Le temps des sirènes: pièce à convictions
- Écrit par Nathalie Brochard
Minuit. Deux sœurs, la cinquantaine, débarquent avec leur malle dans un hôtel sordide. La déception est de taille, et pour cause! Victoria et Gloria, originaires des Caraïbes, ont tout quitté pour tenter leur chance en Europe. D'emblée, le rêve se révèle beaucoup moins féerique qu’espéré.
Un spectacle tout en finesse, rythmé par leur tour de chant qui nous plonge dans l’univers haut en couleur de la vie d’artiste. Un huis clos tragicomique qui expose un quotidien difficile : l’angoisse perpétuelle de déjouer les pièges de l’immigration féminine, un univers où le contrat «d’artiste de cabaret» – porte ouverte à la prostitution – n’est jamais loin. Car nul n'émigre en toute impunité. Surtout lorsque l’on est une femme. C'est ce que nous explique Silvia Barreiros à l'origine de la pièce, écrite par Olivier Chiacchiari et mise en scène par Carlos L. Diaz Alfonso.
l'émiliE: Une telle pièce autour de la thématique des femmes migrantes peut-elle recevoir un bon accueil vu le contexte xénophobe actuel en Suisse?
Silvia Barreiros: Le spectacle a été très bien reçu lors de sa création à Genève. Il a diverti tout en dénonçant ces "contrats d'artistes" qui sont un sauf-conduit pour entrer en Suisse et en Europe. L'étrangère dans la prostitution est plus synonyme d'exotisme que de xénophobisme.
Une tournée mondiale est prévue: vous avez un message à faire passer?
Le message est de mettre en garde les femmes car nul n'émigre en toute impunité lorsque l'on est une femme... Nous commencerons la tournée par Cuba, puis l'Algérie et la Tunisie, pays qui par leurs conditions particulières invitent la population à la remise en question.
Comment vous est venue l’idée des deux personnages?
Pour les 10 ans de la Compagnie Apsara, j'avais envie de revenir à une création musicale. Margarita Sanchez a constitué dès le départ la parfaite partenaire pour ce duo. Toutes deux d'origines hispaniques, nous avons une certaine ressemblance. Il eut été dommage de ne pas en profiter.
Dans la pièce, les femmes ont une singulière capacité d’adaptation. Doit-on les envisager autrement que comme des victimes du système?
Leur capacité d'adaptation, leur lecture claire et objective de leur nouvelle situation vont leur permettre de prendre leur destin en mains et de déjouer ce piège qui leur a été tendu. Elles sont tout sauf des victimes.
Pensez-vous qu’on s’exile à 50 ans?
L'exil n'a pas d'âge. Le cours tranquille d'une vie peut changer en l'espace d'une minute et nous pousser à chercher un meilleur futur à l'étranger. Dans la pièce, les deux femmes sont poussées par une curiosité artistique, qui malgré leur cinquantaine, ne les empêchera pas de vouloir réaliser leur rêve. Même pour les femmes, la vie peut commencer à 50 ans!
Vous êtes née en Suisse de parents espagnols. Quel rapport pouvez-vous entretenir avec le destin de ces deux femmes?
Femme et fille d'émigrés, comment ne pas se sentir concernée par la migration et plus particulièrement par la traite des femmes, qui fait malheureusement encore trop souvent la une de notre actualité.
Vous abordez une autre frontière, celle de l’artiste et de la prostitution, pourquoi?
Au début du 20ème siècle, les artistes étaient considérées comme des femmes aux moeurs légères. Depuis, nous avons gagné bien des batailles en la matière. Pourtant on recourt encore de nos jours au terme "artiste de cabaret" pour faire entrer des filles en Europe dans le but de les prostituer. Il semblerait que pour certains cette frontière soit inexistante.
Les frontières ont-elles selon vous une raison d’être?
Les frontières sont nécessaires, non seulement en termes d'immigration, mais de réglementations commerciales, territoriales, etc. Tout comme les lois, il en faut bien - pour autant qu'elles soient justes - car nous ne sommes pas capables de nous auto-gérer.
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Prochaines dates
Au Théâtre Pulloff à Lausanne du 3 au 13 octobre
En ouverture de la semaine contre la traite de l’être humain : A l’espace Nuithonie à Fribourg le 19 octobre
Au Festival Int. de Théâtre de La Havane à Cuba les 26-27 octobre
Au Festival de Théâtre de Béjaïa en Algérie le 4 novembre Au Palace culturel à Alger en Algérie le 7 novembre (2 x)
Au CAS – Centre d’Animation de Sciez – en France le 16 novembre
Aux Journées de Carthage, Festival international de Théâtre à Tunis, le 23, le 24 à Kef et le 26 novembre à Sfax, Tunisie