Les queers de Post-Op au LUFF
- Écrit par Hellen Williams
Le collectif transféministe Post-Op est invité au LUFF, le Lausanne Underground Film & Music Festival, espace d'échange et d'innovation incontournable (du 15 au 19 octobre). Post-Op y présente son projet Pornortopedia et nous en détaille les contours en exclusivité.
L’émiliE : Qu’est-ce que la Pornortopédia ?
Post-Op : Pornortopédia est un projet du collectif Post-Op.
PORNORTOPEDIA est un espace de réflexion et de réalisation de sextoys, prothèses et orthopédie à fins sexuelles, pensés pour tous-tes, en tenant compte des mobilités et sensibilités corporelles alternatives.
Il y a quelques mois nous avons participé au documentaire «Yes we fuck» où il nous a été demandé de créer un atelier post-porno destiné à un collectif fonctionnellement différent. L’expérience fut incroyable et nous voulons continuer à travailler dans ce sens. L’un des nombreux éléments que nous avons retenus de cette rencontre est le manque de sextoys pensés pour tous-tes, et par tous-tes nous entendons les personnes d’autres corporalités, mobilités et sensibilités. C’est pourquoi nous avons décidé de réaliser des prothèses sexuelles pensées d’un point de vue plus inclusif.
Nous avons donc lancé un appel sur Internet pour demander au public concerné quels types de sextoys, accessoires, prothèses, etc… il aimerait pouvoir trouver. Et une fois toutes les suggestions rassemblées, en réaliser quelques-uns.
L’idée n’est pas de découvrir ce que le post-porno peut faire pour les personnes à fonctionnalité diverse, mais ce que ces personnes peuvent apporter au post-porno.
Ce que nous voulons faire comprendre, c’est que justement ces autres façons de ressentir le corps, ces autres façons de se mouvoir, engendrent des pratiques difficilement imaginables autrement, des pratiques qui enrichissement l’imaginaire collectif.
Comment est né le collectif Post-op ?
Ce collectif est né en 2003, suite à l’orgie qui clôturait le Marathon post-porno organisé par Beatriz Preciado au Musée d’art Contemporain de Barcelone (Macba). Certain-e-s d’entre nous se connaissaient déjà pour s’être rencontré-e-s dans des espaces non-institutionnels et nous nous sommes rendus compte qu’il était important d’amener ces questions autour des pratiques queer dans l’espace public.
Lors de ce marathon, nous avons réalisé que nous menions une vie très post-porno sans même nous en rendre compte, nous entendions le terme «post-porno» pour la première fois et, pour ainsi dire, il donnait un nom à notre façon de vivre, de baiser et d’être en relation.
Notre façon de vivre, cependant, restait cantonnée à certains espaces et toutes ces préoccupations finissaient par se limiter à ces espaces endogames, alors que pour nous il devenait fondamental de générer des imaginaires qui touchent aussi des personnes extérieures.
Et c’est comme ça que notre groupe de performeur-euse-s est né. Actuellement, notre travail comprend l’action directe, la mise en place d’ateliers, de discussions ou la création d’espaces de jeux sexuels lors de journées événement, fêtes et autres.
Que signifie le mot Post-op ?
Post-op est l’abrévation de post-opéré-e-s, c’est le nom utilisé pour désigner les personnes trans* lors qu’elles ont subi une ou plusieurs opération de réassignation de sexe. Nous, nous considérons que nous sommes tou-te-s «post-op», c’est-à-dire que nous sommes tou-te-s opérées par différentes technologies qui nous construisent en termes de genre, classe, race, capacités…
Votre projet est artistique ; comment les gens peuvent-ils se le réappproprier et l’incorporer dans leurs pratiques individuelles ?
Nous ne nous définissons pas comme artistes, mais comme activistes, même s’il est vrai que nous utilisons des pratiques artistiques comme outil de travail. Mais nous ne comprenons pas cette séparation entre art et pratique, parce que pour nous ils sont la continuation l’un de l’autre.
La finalité de notre projet n’est pas le design et la construction de sextoys en soi, mais plutôt la visibilisation d’autres formes de plaisir, la sexualisation d’autres types de corps, et des pratiques autres que celles liées aux corps normés.
L’idée est que la vue de nos créations conduise à en imaginer d’autres, à envisager d’autres pratiques, et à voir la différence comme quelque chose d’agréable et positif, voilà comment les gens peuvent se réapproprier le projet.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
La liste de tou-te-s les activistes, photographes, performeur-euse-s, films, expériences, expositions qui nous inspirent serait interminable !
En vérité ce qui nous influence et construit le plus ce sont les alliances que nous formons depuis des années à travers le réseau des «marranxs» («truies», collectif post-porno, ndlt), de nos allié-e-s et co-équipièr-e-s qui sont toujours une source d’inspiration.
Notre famille aussi, composée de «Quimera Rosa», Diana Pornoterroriste (voir interview du 31 janvier 2013), Itziar Ziga, Parole de Queer, Medeak, Ideadestroyingmuros, O.R.G.I.A, entre autres, et bien sûr, des références fondamentales dans notre trajectoire comme Beatriz Preciado.
Etes-vous conscient-e-s d’être à l’avant-garde du queer ?
Je ne sais pas si nous sommes à l’avant-garde, pour ça il faudrait connaître ce qui se mitonne un peu partout dans le monde et souvent l’information ne nous parvient pas, suivant les territoires ou la censure que subissent celles/ceux qui abordent ces questions.
Le mot «avant-garde», d’ailleurs, appartient à une vision linéaire de l’histoire qui impliquerait l’existence d’une «arrière-garde» qui serait moins avancée et moins originale que cette soi-disant «avant-garde».
Nous ne sommes pas du tout confortables avec cette hiérarchie de valeurs qui détermine que ce qui est nouveau et original se place devant tout le reste.
Que pensez-vous de la Suisse, et qu’attendez-vous de votre participation au LUFF ?
Il s’agit de notre premier voyage en Suisse, et il n’a pas vraiment commencé du bon pied ! L’une de nos compagnonnes sud-américaines, Lucrecia, qui participe à la vidéo post-porno «Estropié-e», n’a pas pu entrer en Suisse en raison des critères racistes imposés par l’Etat et d’une série d’obstacles bureaucratiques qui entravent la libre circulation des personnes. Les frontières de l’Europe-forteresse s’érigent encore une fois, et pas qu’en Suisse.
Quant à notre participation au LUFF, nous aimerions qu’elle nous permette de rencontrer les réseaux trans-féministes du coin, et nous mette en contact avec d’autres activistes.
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Photo © Post-Op
Traduction: Hellen Williams