"Il faut que ça bouge, c'est impératif"
- Écrit par Nathalie Brochard
Le service égalité de l'UNIGE vient de publier un rapport d'activité particulièrement dense et dynamique, à l'image de sa directrice, Brigitte Mantilleri qui mène sa mission avec une rare détermination. Interview.
l’émiliE :Le dernier rapport d’activité témoigne de deux années intenses. L’avenir s’annonce-t-il aussi dense sur le front de l’égalité ?
Brigitte Mantilleri : Certainement ! Il s’agit des deux premières années du fameux Plan d’actions égalité@UNIGE 2013-2016 que j’ai mis en place en concertation avec le rectorat. Après ces deux années de lancement, il y aura autant à faire parce que nous devons intégrer les éléments manquants. Et puis avec l’effet boule-de-neige, nous avons agrégé des actions extérieures. Ce qu’il faut surtout retenir, c’est qu’avec ce plan d’actions, nous sommes enfin entrées dans les facultés. Jusqu’alors, j’étais liée au rectorat et mon action était très centralisée. Aujourd’hui, je travaille en plus avec neuf entités, les neuf facultés, ce qui me place au cœur de ce qui devrait bouger.
Ces actions visent aussi le grand public, elles ne sont pas uniquement tournées vers l’Université, pourquoi ?
J’ai toujours eu ce souci, d’une part de viser le public académique et les problématiques des femmes au sein de l’institution, et d’autre part de faire bouger les mentalités en organisant des conférences et des actions qui vise un public plus large au niveau de la ville et du canton. Pourquoi élargir ? Nous avions remarqué lors d’un événement conjoint avec le Career Women’s Forum (CWF), une association d’entrepreneurs, que les professeures avaient été sensibles au fait que les femmes du privé rencontraient finalement les mêmes problèmes qu’elles dans la poursuite d’une carrière de haut niveau. Comme elles, elles faisaient part d’un certain isolement à leur poste. Du coup, ces échanges ont eu un impact assez positif en termes de prise de conscience et de mise en place de réseaux. Pour moi, le mélange des genres est toujours intéressant parce que cela permet de changer de point de vue, de réfléchir plus largement et de reprendre des forces.
Et je suis très attentive à mes budgets. J’ai conscience que ce sont mes concitoyen-ne-s qui financent nos activités et je trouve normal de pouvoir toucher le plus de monde possible: un maximum d’impact avec un minimum de dépenses. M’allier au canton, à la ville permet à la fois de maîtriser les coûts, de partager les idées et compétences, tout en augmentant la visibilité. J’implique aussi les associations puisque je viens de là. Je ne veux pas perdre le lien avec le terrain. Parce que derrière tout ça, il y a une autre réflexion: l’égalité, ce ne sont pas juste des femmes qui réussissent, il faut inclure tout le monde, ça passe par l’égalité sociale. On ne travaille pas uniquement pour que quelques-unes se retrouvent au top avec quelques-uns. Est-ce que c’est intéressant pour la société dans son ensemble ? Je ne pense pas.
Pour autant, malgré toutes ces actions, la relève égalitaire progresse peu. Comment l’expliquez-vous ?
Si on regarde les chiffres, c’est vrai que c’est lent. Par contre, on remarque qu’au niveau des professeur-e-s associé-e-s, on avance à Genève avec nos 35%, par contre on reste bloqué à ce 17% de femmes PO. Alors qu’on a 62% d’étudiantes, il est clair que ça bugue quelque part. Mentalités, structures, c’est là-dessus que nous devons travailler encore et encore. C’est un engagement quotidien. Il faut changer les habitudes à l’Université. Mais en discutant depuis deux ans avec les personnes concernées, doyens, profs, je vois que les choses sont en train de bouger. Au début, on me recevait de manière un peu fraîche, maintenant on discute, il y a des prises de conscience et des envies d’évoluer. Maintenant, si on a réussi à interpeller les gens, il faut que ça se traduise enfin dans les chiffres. Au final, on n’arrive toujours pas à dépasser ce maudit seuil de 20% dont parle Brigitte Grésy, même pas en Suède.
C’est la thématique prioritaire à l’Université ?
Pas seulement. On fait porter l’effort plus globalement. A partir du 15 juillet 2015, je suis rattachée directement au recteur, ce qui signifie un positionnement que je demandais depuis des années qui permet d’aborder les problématiques de manière transversale. Cela rend notre action plus mobile, plus rapide aussi. On est sur la bonne voie. A côté de ça, je reçois beaucoup de femmes en souffrance qui doivent faire face au sexisme ordinaire, c’est aussi une des raisons de mon engagement. A partir de là, il faut que ça bouge, c’est impératif.
Ne regrettez-vous pas la liberté de manœuvre que procure le militantisme de base ?
Certes, j’ai des énervements face à certains blocages qu’on pourrait éviter. Je travaille différemment, j’apprends à œuvrer dans un mélange de diplomatie, de fermeté, de persévérance. Et lorsqu’enfin ça bouge, c’est la preuve que ça fonctionne. Les intentions sont là, les gens ont envie d’avancer, je le constate tous les jours. C’est différent… Evidemment, je ne suis pas directe de la même manière que lorsque j’étais en milieu associatif. Mais je suis dans une institution dynamique entourée d’une très bonne équipe, ce qui permet d’agir de façon satisfaisante.
Vous avez d’ailleurs renouvelé votre équipe presque entièrement…
Oui, de l’équipe précédente, une seule personne est restée. Juliette Labarthe a une énorme connaissance de l’institution et travaille sur le plan d’action et la Délégation à l’égalité. Ensuite Fabienne Giachino, je l’ai engagée parce qu’elle travaillait chez Swissair, un gage de débrouillardise pour moi, elle sait tout faire et gère maintenant tous nos budgets très complexes. Olivia Och est chargée des programmes de mentorat, des ateliers et a modernisé toute la manière de travailler et je viens d’engager Coline de Senarclens issue de la Slutwalk.
Pourquoi avoir engagé une figure controversée du féminisme local ?
Je ne m’en tiens pas aux a priori. Dans le cadre du bureau, Coline est très structurée, très efficace, dynamique et enthousiaste. Elle gère nos réseaux sociaux et les Subsides tremplin. Je canalise son action, entendons-nous, elle n’est pas ici pour représenter la Slutwalk.
Votre bilan depuis deux ans est plutôt porté par l’optimisme ou bien ?
En ce moment oui, j’ai l’impression qu’on avance. Je suis pragmatique. Avec la vice-rectrice, madame Margareta Baddeley, nous avons fait un gros travail de recadrage, de mise à plat des législations parce qu’avec le temps, les gens oublient qu’ils sont soumis à des contraintes et qu’ils doivent respecter des textes en matière d’égalité. Au final, on a des instruments qui fonctionnent, une équipe de président-e-s de commission de l’égalité engagée et enthousiaste, des mentores qui sont parfaites. Ce qui m’enchante, c’est l’arrivée de la nouvelle rectrice de Lausanne qui a dit à peine élue qu’elle allait s’engager pour qu’il y ait plus de professeures à l’Université. Ce mouvement est porteur. C’est toujours bien d’utiliser les exemples de ce qui se fait ailleurs pour faire avancer notre propre action ici.
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