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updated 5:17 PM CEST, Sep 28, 2016

Cinéma

Mad Max: le film d’action féministe



Quatrième opus d’une saga débutée il y a plus de 30 ans, Mad Max : Fury Road est la véritable surprise féministe du printemps cinématographique 2015. Contre toute attente, le blockbuster bouscule avec violence les stéréotypes de genre si chers à Hollywood. Le héros ? Une héroïne : Imperator Furiosa (Charlize Theron). Mad Max (Tom Hardy) ? Présent, mais son rôle reste secondaire. Le fil rouge de l’action post-apocalyptique ? L’esclavage sexuel et l’objectification des femmes.

Les épouses captives du tyran Immortan Joe, dont le rôle est de mettre au monde des héritiers mâles, se révoltent contre l’utilisation de leur personne et fuient la Citadelle à l’aide de Furiosa. Cette dernière, pilote d’un camion militaire, dissimule les fugitives dans le véhicule et orchestre l’évasion. Le plan de Furiosa découvert, Immortan Joe lance ses hommes, les War Boys, à la poursuite du convoi. Une folle course à travers les terres arides démarre alors.

Si Mad Max, embarqué suite à de nombreuses péripéties aux côtés de Furiosa, finit par prêter main forte aux rebelles, il n’en devient pas pour autant le héros de l’histoire. Loin de tomber dans les clichés sexistes des films d’action traditionnels, Mad Max : Fury Road laisse aux personnages féminins le soin de prendre leur propre destin en main.

George Miller ne se contente cependant pas de mettre en scène des femmes qui combattent mieux que des hommes. Le réalisateur, qui a fait appel à l’auteure des Monologues du vagin, Eve Ensler, pour s’entretenir avec les acteurs et actrices sur les violences faites aux femmes, va bien plus loin. A travers une œuvre de science-fiction, il parvient à dépeindre les dangers et les horreurs d’un ordre patriarcal extrême. Ainsi, au lendemain de l’apocalypse et de l’effondrement de la civilisation, la plus grande menace pour la femme n’est autre que l’homme.

En outre, les fugitives ne cherchent pas à simplement fuir : elles ont une destination. Elles roulent vers une terre verte et abondante, décrite comme un eldorado matriarcal. La violence du patriarcat dépeint par Miller est alors accentuée lorsque les épouses et Furiosa découvrent avec douleur que la tribu a été décimée, et que seules quelques femmes ont survécu.
 
Enfin, les conséquences néfastes de l’organisation masculine du royaume d’Immortan Joe ne sont pas présentées comme limitées à la population féminine. Le peuple dans son ensemble est en effet délibérément privé d’eau, et lutte pour survivre en plein désert sous quelques cartons. Ce même peuple exulte à l’instauration d’un ordre nouveau, lors du retour victorieux des fugitives et la mort du tyran. George Miller lie ainsi la libération des femmes à la libération populaire. 

Mad Max : Fury Road ne tombe cependant pas dans le piège manichéen qui voudrait faire de tout homme un ennemi. Si les personnages de Mad Max et du War Boy repenti Nux contrebalancent la noirceur masculine mise en scène tout au long du film, l’adhésion presqu’immédiate des garçons et hommes de guerre à l’ordre nouveau parachève le travail de nuance en soulignant le concept de rédemption.

Vous l’aurez compris, Mad Max : Fury Road est un film d’action comme on n’en a jamais vu.

Photo © Image extraite du film

 

  • Écrit par Lucie Canal
  • Catégorie parente: Rencontres culturelles
  • Catégorie : Cinéma

Metro-boulo-kino: Giu le mani

Pour celles et ceux qui ont suivi le ciné-club syndical Metro-Boulo-Kino, ce nouveau cycle s'articule autour du volet social avec, pour l'inaugurer, l'excellent film de Danilo Catti, Giu le mani, prix du cinéma suisse 2009 et prix spécial du jury.

Le 7 mars 2008, la direction des Chemins de fer suisses  annonce la privatisation de la maintenance des wagons de marchandise et la délocalisation de l'entretien des locomotives. 430 ouvriers des usines Cargo CFF de Bellinzone entament une grève. En quelques jours naît un vaste mouvement de protestation qui concerne toute la région.

Giu le mani, le slogan scandé par les ouvriers lors des manifestations, est au coeur d'une lutte qui dépasse la seule défense de l'emploi et qui touche à quelque chose de plus universel, à savoir la place de chaque individu dans une économie de plus en plus globale. Un point qui rejoint les luttes transféministes. A voir ou à revoir.

 

Date: Mardi 29 janvier 2013 à 18h30

Lieu: Cinelux, 8 bd Saint-Georges, 1205 Genève, www.cinelux.info

  • Écrit par Nathalie Brochard
  • Catégorie parente: Rencontres culturelles
  • Catégorie : Cinéma

Women Without Men 

Dessin: Cecile KöpfliDès les premières images et tout au long du film, Women Without Men plonge le spectateur dans un univers magique entre rêve et réalité, un monde d’une beauté irréelle dans lequel quotidien et vie imaginaire s’enchevêtrent totalement. Le cadre temporel est celui de l’Iran en 1953, au moment du coup d’état fomenté par les services secrets britanniques et américains visant à renverser le gouvernement et écarter le premier ministre Mohammad Mossadegh, responsable de la nationalisation du pétrole. Sur cette toile de fond politique entièrement masculine se détachent quatre femmes, dont les aspirations diverses s’éveillent au son des remous sociaux et atteignent leur paroxysme conjointement. Personnel et politique se mêlent et se racontent l’un l’autre, les bouleversements du pays faisant écho au tumulte intérieur de chaque psyché féminine.

