant sur ces questions. Nous devons encore approfondir ce volet pour qu'il impacte concrètement les questions d'égalité salariale.