Munes, Faezeh, Zarin, Fakhri. Quatre évocations poétiques, quatre facettes de la femme iranienne, quatre désirs féminins naissants s’épanouissent tant bien que mal entre luttes de pouvoir et société patriarcale: l’aspiration à la liberté ; la recherche de la conformité; la quête de la paix intérieure; le désir d’être aimée. Les choix de chacune de ces femmes modèleront leur chemin vers la connaissance de soi et vers la liberté, dans un environnement régi par l’homme et avec une marge d’action extrêmement limitée.

Women Without Men est infusé de culture iranienne. Adapté du livre éponyme – banni en Iran - de l’écrivaine féministe Shahrnush Parsipur, il s’agit du premier film de fiction de Shirin Neshat, une artiste iranienne vivant à New York. La réalisatrice respecte le style de réalisme magique du roman et le sublime par une esthétique magnifique. Elle travaille sur les contrastes clairs-obscurs, les cadrages larges aux compositions minutieuses, les mouvements de caméra oniriques, que rehausse encore la beauté des actrices et des lieux. Le récit et sa transposition en image ne suivent pas les codes narratifs usuels, tout en évoquant le cinéma hollywoodien des années 50. Réel et imaginaire se fondent sans cesse et sans transition. Le décor fait partie du récit, reflétant les états d’âme des personnages. Le verger, jardin d’Eden et lieu névralgique du récit, est à géométrie variable et se peuple d’arbres brûlés, d’étendues désertiques ou de champs de fleurs selon les émotions de celle qui l’arpente. Partout, l’eau est un élément clé qui permet de renaître, physiquement ou spirituellement ; seules les femmes qui s’y immergent totalement pourront se libérer de leurs jougs. Les frontières entre la vie et la mort sont floues; une femme meurt et revient comme fantôme. La seule différence visible à l’écran est que le personnage passe complètement inaperçu, sauf de ceux qui l’aiment. Femme fantôme, femme inexistante : que signifie exister lorsqu’on est enfermée et privée de tous les droits ?

Métaphores ou allégories côtoient ainsi des formes narratives plus classiques. Zarin par exemple, une prostituée à l’image de la Marie-Madeleine biblique, n’est pas un personnage à proprement parler. Elle est présentée comme une figure christique fantomatique, une incarnation éthérée de l’aspiration de l’âme féminine à la spiritualité. Pâle, d’une maigreur extrême, son corps n’est déjà plus de ce monde, comme usé par le désir masculin. Zarin retourne à la matrice originelle, l’étang du verger, par un trou dans l’enceinte, comme si elle remontait l’utérus. Elle revient à la vie au toucher du jardinier, le même toucher qui l’a éveillée du bordel où elle s’étiolait, simple réceptacle de la jouissance des hommes. Mais même au sein du verger, entourée de femmes, il y a peu de place pour la quiétude à laquelle elle aspire. Les désirs terrestres reviennent toujours et avec eux, l’égo et ses blessures narcissiques, supplantant la compassion et entravant la paix de l’âme. Zarin donne l’impression de disparaître peu à peu de l’écran à mesure que se réduit son espoir d’un amour universel.

Mysticisme et religion, Islam et christianisme, l’identité de la femme iranienne, son rapport au fondamentalisme, à l’homme, et finalement, son propre déracinement sont au cœur de tout le travail artistique de Shirin Neshat. Née en Iran, elle part en 1979 étudier aux Etats-Unis juste avant la révolution islamique et la chute du Shah. Lorsqu’elle retourne dans son pays douze ans plus tard, elle ne le reconnaît pas. Elle est particulièrement frappée par la dégradation de la condition féminine sous le régime de l’Ayatollah Khomeiny. Ce décalage est à l’origine de son œuvre. « Femmes d’Allah » (1993-1997) par exemple, est une série photographique d’autoportraits, dans laquelle elle se présente voilée ; les seules parties du corps exposées, en accord avec la loi islamique, sont les mains, les pieds et le visage, couverts de calligraphies farsi, empoignant ou face à des revolvers. Dès 1996, son art est jugé controversé en Iran, raison pour laquelle elle ne pourra plus y retourner. Elle commence à réaliser des installations vidéo ; avec Turbulent, qui obtient le Lion d’Or à la Biennale de Venise en 1999, elle accède à une reconnaissance internationale. Cette installation questionne une autre interdiction qui frappe la femme en Iran, celle de chanter. Sur deux écrans séparés, un chant d’homme se terminant sous les applaudissements est suivi de la mélopée entrecoupée de plaintes d’une femme face à une salle vide. Women Without Men est un travail de longue haleine, issu de plusieurs années d’écriture de Neshat en collaboration avec son mari, l’artiste et réalisateur iranien Shoja Azari. Il aboutit à une multitude d’œuvres artistiques : le long-métrage couronné par le Lion d’Argent à la Mostra de Venise, cinq portraits vidéo de chaque protagoniste –une de plus que dans le film-  et
une série photographique.

Avec Women Without Men, Shirin Neshat s’engage pour la première fois de manière politique, considérant jusque là elle-même son travail comme une exploration artistique de ses questionnements personnels. Quel que soit son point de vue, ses interrogations sont fondamentales et la portée de son œuvre est indéniable, pour les Iraniennes mais également au-delà, pour les femmes en général avec comme fil rouge l’évolution du regard social et du regard sur soi . Avec ce premier film, elle met en scène une nouvelle fois la force et la résilience féminines à travers divers parcours de vie, cette fois pour un public plus large. Porté par la sensibilité poétique, esthétique et culturelle de Shirin Neshat, Women Without Men offre une immersion dans un autre univers, pour autant qu’on en accepte le mode narratif. Sans conteste un des grands films de l’année.

  • Écrit par Briana Berg
  • Catégorie parente: Rencontres culturelles
  • Catégorie : Cinéma